Notre époque est celle des incertitudes sur nombre de sujets et nous sommes de plus en plus à percevoir que nos sociétés progressistes sonnent le glas quant au promesses qui furent les leurs. Nous assistons à une danse macabre en laquelle telles des
"Martinésisme"... Les origines du Martinisme
La première source historiquement connue de ce que l'on peut appeler "le martinisme" se trouve dans l'ouvrage de Martines de Pasqually qui contient sa théorie de "la chute et possible rédemption de l'Homme", ainsi que dans la pratique de rituels qu'il mit au point progressivement mais qui ne furent jamais terminés. Il s'agit du Traité de la Réintégration des êtres créés dans leurs primitives propriétés, vertus et puissances spirituelles divines, écrit à Bordeaux aux alentours de 1770.
Les origines de Martines sont encore fort méconnues, jusqu'à sa date de naissance que l'on situe habituellement en 1727, à Grenoble. Des recherches récentes donnent à penser qu'il serait plutôt né vers 1715. De père espagnol (il serait né à Alicante en 1671) et de mère française, ce mystérieux personnage, dans la lignée des grandes figures de l'histoire de l'ésotérisme, était un grand voyageur et un ardent propagateur d'une praxis à but spirituel. Dans un siècle voué de façon croissante aux "lumières" de la raison, il sut imposer une vision profonde et exigeante de ce qu'il considérait, lui, comme la plus grande Lumière : celle qui permet aux hommes de se réconcilier avec leur dimension divine. Il appellera cette voie particulière la Réconciliation (individuelle), qui doit précéder la Réintégration (collective).
Il n'existe aucun portrait d'époque de Martines. Celui que nous reproduisons ici a été publié par Arthur E. Waite dans The Secret Tradition in Free-Masonry, New York, Ed. Rebman. Bien qu'il ne présente guère, et de loin, de garantie d'authenticité, il nous permet de mieux imaginer qui put être ce personnage
Il se définissait lui-même comme catholique romain, bien que l'on puisse s'interroger sur les origines de ses doctrines. On peut cependant affirmer qu'il possédait, outre le "catéchisme" chrétien traditionnel, de profondes connaissances en kabbale et en théurgie.
Son entrée sur la scène publique a lieu en 1754, notamment dans les milieux maçonniques. En développant une doctrine complexe sur la Création et la mission attribuée aux hommes, il s'impose rapidement comme un théosophe de premier plan.
Antoine Faivre, dans L'Esotérisme au XVIIIe siècle (Editions Séghers, Paris, 1973), résume comme suit la doctrine de Martines au sujet de la chute, thème commun à la plupart des grandes mythologies :
" Dieu, l'Unité primordiale, a doté d'une volonté propre les êtres qu'il a "émanés", liberté qui eut pour conséquence la chute de certains esprits, Lucifer voulant exercer lui-même la puissance créatrice. Celui-ci, ainsi que les esprits qui l'avaient suivi, furent alors enfermés dans la matière, créée à cet effet, puis Dieu envoya l'Homme, androgyne au corps glorieux, doué de pouvoirs extraordinaires dès son émanation, garder les anges rebelles, travailler à leur résipiscence. Mais Adam se laissa séduire par les anges prévaricateurs ; il les imita ; pour punition il fut précipité dans l'état où il se trouve actuellement et entraîna la nature dans sa chute. Un tel scénario mythique nous suggère en quoi consiste la quête des hommes de désir. " (La réintégration de l'Homme dans son état primitif).
Cette théorie, dit A. Faivre, qui est à rapprocher de celles de Paracelse, de William Law et d'autres théosophes de l'époque, est bien plus complexe que celle que l'on peut tirer d'une lecture au premier degré de la traduction de la Genèse. La condition présente de l'Homme ne serait pas une fatalité mais lui donnerait la possibilité de se "réintégrer" dans le divin, son origine, en reconquérant ses prérogatives suspendues temporairement depuis la chute de l'Homme archétypal. Pour cela, la voie qu'offre Martines est celle du perfectionnement intérieur unissant purifications et pratique d'une théurgie (ensemble de rituels comportant évocations et invocations) susceptible de nous mettre en contact avec des entités spirituelles, intermédiaires entre Dieu et nous.
On a souvent à tort identifié Martines à un simple "mage", alors qu'il était avant tout un profond croyant, et un homme d'une grande dimension spirituelle. Preuve nous en est donnée par l'influence qu'il sut conserver auprès de ses deux principaux disciples, Louis-Claude de Saint-Martin et Jean-Baptiste Willermoz, qui reconnaîtront toujours en lui un maître, le "premier" maître pour Saint Martin.
