Notre époque est celle des incertitudes sur nombre de sujets et nous sommes de plus en plus à percevoir que nos sociétés progressistes sonnent le glas quant au promesses qui furent les leurs. Nous assistons à une danse macabre en laquelle telles des
De la croix<o:p></o:p>
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à la mémoire vénérée de
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à qui est due la première idée de ce livre<o:p></o:p>
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Meçr El-Qâhirah, 1329-1349 H.
Avant-propos<o:p></o:p>
Au début de LHomme et son devenir selon le Vêdânta, nous présentions cet ouvrage comme devant constituer le commencement dune série détudes dans lesquelles nous pourrions, suivant les cas, soit exposer directement certains aspects des doctrines métaphysiques de lOrient, soit adapter ces mêmes doctrines de la façon qui nous paraîtrait la plus intelligible et la plus profitable, mais en restant toujours strictement fidèle à leur esprit. Cest cette série détudes que nous reprenons ici, après avoir dû linterrompre momentanément pour dautres travaux nécessités par certaines considérations dopportunité, et où nous sommes descendu davantage dans le domaine des applications contingentes ; mais dailleurs, même dans ce cas, nous navons jamais perdu de vue un seul instant les principes métaphysiques, qui sont lunique fondement de tout véritable enseignement traditionnel.
Dans LHomme et son devenir selon le Vêdânta, nous avons montré comment un être tel que lhomme est envisagé par une doctrine traditionnelle et dordre purement métaphysique, et cela en nous bornant, aussi strictement que possible, à la rigoureuse exposition et à linterprétation exacte de la doctrine elle-même, ou du moins en nen sortant que pour signaler, lorsque loccasion sen présentait, les concordances de cette doctrine avec dautres formes traditionnelles. En effet, nous navons jamais entendu nous renfermer exclusivement dans une forme déterminée, ce qui serait dailleurs bien difficile dès lors quon a pris conscience de lunité essentielle qui se dissimule sous la diversité des formes plus ou moins extérieures, celles-ci nétant en somme que comme autant de vêtements dune seule et même vérité. Si, dune façon générale, nous avons pris comme point de vue central celui des doctrines hindoues, pour des raisons que nous avons déjà expliquées ailleurs ([1]), cela ne saurait nullement nous empêcher de recourir aussi, chaque fois quil y a lieu, aux modes dexpression qui sont ceux des autres traditions, pourvu, bien entendu, quil sagisse toujours de traditions véritables, de celles que nous pouvons appeler régulières ou orthodoxes, en entendant ces mots dans le sens que nous avons défini en dautres occasions ([2]). Cest là, en particulier, ce que nous ferons ici, plus librement que dans le précédent ouvrage, parce que nous nous y attacherons, non plus à lexposé dune certaine branche de doctrine, telle quelle existe dans une certaine civilisation, mais à lexplication dun symbole qui est précisément de ceux qui sont communs à presque toutes les traditions, ce qui est, pour nous, lindication quils se rattachent directement à la grande Tradition primordiale.
Il nous faut, à ce propos, insister quelque peu sur un point qui est particulièrement important pour dissiper bien des confusions, malheureusement trop fréquentes à notre époque ; nous voulons parler de la différence capitale qui existe entre « synthèse » et « syncrétisme ». Le syncrétisme consiste à rassembler du dehors des éléments plus ou moins disparates et qui, vus de cette façon, ne peuvent jamais être vraiment unifiés ; ce nest en somme quune sorte déclectisme, avec tout ce que celui-ci comporte toujours de fragmentaire et dincohérent. Cest là quelque chose de purement extérieur et superficiel ; les éléments pris de tous côtés et réunis ainsi artificiellement nont jamais que le caractère demprunts, incapables de sintégrer effectivement dans une doctrine digne de ce nom. La synthèse, au contraire, seffectue essentiellement du dedans ; nous voulons dire par là quelle consiste proprement à envisager les choses dans lunité de leur principe même, à voir comment elles dérivent et dépendent de ce principe, et les unir ainsi, ou plutôt à prendre conscience de leur union réelle, en vertu dun lien tout intérieur, inhérent à ce quil y a de plus profond dans leur nature. Pour appliquer ceci à ce qui nous occupe présentement, on peut dire quil y aura syncrétisme toutes les fois quon se bornera à emprunter des éléments à différentes formes traditionnelles, pour les souder en quelque sorte extérieurement les uns aux autres, sans savoir quil ny a au fond quune doctrine unique dont ces formes sont simplement autant dexpressions diverses, autant dadaptations à des conditions mentales particulières, en relation avec des circonstances déterminées de temps et de lieux. Dans un pareil cas, rien de valable ne peut résulter de cet assemblage ; pour nous servir dune comparaison facilement compréhensible, on naura, au lieu dun ensemble organisé, quun informe amas de débris inutilisables, parce quil y manque ce qui pourrait leur donner une unité analogue à celle dun être vivant ou dun édifice harmonieux ; et cest le propre du syncrétisme, en raison même de son extériorité, de ne pouvoir réaliser une telle unité. Par contre, il y aura synthèse quand on partira de lunité même, et quand on ne la perdra jamais de vue à travers la multiplicité de ses manifestations, ce qui implique quon a atteint, en dehors et au delà des formes, la conscience de la vérité principielle qui se revêt de celles-ci pour sexprimer et se communiquer dans la mesure du possible. Dès lors, on pourra se servir de lune ou de lautre de ces formes, suivant quil y aura avantage à le faire, exactement de la même façon que lon peut, pour traduire une même pensée, employer des langages différents selon les circonstances, afin de se faire comprendre des divers interlocuteurs à qui lon sadresse ; cest là, dailleurs, ce que certaines traditions désignent symboliquement comme le « don des langues ». Les concordances entre toutes les formes traditionnelles représentent, pourrait-on dire, des « synonymies » réelles ; cest à ce titre que nous les envisageons, et, de même que lexplication de certaines choses peut être plus facile dans telle langue que dans telle autre, une de ces formes pourra convenir mieux que les autres à lexposé de certaines vérités et rendre celles-ci plus aisément intelligibles. Il est donc parfaitement légitime de faire usage, dans chaque cas, de la forme qui apparaît comme la mieux appropriée à ce quon se propose ; il ny a aucun inconvénient à passer de lune à lautre, à la condition quon en connaisse réellement léquivalence, ce qui ne peut se faire quen partant de leur principe commun. Ainsi, il ny a là nul syncrétisme ; celui-ci, du reste, nest quun point de vue purement « profane », incompatible avec la notion même de la « science sacrée » à laquelle ces études se réfèrent exclusivement.
La croix, avons-nous dit, est un symbole qui, sous des formes diverses, se rencontre à peu près partout, et cela dès les époques les plus reculées ; elle est donc fort loin dappartenir proprement et exclusivement au Christianisme comme certains pourraient être tentés de le croire. Il faut même dire que le Christianisme, tout au moins sous son aspect extérieur et généralement connu, semble avoir quelque peu perdu de vue le caractère symbolique de la croix pour ne plus la regarder que comme le signe dun fait historique ; en réalité, ces deux points de vue ne sexcluent aucunement, et même le second nest en un certain sens quune conséquence du premier ; mais cette façon denvisager les choses est tellement étrangère à la grande majorité de nos contemporains que nous devons nous y arrêter un instant pour éviter tout malentendu. En effet, on a trop souvent tendance à penser que ladmission dun sens symbolique doit entraîner le rejet du sens littéral ou historique ; une telle opinion ne résulte que de lignorance de la loi de correspondance qui est le fondement même de tout symbolisme, et en vertu de laquelle chaque chose, procédant essentiellement dun principe métaphysique dont elle tient toute sa réalité, traduit ou exprime ce principe à sa manière et selon son ordre dexistence, de telle sorte que, dun ordre à lautre, toutes choses senchaînent et se correspondent pour concourir à lharmonie universelle et totale, qui est, dans la multiplicité de la manifestation, comme un reflet de lunité principielle elle-même. Cest pourquoi les lois dun domaine inférieur peuvent toujours être prises pour symboliser ces réalités dun ordre supérieur, où elles ont leur raison profonde, qui est à la fois leur principe et leur fin ; et nous pouvons rappeler à cette occasion, dautant plus que nous en trouverons ici même des exemples, lerreur des modernes interprétations « naturalistes » des antiques doctrines traditionnelles, interprétations qui renversent purement et simplement la hiérarchie des rapports entre les différents ordres de réalité. Ainsi, les symboles ou les mythes nont jamais eu pour rôle, comme le prétend une théorie beaucoup trop répandue de nos jours, de représenter le mouvement des astres ; mais la vérité est quon y trouve souvent des figures inspirées de celui-ci destinées à exprimer analogiquement tout autre chose, parce que les lois de ce mouvement traduisent physiquement les principes métaphysiques dont elles dépendent. Ce que nous disons des phénomènes astronomiques, on peut le dire également, et au même titre, de tous les autres genres de phénomènes naturels : ces phénomènes, par là même quils dérivent de principes supérieurs et transcendants, sont véritablement des symboles de ceux-ci ; et il est évident que cela naffecte en rien la réalité propre que ces phénomènes comme tels possèdent dans lordre dexistence auquel ils appartiennent ; tout au contraire, cest même là ce qui fonde cette réalité, car, en dehors de leur dépendance à légard des principes, toutes choses ne seraient quun pur néant. Il en est des faits historiques comme de tout le reste : eux aussi se conforment nécessairement à la loi de correspondance dont nous venons de parler et, par là même, traduisent selon leur mode les réalités supérieures, dont ils ne sont en quelque sorte quune expression humaine ; et nous ajouterons que cest ce qui fait tout leur intérêt à notre point de vue, entièrement différent, cela va de soi, de celui auquel se placent les historiens « profanes » ([3]). Ce caractère symbolique, bien que commun à tous les faits historiques, doit être particulièrement net pour ceux qui relèvent de ce quon peut appeler plus proprement l« histoire sacrée » ; et cest ainsi quon le trouve notamment, dune façon très frappante, dans toutes les circonstances de la vie du Christ. Si lon a bien compris ce que nous venons dexposer, on verra immédiatement que non seulement ce nest pas là une raison pour nier la réalité de ces événements et les traiter de « mythes » purs et simples, mais quau contraire ces événements devaient être tels et quil ne pouvait en être autrement ; comment pourrait-on dailleurs attribuer un caractère sacré à qui serait dépourvu de toute signification transcendante ? En particulier, si le Christ est mort sur la croix, cest pouvons nous dire, en raison de la valeur symbolique que la croix possède en elle-même et qui lui a toujours été reconnue par toutes les traditions ; cest ainsi que, sans diminuer en rien sa signification historique, on peut la regarder comme nétant que dérivée de cette valeur symbolique même.
Une autre conséquence de la loi de correspondance, cest la pluralité des sens inclus en tout symbole : une chose quelconque, en effet, peut être considérée comme représentant non seulement les principes métaphysiques, mais aussi les réalités de tous les ordres qui sont supérieurs au sien, bien quencore contingents, car ces réalités, dont elle dépend aussi plus ou moins directement, jouent par rapport à elle le rôle de « causes secondes » ; et leffet peut toujours être pris comme un symbole de la cause, à quelque degré que ce soit, parce que tout ce quil est nest que lexpression de quelque chose qui est inhérent à la nature de cette cause. Ces sens symboliques multiples et hiérarchiquement superposés ne sexcluent nullement les uns les autres, pas plus quils nexcluent le sens littéral ; ils sont au contraire parfaitement concordants entre eux, parce quils expriment en réalité les applications dun même principe à des ordres divers ; et ainsi ils se complètent et se corroborent en sintégrant dans lharmonie de la synthèse totale. Cest dailleurs là ce qui fait du symbolisme un langage beaucoup moins étroitement limité que le langage ordinaire, et ce qui rend seul apte à lexpression et à la communication de certaines vérités ; cest par là quil ouvre des possibilités de conception vraiment illimitées ; cest pourquoi il constitue le langage initiatique par excellence, le véhicule indispensable de tout enseignement traditionnel.
La croix a donc, comme tout symbole, des sens multiples ; mais notre intention nest pas de les développer tous également ici, et il en est que nous ne ferons quindiquer occasionnellement. Ce que nous avons essentiellement en vue, en effet, cest le sens métaphysique, qui est dailleurs le premier et le plus important de tous, puisque cest proprement le sens principiel ; tout le reste nest quapplications contingentes et plus ou moins secondaires ; et, sil nous arrive denvisager certaines de ces applications, ce sera toujours, au fond, pour les rattacher à lordre métaphysique, car cest là ce qui, à nos yeux, les rend valables et légitimes, conformément à la conception, si complètement oubliée du monde moderne, qui est celle des « sciences traditionnelles ».
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Chapitre premier<o:p></o:p>
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Un être quelconque, que ce soit lêtre humain ou tout autre, peut évidemment être envisagé à bien des points de vue différents, nous pouvons même dire à une indéfinité de points de vue, dimportance fort inégale, mais tous également légitimes dans leurs domaines respectifs, à la condition quaucun deux ne prétende dépasser ses limites propres, ni surtout devenir exclusif et aboutir à la négation des autres. Sil est vrai quil en est ainsi, et si par conséquent on ne peut refuser à aucun de ces points de vue, même au plus secondaire et au plus contingent dentre eux, la place qui lui appartient par le seul fait quil répond à quelque possibilité, il nest pas moins évident, dautre part, que, au point de vue métaphysique, qui seul nous intéresse ici, la considération dun être sous son aspect individuel est nécessairement insuffisante, puisque qui dit métaphysique dit universel. Aucune doctrine qui se borne à la considération des êtres individuels ne saura donc mériter le nom de métaphysique, quels que puissent être dailleurs son intérêt et sa valeur à dautres égards ; une telle doctrine peut toujours être dite proprement « physique », au sens originel de ce mot, puisquelle se tient exclusivement dans le domaine de la « nature », cest-à-dire de la manifestation, et encore avec cette restriction quelle nenvisage que la seule manifestation formelle, ou même plus spécialement un des états qui constituent celle-ci.
