Notre époque est celle des incertitudes sur nombre de sujets et nous sommes de plus en plus à percevoir que nos sociétés progressistes sonnent le glas quant au promesses qui furent les leurs. Nous assistons à une danse macabre en laquelle telles des
Le Chemin vers le Centre
Le Chemin vers le Centre
« C’est par sa conscience que l’Homme est relié au Divin ».
Parcourir le Chemin vers Compostelle permet il d’utiliser sa conscience pour
découvrir le Centre ? Quand on s’engage sur la spirale, on ne sait pas encore où est le centre
et quel est ce centre. Le Chemin de Compostelle peut être comparé au Labyrinthe de la
Cathédrale de Chartres : une seule voie conduit finalement au Centre, même si les difficultés
semblent nous en écarter. Ce n’est pas ici la « Lieue de Jérusalem » du Labyrinthe que nous
parcourrons, mais l’exigence spirituelle est du même ordre.
Cheminer, c’est d’abord prendre la décision de partir : quitter son confort intellectuel,
ses certitudes qui ont bloqué et enfermé dans une gangue opaque la relation à l’autre. Revivre
dans son corps une véritable initiation en le plaçant dans une relation directe avec le monde
extérieur et essayer de positionner son âme dans cette relation si particulière à la Nature et à
son Créateur. Force et Beauté seront des piliers essentiels dans ce cheminement. La Sagesse
sera plus diffuse, perceptible lentement au fil des jours quand espace et temps seront vraiment
dissous.
Dans l’émotion du départ de Saint Jean Pied de Port,
les questions se bousculent :
Vais-je
y arriver ? Jusqu’où pourrais-je
aller ? Quel est le but profond de ce cheminement
avec moi-même
? Est-ce
le Chemin lui-même
ou un lieu précis d’arrivée ? L’intellect est
encore là, envahissant ! Les rudes montées du début vont très vite les dissoudre, rendant bien
secondaires les satisfactions de l’esprit. Poser un million de fois un pied devant l’autre
pendant 800 Kms sur un Chemin foulé pendant des siècles par des milliers de cheminants, est-ce
nécessaire pour se relier au Divin ? La réponse ne peut apparaître au début de ce
cheminement : Espace et temps sont encore trop distincts.
L’Espace est perçu comme immense et je me dis que je n’aurais pas le temps pour le
parcourir. Tout cela va évoluer au fil du temps ! D’abord, il est vain de se fixer une limite de
temps : certes, l’inquiétude de trouver un abri à la fin d’une étape va bousculer une échelle de
temps trop précise ; il s’y ajoute une échelle de distance : fatigue, douleurs diverses,
emplacement d’une étape possible, découragement, doute, peuvent imposer un
raccourcissement du cheminement.
L’essentiel est ailleurs : il faut apprendre à « lâcher prise » ! Le temps du Chemin est
un temps sacré qui participe à l’éternité. Il faut le laisser m’envahir. Le Chemin est
semblable au désert : il apprend à être le nomade cherchant l’Unité primordiale et peut être
aussi sa source.
Au début, j’ai perçu le Chemin comme un parcours géographique. Peu à peu, je l’ai
perçu comme un voyage dans un passé historique et enfin comme le voyage dans les
profondeurs de mon être, découvrant ainsi un pays n’existant sur aucune carte ni dans aucun
guide.
L’outil essentiel dans ce cheminement est l’apprentissage du Silence. Savoir « perdre
la parole » donnera la clef de la maîtrise de soi dans le secret de sa conscience. J’ai donc fait
le choix de cheminer seul.
Je vais découvrir que ce silence est en fait très habité. Quand arrive le sentiment de
plénitude dû au fonctionnement des endorphines, il y a une mise à l’unisson de mes fonctions
physiologiques et sensorielles. L’acuité sonore devient très grande et je perçois la corrélation
entre le rythme de mes pas (action que je décide) et le battement de mon coeur (action
automatique). Le silence m’enveloppe comme un fluide dont le bourdonnement assourdissant
est semblable à un monde sousmarin
qui évoque peut être ma vie intrautérine.
Le Chemin
traverse souvent d’immenses paysages nus, déserts, sans aucun arbre où pourraient gazouiller
des oiseaux : il ne reste que le bruit des pas et des bâtons. Je suis relié à la terre non seulement
par mes pieds, mais aussi par mes bâtons dont le bruit sur le sol va devenir un véritable
métronome. Chaque pas émet un son particulier bien plus éphémère que la trace de ce même
pas sur la terre que la pluie (eau) ou le vent (air) effaceront plus tard.