Martines s'affilia à la loge "La Française", placée sous l'administration de la Grande Loge de France, dont plusieurs de ses membres étaient des personnages éminents du Parlement de Bordeaux. Martines "utilisera" alors en quelque sorte le cadre maçonnique pour instituer, à son abri, son propre système de hauts grades : l'Ordre des Chevaliers Maçons Elus Cohens de l'Univers. A partir de 1758, son activité s'accentue. Il parcourt la France : le Midi, Lyon, Paris, et initie de nombreuses personnalités à son système.
En 1761, il construit son propre temple en Avignon où il restera jusqu'en 1766. A la fin de cette année, Martines se fixe à Paris, où il rencontre Jean-Baptiste Willermoz, puis, en 1768, Louis-Claude de Saint-Martin, alors jeune militaire au régiment de Foix. Celui-ci deviendra, après l'Abbé Fournier, son secrétaire.
Il se marie par l'Eglise et en 1767 lui naît un fils, Jean-Anselme, dont on perd la trace pendant la Révolution. Le 11 juillet 1770, il annonce pour la première fois qu'il travaille à l'ouvrage qui deviendra son chef-d'uvre : le Traité de la Réintégration (ouvrage cité).
Le 29 avril 1772, Martines part pour l'île de Saint-Domingue pour y recueillir un héritage. Il y décède le 20 septembre 1774. Son Ordre ne lui survivra guère ; les dernières loges des Chevaliers Maçons Elus Cohens de l'Univers seront officiellement dissoutes en 1781 ...
Je ne suis qu'un faible instrument dont Dieu veut bien, indigne que je suis, se servir, pour rappeler les hommes mes semblables à leur premier état de Maçon, qui veut dire spirituellement hommes ou âmes, afin de leur faire voir véritablement qu'ils sont réellement Hommes-Dieu, étant créés à l'image et à la ressemblance de cet Etre tout-puissant.
(Martines de Pasqually dans une lettre du 13 août 1768, citée par Robert Amadou dans l'Initiation de janvier 1969).
Papus et le Martinisme moderne
Bien que les éléments historiques fassent souvent défaut, on peut avancer que Nicolaï Novikof contribua grandement par ses écrits à l'extension du martinisme en Russie. Novikof avait le grade de C.B.C.S. (Chevalier Bienfaisant de la Cité Sainte), système organisé par le strasbourgeois Salzmann, qui avec Charlotte de Boecklin aurait fait découvrir Jacob Boehme à Saint-Martin. Par ailleurs, l'écrivain Joseph de Maistre, qui avait connu Saint-Martin et partagé sa vision théosophique du monde, aurait créé à Saint-Pétersbourg un cercle martiniste dans les années 1810, alors qu'il était en poste à la cour du Tsar Alexandre Ier.
En France, les continuateurs de l'uvre saint-martinienne uvraient dans l'ombre. Deux disciples directs de Saint-Martin, Jean-Antoine Chaptal (mort en 1832) et l'Abbé de La Noue (mort en 1820) sont à l'origine de l'Ordre actuel.
L'hermitage de l'Abbé de la Noue, en région parisienne, où séjourna Henri de la Touche et qu'aurait également fréquenté Balzac.
La filiation "Abbé de La Noue" aboutit, en 1886, à l'initiation de Pierre-Augustin Chaboseau, alors âgé de vingt ans, par sa tante Amélie de Boisse-Mortemart.
De son côté, l'étudiant en médecine Gérard Encausse avait reçu quelques années plus tôt, en 1882, l'initiation martiniste des mains de Henri Delaage, lui-même initié dans la filiation Chaptal, mais dont on ignore le nom de l'initiateur.
Gérard Encausse est né le 13 juillet 1865 à la Corogne, en Espagne, de père français et de mère espagnole. Intelligence précoce, il entame à 17 ans des études de médecine tout en s'intéressant à l'ésotérisme, après avoir été un athée convaincu. La Tradition présente pour lui la meilleure alternative à une religiosité étroite, tout en comblant ses aspirations métaphysiques.
A Paris, il fréquente les ésotéristes. Parmi ses amis on notera Stanislas de Guaïta et Joséphin Péladan, futurs animateurs de l'Ordre Kabbalistique de la Rose-Croix. En 1887, il décide de conserver le legs initiatique qu'il a reçu quelques années plus tôt en fondant l'Ordre Martiniste, auquel se joindront rapidement ses amis ésotéristes qui formeront plus tard le premier Suprême Conseil.
En 1888, il rencontre Pierre-Augustin Chaboseau qui lui confie qu'il détient lui-même une initiation martiniste. Troublante "coïncidence" qui donnera d'autant plus de force au nouvel Ordre dont la structure sera définitivement établie en 1891.