Bien loin dêtre en lui-même une unité absolue et complète, comme le voudraient la plupart des philosophes occidentaux, et en tout cas les modernes sans exception, lindividu constitue en réalité quune unité relative et fragmentaire. Ce nest pas un tout fermé et se suffisant à lui-même, un « système clos » à la façon de la « monade » de Leibnitz ; et la notion de la « substance individuelle », entendue en ce sens, et à laquelle ces philosophes attachent en général une grande importance, na aucune portée proprement métaphysique : au fond, ce nest pas autre chose que la notion logique du « sujet », et, si elle peut sans doute être dun grand usage à ce titre, elle ne peut légitimement être transportée au delà des limites de ce point de vue spécial. Lindividu, même envisagé dans toute lextension dont il est susceptible, nest pas un être total, mais seulement un état particulier de manifestation dun être, état soumis à certaines conditions spéciales et déterminées dexistence, et occupant une certaine place dans la série indéfinie des états de lêtre total. Cest la présence de la forme parmi ces conditions dexistence qui caractérise un état comme individuel ; il va de soi, dailleurs, que cette forme ne doit pas être conçue nécessairement comme spatiale, car elle nest telle que dans le seul monde corporel, lespace étant précisément une des conditions qui définissent proprement celui-ci ([4]).
Nous devons rappeler ici, au moins sommairement, la distinction fondamentale du « Soi » et du « moi », ou de la « personnalité » et de l« individualité », sur laquelle nous avons déjà donné ailleurs toutes les explications nécessaires ([5]). Le « Soi », avons-nous dit, est le principe transcendant et permanent dont lêtre manifesté, lêtre humain par exemple, nest quune modification transitoire et contingente, modification qui ne saurait dailleurs aucunement affecter le principe. Immuable en sa nature propre, il développe ses possibilités dans toutes les modalités de réalisation, en multitude indéfinie, qui sont pour lêtre total autant détats différents, états dont chacun a ses conditions dexistence limitatives et déterminantes, et dont un seul constitue la portion ou plutôt la détermination particulière de cet être qui est le « moi » ou lindividualité humaine. Du reste, ce développement nen est un, à vrai dire, quautant quon lenvisage du côté de la manifestation, en dehors de laquelle tout doit nécessairement être en parfaite simultanéité dans l« éternel présent » ; cest pourquoi la « permanente actualité » du « Soi » nest pas affectée. Le « Soi » est ainsi le principe par lequel existent, chacun dans son domaine propre, que nous pouvons appeler un degré dexistence, tous les états de lêtre ; et cela doit sentendre, non seulement des états manifestés, individuels comme létat humain ou supra-individuels, cest-à-dire, en dautres termes, formels ou informels, mais aussi, bien que le mot « exister » devienne alors impropre, des états non manifestés, comprenant toutes les possibilités qui, par leur nature même, ne sont susceptibles daucune manifestation, en même temps que les possibilités de manifestation elles-mêmes en mode principiel ; mais ce « Soi » lui-même nest que par soi, nayant et ne pouvant avoir, dans lunité totale et indivisible de sa nature intime, aucun principe qui lui soit extérieur.
Nous venons de dire que le mot « exister » ne peut pas sappliquer proprement au non-manifesté, cest-à-dire en somme à létat principiel ; en effet, pris dans son sens strictement étymologique (du latin ex-stare), ce mot indique lêtre dépendant à légard dun principe autre que lui-même, ou, en dautres termes, celui qui na pas en lui-même sa raison suffisante, cest-à-dire lêtre contingent, qui est la même chose que lêtre manifesté ([6]). Lorsque nous parlerons de lExistence, nous entendrons donc par là la manifestation universelle, avec tous les états ou degrés quelle comporte, degrés dont chacun peut être désigné également comme un « monde », et qui sont en multiplicité indéfinie ; mais ce terme ne conviendrait plus au degré de lÊtre pur, principe de toute la manifestation et lui même non-manifesté, ni, à plus forte raison, à ce qui est au delà de lÊtre même.
Nous pouvons poser en principe, avant toutes choses, que lExistence, envisagée universellement suivant la définition que nous venons den donner, est unique dans sa nature intime, comme lÊtre est un en soi-même, et en raison précisément de cette unité, puisque lExistence universelle nest rien dautre que la manifestation intégrale de lÊtre, ou, pour parler plus exactement, la réalisation, en mode manifesté, de toutes les possibilités que lÊtre comporte et contient principiellement dans son unité même. Dautre part, pas plus que lunité de lÊtre sur laquelle elle est fondée, cette « unicité » de lExistence, sil nous est permis demployer ici un terme qui peut paraître un néologisme ([7]), nexclut la multiplicité des modes de la manifestation ou nen est affectée, puisquelle comprend également tous ces modes par là même quils sont également possibles, cette possibilité impliquant que chacun deux doit être réalisé selon les conditions qui lui sont propres. Il résulte de là que lExistence, dans son « unicité », comporte, comme nous lavons déjà indiqué tout à lheure, une indéfinité de degrés, correspondant à tous les modes de la manifestation universelle ; et cette multiplicité indéfinie des degrés de lExistence implique corrélativement, pour un être quelconque envisagé dans sa totalité, une multiplicité pareillement indéfinie détats possibles, dont chacun doit se réaliser dans un degré déterminé de lExistence.
Cette multiplicité des états de lêtre, qui est une vérité métaphysique fondamentale, est vraie déjà lorsque nous nous bornons à considérer les états de manifestation, comme nous venons de le faire ici, et comme nous devons le faire dès lors quil sagit seulement de lExistence ; elle est donc vraie a fortiori si lon considère à la fois les états de manifestation et les états de non-manifestation, dont tout lensemble constitue lêtre total, envisagé alors, non plus dans le seul domaine de lExistence, même pris dans toute lintégralité de son extension, mais dans le domaine illimité de la Possibilité universelle. Il doit être bien compris, en effet, que lExistence ne renferme que les possibilités de manifestation, et encore avec la restriction que ces possibilités ne sont conçues alors quen tant quelles se manifestent effectivement, puisque, tant quelles ne se manifestent pas, cest-à-dire principiellement, elles sont au degré de lÊtre. Par conséquent, lExistence est loin dêtre toute la Possibilité, conçue comme véritablement universelle et totale, en dehors et au delà de toutes les limitations, y compris même cette première limitation qui constitue la détermination la plus primordiale de toutes, nous voulons dire laffirmation de lÊtre pur ([8]).
Quand il sagit des états de non-manifestation dun être, il faut encore faire une distinction entre le degré de lÊtre et ce qui est au delà ; dans ce dernier cas, il est évident que le terme d« être » lui-même ne peut plus être rigoureusement appliqué dans son sens propre ; mais nous sommes cependant obligé, en raison de la constitution même du langage, de le conserver à défaut dun autre plus adéquat, en ne lui attribuant plus alors quune valeur purement analogique et symbolique, sans quoi il nous serait tout à fait impossible de parler dune façon quelconque de ce dont il sagit. Cest ainsi que nous pourrons continuer à parler de lêtre total comme étant en même temps manifesté dans certains de ses états et non-manifesté dans dautres états, sans que cela implique aucunement que, pour ces derniers, nous devions nous arrêter à la considération de ce qui correspond au degré qui est proprement celui de lÊtre ([9]).
Les états de non-manifestation sont essentiellement extra-individuels, et, de même que le « Soi » principiel dont ils ne peuvent être séparés, ils ne sauraient en aucune façon être individualisés ; quant aux états de manifestation, certains sont individuels, tandis que dautres sont non-individuels, différence qui correspond, suivant ce que nous avons indiqué, à la distinction de la manifestation formelle et de la manifestation informelle. Si nous considérons en particulier le cas de lhomme, son individualité actuelle, qui constitue à proprement parler létat humain, nest quun état de manifestation parmi une indéfinité dautres, qui doivent être tous conçus comme également possibles et, par là même, comme existant au moins virtuellement, sinon comme effectivement réalisés pour lêtre que nous envisageons, sous un aspect relatif et partiel, dans cet état individuel humain.
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La réalisation effective des états multiples de lêtre se réfère à la conception de ce que différentes doctrines traditionnelles, et notamment lésotérisme islamique, désigne comme l« Homme Universel » ([10]), conception qui, comme nous lavons dit ailleurs, établit lanalogie constitutive de la manifestation universelle et de sa modalité individuelle humaine, ou, pour employer le langage de lhermétisme occidental, du « macrocosme » et du « microcosme » ([11]). Cette notion peut dailleurs être envisagée à différents degrés et avec des extensions diverses, la même analogie demeurant valable dans tous ces cas ([12]) : ainsi, elle peut être restreinte à lhumanité elle-même, envisagée soit dans sa nature spécifique, soit même dans son organisation sociale, car cest sur cette analogie que repose essentiellement, entre autres applications, linstitution des castes ([13]). À un autre degré, déjà plus étendu, la même notion peut embrasser le domaine dexistence correspondant à tout lensemble dun état dêtre déterminé, quel que soit dailleurs cet état ([14]) ; mais cette signification, surtout sil sagit de létat humain, même pris dans le développement intégral de toutes ses modalités, ou dun autre état individuel, nest encore proprement que « cosmologique », et ce que nous devons envisager essentiellement ici, cest une transposition métaphysique de la notion de lhomme individuel, transposition qui doit être effectuée dans le domaine extra-individuel et supra-individuel. En ce sens, et si lon se réfère à ce que nous rappelions tout à lheure, la conception de l« Homme Universel » sappliquera tout dabord, le plus ordinairement, à lensemble des états de manifestation ; mais on peut la rendre encore plus universelle, dans la plénitude de la vraie acception de ce mot, en létendant également aux états de non-manifestation, donc à la réalisation complète et parfaite de lêtre total, celui-ci étant entendu dans le sens supérieur que nous avons indiqué précédemment, toujours avec la réserve que le terme « être » lui-même ne peut plus être pris alors que dans une signification purement analogique.
Il est essentiel de remarquer ici que toute transposition métaphysique du genre de celle dont nous venons de parler doit être regardée comme lexpression dune analogie au sens propre de ce mot ; et nous rappellerons, pour préciser ce quil faut entendre par là, que toute véritable analogie doit être appliquée en sens inverse : cest ce que figure le symbole bien connu du « sceau de Salomon », formé de lunion de deux triangles opposés ([15]). Ainsi, par exemple, de même que limage dun objet dans un miroir est inversée par rapport à lobjet, ce qui est le premier ou le plus grand dans lordre principiel est, du moins en apparence, le dernier ou le plus petit dans lordre de la manifestation ([16]). Pour prendre des termes de comparaison dans le domaine mathématique, comme nous lavons fait à ce propos afin de rendre la chose plus aisément compréhensible, cest ainsi que le point géométrique est nul quantitativement et noccupe aucun espace, bien quil soit (et ceci sera précisément expliqué plus complètement par la suite) le principe par lequel est produit lespace tout entier, qui nest que le développement ou lexpansion de ses propres virtualités. Cest ainsi également que lunité arithmétique est le plus petit des nombres si on lenvisage comme située dans leur multiplicité, mais quelle est le plus grand en principe, puisquelle les contient tous virtuellement et produit toute leur série par la seule répétition indéfinie delle-même.
Il y a donc analogie, mais non pas similitude, entre lhomme individuel, être relatif et incomplet, qui est pris ici comme type dun certain mode dexistence, ou même de toute existence conditionnée, et lêtre total, inconditionné et transcendant par rapport à tous les modes particuliers et déterminés dexistence, et même par rapport à lExistence pure et simple, être total que nous désignons symboliquement comme l« Homme Universel ». En raison de cette analogie, et pour appliquer ici, toujours à titre dexemple, ce que nous venons dindiquer, on pourra dire que, si l« Homme Universel » est le principe de toute la manifestation, lhomme individuel devra être en quelque façon, dans son ordre, la résultante et comme laboutissement, et cest pourquoi toutes les traditions saccordent à le considérer en effet comme formé par la synthèse de tous les éléments et de tous les règnes de la nature ([17]). Il faut quil en soit ainsi pour que lanalogie soit exacte, et elle lest effectivement ; mais, pour la justifier complètement, et avec elle la désignation même de l« Homme Universel », il faudrait exposer, sur le rôle cosmogonique qui est propre à lêtre humain, des considérations qui, si nous voulions leur donner tout le développement quelles comportent, sécarteraient un peu trop du sujet que nous nous proposons de traiter plus spécialement, et qui trouveront peut-être mieux leur place en quelque autre occasion. Nous nous bornerons donc, pour le moment, à dire que lêtre humain a, dans le domaine dexistence individuelle qui est le sien, un rôle que lon peut véritablement qualifier de « central » par rapport à tous les autres êtres qui se situent pareillement dans ce domaine ; ce rôle fait de lhomme lexpression la plus complète de létat individuel considéré, dont toutes les possibilités sintègrent pour ainsi dire en lui, au moins sous un certain rapport, et à la condition de le prendre, non pas dans la seule modalité corporelle, mais dans lensemble de toutes ses modalités, avec lextension indéfinie dont elles sont susceptibles ([18]). Cest là que résident les raisons les plus profondes parmi toutes celles sur lesquelles peut se baser lanalogie que nous envisageons ; et cest cette situation particulière qui permet de transposer valablement la notion même de lhomme, plutôt que celle de tout autre être manifesté dans le même état, pour la transformer en la conception traditionnelle de l« Homme Universel » ([19]).
Nous ajouterons encore une remarque qui est des plus importantes : cest que l« Homme Universel » nexiste que virtuellement, et en quelque sorte négativement, à la façon dun archétype idéal, tant que la réalisation effective de lêtre total ne lui a pas donné lexistence actuelle et positive ; et cela est vrai pour tout être, quel quil soit, considéré comme effectuant ou devant effectuer une telle réalisation ([20]). Disons dailleurs, pour écarter tout malentendu, quune telle façon de parler qui présente comme successif ce qui est essentiellement simultané en soi, nest valable quautant quon se place au point de vue spécial dun état de manifestation de lêtre, cet état étant pris comme point de départ de la réalisation. Dautre part, il est évident que des expressions comme celles d« existence négative » et d« existence positive » ne doivent pas être prises à la lettre, là où la notion même d« existence » ne sapplique proprement que dans une certaine mesure et jusquà un certain point ; mais les imperfections qui sont inhérentes au langage, par le fait même quil est lié aux conditions de létat humain et même plus particulièrement de sa modalité corporelle et terrestre, nécessitent souvent lemploi, avec quelques précautions, d« images verbales » de ce genre, sans lesquelles il serait tout à fait impossible de se faire comprendre, surtout dans des langues aussi peu adaptées à lexpression des vérités métaphysiques que le sont les langues occidentales.
