Notre époque est celle des incertitudes sur nombre de sujets et nous sommes de plus en plus à percevoir que nos sociétés progressistes sonnent le glas quant au promesses qui furent les leurs. Nous assistons à une danse macabre en laquelle telles des
Le sceau de Salomon
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Place-moi comme un sceau sur ton coeur (Cantique des cantiques de Salomon, VIII, 6) Fils du roi David, Salomon dont le nom dérive de Shalem, nom originel de Jérusalem, fit de cette ville une capitale de justice et de paix. Détenteur des deux vertus cardinales du souverain lintelligence et la science, qui permettent de distinguer le bien du mal il sait appréhender lunivers. Dieu lui dit en songe : Je te donne un tel esprit de sagesse et dintelligence, que ton pareil na pas existé avant toi ni ne sera après toi (I Rois, III, 12). Lexposition, qui fut organisée autour du thème du sceau de Salomon par le Dr Rachel Milstein au musée de la Tour de David de Jérusalem, investigue limage de ce roi, patron des sciences et des arts, qui fut aussi celui que Dieu désigna pour bâtir le Temple de Jérusalem. Comment cette image nous est-elle parvenue ? La légende du sceau de Salomon, de ce sceau miraculeux confié au monarque par Dieu, est commune aux traditions juives, chrétiennes et musulmanes. Ancré dans la terre mais atteignant les cîmes paradisiaques, le sceau de Salomon symbolise lharmonie des contraires, reflète lordre cosmique, les cieux, la trajectoire des astres, le flux perpétuel entre le ciel et la terre, entre lair et le feu. Il incarne la sagesse surhumaine et la monarchie de droit divin. A travers ce symbole et ses multiples significations, cette exposition explore les interactions culturelles entre les sciences et les techniques, la cosmologie, la médecine, larchitecture et la musique. Elle nous fait découvrir un univers dune grande richesse et dune grande beauté, et vient compléter un cycle dexpositions temporaires destinées à rehausser la place de Jérusalem en tant que carrefour de civilisations. Le sceau de Salomon est le symbole privilégié des échanges culturels entre lOccident et lOrient, un symbole de concorde au-delà des divergences ponctuelles entre langues et religions. De Salomon à Suleiman En 1536, Soliman le Magnifique entreprit de grands travaux de restauration sur le mont du Temple et convertit en mosquée léglise érigée par les croisés sur lemplacement du Cénacle. Il soulignait ce faisant sa relation à Salomon, fils de David, et son appartenance à larbre de Jessé, la dynastie messianique à laquelle les chrétiens rattachent Jésus. Sur les murailles denceinte quil fit ériger furent gravés des symboles en forme de triangles entremêlés, des étoiles de David considérées par les musulmans comme le sceau de Salomon (Khatam Suleiman) et qui étaient censées protéger la ville sainte. Lhexagramme est empreint de nombreuses connotations, surtout quand il est entouré dun cercle ; depuis lAntiquité, en effet, lui sont attribués des pouvoirs magiques. Au-delà du motif décoratif ou du symbole nationaliste juif qui, du reste, ne date que du XIXe siècle, au-delà de lélément abstrait de cette représentation de la voûte céleste et de sa complétude toute géométrique, lhexagramme est avant tout un symbole universel. A linstar du pentagramme, beaucoup plus ancien, il évoque lépanouissement des mathématiques et de la géométrie par les civilisations méditerranéennes de lAntiquité. Cest par géométrie interposée que les pythagoriciens et leurs disciples investissaient dune symbolique cosmique que lhexagramme et le pentagramme furent appréhendés comme la représentation du paradis et de sa réalisation sur terre, du divin réfléchi sur la création. Le lien entre la terre et le ciel, le macrocosme et le microcosme, lesprit et la matière est précisément le thème de cette exposition qui réserve une place essentielle aux traditions des pays musulmans, prédominantes dans la région. Géométrique, lart islamique lest fondamentalement : pour le musulman, lexpression géométrique a plus de valeur que limage dans lart figuratif ; artiste, en arabe, se dit musawwir, celui qui donne la forme, qui forge la relation harmonieuse entre les parties du monde, chacune possédant sa valeur de phrase musicale, toutes ensemble recréant lharmonie des hommes et de lunivers. Lislam, carrefour de civilisations, a véhiculé en Europe, par le biais dinnombrables groupements ethniques et religieux, les progrès accomplis par les hommes de lAntiquité. A Jérusalem, ville sainte des trois religions monothéistes, lislam va laisser une empreinte indélébile sur les sites et les traditions locales. Le sceau de Salomon combine une force et une beauté symboliques et tangibles à la fois dans une seule figure, comme le veut