Devenu médecin, et chef de laboratoire de l'Hôpital de la Charité à Paris, il entame simultanément une carrière d'auteur prolifique. Il reste connu dans le public comme l'auteur le plus fécond dans le domaine de l'ésotérisme en cette fin de siècle. Ses livres (160 titres !), qu'il signa toujours sous le pseudonyme de "Papus", sont encore régulièrement réédités de nos jours.
Sa rencontre avec M. Philippe de Lyon va pourtant bouleverser sa vision du monde. Il deviendra le défenseur acharné de la mystique chrétienne et de la Voie cardiaque que Saint-Martin appelait la Voie Intérieure.
Homme d'une remarquable énergie, il se dépensera sans compter pour ses malades, mettant en pratique les préceptes chrétiens. Il restera pour les pauvres du quartier de la rue de Savoie, à Paris, comme le "bon docteur", qui distribuait ses soins sans faire payer les nécessiteux.
Lorsque éclate la première guerre mondiale, il se porte volontaire pour secourir les blessés. Il sera médecin chef d'une ambulance, sur le front. Affaibli par ses années de labeur et les conditions de vie qu'il rencontre à la guerre, gazé, il tombera gravement malade et sera rapatrié pour mourir le 25 octobre 1916 à l'hôpital de la Charité, là même où il avait commencé sa carrière de médecin ...
La fondation de l'Ordre Martiniste
La chronologie suivante, inédite, relate la genèse de l'Ordre Martiniste, sous sa forme actuelle :
1882 : Initiation de Gérard Encausse, par Henri Delaage, quelques semaines avant le décès de ce dernier.
1886 : Papus rencontre les ésotéristes parisiens. Lecture des classiques de l'occultisme : Saint Yves d'Alveydre, Louis Lucas, Wronski, Eliphas Lévi, Cyliani, Lacuria ...
Fin 1887 : "Selon Papus même, et à sa diligence : premières initiations personnelles en 1884 ; cahiers et premières loges en 1887-1890" (R. Amadou, in Documents martinistes, N° 2, 1979). Il fonde, avec Stanislas de Guaïta et Joséphin Péladan, la première loge martiniste, probablement dans l'appartement de ces derniers, rue Pigalle. Le nom "Ordre Martiniste" apparaît déjà.
1888 : Papus et Pierre-Augustin Chaboseau découvrent et se transmettent leurs initiations respectives (provenant de Delaage pour Papus et de Mme de Boisse-Mortemart pour Chaboseau). Ensemble, ils redéfinissent l'Ordre Martiniste, dont Papus prend la Grande Maîtrise.
Février 1889 : Premier manifeste officiel de l'Ordre Martiniste paru dans la revue l'Initiation.
Octobre 1890 : Publication des statuts de l'Ordre et premiers cahiers d'instruction.
Mars 1891 : Les initiés martinistes décident d'établir les premières loges régulières et de fonder un Suprême Conseil de l'Ordre.
10 septembre 1891 : Première réunion du Suprême Conseil de l'Ordre Martiniste. Papus, fondateur du Suprême Conseil, est nommé président à vie. Les autres membres sont nommés pour quatre ou un an, selon leur statut.
8 octobre 1891 : Le Suprême Conseil fixe les modalités d'attribution des chartes aux loges martinistes.
Novembre 1891 : L'Ordre Martiniste compte déjà 17 loges, et est présent en France, Espagne, Italie, Allemagne, Etats-Unis ...
En 1897, l'Ordre s'implante en Russie. A partir de 1899, le Suprême Conseil de l'Ordre crée plusieurs comités ; Papus délègue largement ses pouvoirs. Ses compagnons s'appellent : Paul Sédir (Yvon Le Loup), Lucien Chamuel, qui crée la "Librairie du Merveilleux", Stanislas de Guaïta, Marc Haven (Dr Emmanuel Lalande), F.-C. Barlet, Victor-Emile Michelet, et bien d'autres. René Guénon, le grand rénovateur de la tradition ésotérique, participera aux travaux du groupe. C'est la grande époque de l'occultisme français, que Michelet relatera dans son livre Les Compagnons de la Hiérophanie (Nice, Dorbon-Ainé, 1977).
L'Ordre Martiniste au XXe siècle,
à l'aube du troisième millénaire
A la mort de Papus , en 1916, Téder (Charles Détré) prend la direction de l'Ordre Martiniste. Il assumera cette charge jusqu'à sa mort, deux ans plus tard.