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Chapitre III<o:p></o:p>
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La plupart des doctrines traditionnelles symbolisent la réalisation de l« Homme Universel » par un signe qui est partout le même, parce que, comme nous le disions au début, il est de ceux qui se rattachent directement à la Tradition primordiale : cest le signe de la croix, qui représente très nettement la façon dont cette réalisation est atteinte par la communion parfaite de la totalité des états de lêtre, harmoniquement et conformément hiérarchisés, en épanouissement intégral dans les deux sens de l« ampleur » et de l« exaltation » (
[21]). En effet, ce double épanouissement de lêtre peut être regardé comme seffectuant, dune part, horizontalement, cest-à-dire à un certain niveau ou degré dexistence déterminé, et dautre part, verticalement, cest-à-dire dans la superposition hiérarchique de tous les degrés. Ainsi, le sens horizontal représente l« ampleur » ou lextension intégrale de lindividualité prise comme base de la réalisation, extension qui consiste dans le développement indéfini dun ensemble de possibilités soumises à certaines conditions spéciales de manifestation ; et il doit être bien entendu que, dans le cas de lêtre humain, cette extension nest nullement limitée à la partie corporelle de lindividualité, mais comprend toutes les modalités de celle-ci, létat corporel nétant proprement quune de ces modalités. Le sens vertical représente la hiérarchie, indéfinie aussi et à plus forte raison, des états multiples, dont chacun, envisagé de même dans son intégralité, est un de ces ensembles de possibilités, se rapportant à autant de « mondes » ou de degrés, qui sont compris dans la synthèse totale de l« Homme Universel » ([22]). Dans cette représentation cruciale, lexpansion horizontale correspond donc à lindéfinité des modalités possibles dun même état dêtre considéré intégralement, et la superposition verticale à la série indéfinie des états de lêtre total.
Il va de soi, dailleurs, que létat dont le développement est figuré par la ligne horizontale peut être un état quelconque ; en fait ce sera létat dans lequel se trouve actuellement, quant à sa manifestation, lêtre qui réalise l« Homme Universel », état qui est pour lui le point de départ et le support ou la base de cette réalisation. Tout état, quel quil soit, peut fournir à un être une telle base, ainsi quon le verra plus clairement par la suite ; si nous considérons plus particulièrement à cet égard létat humain, cest que celui-ci, étant le nôtre, nous concerne plus directement, de sorte que le cas auquel nous avons surtout affaire est celui des êtres qui partent de cet état pour effectuer la réalisation dont il sagit ; mais il doit être bien entendu que, au point de vue métaphysique pur, ce cas ne constitue en aucune façon un cas privilégié.
On doit comprendre dès maintenant que la totalisation effective de lêtre, étant au delà de toute condition, est la même chose que ce que la doctrine hindoue appelle la « Délivrance » (Moksha), ou que ce que lésotérisme islamique appelle l« Identité Suprême » ([23]). Dailleurs, dans cette dernière forme traditionnelle, il est enseigné que l« Homme Universel », en tant quil est représenté par lensemble « Adam-Ève », a le nombre dAllah, ce qui est bien une expression de l« Identité Suprême » ([24]). Il faut faire à ce propos une remarque qui est assez importante, car on pourrait objecter que la désignation d« Adam-Ève », bien quelle soit assurément susceptible de transposition, ne sapplique cependant, dans son sens propre, quà létat humain primordial : cest que, si l« Identité Suprême » nest réalisée effectivement que dans la totalisation des états multiples, on peut dire quelle est en quelque sorte réalisée déjà virtuellement au stade « édénique », dans lintégration de létat humain ramené à son centre originel, centre qui est dailleurs, comme on le verra, le point de communication directe avec les autres états ([25]).
Du reste, on pourrait dire aussi que lintégration de létat humain, ou de nimporte quel autre état, représente, dans son ordre et à son degré, la totalisation même de lêtre ; ceci se traduira très nettement dans le symbolisme géométrique que nous allons exposer. Sil en est ainsi, cest quon peut retrouver en toutes choses, notamment dans lhomme individuel, et même plus particulièrement encore dans lhomme corporel, la correspondance et comme la figuration de l« Homme Universel », chacune des parties de lUnivers, quil sagisse dun monde ou dun être particulier, étant partout et toujours analogue au tout. Aussi un philosophe tel que Leibnitz a-t-il eu raison, assurément, dadmettre que toute « substance individuelle » (avec les réserves que nous avons faites plus haut sur la valeur de cette expression) doit contenir en elle-même une représentation intégrale de lUnivers, ce qui est une application correcte de lanalogie du « macrocosme » et du « microcosme » ([26]) ; mais, en se bornant à la considération de la « substance individuelle » et en voulant en faire lêtre même, un être complet et même fermé, sans aucune communication réelle avec quoi que ce soit qui le dépasse, il sest interdit de passer du sens de l« ampleur » à celui de l« exaltation », et ainsi il a privé sa théorie de toute portée métaphysique véritable ([27]). Notre intention nest nullement dentrer ici dans létude des conceptions philosophiques, quelles quelles puissent être, non plus que de toute autre chose relevant pareillement du domaine « profane » ; mais cette remarque se présentait tout naturellement à nous, comme une application presque immédiate de ce que nous venons de dire sur les deux sens selon lesquels seffectue lépanouissement de lêtre total.
Pour en revenir au symbolisme de la croix, nous devons noter encore que celle-ci, outre la signification métaphysique et principielle dont nous avons exclusivement parlé jusquici, a divers autres sens plus ou moins secondaires et contingents ; et il doit normalement en être ainsi, daprès ce que nous avons dit, dune façon générale, de la pluralité des sens inclus en tout symbole. Avant de développer la représentation géométrique de lêtre et de ses états multiples, telle quelle est renfermée synthétiquement dans le signe de la croix, et pénétrer dans le détail de ce symbolisme, assez complexe quand on veut le pousser aussi loin quil est possible, nous parlerons quelque peu de ces autres sens, car, bien que les considérations auxquelles ils se rapportent ne fassent pas lobjet propre du présent exposé, tout cela est pourtant lié dune certaine façon, et parfois même plus étroitement quon ne serait tenté de le croire, toujours en raison de cette loi de correspondance que nous avons signalée dès le début comme le fondement même de tout symbolisme.
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Chapitre IV<o:p></o:p>
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Certains écrivains occidentaux, à prétentions plus ou moins initiatiques, ont voulu donner à la croix une signification exclusivement astronomique, disant quelle est « un symbole de la jonction cruciale que forme lécliptique avec léquateur », et aussi « une image des équinoxes, lorsque le soleil, dans sa course annuelle, couvre successivement ces deux points » (
[28]). À vrai dire, si elle est cela, cest que, comme nous lindiquions plus haut, les phénomènes astronomiques peuvent eux-mêmes, à un point de vue plus élevé, être considérés comme des symboles, et quon peut y retrouver à ce titre, aussi bien que partout ailleurs, cette figuration de l« Homme Universel » à laquelle nous faisions allusion dans le précédent chapitre ; mais, si ces phénomènes sont des symboles, il est évident quils ne sont pas la chose symbolisée, et que le fait de les prendre pour celle-ci constitue un renversement des rapports normaux entre les différents ordres de réalités ([29]). Lorsque nous trouvons la figure de la croix dans les phénomènes astronomiques ou autres, elle a exactement la même valeur symbolique que celle que nous pouvons tracer nous-mêmes ([30]) ; cela prouve seulement que le véritable symbolisme, loin dêtre inventé artificiellement par lhomme, se trouve dans la nature même, ou, pour mieux dire, que la nature tout entière nest quun symbole des réalités transcendantes.
Même en rétablissant ainsi linterprétation correcte de ce dont il sagit, les deux phrases que nous venons de citer comprennent lune et lautre une erreur : en effet, dune part, lécliptique et léquateur ne forment pas la croix, car ces deux plans ne se coupent pas à angle droit ; dautre part, les deux points équinoxiaux sont évidemment joints par une seule ligne droite, de sorte que, ici, la croix apparaît moins encore. Ce quil faut considérer en réalité, cest, dune part, le plan de léquateur et laxe qui, joignant les pôles, est perpendiculaire à ce plan ; ce sont, dautre part, les deux lignes joignant respectivement les deux points solsticiaux et les deux points équinoxiaux ; nous avons ainsi ce quon peut appeler, dans le premier cas, la croix verticale, et, dans le second, la croix horizontale. Lensemble de ces deux croix, qui ont le même centre, forme la croix à trois dimensions, dont les branches sont orientées suivant les six directions de lespace ([31]) ; celles-ci correspondent aux six points cardinaux, qui, avec le centre lui-même, forment le septénaire.
Nous avons eu loccasion de signaler ailleurs limportance attribuée par les doctrines orientales à ces sept régions de lespace, ainsi que leur correspondance avec certaines périodes cycliques ([32]) ; nous croyons utile de reproduire ici un texte que nous avons cité alors et qui montre que la même chose se trouve aussi dans les traditions occidentales ; « Clément dAlexandrie dit que de Dieu, « Cur de lUnivers », partent les étendues indéfinies qui se dirigent, lune en haut, lautre en bas, celle-ci à droite, celle-là à gauche, lune en avant et lautre en arrière ; dirigeant son regard vers ces six étendues comme vers un nombre toujours égal, il achève le monde ; il est le commencement et la fin (lalpha et lôméga) ; en lui sachèvent les six phases du temps, et cest de lui quelles reçoivent leur extension indéfinie ; cest là le secret du nombre 7 » ([33]).
Ce symbolisme est aussi celui de la Qabbalah hébraïque, qui parle du « Saint Palais » ou « Palais intérieur » comme situé au centre des six directions de lespace. Les trois lettres du Nom divin Jehovah ([34]), par leur sextuple permutation suivant ces six directions, indiquent limmanence de Dieu au sein du Monde, cest-à-dire la manifestation du Logos au centre de toutes choses, dans le point primordial dont les étendues indéfinies ne sont que lexpansion ou le développement : « Il forma du Thohu (vide) quelque chose et fit de ce qui nétait pas ce qui est. Il tailla de grandes colonnes de léther insaisissable ([35]). Il réfléchit, et la Parole (Memra) produisit tout objet et toutes choses par son Nom Un » ([36]). Ce point primordial doù est proférée la Parole divine ne se développe pas seulement dans lespace comme nous venons de le dire, mais aussi dans le temps ; il est le « Centre du Monde » sous tous les rapports, cest-à-dire quil est à la fois au centre des espaces et au centre des temps. Ceci, bien entendu, si on le prend au sens littéral, ne concerne que notre monde, le seul dont les conditions dexistence soient directement exprimables en langage humain ; ce nest que le monde sensible qui est soumis à lespace et au temps ; mais, comme il sagit en réalité du Centre de tous les mondes, on peut passer à lordre supra-sensible en effectuant une transposition analogique dans laquelle lespace et le temps ne gardent plus quune signification purement symbolique.
Nous avons vu quil est question, chez Clément dAlexandrie, de six phases du temps, correspondant respectivement aux six directions de lespace : ce sont, comme nous lavons dit, six périodes cycliques, subdivisions dune autre période plus générale, et parfois représentées comme six millénaires. Le Zohar, de même que le Talmud, partage en effet la durée du monde en périodes millénaires. « Le monde subsistera pendant six mille ans auxquels font allusion les six premiers mots de la Genèse » ([37]) ; et ces six millénaires sont analogues aux six « jours » de la création ([38]). Le septième millénaire, comme le septième « jour », est le Sabbath, cest-à-dire la phase de retour au Principe, qui correspond naturellement au centre, considéré comme septième région de lespace. Il y a là une sorte de chronologie symbolique, qui ne doit évidemment pas être prise à la lettre, pas plus que celles que lon rencontre dans dautres traditions ; Josèphe ([39]) remarque que six mille ans forment dix « grandes années », la « grande année » étant de six siècles (cest le Naros des Chaldéens) ; mais, ailleurs, ce quon désigne par cette même expression est une période beaucoup plus longue, dix ou douze mille ans chez les Grecs et les Perses. Cela, dailleurs, nimporte pas ici, où il ne sagit nullement de calculer la durée réelle de notre monde, ce qui exigerait une étude approfondie de la théorie hindoue des Manvantaras ; comme ce nest pas là ce que nous nous proposons présentement, il suffit de prendre ces divisions avec leur valeur symbolique. Nous dirons donc seulement quil peut sagir de six phases indéfinies, donc de durée indéterminée, plus une septième qui correspond à lachèvement de toutes choses et à leur rétablissement dans létat premier ([40]).
Revenons à la doctrine cosmogonique de la Qabbalah, telle quelle est exposée dans le Sepher Ietsirah : « Il sagit, dit M. Vulliaud, du développement à partir de la Pensée jusquà la modification du Son (la Voix), de limpénétrable au compréhensible. On observera que nous sommes en présence dun exposé symbolique du mystère qui a pour objet la genèse universelle et qui se relie au mystère de lunité. En dautres passages, cest celui du « point » qui se développe par des lignes en tous sens ([41]), et qui ne devient compréhensible que par le « Palais intérieur ». Cest celui de linsaisissable éther (Avir), où se produit la concentration, doù émane la lumière (Aor) » ([42]). Le point est effectivement symbole de lunité ; il est le principe de létendue, qui nexiste que par son rayonnement (le « vide » antérieur nétant que pure virtualité), mais il ne devient compréhensible quen se situant lui-même dans cette étendue, dont il est alors le centre, ainsi que nous lexpliquerons plus complètement par la suite. Lémanation de la lumière, qui donne sa réalité à létendue, « faisant du vide quelque chose et de ce qui nétait pas ce qui est », est une expansion qui succède à la concentration ; ce sont là les deux phases daspiration et dexpiration dont il est si souvent question dans la doctrine hindoue, et dont la seconde correspond à la production du monde manifesté ; et il y a lieu de noter lanalogie qui existe aussi, à cet égard, avec le mouvement du cur et la circulation du sang dans lêtre vivant. Mais poursuivons : « La lumière (Aor) vit du mystère de léther (Avir). Le point caché fut manifesté, cest-à-dire la lettre iod » ([43]). Cette lettre représente hiéroglyphiquement le Principe, et on dit que delle sont formées toutes les autres lettres de lalphabet hébraïque, formation qui, suivant le Sepher Ietsirah, symbolise celle même du monde manifesté ([44]). On dit aussi que le point primordial incompréhensible, qui est lUn non-manifesté, en forme trois qui représentent le Commencement, le Milieu et la Fin ([45]), que ces trois points réunis constituent la lettre iod, qui est ainsi lUn manifesté (ou plus exactement affirmé en tant que principe de la manifestation universelle), ou, pour parler le langage théologique, Dieu se faisant « Centre du Monde » par son Verbe. « Quand ce iod a été produit, dit le Sepher Ietsirah, ce qui resta de ce mystère ou de lAvir (léther) caché fut Aor (la lumière) » ; et, en effet, si lon enlève le iod du mot Avir, il reste Aor.
