Notre époque est celle des incertitudes sur nombre de sujets et nous sommes de plus en plus à percevoir que nos sociétés progressistes sonnent le glas quant au promesses qui furent les leurs. Nous assistons à une danse macabre en laquelle telles des
Dans toutes les sociétés traditionnelles, des danses, des peintures rituelles, des épreuves initiatiques, des dictons, des proverbes, des litanies répétées, des récits et des légendes édifiantes assuraient, quotidiennement ou cycliquement, l'évolution heureuse de l'individu,
sa saine progression à travers les obstacles de son existence, son bien-être constant; nombreux sont les chercheurs à avoir noté avec méthode ce système d'enseignement, de Mircéa Eliade, en ce qui concerne les aborigènes australiens, à Paul Diel pour les mythes grecs, en passant par toutes les études sur les civilisations traditionnelles et leurs religions.
Les histoires transmises et répétées aux époques cruciales de la vie, tout comme en temps de festivités, tendaient à incruster, dans le mental de l'enfant ou de l'adulte, des modèles - toutes les possibilités de situations, tous les "problèmes" existentiels y inscrivant leur déroulement et leur conclusion harmonieuse. Peu nombreux, en effet, les schémas dans lesquels nous pouvons retrouver toutes nos aventures!
Une règle du Jeu: il suffisait de suivre leurs conseils tacites ou soulignés d'une phrase-clef, leurs lignes de conduite, pour se sortir avec justesse et sans contre-coup désastreux de toutes situations difficiles... Conditionnement, certes, cette méthode d'enseignement, mais moins dangereux que l'autre qui, né de la fantaisie orgueilleuse, de fantasmes mortifères et d'idiosyncrasies destructrices, ne fournit que des modèles torturés, des visions pessimistes, des issues catastrophiques!
Mieux nos anciens Contes de fées et les Héros des mythologies, par exemple, que les faits-divers des journaux, les conseils "immoraux" ou les angoisses supposées fatales et sans remèdes des romans (car les modèles d'une civilisation perturbée, donc dénaturée, ne peuvent engendrer que plus encore d'erreurs vitales). Une règle du jeu existait donc, permanente, pour les habitants d'une région, d'une planète donnée:
le Jeu de la Mère "Loi", comme l'orthographiait l'alchimiste Fulcanelli...
Et cependant, malgré cela toutes ces sociétés périclitèrent... Faut-il incriminer leurs techniques culturelles? Non! Seulement l'être humain dont le propre est de n'en faire qu'à sa tête - son soi-disant libre-arbitre - et d'ériger ses lois personnelles aux courtes vues contre les lois éternelles et parfaites transmises ainsi; et ce, sans se remettre véritablement en question, en dépit des conséquences de ses idéaux. Mais sans nul doute s'effritèrent-elles moins rapidement, nos sociétés, grâce à ces mythologies de la Tradition... Toujours identique, le Chemin: de siècle en siècle, chaque peuple en réajustait la trame aux images de son époque... et ceci est très nettement visible pour qui compare les contes de diverses sociétés: universels en sont les messages, les scénarios; seuls en changent les interprètes et les décors: ici un empereur (Chine), là un roi, des bergers, des lutins (France), là des marchands, des princes, des vizirs (Perse), ici des bédouins, des marabouts (Sahara), là des lions, des chacals et autres animaux (Maghreb, Indonésie), ici des Magiciens (Egypte ancienne)...
De là naquirent entre autres, mais plus anonymes comme jadis, des récits édifiants au déploiement mondial: Le Singe Pélerin (Orient), Le Voyage du Pélerin de Bunyan (1658), La Reine des Fées de Spencer (1590), les Récits d'un Pèlerin Russe (1870), l'Oiseau Bleu de Maeterlinck (1925) et à notre époque: Siddharta de H. Hesse, le Petit Prince de Saint Exupéry et Jonathan Livingston le Goëland de Richard Bach..., contes philosophiques, si l'on emploie cet adjectif dans son sens réel: amoureux de la sagesse. Une unique technique leur est commune: des évènements extraordinaires transportent l'auditeur (ou le lecteur) hors de la réalité phénoménale, dans un monde "de rêve"; moyen terme entre le moi et le sur-moi, filtre débitant goutte à goutte une sagesse qui, d'un seul flot, nous effraierait, nous noierait peut-être... Catalyseurs de méditation, en fait, ces histoires ponctuées de phrases proverbiales...