A la disparition de Téder, des divergences apparurent parmi les Martinistes sur la façon de maintenir l'héritage. Des clans se formèrent, l'Ordre se divisa. Le Lyonnais Jean Bricaud, nouvellement nommé à sa tête, opta pour une maçonnisation du mouvement à laquelle Papus, en son temps, s'était toujours refusé. En réaction, Victor Blanchard créa en 1920 l'Ordre Martiniste Synarchique, en référence à l'uvre de Saint-Yves d'Alveydre, que Papus avait appelé "son premier maître". De son côté, Pierre-Augustin Chaboseau, avec l'aide de Victor-Emile Michelet, crée l'Ordre Martiniste Traditionnel, voulant se rapprocher davantage des principes de l'Ordre fondé par Papus.
L'Ordre Martiniste continuait néanmoins de vivre et de recruter de nouveaux adeptes.
A la mort de Bricaud, en 1934, les esprits s'apaisent. Un nouveau Grand Maître, Constant Chevillon, reprend le flambeau. Licencié ès lettres, professeur de philosophie religieuse chez les pères jésuites, son esprit humaniste et sa profonde spiritualité lui assurent un large soutien. Mais survient la tourmente de la seconde guerre mondiale. Les sociétés initiatiques sont interdites, ses membres persécutés. Chevillon sera arrêté le 25 mars 1944 et exécuté le soir même par la milice.
A la Libération, Henri-Charles Dupont, l'un des derniers représentants de l'Ordre Martiniste originel de Papus, reçoit la grande maîtrise. Si deux guerres successives, et en particulier les persécutions de la deuxième guerre mondiale et plusieurs scissions, ont décimé l'Ordre Martiniste, celui-ci n'est pas éteint pour autant.
Les survivants de l'Ordre fondé par Papus, ainsi que des admirateurs de son uvre colossale, veulent redonner toute son ampleur au mouvement. Ce sera la tâche que se fixera Philippe Encausse, le propre fils de Papus. En décembre 1952, Philippe Encausse constitue l'Ordre Martiniste de Papus.
Couverture de "l'Initiation" N°1, janvier 1953.
Le 26 octobre 1958, un protocole d'accord est signé entre l'Ordre Martiniste de Papus, présidé par Philippe Encausse, l'Ordre Martiniste (dit de Lyon) présidé par Henri-Charles Dupont, et l'Ordre Martiniste des Elus Cohen présidé par Robert Ambelain, que ce dernier avait créé en 1942. C'est "l'Union des Ordres Martinistes".
Deux mois avant sa mort, le 13 août 1960, au vu des efforts et du succès remporté par Philippe Encausse, fils de Papus, Henri-Charles Dupont lui transmet la Grande Maîtrise de l'Ordre Martiniste.
En 1960, l'Union des Ordres Martinistes prend le nom d'Ordre Martiniste avec un Cercle extérieur que l'on appellera Ordre de Saint Martin, présidé par Philippe Encausse, et un Cercle intérieur que l'on appellera Ordre des Elus Cohen, présidé par Robert Ambelain. Cette distribution a une vie éphémère. En effet, le 14 août 1967, est prononcée la dissolution de l'Union des Ordres Martinistes entraînant la disparition du "Cercle Intérieur" et du "Cercle Extérieur". Il y aura dorénavant deux Ordres distincts, à savoir : l'Ordre Martiniste, présidé par le Dr. Philippe Encausse, et "l'Ordre des Elus Cohen" présidé par Ivan Mosca, que Robert Ambelain désigne le 29 juin 1967 comme son successeur. Ce dernier, qui avait entre temps appelé ce mouvement "Ordre des Chevaliers Maçons Elus Cohen de l'Univers", finira par le mettre en sommeil pour une période indéfinie le 22 avril 1968.
Pendant vingt ans, Philippe Encausse sera l'infatigable animateur de l'Ordre Martiniste auquel il saura redonner force et vigueur. Des centaines de membres, partout en France et à l'étranger, demandent à y adhérer. Il passe la grande maîtrise en 1971 à son ami de longue date Irénée Séguret, mais celui-ci démissionne en 1974 et la lui rend.
Après toutes ces années passées au service de l'Ordre qu'il avait fait renaître, Philippe Encausse, à 74 ans, choisit de prendre une retraite bien méritée et transmet la grande maîtrise à Emilio Lorenzo qui, membre depuis 1970 de la Chambre de Direction, l'avait secondé depuis 1975 en tant que vice-président de l'Ordre. Le 27 octobre 1979, celui-ci est officiellement confirmé par la Chambre de Direction et prend en mains les destinées de l'Ordre, tâche qu'il assume jusqu'à aujourd'hui.