M. Vulliaud cite, sur ce sujet, le commentaire de Moïse de Léon : « Après avoir rappelé que le Saint, béni soit-il, inconnaissable, ne peut-être saisi que daprès ses attributs (middoth) par lesquels Il a créé les mondes ([46]), commençons par lexégèse du premier mot de la Thorah : Bereshit ([47]). Danciens auteurs nous ont appris relativement à ce mystère qui est caché dans le degré suprême, léther pur et impalpable. Ce degré est la somme totale de tous les miroirs postérieurs (cest-à-dire extérieurs par rapport à ce degré lui-même) ([48]). Ils en procèdent par le mystère du point qui est lui-même un degré caché et émanant du mystère de léther pur et mystérieux ([49]). Le premier degré, absolument occulte (cest-à-dire non-manifesté), ne peut être saisi ([50]). De même, le mystère du point suprême, quoiquil soit profondément caché ([51]), peut être saisi dans le mystère du Palais intérieur. Le mystère de la Couronne suprême (Kether, la première des dix Sephiroth) correspond à celui du pur et insaisissable éther (Avir). Il est la cause de toutes les causes et lorigine de toutes les origines. Cest dans ce mystère, origine invisible de toutes choses, que le « point » caché dont tout procède prend naissance. Cest pourquoi il est dit dans le Sepher Ietsirah : « Avant lUn, que peux-tu compter ? » Cest-à-dire : avant ce point, que peux-tu compter ou comprendre ([52]) ? Avant ce point, il ny avait rien, excepté Ain, cest-à-dire le mystère de léther pur et insaisissable, ainsi nommé (par une simple négation) à cause de son incompréhensibilité ([53]). Le commencement compréhensible de lexistence se trouve dans le mystère du « point » suprême ([54]). Et parce que ce point est le « commencement » de toutes choses, il est appelé « Pensée » (Mahasheba) ([55]). Le mystère de la Pensée créatrice correspond au « point » caché. Cest dans le Palais intérieur que le mystère uni au « point » caché peut être compris, car le pur et insaisissable éther reste toujours mystérieux. Le « point » est léther rendu palpable (par la « concentration » qui est le point de départ de toute différenciation) dans le mystère du Palais intérieur ou Saint des Saints ([56]). Tout, sans exception, a dabord été conçu dans la Pensée ([57]). Et si quelquun disait : « Voyez ! il y a du nouveau dans le monde », imposez lui silence, car cela fut antérieurement conçu dans la Pensée ([58]). Du « point » caché émane le Saint Palais intérieur (par les lignes issues de ce point suivant les six directions de lespace). Cest le Saint des Saints, la cinquantième année (allusion au Jubilé, qui représente le retour à létat primordial) ([59]), quon appelle également la Voix qui émane de la Pensée ([60]). Tous les êtres et toutes les causes émanent alors par la force du « point » den haut. Voilà ce qui est relatif aux mystères des trois Sephiroth suprêmes » ([61]). Nous avons voulu donner ce passage en entier, malgré sa longueur, parce que, outre son intérêt propre, il a, avec le sujet de la présente étude, un rapport beaucoup plus direct quon ne pourrait le supposer à première vue.
Le symbolisme des directions de lespace est celui-là même que nous aurons à appliquer dans tous ce qui va suivre, soit au point de vue « macrocosmique » comme dans ce qui vient dêtre dit, soit au point de vue « microcosmique ». La croix à trois dimensions constitue, suivant le langage géométrique, un « système de coordonnées » auquel lespace tout entier peut être rapporté ; et lespace symbolisera ici lensemble de toutes les possibilités, soit dun être particulier, soit de lExistence universelle. Ce système est formé de trois axes, lun vertical et les deux autres horizontaux, qui sont trois diamètres rectangulaires dune sphère indéfinie, et qui, même indépendamment de toute considération astronomique, peuvent être regardés comme orientés vers les six points cardinaux : dans le texte de Clément dAlexandrie que nous avons cité, le haut et le bas correspondent respectivement au Zénith et au Nadir, la droite et la gauche au Sud et au Nord, lavant et larrière à lEst et à lOuest ; ceci pourrait être justifié par les indications concordantes qui se retrouvent dans presque toutes les traditions. On peut dire aussi que laxe vertical est laxe polaire, cest-à-dire la ligne fixe qui joint les deux pôles et autour de laquelle toutes choses accomplissent leur rotation ; cest donc laxe principal, tandis que les deux axes horizontaux ne sont que secondaires et relatifs. De ces deux axes horizontaux, lun, laxe Nord-Sud, peut être appelé aussi laxe solsticial, et lautre, laxe Est-Ouest, peut être appelé laxe équinoxial, ce qui nous ramène au point de vue astronomique, en vertu dune certaine correspondance des points cardinaux avec les phases du cycle annuel, correspondance dont lexposé complet nous entraînerait trop loin et nimporte dailleurs pas ici, mais trouvera sans doute mieux sa place dans une autre étude ([62]).
Chapitre V<o:p></o:p>
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Théorie hindoue des trois gunas<o:p></o:p>
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Avant daller plus loin, nous devons, à propos de ce qui vient dêtre dit, rappeler les indications que nous avons déjà données ailleurs sur la théorie hindoue des trois gunas (
[63]) ; notre intention nest pas de traiter complètement cette théorie avec toutes ses applications, mais seulement den présenter un aperçu en ce qui se rapporte à notre sujet. Ces trois gunas sont des qualités ou attributions essentielles, constitutives et primordiales, des êtres envisagés dans leurs différents états de manifestation ([64]) : ce ne sont pas des états, mais des conditions générales auxquelles les êtres sont soumis, par lesquelles ils sont liés en quelque sorte ([65]), et dont ils participent suivant des proportions indéfiniment variées, en vertu desquelles ils sont répartis hiérarchiquement dans lensemble « trois mondes » (Tribhuvana), cest-à-dire de tous les degrés de lExistence universelle.
Les trois gunas sont : sattwa, la conformité à lessence pure de lÊtre (Sat), qui est identique à la lumière de la Connaissance (Jnâna), symbolisé par la luminosité des sphères célestes qui représentent les états supérieurs de lêtre ; rajas, limpulsion qui provoque lexpansion de lêtre dans un état déterminé, cest-à-dire le développement de celles de ses possibilités qui se situent à un certain niveau de lExistence ; enfin, tamas, lobscurité, assimilée à lignorance (avidyâ), racine ténébreuse de lêtre considéré dans ses états inférieurs. Ceci est vrai pour tous les états manifestés de lêtre, quels quils soient, mais on peut aussi, naturellement, considérer plus particulièrement ces qualités ou ces tendances par rapport à létat humain : sattwa, tendance ascendante, se réfère toujours aux états supérieurs, relativement à létat particulier pris pour base ou pour point de départ de cette répartition hiérarchique, et tamas, tendance descendante, aux états inférieurs par rapport à ce même état ; quant à rajas, il se réfère à ce dernier, considéré comme occupant une situation intermédiaire entre les états supérieurs et les états inférieurs, donc comme défini par une tendance qui nest ni ascendante ni descendante, mais horizontale ; et, dans le cas présent, cet état est le « monde de lhomme » (mânava-loka), cest-à-dire le domaine ou le degré occupé dans lExistence universelle par létat individuel humain. On peut voir maintenant sans peine le rapport de tout ceci avec le symbolisme de la croix, que ce symbolisme soit dailleurs envisagé au point de vue purement métaphysique ou au point de vue cosmologique, et que lapplication en soit faite dans lordre « macrocosmique » ou dans lordre « microcosmique ». Dans tous les cas, nous pouvons dire que rajas correspond à toute la ligne horizontale, ou mieux, si nous considérons la croix à trois dimensions, à lensemble des deux lignes qui définissent le plan horizontal ; tamas correspond à la partie inférieure de la ligne verticale, cest-à-dire à celle qui est située au-dessous de ce plan horizontal, et sattwa à la partie supérieure de cette même ligne verticale, cest-à-dire à celle qui est située au-dessus du plan en question, lequel divise ainsi en deux hémisphères, supérieur et inférieur, la sphère indéfinie dont nous avons parlé plus haut.
Dans un texte du Vêda, les trois gunas sont présentés comme se convertissant lun dans lautre, en procédant selon un ordre ascendant : « Tout était tamas (à lorigine de la manifestation considérée comme sortant de lindifférenciation primordiale de Prakriti). Il (cest-à-dire le Suprême Brahma) commanda un changement, et tamas prit la teinte (cest-à-dire la nature) ([66]) de rajas (intermédiaire entre lobscurité et la luminosité) ; et rajas, ayant reçu de nouveau un commandement, revêtit la nature de sattwa. » Si nous considérons la croix à trois dimensions comme tracée à partir du centre dune sphère, ainsi que nous venons de le faire et que nous aurons souvent à le faire encore par la suite, la conversion de tamas en rajas peut être représentée comme décrivant la moitié inférieure de cette sphère, dun pôle à léquateur, celle de rajas en sattwa comme décrivant la moitié supérieure de la même sphère, de léquateur à lautre pôle. Le plan de léquateur, supposé horizontal, représente alors, comme nous lavons dit, le domaine dexpansion de rajas, tandis que tamas et sattwa tendent respectivement vers les deux pôles, extrémités de laxe vertical ([67]). Enfin, le point doù est ordonné la conversion de tamas en rajas, puis celle de rajas en sattwa, est le centre même de la sphère, ainsi quon peut sen rendre compte immédiatement en se reportant aux considérations exposées dans le chapitre précédent ([68]) ; nous aurons dailleurs, dans ce qui suivra, loccasion de lexpliquer plus complètement encore ([69]).
Ceci est également applicable, soit à lensemble des degrés de lExistence universelle, soit à celui des états dun être quelconque ; il y a toujours une parfaite correspondance entre ces deux cas, chaque état dun être se développant, avec toute lextension dont il est susceptible (et qui est indéfinie), dans un degré déterminé de lExistence. En outre, on peut en faire certaines applications plus particulières, notamment, dans lordre cosmologique, à la sphère des éléments ; mais, comme la théorie des éléments ne rentre pas dans notre présent sujet, il est préférable de réserver tout ce qui la concerne pour une autre étude, dans laquelle nous nous proposons de traiter des conditions de lexistence corporelle.
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Chapitre VI<o:p></o:p>
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Nous devons maintenant envisager, au moins sommairement, un autre aspect du symbolisme de la croix, qui est peut-être le plus généralement connu, quoiquil ne semble pas, au premier abord tout au moins, présenter une relation très directe avec tout ce que nous avons vu jusquici : nous voulons parler de la croix considérée comme symbole de lunion des complémentaires. Nous pouvons, à cet égard, nous contenter denvisager la croix, comme on le fait le plus souvent, sous sa forme à deux dimensions ; il suffit dailleurs, pour revenir de là à la forme à trois dimensions, de remarquer que la droite horizontale unique peut être prise comme la projection du plan horizontal tout entier sur le plan supposé vertical dans lequel la figure est tracée. Cela posé, on regarde la ligne verticale comme représentant le principe actif, et la ligne horizontale le principe passif ; ces deux principes sont aussi désignés respectivement, par analogie avec lordre humain, comme masculin et féminin ; si on les prend dans leur sens le plus étendu, cest-à-dire par rapport à tout lensemble de la manifestation universelle, ce sont ceux auxquels la doctrine hindoue donne les noms de Purusha et de Prakriti ([70]). Il ne sagit pas de reprendre ou de développer ici les considérations auxquelles peuvent donner lieu les rapports de ces deux principes, mais seulement de montrer que, en dépit des apparences, il existe un certain lien entre cette signification de la croix et celle que nous avons appelée sa signification métaphysique.
Nous dirons tout de suite, quitte à y revenir plus tard dune façon plus explicite, que ce lien résulte de la relation qui existe, dans le symbolisme métaphysique de la croix, entre laxe vertical et le plan horizontal. Il doit être bien entendu que des termes comme ceux dactif et de passif, ou leurs équivalents, nont de sens que lun par rapport à lautre, car le complémentarisme est essentiellement une corrélation entre deux termes. Cela étant, il est évident quun complémentarisme comme celui de lactif et du passif peut être envisagé à des degrés divers, si bien quun même terme pourra jouer un rôle actif ou passif suivant ce par rapport à quoi il jouera ce rôle ; mais, dans tous les cas, on pourra toujours dire que, dans une telle relation, le terme actif est, dans son ordre, analogue de Purusha, et le terme passif lanalogue de Prakriti. Or nous verrons par la suite que laxe vertical, qui relie tous les états de lêtre en les traversant en leurs centres respectifs, est le lieu de manifestation de ce que la tradition extrême-orientale appelle l« Activité du Ciel », qui est précisément lactivité « non-agissante » de Purusha, par laquelle sont déterminées en Prakriti les productions qui correspondent à toutes les possibilités de manifestation. Quant au plan horizontal, nous verrons quil constitue un « plan de réflexion », représenté symboliquement comme la « surface des eaux », et lon sait que les « Eaux » sont, dans toutes les traditions, un symbole de Prakriti ou de la « passivité universelle » ([71]) ; à vrai dire, comme ce plan représente un certain degré dexistence (et lon pourrait envisager de même lun quelconque des plans horizontaux correspondant à la multitude indéfinie des états de manifestation), il ne sidentifie pas à Prakriti elle-même, mais seulement à quelque chose de déjà déterminé par un certain ensemble de conditions spéciales dexistence (celles qui définissent un monde), et qui joue le rôle de Prakriti, en un sens relatif, à un certain niveau dans lensemble de la manifestation universelle.
