Dante expliquant La Divine Comédie
Considéré comme le créateur de la langue italienne, Dante (1265-1321) est l'un des plus grands génies de la littérature. Et son chef-d'oeuvre - La Comédie, dite divine à partir de 1555 - est aussi celui du Moyen Âge littéraire. Mais est-il également celui de l'ésotérisme médiéval chrétien? Négligée si ce n'est décriée par la plupart des analystes « officiels » de l'oeuvre, cette clé de lecture a semblé capitale à certains ésotéristes des XIXe et XXe siècles, au nombre desquels rayonne René Guénon avec son étude aussi lapidaire qu'énigmatique, L'Ésotérisme de Dante (1925). Une interprétation riche en questions épineuses : celles de l'ésotérisme chrétien en général, redoublées de celles des rapports entre ésotérisme et littérature. Par son inévitable dialectique entre le « dire » et le « taire », par son nécessaire usage de l'allégorie et sa profondeur de vue, toute grande uvre poétique ne pourrait-elle pas être en effet qualifiée d'« ésotérique » ? A fortiori dans le cadre de la culture médiévale chrétienne, traversée par les thématiques spirituelles et symboliques de par son rapport même à l'Écriture sainte, à la nature, à la science, etc. ?
Ce que nous appelons aujourd'hui « ésotérisme » pour désigner un champ spécifique de l'expérience et de la culture humaines, avait alors toute sa place dans la vision du monde globale des élites du temps. Autrement dit, l'uvre de Dante est-elle intrinsèquement ésotérique et renvoie-t-elle à une connaissance « réservée » - éventuellement transmise par une société « secrète » ? Ou bien est-elle devenue ésotérique par un regard porté sur elle a posteriori ?
Sous le signe du « trois »
Fermant le trente-troisième et dernier chant du Paradis, ce texte recèle des indices qui permettent de se forger une opinion. Mais avant de les détailler, revenons sur la structure globale de La Divine Comédie, elle-même riche d'enseignements, notamment numérologiques. Placée sous le signe du nombre trois, elle est formée de 3 parties - L'Enfer, Le Purgatoire et Le Paradis- divisées en 33 chants, auxquels s'ajoute un Prologue, soit 100 chants en tout ; ce nombre étant un symbole de l'union parfaite entre l'unité et la totalité, quand « 3 » renvoie à la Trinité. Inventé par Dante pour l'occasion, le rythme poétique ici à l'uvre est le tercet : un ensemble de 3 vers qui ont chacun 11 syllabes, soit 33 syllabes pour un tercet
La Divine Comédie possède donc clairement une architecture « géométrique » où le tout et la partie se répondent selon des règles harmoniques en accord avec le propos : décrire la totalité de l'univers à partir des principes métaphysiques et des lois analogiques qui le constituent (vers 85-93).
Un voyage initiatique
Surtout, l'uvre entière est un voyage initiatique - certains ont même évoqué un « vol chamanique » - qui révèle au poète les arcanes de la Vérité. Descente mortifère vers l'Enfer puis remontée progressive et purificatrice à travers le Purgatoire vers l'apothéose du Paradis, ce chemin spirituel est aussi une transmutation, qui mène Dante à travers les différents « états » de la réalité, jusqu'à la vision directe de Dieu. Suivant dans cette ascension le poète latin Virgile - référence à tout l'héritage antique - puis Béatrice, la femme aimée, le voyant exalte une spiritualité de la quête et de l'union, où le désir et l'amour tiennent la première place. Signe d'une filiation initiatique chevaleresque, ainsi que le supposent certains en rappelant les liens étroits de Dante avec des groupes mystérieux, les « Fidèles d'Amour » et la « Fede Santa » ?
Reste que ce passage capital de La Divine Comédie est placé sous l'autorité d'un guide singulier : saint Bernard de Clairvaux (1090-1153), le protecteur de l'ordre des Templiers, réprimé dans le sang par Philippe Le Bel, entre 1307 et 1314, alors que Dante composait son poème
La Divine Comédie en sa totalité ici :