Par osmose, sympathie, elles réveilleront les principes, les lois enfouies en nous, de cette Sagesse immémoriale: trait de jonction très proche de la maïeutique de Platon, en somme! Véritable éducation alors, dans le sens étymologique du mot (tirer hors de)... Quelques thèmes, quelques images archétypales seulement s'y rencontrent immanquablement. Pour simplifier, nous les rassemblerons en quatre points:
- Le Voyage-Quête d'un Trésor, d'un Ami pour le Petit Prince, de la Connaissance pour Dante, du Chevalier Vert pour Sire Gauvain; c'est aussi une Fleur ou un Oiseau bleu pour Novalis (Henri d'Ofterdingen) et Maeterlinck, le Paradis pour le Christian de Bunyan, l'Or pour les alchimistes, la Coupe du Graal pour les Chevaliers de la Table Ronde, la Vitesse limite d'un Goëland pour Jonathan Livingston, un objet magique, une épouse, etc...
- Les trois Epreuves rituelles, multipliées (par 4 pour Hercule, par exemple!): des objets à créer, à rapporter du bout du monde ou des obstacles à franchir (monstres, éléments, désert, montagnes, rivières).
- Les Gardiens du Seuil (du Serpent de la Bible aux dragons divers, en passant par le Roi protecteur de sa fille).
- L'aide des animaux, des fées ou des sages (le Renard du Petit Prince, les Oiseaux-étoiles pour Jonathan, etc...).
Deux voies: Certains les nommeront, ces récits, des "voyages initiatiques". Oui! Mais l'Existence, dirons-nous plus simplement, ce qui s'avère synonyme parfait, en fin de "conte"; car l'existence de l'homme est une marche vers la sérénité, à travers les coups du sort-hasard (et "jamais deux sans trois", affirme-t-on souvent pour les épreuves!) qu'il doit parvenir, suivant le niveau de sagesse à atteindre, soit à supporter et dépasser ("Que votre Volonté soit faite, Seigneur" se répéterait le Christ; et Saint-Exupéry: "Lorsque je me révolte, Seigneur, c'est que je n'ai pas compris"... soit à éviter, changeant alors de "dimension" (Saint-Exupéry dirait: "Il faut lutter pour continuer de vivre; il faut se soumettre pour survivre", et Térence: "Puisque ne peut se réaliser ce que tu veux, il faut vouloir ce que tu peux").
Cette distinction correspond à ce que l'on nomme les Petits et les Grands Mystères de l'Initiation grecque, Salut et Libération dans les voies chrétienne et bouddhique , l'Homme Primordial et l'Homme Universel dans l'Islam ou, en psychologie, à réédifier la personnalité (ce à quoi veut tendre la psychanalyse) pour ensuite la détruire afin que surgisse l'individu ("corps mort qui n'a plus ni volonté ni jugement" personnels suivant l'expression d'Ignace de Loyola). Egalement à la séquence: bonheur terrestre puis immortalité; au hatha yoga puis au kundalini ou samadhi yoga (Raja Yoga); aux 21 cartes du Tarot, puis à la carte du Mat... En route vers...: Le conte de Saint-Exupéry
( Le Petit Prince ), comme celui d'un autre pilote, Richard Bach ( Jonathan Livingston le Goëland ), rejoignant l'Oiseau Bleu de Maeterlinck, s'avèrent en cela parfaitement caractéristiques! On pourrait sans crainte baser toute sa vie sur ces trois livres, les lire et les relire, s'en imprégner... et laisser leurs vérités guider alors nos gestes; le mieux-être s'ensuivrait obligatoirement! Voyez! Le Petit Prince et, grâce à son récit, le Pilote, apprendront à connaître la réalité qui les entoure, les pays, les gens, ces facettes d'eux-mêmes. La société et les limites physiologiques des individualités : telles seront les découvertes de Jonathan. Les éléments, les animaux les objets, celles de Tyltyl et Mytyl ( L'Oiseau Bleu )...