Nous devons aussi préciser un autre point, qui se rapporte directement à la considération de l« Homme Universel » : nous avons parlé plus haut de celui-ci comme constitué par lensemble « Adam-Ève », et nous avons dit ailleurs que le couple Purusha-Prakriti, soit par rapport à toute la manifestation, soit plus particulièrement par rapport à un état dêtre déterminé, peut être regardé comme équivalent à l« Homme universel » ([72]). À ce point de vue, lunion des complémentaires devra donc être considérée comme constituant l« Androgyne » primordial dont parlent toutes les traditions ; sans nous étendre davantage sur cette question, nous pouvons dire que ce quil faut entendre par là, cest que, dans la totalisation de lêtre, les complémentaires doivent effectivement se trouver en équilibre parfait, sans aucune prédominance de lun sur lautre. Il est à remarquer, dautre part, quà cet « Androgyne » est en général attribuée symboliquement la forme sphérique ([73]), qui est la moins différenciée de toutes, puisquelle sétend également dans toutes les directions, et que les Pythagoriciens regardaient comme la forme la plus parfaite et comme la figure de la totalité universelle ([74]). Pour donner ainsi lidée de la totalité, la sphère doit dailleurs, ainsi que nous lavons déjà dit, être indéfinie, comme le sont les axes qui forment la croix, et qui sont trois diamètres rectangulaires de cette sphère ; en dautres termes, la sphère, étant constituée par le rayonnement même de son centre, ne se ferme jamais, ce rayonnement étant indéfini et remplissant lespace tout entier par une série dondes concentriques, dont chacune reproduit les deux phases de concentration et dexpansion de la vibration initiale ([75]). Ces deux phases sont dailleurs elles mêmes une des expressions du complémentarisme ([76]) ; si, sortant des conditions spéciales qui sont inhérentes à la manifestation (en mode successif), on les envisage en simultanéité, elles séquilibrent lune lautre, de sorte que leur réunion équivaut en réalité à limmutabilité principielle, de même que la somme des déséquilibres partiels par lesquels est réalisé toute manifestation constitue toujours et invariablement léquilibre total.
Enfin, une remarque qui a aussi son importance est celle-ci : nous avons dit tout à lheure que les termes dactif et de passif, exprimant seulement une relation, pouvaient être appliqués à différents degrés ; il résulte de là que, si nous considérons la croix à trois dimensions, dans laquelle laxe vertical et le plan horizontal sont dans cette relation dactif et de passif, on pourra encore envisager en outre la même relation entre les deux axes horizontaux, ou entre ce quils représenteront respectivement. Dans ce cas, pour conserver la correspondance symbolique établie tout dabord, on pourra, bien que ces axes soient tous les deux horizontaux en réalité, dire que lun deux, celui qui joue le rôle actif, est relativement vertical par rapport à lautre. Cest ainsi que, par exemple, si nous regardons ces deux axes comme étant respectivement laxe solsticial et laxe équinoxial, ainsi que nous lavons dit plus haut, conformément au symbolisme du cycle annuel, nous pourrons dire que laxe solsticial est relativement vertical par rapport à laxe équinoxial, de telle sorte que, dans le plan horizontal, il joue analogiquement le rôle daxe polaire (axe Nord-Sud), laxe équinoxial jouant alors le rôle daxe équatorial (axe Est-Ouest) ([77]). La croix horizontale reproduit ainsi, dans son plan, des rapports analogues à ceux qui sont exprimés par la croix verticale ; et, pour revenir ici au symbolisme métaphysique qui est celui qui nous importe essentiellement, nous pouvons dire encore que lintégration de létat humain, représentée par la croix horizontale, est dans lordre dexistence auquel elle se réfère, comme une image de la totalisation même de lêtre, représentée par la croix verticale ([78]).
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Chapitre VII<o:p></o:p>
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Dans le chapitre précédent, nous avons parlé de complémentaires, non de contraires ; il importe de ne pas confondre ces deux notions, comme on le fait quelquefois à tort, et de ne pas prendre le complémentarisme pour une opposition. Ce qui peut donner lieu à certaines confusions à cet égard, cest quil arrive parfois que les mêmes choses apparaissent comme contraires ou comme complémentaires suivant le point de vue sous lequel on les envisage ; dans ce cas, on peut toujours dire que lopposition correspond au point de vue le plus inférieur ou le plus superficiel, tandis que le complémentarisme, dans lequel cette opposition se trouve en quelque sorte conciliée et déjà résolue, correspond par là même à un point de vue plus élevé ou plus profond, ainsi que nous lavons expliqué ailleurs (
[79]). Lunité principielle exige en effet quil ny ait pas doppositions irréductibles ([80]) ; donc, sil est vrai que lopposition entre deux termes existe bien dans les apparences et possède une réalité relative à un certain niveau dexistence, cette opposition doit disparaître comme telle et se résoudre harmoniquement, par synthèse ou intégration, en passant à un niveau supérieur. Prétendre quil nen est pas ainsi, ce serait vouloir introduire le déséquilibre jusque dans lordre principiel lui-même, alors que, comme nous le disions plus haut, tous les déséquilibres qui constituent les éléments de la manifestation envisagés « distinctivement » concourent nécessairement à léquilibre total, que rien ne peut affecter ni détruire. Le complémentarisme même, qui est encore dualité, doit, à un certain degré, seffacer devant lunité, ses deux termes séquilibrant et se neutralisant en quelque sorte en sunissant jusquà fusionner indissolublement dans lindifférenciation primordiale.
La figure de la croix peut aider à comprendre la différence qui existe entre le complémentarisme et lopposition : nous avons vu que la verticale et lhorizontale pouvaient être prises comme représentant deux termes complémentaires ; mais, évidemment, on ne peut dire quil y ait opposition entre le sens vertical et le sens horizontal. Ce qui représente nettement lopposition, dans la même figure, ce sont les directions contraires, à partir du centre, des deux demi-droites qui sont les deux moitiés dun même axe, quel que soit cet axe ; lopposition peut donc être envisagée également, soit dans le sens vertical, soit dans le sens horizontal. On aura ainsi, dans la croix verticale à deux dimensions, deux couples de termes opposés formant un quaternaire ; il en sera de même dans la croix horizontale, dont un des axes peut dailleurs être considéré comme relativement vertical, cest-à-dire comme jouant le rôle dun axe vertical par rapport à lautre, ainsi que nous lavons expliqué à la fin du chapitre précédent. Si lon réunit les deux figures dans celle de la croix à trois dimensions, on a trois couples de termes opposés, comme nous lavons vu précédemment à propos des directions de lespace et des points cardinaux. Il est à remarquer quune des oppositions quaternaires les plus généralement connues, celle des éléments et des qualités sensibles qui leur correspondent, doit être disposée suivant la croix horizontale ; dans ce cas, en effet, il sagit exclusivement de la constitution du monde corporel, qui se situe tout entier à un même degré de lExistence et nen représente même quune portion très restreinte. Il en est de même quand on envisage seulement quatre points cardinaux, qui sont alors ceux du monde terrestre, représenté symboliquement par le plan horizontal, tandis que le Zénith et le Nadir, opposés suivant laxe vertical, correspondent à lorientation vers les mondes respectivement supérieurs et inférieurs par rapport à ce même monde terrestre. Nous avons vu quil en est de même encore pour la double opposition des solstices et des équinoxes, et cela aussi se comprend aisément, car laxe vertical, demeurant fixe et immobile alors que toutes choses accomplissent leur rotation autour de lui, est évidemment indépendant des vicissitudes cycliques, quil régit ainsi en quelque sorte par son immobilité même, image sensible de limmutabilité principielle ([81]). Si lon ne considère que la croix horizontale, laxe vertical y est représenté par le point central lui-même, qui est celui où il rencontre le plan horizontal ; ainsi, tout plan horizontal, symbolisant un état ou un degré quelconque de lExistence, a en ce point qui peut être appelé son centre (puisquil est lorigine du système de coordonnées auquel tout point du plan pourra être rapporté) cette même image de limmutabilité. Si lon applique ceci, par exemple, à la théorie des éléments du monde corporel, le centre correspondra au cinquième élément, cest-à-dire à léther ([82]), qui est en réalité le premier de tous selon lordre de production, celui dont tous les autres procèdent par différenciations successives, et qui réunit en lui toutes les qualités opposées, caractéristiques des autres éléments, dans un état dindifférenciation et déquilibre parfait, correspondant dans son ordre à la non-manifestation principielle ([83]).
Le centre de la croix est donc le point où se concilient et se résolvent toutes les oppositions ; en ce point sétablit la synthèse de tous les termes contraires, qui, à la vérité, ne sont contraires que suivant les points de vue extérieurs et particuliers de la connaissance en mode distinctif. Ce point central correspond à ce que lésotérisme islamique désigne comme « Station divine », qui est « celle qui réunit les contrastes et les antinomies » (El-maqâmul-ilahî, huwa maqâm ijtimâ ed-diddaîn) ([84]) ; cest ce que la tradition extrême-orientale, de son côté, appelle l« Invariable Milieu » (Tchoung-young), qui est le lieu de léquilibre parfait, représenté comme le centre de la « roue cosmique » ([85]), et qui est aussi, en même temps, le point où se reflète directement l« Activité du Ciel » ([86]). Ce centre dirige toutes choses par son « activité non agissante » (wei wou-wei), qui, bien que non-manifestée, ou plutôt parce que non-manifestée, est en réalité la plénitude de lactivité, puisque cest celle du Principe dont sont dérivées toutes les activités particulières ; cest ce que Lao-tseu exprime par ces termes : « Le Principe est toujours non-agissant, cependant tout est fait par lui » ([87]).
Le sage parfait, selon la doctrine taoïste, est celui qui est parvenu au point central et qui y demeure en union indissoluble avec le Principe, participant de son immutabilité et imitant son « activité non-agissante » : « Celui qui est arrivé au maximum du vide, dit encore Lao-tseu, celui-là sera fixé solidement dans le repos... Retourner à sa racine (cest-à-dire au Principe, à la fois origine première et fin dernière de tous les êtres) ([88]), cest entrer dans létat de repos » ([89]). Le « vide » dont il sagit ici, cest le détachement complet à légard de toutes les choses manifestées, transitoires et contingentes ([90]), détachement par lequel lêtre échappe aux vicissitudes du « courant des formes », à lalternance des états de « vie » et de « mort », de « condensation » et de « dissipation » ([91]), passant de la circonférence de la « roue cosmique » à son centre, qui est désigné lui-même comme « le vide (le non-manifesté) qui unit les rayons et en fait une « roue » ([92]). « La paix dans le vide, dit Lie-tseu, est un état indéfinissable ; on ne la prend ni ne la donne ; on arrive à sy établir » ([93]). Cette « paix dans le vide », cest la « Grande Paix » de lésotérisme islamique ([94]), appelée en arabe Es-Sakînah, désignation qui lidentifie à la Shekinah hébraïque, cest-à-dire à la « présence divine » au centre de lêtre, représenté symboliquement comme le cur dans toutes les traditions ([95]) ; et cette « présence divine » est en effet impliquée par lunion avec le Principe, qui ne peut effectivement sopérer quau centre même de lêtre. « À celui qui demeure dans le non-manifesté, tous les êtres se manifestent... Uni au Principe, il est en harmonie, par lui, avec tous les êtres. Uni au Principe, il connaît tout par les raisons générales supérieures, et nuse plus, par suite, de ses divers sens, pour connaître en particulier et en détail. La vraie raison des choses est invisible, insaisissable, indéfinissable, indéterminable. Seul, lesprit rétabli dans létat de simplicité parfaite peut latteindre dans la contemplation profonde » ([96]).
Placé au centre de la « roue cosmique », le sage parfait, la meut invisiblement ([97]), par sa seule présence, sans participer à son mouvement, et sans avoir à se préoccuper dexercer une action quelconque : « Lidéal, cest lindifférence (le détachement) de lhomme transcendant, qui laisse tourner la roue cosmique » ([98]). Ce détachement absolu le rend maître de toutes choses, parce que, ayant dépassé toutes les oppositions qui sont inhérentes à la multiplicité, il ne peut plus être affecté par rien : « Il a atteint limpassibilité parfaite ; la vie et la mort lui sont également indifférentes, leffondrement de lunivers (manifesté) ne lui causerait aucune émotion ([99]). À force de scruter, il est arrivé à la vérité immuable, la connaissance du Principe universel unique. Il laisse évoluer tous les êtres selon leurs destinées, et se tient, lui, au centre immobile de toutes les destinées ([100])... Le signe extérieur de cet état intérieur, cest limperturbabilité ; non pas celle du brave qui fonce seul, pour lamour de la gloire, sur une armée rangée en bataille ; mais celle de lesprit qui, supérieur au ciel, à la terre, à tous les êtres ([101]), habite dans un corps auquel il ne tient pas ([102]), ne fait aucun cas des images que ses sens lui fournissent, connaît tout par connaissance globale dans son unité immobile ([103]). Cet esprit-là, absolument indépendant, est maître des hommes ; sil lui plaisait de les convoquer en masse, au jour fixé tous accourraient ; mais il ne veut pas se faire servir » ([104]).
Au point central, toutes les distinctions inhérentes au points de vue extérieurs sont dépassées ; toutes les oppositions ont disparu et sont résolues dans un parfait équilibre. « Dans létat primordial, ces oppositions nexistaient pas. Toutes sont dérivées de la diversification des êtres (inhérente à la manifestation et contingente comme elle), et de leurs contacts causés par la giration universelle ([105]). Elles cesseraient, si la diversité et le mouvement cessaient. Elles cessent demblée daffecter lêtre qui a réduit son moi distinct et son mouvement particulier à presque rien ([106]). Cet être nentre plus en conflit avec aucun être, parce quil est établi dans linfini, effacé dans lindéfini ([107]). Il est parvenu et se tient au point de départ des transformations, point neutre où il ny a pas de conflits. Par concentration de sa nature, par alimentation de son esprit vital, par rassemblement de toutes ses puissances, il sest uni au principe de toutes les genèses. Sa nature étant entière (totalisée synthétiquement dans lunité principielle), son esprit vital étant intact, aucun être ne saurait lentamer » ([108]).