lart islamique. La propension avouée de lartiste musulman pour la géométrie sous-tend la recherche dharmonie entre les deux mondes, elle fait le lien entre la science, la beauté et la métaphysique. Cest pourquoi cette exposition recouvre les arts comme les sciences, la cosmologie comme la religion, sans marquer ce qui distingue telle discipline de lautre : médecine et magie, astronomie et astrologie, techniques dirrigation et leurs incidences sur les jardins, relation symbolique entre les jardins dagrément dici-bas et ceux du paradis, entre la voûte céleste et les dômes des bâtiments à vocation séculière ou religieuse. Ce que cette exposition et le catalogue qui laccompagnait ont précisément voulu rehausser, cest la manière dont le roi Salomon, patron des sciences et des arts, a imprimé son sceau sur les civilisations juive, chrétienne et musulmane ; puis, comment, à leur tour, les trois religions monothéistes ont laissé leur empreinte sur la civilisation universelle. Au Xe siècle av. J.-C., Salomon hérite de son père, David, un royaume qui sétend de lEuphrate à la frontière égyptienne. Il va étendre au nord et à lest le territoire de ce royaume qui fut le plus vaste de lhistoire dIsraël. Malgré les rivalités et les révoltes qui marquèrent son avènement au pouvoir, son règne fut une période de paix, de prospérité et dabondance. Pour la première fois dans lhistoire, la culture matérielle du royaume dIsraël soutenait la comparaison avec celles des grands royaumes dOrient. Le Temple, le palais du roi et les fortifications de Jérusalem furent les principales entreprises du souverain. Mais il y en eut dautres, et les fouilles menées au cours des dernières décennies viennent conforter les descriptions dithyrambiques de la Bible sur le règne de Salomon. Revers de la médaille : les impôts en nature et en espèces levés sur la population vont soulever les mécontentements et hâter la désintégration du royaume. Lissue tragique du règne de Salomon na toutefois pas influé sur la légende qui a fait de ce roi le plus célèbre de tous les temps. Sa sagesse, associée au fait quil fut le premier à bâtir le Temple et à y instaurer le culte du Dieu dIsraël, en fit un personnage dune importance religieuse et profane cruciale : un roi-prophète, un modèle de souverain aux yeux des musulmans et une préfiguration du Christ aux yeux des chrétiens. Son royaume est considéré comme lapogée de la stabilité, de la prospérité et de la justice sur terre. Les monarques chrétiens et musulmans sentourèrent des rites et de lapparat que les légendes véhiculaient sur ce souverain, les artistes peignirent et sculptèrent son image, les écrivains associèrent son nom aux principes de légitimité du pouvoir et aux modalités du gouvernement équitable. Les califes abbassides (VIIIe-XIIIe siècle) encouragèrent la splendeur dune cour parée des symboles et du cérémonial dune monarchie qui empruntait ses fastes à celle de lempire byzantin. Musulmans ou byzantins, tous sinspiraient de traditions perses qui envisageaient le monarque comme un représentant de la divinité sur terre. Les mythologies perses comme celles des civilisations du pourtour méditerranéen mentionnent en effet trois grands monarques dotés de symboles et dattributs semblables : Salomon, roi dIsraël, Alexandre le Grand et Jamshid, le roi perse légendaire qui donna le feu à lhumanité et posa les fondations de la culture et du pouvoir. Les traditions islamiques, de leur côté, évoquent quatre monarques denvergure suprême : deux idolâtres Pharaon et Nabuchodonosor et deux croyants Salomon et Alexandre. Des auteurs chrétiens et musulmans associèrent la fondation de Jérusalem à celle dAlexandrie, attribuèrent tour à tour celle du Yémen ou de Constantinople soit à Salomon lui-même, soit à des matériaux prélevés dans des édifices érigés sous son règne. Les dynasties musulmanes de Perse, dIrak et dInde ajoutèrent à leurs attributs les mots de successeur du royaume de Salomon. Cest sur une paroi de la synagogue de Doura-Europos (Syrie) qua été mis au jour le premier portrait du roi Salomon datant de 244 ap. J.