Mettre un pied devant l’autre et recommencer comme dit la chanson, c’est aussi
regarder plus souvent la terre que le ciel. S’il est dit par Hermès Trismégiste que « Ce qui est
en Haut est comme ce qui est en Bas », c’est sans doute vrai sur le plan spirituel, mais pas
dans le quotidien des montées et des descentes ! Apprendre à observer le Chemin est bien le
premier pas pour s’apprendre soimême.
Plus l’immensité de l’horizon m’enveloppe et plus je
me sens proche d’un univers intime. Le superflu est éloigné, il ne reste que l’essentiel.
J’apprends à vider mon sac au propre comme au figuré dans un dépouillement progressif à la
fois physique et mental. J’oublie le « je » et devient totalement réceptif à tout ce qui
m’entoure. Mes sens se confondent : j’écoute avec mes yeux, je regarde avec mes oreilles.
Fatigué, je cueille une mûre qui me parait merveilleusement savoureuse et donneuse
d’énergie.
Energie. Tout le Chemin est un réservoir d’Energie qu’il me faut savoir appréhender.
A l’occasion d’une messe dans une ancienne commanderie Templière, l’officiant bénit
pèlerins et cheminants unis dans une véritable chaîne d’union. Je reçois avec intensité cet
échange d’énergie tant horizontal que vertical.
Le sommeil peut raviver l’énergie perdue, mais il y a d’autres moyens plus subtils :
commencer son Chemin à la fraîcheur de la nuit, totalement seul, encore à jeun, tout en
admirant la voûte étoilée où la Voie Lactée illumine la direction du Chemin.
Quittant Castrojeriz, il m’a été donné un jour d’arriver au petit jour après une forte
montée, sur le plateau désertique de la meseta balayé par un vent glacial. Mes yeux ne
distinguaient partout que du noir autour de moi et de tous côtés jusqu’à l’infini. Une chaleur
surprenante rayonnait du sol noirci par les brûlis, contrastant avec le vent glacial qui soufflait.
Dante aurait il ainsi vu l’Enfer ? Alors que jusque là je n’avais senti que terre, eau, air, je me
retrouvais confronté violemment au feu sensé purifier, mais quoi ?
Très éprouvé par cette sensation de feu dans cette solitude à la fois chaude et glacée,
j’ai essayé de relier ma conscience au Divin. Cette Nature si violente permet plus facilement
ce « contact » si subtil, véritable Alchimie spirituelle entre les Elements et mon Etre profond.
Il n’y a pas de hasard, encore moins sur le Chemin qu’ailleurs. Ilias, jeune pèlerin
venu du Lichtenstein, souffrant d’ampoules, a ralenti son pas et cheminé un moment avec
moi. Abordant la spiritualité, il me dit transporter quelques livres avec lui. Surprise : un petit
volume de Maître Eckhart. Nous nous asseyons au bord du brûlis du Chemin et méditons sur
cette pensée : « L’âme vient de l’Unité divine mais la création l’a placée dans le monde réel
au sein de la multiplicité et il lui faut s’en abstraire pour retourner à l’Unité ». Ainsi ces
quelques instants avec Ilias m’ont fait mieux appréhender d’essayer de « retrouver la
béatitude infinie au point Central où tout est Un ».
Deux jours plus tard, toujours au petit matin, j’ai la surprise de découvrir à un passage
de col en région désertique et froide, une grande spirale de plusieurs dizaines de mètres de
diamètre faite de pierres du Chemin. Fatigué par la montée et ayant très froid, je n’ai pas su
trouver le temps de la parcourir en entier jusqu’à son centre. Cela restera un des regrets de
mon Chemin.
A Eunate j’ai eu la joie de toucher et de suivre avec mes doigts les deux spirales
directes et inverses sculptées au XII° siècle dans ce haut lieu symbolique où une
représentation de Baphomet voisine avec les Vierges folles et les Vierges sages ! Ces deux
spirales auront contribué à me conduire vers le centre et à m’approcher d’une certaine
Sagesse.
Le Chemin, qu’il soit de pierres, d’herbe, de mousse, de ciment, de terre, d’eau, de
feu, façonne, transforme, modifie profondément celui qui s’y donne. Il est Chemin de
modestie et de silence mais aussi porteur d’une forte spiritualité et d’échange. Le vrai chemin
a commencé à mon arrivée. Et celuici
sera beaucoup plus long à parcourir.
Chacun peut faire un Chemin. Il n’est pas nécessaire de faire des centaines de Kms
pour essayer d’atteindre le Centre. Dans le silence de sa chambre, on peut aussi cheminer très
loin et essayer de l’atteindre. C’est seulement beaucoup plus difficile !
Que la Beauté du Chemin nous donne la Force d’atteindre l’Etoile de Compostelle et
d’y acquérir la Sagesse.
Jean-Marie
Sicard Légat de la Province de l’Angoumois.