Ce point central et primordial est identique au « Saint Palais » de la Qabbalah hébraïque ; en lui-même, il nest pas situé, car il est absolument indépendant de lespace, qui nest que le résultat de son expansion ou de son développement indéfini en tous sens, et qui, par conséquent, procède entièrement de lui : « Transportons-nous en esprit, en dehors de ce monde des dimensions et des localisations, et il ny aura plus lieu de vouloir situer le Principe » ([109]). Mais, lespace étant réalisé, le point primordial, tout en demeurant toujours essentiellement « non-localisé » (car il ne saurait être affecté ou modifié par là en quoi que ce soit), se fait le centre de cet espace (cest-à-dire, en transposant ce symbolisme, le centre de toute la manifestation universelle), ainsi que nous lavons déjà indiqué ; cest de lui que partent les six directions, qui sopposant deux à deux, représentent tous les contraires, cest aussi à lui quelles reviennent, par le mouvement alternatif dexpansion et de concentration qui constitue, ainsi quil a été dit plus haut, les deux phases complémentaires de toute manifestation. Cest la seconde de ces phases, le mouvement de retour vers lorigine, qui marque la voie suivie par le sage pour parvenir à lunion avec le Principe : la « concentration de sa nature », le « rassemblement de toutes ses puissances », dans le texte que nous citions tout à lheure, lindiquent aussi nettement que possible ; et la « simplicité », dont il a déjà été question, correspond à lunité « sans dimensions » du point primordial. « Lhomme absolument simple fléchit par sa simplicité tous les êtres..., si bien que rien ne soppose à lui dans les six régions de lespace, que rien ne lui est hostile, que le feu et leau ne le blessent pas » ([110]). En effet, il se tient au centre, dont les six directions sont issues par rayonnement, et où elles viennent, dans le mouvement de retour, se neutraliser deux à deux, de sorte que, en ce point unique, leur triple opposition cesse entièrement, et que rien de ce qui en résulte ou sy localise ne peut atteindre lêtre qui demeure dans lunité immuable. Celui-ci ne sopposant à rien, rien non plus ne saurait sopposer à lui, car lopposition est nécessairement une relation réciproque, qui exige deux termes en présence, et qui, par conséquent, est incompatible avec lunité principielle ; et lhostilité, qui nest quune suite ou une manifestation extérieure de lopposition, ne peut exister à légard dun être qui est en dehors et au delà de toute opposition. Le feu et leau, qui sont le type des contraires dans le « monde élémentaire », ne peuvent le blesser, car, à vrai dire, ils nexistent même plus pour lui en tant que contraires, étant rentrés, en séquilibrant et se neutralisant lun lautre par la réunion de leurs qualités apparemment opposées, mais réellement complémentaires ([111]), dans lindifférenciation de léther primordial.
Pour celui qui se tient au centre, tout est unifié, car il voit tout dans lunité du Principe ; tous les points de vue particuliers (ou, si lon veut, « particularistes ») et analytiques, qui ne sont fondés que sur des distinctions contingentes, et dont naissent toutes les divergences des opinions individuelles, ont disparu pour lui, résorbés dans la synthèse totale de la connaissance transcendante, adéquate à la vérité une et immuable. « Son point de vue à lui, cest un point doù ceci et cela, oui et non, paraissent encore non-distingués. Ce point est le pivot de la norme ; cest le centre immobile dune circonférence sur le contour de laquelle roulent toutes les contingences, les distinctions et les individualités ; doù lon ne voit quun infini, qui nest ni ceci ni cela, ni oui ni non. Tout voir dans lunité primordiale non encore différenciée, ou dune distance telle que tout se fond en un, voilà la vraie intelligence ([112]). Le « pivot de la norme », cest ce que presque toutes les traditions appellent le « Pôle » ([113]), cest-à-dire, comme nous lavons déjà expliqué, le point fixe autour duquel saccomplissent toutes les révolutions du monde, selon la norme ou la loi qui régit toute manifestation, et qui nest elle-même que lémanation directe du centre, cest-à-dire lexpression de la « Volonté du Ciel » dans lordre cosmique ([114]).
Chapitre VIII<o:p></o:p>
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Ce qui vient dêtre dit sur la « paix » résidant au point central nous amène, quoique ceci puisse paraître une digression, à parler quelque peu dun autre symbolisme, celui de la guerre, auquel nous avons déjà fait ailleurs quelques allusions (
[115]). Ce symbolisme se rencontre notamment dans la Bhagavad-Gîtâ : la bataille dont il est question dans ce livre représente laction, dune façon tout à fait générale, sous une forme dailleurs appropriée à la nature et à la fonction des Kshatriyas à qui il est plus spécialement destiné ([116]). Le champ de bataille (kshêtra) est le domaine de laction, dans lequel lindividu développe ses possibilités, et qui est figuré par le plan horizontal dans le symbolisme géométrique ; il sagit ici de létat humain, mais la même représentation pourrait sappliquer à tout autre état de manifestation, pareillement soumis, sinon à laction proprement dite, du moins au changement et à la multiplicité. Cette conception ne se trouve pas seulement dans la doctrine hindoue, mais aussi dans la doctrine islamique, car tel est exactement le sens réel de la « guerre sainte » (jihâd) ; lapplication sociale et extérieure nest que secondaire, et ce qui le montre bien, cest quelle constitue seulement la « petite guerre sainte » (El-jihâdul-açghar), tandis que la « grande guerre sainte » (El-jihâdul-akbar) est dordre purement intérieur et spirituel ([117]).
On peut dire que la raison dêtre essentielle de la guerre, sous quelque point de vue et dans quelque domaine quon lenvisage, cest de faire cesser un désordre et de rétablir lordre : cest, en dautres termes, lunification dune multiplicité, par les moyens qui appartiennent au monde de la multiplicité elle-même ; cest à ce titre, et à ce titre seul, que la guerre peut être considérée comme légitime. Dautre part, le désordre est, en un sens, inhérent à toute manifestation prise en elle-même, car la manifestation, en dehors de son principe, donc en tant que multiplicité non unifiée, nest quune série indéfinie de ruptures déquilibre. La guerre, entendue comme nous venons de le faire, et non limitée à un sens exclusivement humain, représente donc le processus cosmique de réintégration du manifesté dans lunité principielle ; et cest pourquoi, au point de vue de la manifestation elle-même, cette réintégration apparaît comme une destruction, ainsi quon le voit très nettement par certains aspects du symbolisme de Shiva dans la doctrine hindoue.
Si lon dit que la guerre elle-même est encore un désordre, cela est vrai sous un certain rapport, et il en est nécessairement ainsi par là même quelle saccomplit dans le monde de la manifestation et de la multiplicité ; mais cest un désordre qui est destiné à compenser un autre désordre, et, suivant lenseignement de la tradition extrême-orientale que nous avons déjà rappelé précédemment, cest la somme même de tous les désordres, ou de tous les déséquilibres, qui constitue lordre total. Lordre napparaît dailleurs que si lon sélève au-dessus de la multiplicité, si lon cesse de considérer chaque chose isolément et « distinctivement » pour envisager toutes choses dans lunité. Cest là le point de vue de la réalité, car la multiplicité, hors du principe unique, na quune existence illusoire ; mais cette illusion, avec le désordre qui lui est inhérent, subsiste pour tout être tant quil nest pas parvenu, dune façon pleinement effective (et non pas, bien entendu, comme simple conception théorique), à ce point de vue de l« unicité de lExistence » (Wahdatul-wujûd) dans tous les modes et tous les degrés de la manifestation universelle.
Daprès ce que nous venons de dire, le but même de la guerre, cest létablissement de la paix, car la paix, même en son sens le plus ordinaire, nest en somme pas autre chose que lordre, léquilibre ou lharmonie, ces trois termes étant à peu près synonymes et désignant tous, sous des aspects quelque peu différents, le reflet de lunité dans la multiplicité même, lorsque celle-ci est rapportée à son principe. En effet, la multiplicité, alors, nest pas véritablement détruite, mais elle est « transformée » ; et, quand toutes choses sont ramenées à lunité, cette unité apparaît dans toutes choses, qui, bien loin de cesser dexister, acquièrent au contraire par là la plénitude de la réalité. Cest ainsi que sunissent indivisiblement les deux points de vue complémentaires de « lunité dans la multiplicité et la multiplicité dans « lunité » (El-wahdatu fîl-kuthrati wal-kuthratu fîl-wahdati), au point central de toute manifestation, qui est le « lieu divin » ou la « station divine » (El-maqâmul-ilahî) dont il a été parlé plus haut. Pour celui qui est parvenu en ce point, comme nous lavons dit, il ny a plus de contraires, donc plus de désordre ; cest le lieu même de lordre, de léquilibre, de lharmonie ou de la paix, tandis que hors de ce lieu, et pour celui qui y tend seulement sans y être encore arrivé, cest létat de guerre tel que nous lavons défini, puisque les oppositions en lesquelles réside le désordre, ne sont pas encore surmontées définitivement.
Mais dans son sens extérieur et social, la guerre légitime, érigée contre ceux qui troublent lordre et ayant pour but de les y ramener, constitue essentiellement une fonction de « justice », cest-à-dire en somme une fonction équilibrante ([118]), quelles que puissent être les apparences secondaires et transitoires ; mais ce nest là que la « petite guerre sainte », qui est seulement une image de lautre, de la « grande guerre sainte ». On pourrait appliquer ici ce que nous avons dit à diverses reprises, et encore au début même de la présente étude, quant à la valeur symbolique des faits historiques, qui peuvent être considérés comme représentatifs, selon leur mode, de réalités dun ordre supérieur.
La « grande guerre sainte », cest la lutte de lhomme contre les ennemis quil porte en lui-même, cest-à-dire contre tous les éléments qui, en lui, sont contraires à lordre et à lunité. Il ne sagit pas, dailleurs, danéantir ces éléments, qui, comme tout ce qui existe, ont aussi leur raison dêtre et leur place dans lensemble ; il sagit plutôt, comme nous le disions tout à lheure, de les « transformer » en les ramenant à lunité, en les y résorbant en quelque sorte. Lhomme doit tendre avant tout et constamment à réaliser lunité en lui même, dans tout ce qui le constitue, selon toutes les modalités de sa manifestation humaine : unité de la pensée, unité de laction, et aussi, ce qui est peut-être le plus difficile, unité entre la pensée et laction. Il importe dailleurs de remarquer que, en ce qui concerne laction, ce qui vaut essentiellement, cest lintention (niyyah), car cest cela seul qui dépend entièrement de lhomme lui-même, sans être affecté ou modifié par les contingences extérieures comme le sont toujours les résultats de laction. Lunité dans lintention et la tendance constante vers le centre invariable et immuable ([119]) sont représentées symboliquement par lorientation rituelle (qiblah), les centres spirituels terrestres étant comme les images visibles du véritable et unique centre de toute manifestation, qui a dailleurs, ainsi que nous lavons expliqué, son reflet direct dans tous les mondes, au point central de chacun deux, et aussi dans tous les êtres, où ce point central est désigné figurativement comme le cur, en raison de sa correspondance effective avec celui-ci dans lorganisme corporel.
Pour celui qui est parvenu à réaliser parfaitement lunité en lui-même, toute opposition ayant cessé, létat de guerre cesse aussi par là même, car il ny a plus que lordre absolu, selon le point de vue total qui est au delà de tous les points de vue particuliers. À un tel être, comme il a déjà été dit précédemment, rien ne peut nuire désormais, car il ny a plus pour lui dennemis, ni en lui ni hors de lui ; lUnité, effectuée au dedans, lest aussi et simultanément au dehors, ou plutôt il ny a plus ni dedans ni dehors, cela encore nétant quune de ces oppositions qui se sont désormais effacées à son regard ([120]). Établi définitivement au centre de toutes choses, celui-là « est à lui-même sa propre loi » ([121]), parce que sa volonté est une avec le Vouloir universel (la « Volonté du Ciel » de la tradition extrême-orientale, qui se manifeste effectivement au point même où réside cet être) ; il a obtenu la « Grande Paix », qui est véritablement, comme nous lavons dit, la « présence divine » (Es-Sakînah, limmanence de la Divinité en ce point qui est le « Centre du Monde ») ; étant identifié, par sa propre unification, à lunité principielle elle-même, il voit lunité en toutes choses et toutes choses dans lunité, dans labsolue simultanéité de l« éternel présent ».
Chapitre IX<o:p></o:p>
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Un autre aspect du symbolisme de la croix est celui qui lidentifie à ce que les diverses traditions désignent comme l« Arbre du Milieu » ou par quelque autre terme équivalent ; nous avons vu ailleurs que cet arbre est un des nombreux symboles de l« Axe du Monde » (
[122]). Cest donc la ligne verticale de la croix, figure de cet axe, qui est ici à considérer principalement : elle constitue le tronc de larbre, tandis que la ligne horizontale (ou les deux lignes horizontales pour la croix à trois dimensions) en forme les branches. Cet arbre sélève au centre du monde, ou plutôt dun monde, cest-à-dire du domaine dans lequel se développe un état dexistence, tel que létat humain qui est envisagé le plus habituellement en pareil cas. Dans le symbolisme biblique, en particulier, cest l« Arbre de Vie », qui est planté au milieu du « Paradis terrestre », lequel représente lui-même le centre de notre monde, ainsi que nous lavons expliqué en dautres occasions ([123]). Bien que nous nayons pas lintention de nous étendre ici sur toutes les questions relatives au symbolisme de larbre, et qui demanderaient une étude spéciale, il est cependant, à ce propos, quelques points que nous ne croyons pas inutile dexpliquer.