-C. Dinnombrables manuscrits enluminés en Allemagne, France et Italie entre le XIIIe et le XVe siècle sont illustrés de représentations du jugement de Salomon, thème abondamment exploité plus tard par les artistes qui enluminaient les ketoubot (contrats de mariage). La représentation du trône du souverain occupe une place essentielle en tant que symbole de la royauté dans les illustrations où figurent, de façon récurrente, des motifs associés à lordre, à la justice et à la paix universelle. On le trouve chez les chrétiens en particulier chez les souverains européens postérieurs à la Renaissance de la chrétienté occidentale et orientale. Le riche symbolisme du trône fascina les sultans musulmans, ce fut le cas du célèbre " Trône du paon " construit au XVIIe siècle pour Shah Jahan, bâtisseur du Taj-Mahal. La description de la cour du roi Salomon inspira la décoration de maints palais, tels le Kal`at Burg de Lahore (XVIIe siècle), comme elle lavait fait longtemps avant dans le palais omeyyade de Khirbet Mafjar près de Jéricho, où le personnage du souverain dressé sur un couple de lions orne la porte principale de lenceinte. Autre attribut iconographique du roi Salomon, contesté à lévidence par lorthodoxie musulmane mais pas par la chrétienne qui y voit lunité avec la divinité : le gobelet. Le souverain assis sur son trône, tenant un gobelet et écoutant les sons du luth est une représentation courante dans toutes les civilisations, de lEspagne à lAfghanistan. Des gobelets royaux (dont lun, remontant vraisemblablement au VIIe siècle, faisait partie du trésor des rois de France et était désigné sous le nom de Coupe de Salomon) décorés dhexagrammes étaient produits dans les pays musulmans. Les souverains musulmans associant leur autorité à limage de Salomon, son sceau devint dès lors le symbole de la sagesse, de la maîtrise des forces de la nature, du gouvernement des hommes, du réagencement de lordre cosmique grâce à la rectitude du souverain, par lusage efficient des ressources naturelles, par lempire de la moralité et de la justice, de la paix entre les créatures et avec les animaux, de la santé du corps et de lesprit. La relation indissociable entre lhexagramme et le pouvoir royal est manifeste dans les monnaies frappées à diverses époques et dans différents pays. Ce fut le cas notamment au Maroc où il fallut attendre les années quarante pour que lhexagramme soit remplacé par le pentagramme sur les monnaies. Le pentagramme, nous lavons déjà signalé, est de loin antérieur à lhexagramme. Doté de propriétés magiques, il apparaît sur des coupelles où il sert à éloigner les mauvais esprits. Lhexagramme, pour sa part, pénétra lislam à travers lEgypte copte dès le VIe siècle. Il ne devint toutefois un motif religieux associé au mythe du roi Salomon quà la fin du VIIIe siècle chez les musulmans et inspira la facture des lampes. La convergence du sceau et de la lumière sinscrit dans la tradition islamique qui assimile Dieu à la lumière, à la plénitude. Dans lart juif, la première apparition qui nous soit parvenue du sceau de Salomon, associée à la représentation du candélabre du Temple, remonte à une illustration du Xe siècle figurant dans un manuel denseignement de lhébreu rédigé en Egypte. On trouve fréquemment ce motif sur des pierres tombales et des objets rituels musulmans, notamment dans le minbar de la grande mosquée de Kairouan et dans des minbars et des mihrabs de Syrie, de Mésopotamie, dAfghanistan et dInde à compter du XIe siècle. Le christogramme de liconographie chrétienne sapparente également à lhexagramme, et ce nest sûrement pas un hasard. Le sceau de Salomon apparaît également sur des objets familiers, parfois sur leurs parois intérieures pour attirer labondance, et sur des amulettes et talismans, voire, nous lavons mentionné, sur les murailles denceinte de la ville pour chasser les mauvais esprits. De nos jours, lhexagramme est assimilé à la fois au sceau de Salomon et à létoile de David, et considéré comme un signe distinctif du judaïsme tandis que le pentagramme est la représentation du sceau de Salomon pour les musulmans. Gershom Scholem, le grand spécialiste de la mystique juive, a investigué abondamment les fonctions protectrices de lhexagramme et son intégration dans le judaïsme à partir de traditions islamistes. Selon cet éminent chercheur disparu, lhexagramme fut un symbole universel avant dêtre assimilé par les juifs, vraisemblablement pour la première fois, par la communauté de Prague au XIVe siècle. On le trouve dans des copies de la Bible et des manuscrits hébraïques allemands et espagnols dès le XIIIe siècle. La Kabbale en fit un usage abondant notamment dans des talismans et des mezouzot, où il symbolise le fait que lhomme scelle sa destinée dans un cercle magique que les démons ne pourront investir, en se protégeant des mauvais génies, conformément aux pouvoirs ésotériques que les légendes attribuent au roi Salomon. La sagesse de Salomon On attribue à Salomon la rédaction de trois livres de la Bible : lEcclésiaste, le Cantique des cantiques et les Proverbes. Parmi les livres qui lui furent attribués, citons La Sagesse de Salomon, partie du canon chrétien, qui octroie au souverain la maîtrise de lastrologie et des puissances spirituelles ainsi que la connaissance des propriétés thérapeutiques des plantes. Flavius Josèphe évoque les pouvoirs magiques du roi dans ses Antiquités juives, et va jusquà dire que Salomon composait