La leçon? "Connais-toi toi-même", "Ce qui est en haut est comme ce qui est en bas" pour l'accomplir d'une chose unique..., "Tout est sensible": adages de toutes les philosophies d'éveil... Autre message: la pérennité de la solitude, car l'être humain est toujours solitaire ("On est seul aussi chez les hommes" écrit Saint-Exupéry; on est incompris, exilé, surtout lorsque l'on désire s'élever au-dessus de la "moyenne" (Jonathan et sa découverte du vol en rase-mottes!) ou que l'on naît, par hasard, moins aveugle que ses concitoyens, capable de "voir avec le coeur")... Une seule issue pour le bonheur: la découverte, dans ce "désert", d'un Guide (le Petit Prince pour le Pilote, le Renard pour le Petit Prince, le Goëland Chiang pour Jonathan, la Fée Bérylune pour Mytyl et Tyltyl) vers la planète à la Rose, le Pays du Souvenir, le Royaume de l'Avenir, les Jardins du Bonheur ( L'Oiseau Bleu ), d'où on saura revenir (réincarnations des Boddhissatvas ou corps glorieux du Christ en termes de religion) en toute conscience, pour transmettre cette connaissance et ainsi aider l'humanité à atteindre ce grand Art: Libération, Sagesse, Bonheur... Confiance, assurent aussi tous ces textes: le désert, l'exil, la pauvreté, le dépouillement sont des états préparatoires, où, l'humilité naissant, la volonté s'amenuisant, peut surgir la révélation (lorsque le vase est plein, dirait le Zen, comment y ajouter quoi que ce soit?... et le Bouddha: "Lorsque l'élève est prêt, le Maître arrive". Leçon de sérénité, donc... et pour quel mieux-être déjà du lecteur qu'il déculpabilise et détend!), opposée à tous les principes de l'éducation dite "moderne" (compétition, action, volonté, possession, communication, réalisme).
Voilà bien pourquoi ces contes, relégués dans les bibliothèques pour enfants tout d'abord, n'intéressent plus aujourd'hui que de rares enfants et les quelques adultes qui se souviennent avoir "d'abord été des enfants" (Saint-Exupéry) et perçoivent encore "ce Jonathan le Goëland qui vit en chacun de nous" (Richard Bach); ils sont, ces récits, à l'image d'un modus vivendi passé ou à re-venir, non plus d'un aujourd'hui qui s'achève... Livres des "hommes de bonne volonté" qui maintiennent les valeurs humaines sur la Terre ou préparent "l'humanité future et elle seule" (Abellio)... Et ceux-là seuls pourront demeurer "droits" et "souriants" (Lanza del Vasto), malgré les désastres, la pollution, l'agressivité, les difficultés de la civilisation en péril..., car ils connaîtront l'existence du Chemin du Bonheur et les règles à suivre pour le parcourir facilement, rapidement et sans trop de désagréments... Ecoutons quelques unes de leurs vérités: "N'apprenons rien, et le prochain monde sera identique, avec les mêmes poids morts à soulever" ( Jonathan Livingston ). "Ne te fie pas à tes yeux. Tout ce qu'ils te montrent, ce sont des limites, les tiennes" (idem). "Nous sommes libres d'aller où bon nous semble et d'être ce que nous sommes" (idem). "Droit devant soi, on ne peut aller bien loin" ( Le Petit Prince ). "On ne voit bien qu'avec le coeur" (idem). "Il faut bien que je supporte deux ou trois chenilles si je veux connaître les papillons" (idem). "Rien n'est parfai " (idem). "Ce qui embellit le désert, c'est qu'il cache un puits quelque part" (idem). "Comment seraient-ils morts puisqu'ils vivent dans votre souvenir" ( L'Oiseau Bleu ). "Il faut savoir sacrifier quelque chose au devoir qu'on remplit" (idem). "Il faut savoir regarder" (idem).
Robert Regor MOUGEOT
Pour en savoir plus:
- Paul Diel: Le Symbolisme dans la Mythologie Grecque. Payot.
- H. Durville: Les Fées. Eudiaque.
- Emmanuel - Yves Monin: L'Esotérisme du Petit Prince de Saint-Exupéry.
- Site: "L'Esotérisme du Petit Prince"
- René Guénon: l'Esotérisme de Dante.