Dans le Paradis terrestre, il ny avait pas que l« Arbre de Vie » ; il en est un autre qui joue un rôle non moins important et même plus généralement connu : cest l« Arbre de la Science du bien et du mal » ([124]). Les relations qui existent entre ces deux arbres sont très mystérieuses : le récit biblique, immédiatement après avoir désigné l« Arbre de Vie » comme étant « au milieu du jardin », nomme l« Arbre de la Science du bien et du mal » ([125]) ; plus loin, il est dit que ce dernier était également « au milieu du jardin » ([126]) ; et enfin Adam, après avoir mangé le fruit de l« Arbre de la Science », naurait eu quà « étendre sa main » pour prendre aussi du fruit de l« Arbre de Vie » ([127]). Dans le second de ces trois passages, la défense faite par Dieu est même rapportée uniquement à « larbre qui est au milieu du jardin », et qui nest pas autrement spécifié ; mais, en se reportant à lautre passage où cette défense a été déjà énoncée ([128]), on voit que cest évidemment de l« Arbre de la Science du bien et du mal » quil sagit en ce cas. Cest sans doute en raison du lien que cette proximité établit entre les deux arbres quils sont étroitement unis dans le symbolisme, à tel point que certains arbres emblématiques présentent des traits qui évoquent lun et lautre à la fois ; mais il reste à expliquer en quoi ce lien consiste en réalité.
La nature de l« Arbre de la Science du bien et du mal » peut, comme son nom même lindique, être caractérisée par la dualité, puisque nous trouvons dans cette désignation deux termes qui sont non pas même complémentaires, mais véritablement opposés, et dont on peut dire en somme que toute raison dêtre réside dans cette opposition, car, quand celle-ci est dépassée, il ne saurait plus être question de bien ni de mal ; il ne peut en être de même pour l« Arbre de Vie », dont la fonction d« Axe du Monde » implique au contraire essentiellement lunité. Donc, quand nous trouvons dans un arbre emblématique une image de la dualité, il semble bien quil faille voir là une allusion à l« Arbre de la Science », alors même que, à dautres égards, le symbole considéré serait incontestablement une figure de l« Arbre de Vie ». Il en est ainsi, par exemple, pour l« arbre séphirothique » de la Qabbalah hébraïque, qui est expressément désigné comme l« Arbre de Vie », et où cependant la « colonne de droite » et la « colonne de gauche » offrent la figure de la dualité ; mais entre les deux est la « colonne du milieu », où séquilibrent les deux tendances opposées, et où se retrouve ainsi lunité véritable de l« Arbre de Vie » ([129]).
La nature duelle de l« Arbre de la Science » napparaît dailleurs à Adam quau moment même de la « chute », puisque cest alors quil devient « connaissant le bien et le mal » ([130]). Cest alors aussi quil est éloigné du centre qui est le lieu de lunité première, à laquelle correspond l« Arbre de Vie » ; et cest précisément « pour garder le chemin de lArbre de Vie » que les Kerubim (les « tétramorphes » synthétisant en eux le quaternaire des puissances élémentaires, armés de lépée flamboyante, sont placés à lentrée de lEden ([131]). Ce centre est devenu inaccessible pour lhomme déchu, ayant perdu le « sens de léternité », qui est aussi le « sens de lunité » ([132]) ; revenir au centre, par la restauration de l« état primordial », et atteindre l« Arbre de Vie », cest recouvrer ce « sens de léternité ».
Dautre part, on sait que la croix même du Christ est identifiée symboliquement à l« Arbre de Vie » (lignum vitæ), ce qui se comprend dailleurs assez facilement ; mais, daprès une « légende de la Croix » qui avait cours au moyen âge, elle aurait été faite du bois de l« Arbre de la Science », de sorte que celui-ci, après avoir été linstrument de la « chute », serait devenu ainsi celui de la « rédemption ». On voit sexprimer ici la connexion de ces deux idées de « chute » et de « rédemption », qui sont en quelque sorte inverses lune de lautre, et il y a là comme une allusion au rétablissement de lordre primordial ([133]) ; dans ce nouveau rôle, l« Arbre de la Science » sassimile en quelque sorte à l« Arbre de Vie », la dualité étant effectivement réintégrée dans lunité ([134]).
Ceci peut faire penser également au « serpent dairain » élevé par Moïse dans le désert ([135]), et que lon sait être aussi symbole de « rédemption », de sorte que la perche sur laquelle il est placé équivaut à cet égard à la croix et rappelle de même l« Arbre de Vie » ([136]). Cependant, le serpent est plus habituellement associé à l« Arbre de la Science » ; mais cest quil est alors envisagé sous son aspect maléfique, et nous avons déjà fait observer ailleurs que, comme beaucoup dautres symboles, il a deux significations opposées ([137]). Il ne faut pas confondre le serpent qui représente la vie et celui représente la mort, le serpent qui est un symbole du Christ et celui qui est un symbole de Satan (et cela même lorsquils se trouvent aussi étroitement unis que dans la curieuse figuration de l« amphisbène » ou serpent à deux têtes) ; et lon pourrait dire que le rapport de ces deux aspects contraires nest pas sans présenter une certaine similitude avec celui des rôles que jouent respectivement l« Arbre de Vie » et l« Arbre de la Science » ([138]).
Nous avons vu tout à lheure quun arbre affectant une forme ternaire, comme l« arbre séphirothique », peut synthétiser en lui, en quelque sorte, les natures de l« Arbre de Vie » et de l« Arbre de la Science », comme si ceux-ci se trouvaient réunis en un seul, le ternaire étant ici décomposable en lunité et la dualité dont il est la somme ([139]). Au lieu dun arbre unique, on peut avoir aussi, avec la même signification, un ensemble de trois arbres unis par leurs racines, celui du milieu étant l« Arbre de Vie », et les deux autres correspondant à la dualité de l« Arbre de la Science ». On trouve quelque chose de comparable dans la figuration de la croix du Christ entre deux autres croix, celles du bon et du mauvais larron : ceux-ci sont placés respectivement à la droite et à la gauche du Christ crucifié comme les élus et les damnés le seront à la droite et à la gauche du Christ triomphant au « Jugement dernier » ; et, en même temps quils représentent évidemment le bien et le mal, ils correspondent aussi, par rapport au Christ, à la « Miséricorde » et à la « Rigueur », les attributs caractéristiques des deux colonnes latérales de l« arbre séphirothique ». La croix du Christ occupe toujours la place centrale qui appartient proprement à l« Arbre de Vie » ; et, lorsquelle est placée entre le soleil et la lune comme on le voit dans la plupart des anciennes figurations, il en est encore de même : elle est alors véritablement l« Axe du Monde » ([140])
Dans le symbolisme chinois, il existe un arbre dont les branches sont anastomosées de façon à ce que leurs extrémités se rejoignent deux à deux pour figurer la synthèse des contraires ou la résolution de la dualité dans lunité ; on trouve ainsi, soit un arbre unique dont les branches se divisent et se rejoignent, soit deux arbres ayant même racine et se rejoignant de même par leurs branches ([141]). Cest le processus de la manifestation universelle : tout part de lunité et revient à lunité ; dans lintervalle se produit la dualité, division ou différenciation doù résulte la phase dexistence manifestée : les idées de lunité et de la dualité sont donc réunies ici comme dans les autres figurations dont nous venons de parler ([142]). Il existe aussi des représentations de deux arbres distincts et joints par une seule branche (cest ce quon appelle l« arbre lié ») ; dans ce cas, une petite branche sort de la branche commune, ce qui indique nettement quil sagit alors de deux principes complémentaires et du produit de leur union ; et ce produit peut être encore la manifestation universelle, issue de lunion du « Ciel » et de la « Terre », qui sont les équivalents de Purusha et de Prakriti dans la tradition extrême-orientale, ou encore de laction et de la réaction réciproques du yang et du yin, éléments masculin et féminin dont procèdent et participent tous les êtres, et dont la réunion en équilibre parfait constitue (ou reconstitue) l« Androgyne » primordial dont il a été question plus haut ([143]).
Revenons maintenant à la représentation du « Paradis terrestre » : de son centre, cest-à-dire du pied même de l« Arbre de Vie », partent quatre fleuves se dirigeant vers les quatre points cardinaux, et traçant ainsi la croix horizontale sur la surface même du monde terrestre, cest-à-dire dans le plan qui correspond au domaine de létat humain. Ces quatre fleuves, quon peut rapporter au quaternaire des éléments ([144]), et qui sont issus dune source unique correspondant à léther primordial ([145]), divisent en quatre parties, qui peuvent être rapportées aux quatre phases dun développement cyclique ([146]), lenceinte circulaire du « Paradis terrestre », laquelle nest autre que la coupe horizontale de la forme sphérique universelle dont il a été question plus haut ([147]).
L« Arbre de Vie » se retrouve au centre de la « Jérusalem céleste », ce qui sexplique aisément quand on connaît les rapports de celle-ci avec le « Paradis terrestre » ([148]) : il sagit de la réintégration de toutes choses dans l« état primordial », en vertu de la correspondance de la fin du cycle avec son commencement, suivant ce que nous expliquerons encore par la suite. Il est remarquable que cet arbre, daprès le symbolisme apocalyptique, porte alors douze fruits ([149]), qui sont, comme nous lavons dit ailleurs ([150]), assimilables aux douze Âdityas de la tradition hindoue, ceux-ci étant douze formes du soleil qui doivent apparaître toutes simultanément à la fin du cycle, rentrant alors dans lunité essentielle de leur nature commune, car ils sont autant de manifestations dune essence unique et indivisible, Aditi, qui correspond à lessence une de l« Arbre de Vie » lui-même, tandis que Diti correspond à lessence duelle de l« Arbre de la Science du bien et du mal » ([151]). Dailleurs, dans diverses traditions, limage du soleil est souvent liée à celle dun arbre, comme si le soleil était le fruit de l« Arbre du Monde » ; il quitte son arbre au début du cycle et vient sy reposer à la fin ([152]). Dans les idéogrammes chinois, le caractère désignant le coucher du soleil le représente reposant sur son arbre à la fin du jour (qui est analogue à la fin du cycle) ; lobscurité est représentée par un caractère qui figure le soleil tombé au pied de larbre. Dans lInde, on trouve larbre triple portant trois soleils, image de la Trimûrti, ainsi que larbre ayant pour fruits douze soleils, qui sont, comme nous venons de le dire, les douze Âdityas ; en Chine, on trouve également larbre à douze soleils, en relation avec les douze signes du Zodiaque ou avec les douze mois de lannée comme les Âdityas, et quelquefois aussi à dix, nombre de la perfection cyclique comme dans la doctrine pythagoricienne ([153]). Dune façon générale, les différents soleils correspondent à différentes phases dun cycle ([154]) ; ils sortent de lunité au commencement de celui-ci et y rentrent à la fin, qui coïncide avec le commencement dun autre cycle, en raison de la continuité de tous les modes de lExistence universelle.
Chapitre X<o:p></o:p>
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Une des formes les plus remarquables de ce que nous avons appelé la croix horizontale, cest-à-dire de la croix tracée dans le plan qui représente un certain état dexistence, est la figure du swastika, qui semble bien se rattacher directement à la Tradition primordiale, car on la rencontre dans les pays les plus divers et les plus éloignés les uns des autres, et cela dès les époques les plus reculées ; loin dêtre un symbole exclusivement oriental comme on le croit parfois, il est un de ceux qui sont le plus généralement répandus, de lExtrême-Orient à lExtrême-Occident, car il existe jusque chez certains peuples indigènes de lAmérique (
[155]). Il est vrai que, à lépoque actuelle, il sest conservé surtout dans lInde et dans lAsie centrale et orientale, et quil ny a peut-être que dans ces régions que lon sache encore ce quil signifie ; mais pourtant, en Europe même, il na pas entièrement disparu ([156]). Dans lantiquité, nous trouvons ce signe, en particulier, chez les Celtes et dans la Grèce préhellénique ([157]) ; et, en Occident encore, il fut anciennement un des emblèmes du Christ, et il demeura même en usage comme tel jusque vers la fin du moyen âge ([158]).
Nous avons dit ailleurs que le swastika est essentiellement le « signe du Pôle » ([159]) ; si nous le comparons à la figure de la croix inscrite dans la circonférence, nous pouvons nous rendre compte aisément que ce sont là, au fond, deux symboles équivalents à certains égards ; mais la rotation autour du centre fixe, au lieu dêtre représentée par le tracé de la circonférence, est seulement indiquée dans le swastika par les lignes ajoutées aux extrémités des branches de la croix et formant avec celles-ci des angles droits ; ces lignes sont des tangentes à la circonférence, qui marquent la direction du mouvement aux points correspondants. Comme la circonférence représente le monde manifesté, le fait quelle est pour ainsi dire sous-entendue indique très nettement que le swastika nest pas une figure du monde, mais bien de laction du Principe à légard du monde.
Si lon rapporte le swastika à la rotation dune sphère telle que la sphère céleste autour de son axe, il faut le supposer tracé dans le plan équatorial, et alors le point central sera, comme nous lavons déjà expliqué, la projection de laxe sur ce plan qui lui est perpendiculaire. Quant au sens de la rotation indiquée par la figure, limportance nen est que secondaire et naffecte pas la signification générale du symbole ; en fait, on trouve lune et lautre des deux formes indiquant une rotation de droite à gauche et de gauche à droite ([160]), et cela sans quil faille y voir toujours une intention détablir entre elles une opposition quelconque. Il est vrai que, dans certains pays et à certaines époques, il a pu se produire, par rapport à la tradition orthodoxe, des schismes dont les partisans ont volontairement donné à la figure une orientation contraire à celle qui était en usage dans le milieu dont ils se séparaient, pour affirmer leur antagonisme par une manifestation extérieure, mais cela ne touche en rien à la signification essentielle, qui demeure la même dans tous les cas. Dailleurs, on trouve parfois les deux formes associées ; on peut alors les regarder comme représentant une même rotation vue de lun et de lautre des deux pôles ; ceci se rattache au symbolisme très complexe des deux hémisphères, quil ne nous est pas possible daborder ici ([161]).
Nous ne pouvons non plus songer à développer toutes les considérations auxquelles peut donner lieu le symbolisme du swastika, et qui, dailleurs, ne se rattachent pas directement au sujet propre de la présente étude ; mais il ne nous était pas possible, en raison de son importance considérable au point de vue traditionnel, de passer entièrement sous silence cette forme spéciale de la croix ; nous avons donc cru nécessaire de donner tout au moins, en ce qui le concerne, ces indications quelque peu sommaires, mais nous nous en tiendrons là pour ne pas nous engager dans de trop longues digressions.