ses vers à des fins dexorcisme. Les légendes relatives à son pouvoir sur les démons sont consignées dans le Testament de Salomon, compilation de récits grecs de médecine populaire datant du IIIe siècle et portant sur les causes de diverses maladies et sur les moyens de les prévenir. Des témoignages semblables ont été légués par certains auteurs musulmans qui désignent Salomon du nom de Calife de Dieu, préfiguration du Prophète et identifient le dôme du Rocher au Temple de Salomon comme le firent après eux les Templiers et les Hospitaliers avec leur Templum Salomonis. Lusage du sceau, au-delà de ses vertus dauto-protection, est investi dévidentes connotations politiques : le gardien du sceau royal est en effet le seul personnage du royaume à détenir le pouvoir démettre des décrets au nom du souverain, ce dernier lui ayant remis ce sceau reçu de Dieu qui y a gravé son Nom (le tétragramme), le transformant en Son calife, son préposé ici-bas. En loccurence, une préfiguration du Prophète Mohamed. Dans le domaine artistique, les légendes véhiculées par les traditions juive et musulmane décrivent Salomon comme un musicien accompli, digne fils de son père. La musique, qui était considérée par les Grecs comme appartenant à la catégorie des sciences exactes, connut un essor théorique considérable chez les Arabes dès le IXe siècle et était considérée comme une clé de lappréhension de lunivers. Elle était associée à la médecine en tant que moyen de génération de lharmonie de lâme humaine, un moyen de parvenir à léquilibre psychique, mais aussi de soulager les douleurs, voire dapaiser la démence. Ainsi on voit apparaître dans lart islamique des personnages féminins tenant un luth, jouxtant un monarque brandissant un gobelet et parfois un sceau de Salomon sur des instruments ou sur des ouvrages de théorie musicale. Parallèlement à ses pouvoirs et à sa sagesse, Salomon est doté du degré suprême de spiritualité, lequel trouve son expression à la fois dans les oeuvres architecturales quil laissa à la postérité, mais aussi dans sa production poétique. Le Cantique des cantiques qui lui est attribué possède des parallèles dans la poésie des Soufis et dans la poésie populaire en islam. Salomon, dont la réputation sétendait au monde de son époque attira à sa cour de nombreux souverains, la reine de Saba en particulier, celle dont le royaume est identifié à lAbyssinie de la Bible. Cest ainsi que, depuis le XIIIe siècle de lère chrétienne, tous les descendants de la dynastie régnante en Ethiopie font remonter leurs origines au roi Salomon. Des descriptions de la visite que lui rendit la reine de Saba ornaient les murs de leurs palais. Salomon fut aussi un grand bâtisseur de bassins et de réservoirs deau. Et quand Soliman le Magnifique restaura le système dadduction deau de Jérusalem, il forgea un lien supplémentaire avec les traditions du grand monarque. La sagesse octroyée par Dieu à Salomon lui permit de recréer en ce monde le jardin dEden. A noter que le mot hébreu pardess (paradis) fut emprunté par les Grecs aux Perses au IVe siècle av. J.-C. et que les traditions chrétiennes et islamiques préservèrent le motif des quatre fleuves avec un arbre à leur point de convergence. Mais cest le Temple qui constitue lapogée des trois religions monothéistes, il est le point de convergence entre Dieu et sa création, entre la Jérusalem céleste et la Jérusalem terrestre. La configuration même, traditionnellement attribuée au Temple est une représentation architecturale du cosmos, des sphères et des planètes, du Un ouvrage manuscrit, copié et enluminé à Istanbul vers 1500, le Suleiman Namé (Livre de Salomon) porte, sur son frontispice le roi-prophète installé dans une structure en coupole surmontant le toit dun grand édifice de six étages, peuplé de toutes les espèces vivantes sur et sous terre, disposées par ordre hiérarchique. Les prophètes sont assis juste au-dessous de Salomon, puis viennent les rois, les soldats, les ouvriers et, au niveau inférieur, les animaux et les démons. Dans les cieux volent des oiseaux, au-dessus des oiseaux des anges. Une recherche stylistique sur les différents éléments de cette représentation indique une influence occidentale manifeste, probablement celle qui fut véhiculée dans lempire ottoman par les juifs expulsés dEspagne. Lillustration ottomane, par conséquent, referme le cercle du mythe et du symbole visuel qui firent leur apparition au cours de la période romaine, suivirent les errances du peuple juif en Espagne, pour revenir, via les pays dEurope occidentale, en Orient, dans la capitale de lempire ottoman, doù le motif de lhexagramme va se répandre à travers tout lempire. Extraits du catalogue de lexposition (en arabe, hébreu et anglais), traduits et adaptés par A.M.S. |