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Chapitre XI<o:p></o:p>
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Jusquici, nous navons fait quexaminer les divers aspects du symbolisme de la croix, en montrant leur rattachement à la signification métaphysique que nous avons indiquée en premier lieu. Ces considérations, qui ne sont en quelque sorte que préliminaires, étant terminées, cest cette signification métaphysique que nous devons maintenant nous attacher à développer, en poussant aussi loin que possible létude du symbolisme géométrique par lequel sont représentés à la fois, soit les degrés de lExistence universelle, soit les états de chaque être, suivant les deux points de vue que nous avons appelés « macrocosmique » et « microcosmique ».
Rappelons tout dabord que, lorsquon envisage lêtre dans son état individuel humain, il faut avoir le plus grand soin de remarquer que lindividualité corporelle nest en réalité quune portion restreinte, une simple modalité de cette individualité humaine, et que celle-ci, dans son intégralité, est susceptible dun développement indéfini, se manifestant dans des modalités dont la multiplicité est également indéfinie, mais dont lensemble ne constitue cependant quun état particulier de lêtre, situé tout entier à un seul et même degré de lExistence universelle. Dans le cas de létat individuel humain, la modalité corporelle correspond au domaine de la manifestation grossière ou sensible, tandis que les autres modalités appartiennent au domaine de la manifestation subtile, ainsi que nous lavons déjà expliqué ailleurs ([162]). Chaque modalité est déterminée par un ensemble de conditions qui en délimitent les possibilités, et dont chacune, considérée isolément des autres, peut dailleurs sétendre au delà du domaine de cette modalité, et se combiner alors avec des conditions différentes pour constituer les domaines dautres modalités, faisant partie de la même individualité intégrale ([163]). Ainsi, ce qui détermine une certaine modalité, ce nest pas précisément une condition spéciale dexistence, mais plutôt une combinaison ou une association de plusieurs conditions ; pour nous expliquer plus complètement sur ce point, il nous faudrait prendre un exemple tel que celui des conditions de lexistence corporelle, dont lexposition détaillée nécessiterait, comme nous lindiquions plus haut, toute une étude à part ([164]).
Chacun des domaines dont nous venons de parler, comme contenant une modalité dun certain individu, peut dailleurs, si on lenvisage en général et seulement par rapport aux conditions quil implique, contenir des modalités similaires appartenant à une indéfinité dautres individus, dont chacun, de son côté, est un état de manifestation dun des êtres de lUnivers : ce sont là des états et des modalités qui se correspondent dans tous ces êtres. Lensemble des domaines contenant toutes les modalités dune même individualité, domaines qui, comme nous lavons dit, sont en multitude indéfinie, et dont chacun est encore indéfini en extension, cet ensemble, disons-nous, constitue un degré de lExistence universelle, lequel, dans son intégralité, contient une indéfinité dindividus. Il est bien entendu que nous supposons, en tout ceci, un degré de lExistence qui comporte un état individuel, dès lors que nous avons pris pour type létat humain ; mais tout ce qui se rapporte aux modalités multiples est également vrai dans un état quelconque, individuel ou non-individuel, car la condition individuelle ne peut apporter que des limitations restrictives, sans toutefois que les possibilités quelle inclut perdent pour cela leur indéfinité ([165]).
Nous pouvons, daprès ce que nous avons déjà dit, représenter un degré de lExistence par un plan horizontal, sétendant indéfiniment suivant deux dimensions, qui correspondent aux deux indéfinités que nous avons ici à considérer : dune part, celle des individus, que lon peut représenter par lensemble des droites du plan parallèles à lune des dimensions, définie, si lon veut, par lintersection de ce plan horizontal avec un plan de front ([166]) ; et, dautre part, celle des domaines particuliers aux différentes modalités des individus, qui sera alors représentée par lensemble des droites du plan horizontal perpendiculaires à la direction précédente, cest-à-dire parallèles à laxe visuel ou antéro-postérieur, dont la direction définit lautre dimension ([167]). Chacune de ces deux catégories comprend une indéfinité de droites parallèles entre elles, et toutes indéfinies en longueur ; chaque point du plan sera déterminé par lintersection de deux droites appartenant respectivement à ces deux catégories, et représentera, par conséquent, une modalité particulière dun des individus compris dans le degré considéré.
Chacun des degrés de lExistence universelle, qui en comporte une indéfinité, pourra être représenté de même, dans une étendue à trois dimensions, par un plan horizontal. Nous venons de voir que la section dun tel plan par un plan de front représente un individu, ou plutôt, pour parler dun façon plus générale et susceptible de sappliquer indistinctement à tous les degrés, un certain état dun être, état qui peut être individuel ou non-individuel, suivant les conditions du degré de lExistence auquel il appartient. Nous pouvons donc maintenant regarder un plan de front comme représentant un être dans sa totalité ; cet être comprend une multitude indéfinie détats, qui sont alors figurés par toutes les droites horizontales de ce plan, dont les verticales, dautre part, sont formées par les ensembles de modalités qui se correspondent respectivement dans tous ces états. Dailleurs, il y a dans létendue à trois dimensions une indéfinité de tels plans, représentant lindéfinité des êtres contenus dans lUnivers total.
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Chapitre XII<o:p></o:p>
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Dans la représentation géométrique à trois dimensions que nous venons dexposer, chaque modalité dun état dêtre quelconque nest indiquée que par un point ; une telle modalité est cependant susceptible, elle aussi, de se développer dans le parcours dun cycle de manifestation comportant une indéfinité de modifications secondaires. Ainsi, pour la modalité corporelle de lindividualité humaine, par exemple, ces modifications seront tous les moments de son existence (envisagée naturellement sous laspect de la succession temporelle, qui est une des conditions auxquelles cette modalité est soumise), ou, ce qui revient au même, tous les actes et tous les gestes, quels quils soient, quelle accomplira au cours de cette existence (
[168]). Pour pouvoir faire entrer toutes ces modifications dans notre représentation, il faudrait figurer la modalité considérée, non plus seulement par un point, mais par une droite entière, dont chaque point serait alors une des modifications secondaires dont il sagit, et cela en ayant bien soin de remarquer que cette droite, quoique indéfinie, nen est pas moins limitée, comme lest dailleurs tout indéfini, et même, si lon peut sexprimer ainsi, toute puissance de lindéfini ([169]). Lindéfinité simple étant représentée par la ligne droite, la double indéfinité, ou lindéfini à la seconde puissance, le sera par le plan, et la triple indéfinité, ou lindéfini à la troisième puissance, par létendue à trois dimensions. Si donc chaque modalité, envisagée comme une indéfinité simple, est figurée par une droite, un état dêtre, comportant une indéfinité de telles modalités, cest-à-dire une double indéfinité, sera maintenant figuré, dans son intégralité, par un plan horizontal, et un être, dans sa totalité, le sera, avec lindéfinité de ses états, par une étendue à trois dimensions. Cette nouvelle représentation est ainsi plus complète que la première, mais il est évident que nous ne pouvons, à moins de sortir de létendue à trois dimensions, y considérer quun seul être, et non plus, comme précédemment, lensemble de tous les êtres de lUnivers, puisque la considération de cet ensemble nous forcerait à introduire ici encore une autre indéfinité, qui serait alors du quatrième ordre, et qui ne pourrait être figurée géométriquement quen supposant une quatrième dimension supplémentaire ajoutée à létendue ([170]).
Dans cette nouvelle représentation, nous voyons tout dabord que par chaque point de létendue considérée passent trois droites respectivement parallèles aux trois dimensions de cette étendue ; chaque point pourrait donc être pris comme sommet dun trièdre trirectangle, constituant un système de coordonnées auquel toute létendue serait rapportée, et dont les trois axes formeraient une croix à trois dimensions. Supposons que laxe vertical de ce système soit déterminé ; il rencontrera chaque plan horizontal en un point, qui sera lorigine des coordonnées rectangulaires auxquelles ce plan sera rapporté, coordonnées dont les deux axes formeront une croix à deux dimensions. On peut dire que ce point est le centre du plan, et que laxe vertical est le lieu des centres de tous le plans horizontaux ; toute verticale, cest-à-dire toute parallèle à cet axe, contient aussi des points qui se correspondent dans ces mêmes plans. Si, outre laxe vertical, on détermine un plan horizontal particulier pour former la base du système de coordonnées, le trièdre trirectangle dont nous venons de parler sera entièrement déterminé aussi par là même. Il y aura une croix à deux dimensions, tracée par deux des trois axes, dans chacun des trois plans de coordonnées, dont lun est le plan horizontal considéré, et dont les deux autres sont deux plans orthogonaux passant chacun par laxe vertical et par un des deux axes horizontaux ; et ces trois croix auront pour centre commun le sommet du trièdre, qui est le centre de la croix à trois dimensions, et que lon peut considérer aussi comme le centre de toute létendue. Chaque point pourrait être centre, et on peut dire quil lest en puissance ; mais, en fait, il faut quun point particulier soit déterminé, et nous dirons comment par la suite, pour quon puisse effectivement tracer la croix, cest-à-dire mesurer létendue tout entière, ou, analogiquement, réaliser la compréhension totale de lêtre.
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Chapitre XIII<o:p></o:p>
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Dans notre seconde représentation à trois dimensions, où nous avons considéré seulement un être dans sa totalité, la direction horizontale suivant laquelle se développent les modalités de tous les états de cet être implique, ainsi que les plans verticaux qui lui sont parallèles, une idée de succession logique, tandis que les plans verticaux qui lui sont perpendiculaires correspondent, corrélativement, à lidée de simultanéité logique (
[171]). Si lon projette toute létendue sur celui des trois plans de coordonnées qui est dans ce dernier cas, chaque modalité de chaque état dêtre se projettera suivant un point dune droite horizontale, dont lensemble sera la projection de lintégralité dun certain état dêtre, et, en particulier, létat dont le centre coïncide avec celui de lêtre total sera figuré par laxe horizontal situé dans le plan sur lequel se fait la projection. Nous sommes ainsi ramené à notre première représentation, celle où lêtre est situé tout entier dans un plan vertical ; un plan horizontal pourra alors de nouveau être un degré de lExistence universelle, et létablissement de cette correspondance entre les deux représentations, en nous permettant de passer facilement de lune à lautre, nous dispense de sortir de létendue à trois dimensions.
Chaque plan horizontal, quand il représente un degré de lExistence universelle, comprend tout le développement dune possibilité particulière, dont la manifestation constitue, dans son ensemble, ce quon peut appeler un « macrocosme », cest-à-dire un monde, tandis que, dans lautre représentation, qui ne se rapporte quà un seul être, il est seulement le développement de la même possibilité dans cet être, ce qui constitue un état de celui-ci, individualité intégrale ou état normal individuel, que lon peut, dans tous les cas, appeler analogiquement un « microcosme ». Dailleurs, il importe de remarquer que le « macrocosme » lui-même, comme le « microcosme », nest, lorsquon lenvisage isolément, quun des éléments de lUnivers, comme chaque possibilité particulière nest quun élément de la Possibilité totale.
Celle des deux représentations qui se rapporte à lUnivers peut être appelée, pour simplifier le langage, la représentation « macrocosmique », et celle qui se rapporte à un être, la représentation « microcosmique ». Nous avons vu comment, dans cette dernière, est tracée la croix à trois dimensions ; il en sera de même dans la représentation « macrocosmique », si lon y détermine les éléments correspondants, cest-à-dire un axe vertical, qui sera laxe de lUnivers, et un plan horizontal, quon pourra désigner, par analogie, comme son équateur ; et nous devons encore faire remarquer que chaque « macrocosme » a ici son centre sur laxe vertical, comme lavait chaque « microcosme » dans lautre représentation.
On voit, par ce qui vient dêtre exposé, lanalogie qui existe entre le « macrocosme » et le « microcosme », chaque partie de lUnivers étant analogue aux autres parties, et ses propres parties lui étant analogues aussi, parce que toutes sont analogues à lUnivers total, ainsi que nous lavons déjà dit précédemment. Il en résulte que, si nous considérons le « macrocosme », chacun des domaines définis quil comprend lui est analogue ; de même, si nous considérons le « microcosme », chacune de ses modalités lui est aussi analogue. Cest ainsi que, en particulier, la modalité corporelle de lindividualité humaine peut être prise pour symboliser, dans ses diverses parties, cette même individualité envisagée intégralement ([172]) ; mais nous nous contenterons de signaler ce point en passant, car nous pensons quil serait peu utile de nous étendre ici sur les considérations de ce genre, qui nont à notre point de vue quune importance tout à fait secondaire, et qui, dailleurs, sous la forme où elles sont présentées le plus habituellement, ne répondent quà une vue assez sommaire et plutôt superficielle de la constitution de lêtre humain ([173]). En tout cas, lorsquon veut entrer dans de semblables considérations, et alors même quon se contente détablir des divisions très générales dans lindividualité, on ne devrait jamais oublier que celle-ci comporte en réalité une multitude indéfinie de modalités coexistantes, de même que lorganisme corporel lui-même se compose dune multitude indéfinie de cellules, dont chacune aussi à son existence propre.
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Chapitre XIV<o:p></o:p>
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Il est un symbolisme qui se rapporte directement à ce que nous venons dexposer, bien quil en soit fait parfois une application qui peut, à première vue, sembler sen écarter quelque peu : dans les doctrines orientales, les livres traditionnels sont fréquemment désignés par des termes qui, dans leur sens littéral, se rapportent au tissage. Ainsi, en sanscrit, sûtra signifie proprement « fil » (
[174]) : un livre peut être formé par un ensemble de sûtras, comme un tissu est formé par un assemblage de fils ; tantra a aussi le sens de « fil » et celle de « tissu », et désigne plus spécialement la « chaîne » dun tissu ([175]). De même, en chinois, king est la « chaîne » dun étoffe, et wei est sa « trame » ; le premier de ces deux mots désigne en même temps un livre fondamental, et le second désigne ses commentaires ([176]). Cette distinction de la « chaîne » et de la « trame » dans lensemble des écritures traditionnelles correspond, suivant la terminologie hindoue, à celle de Shruti, qui est le fruit de linspiration directe, et de la Smriti, qui est le produit de la réflexion sexerçant sur les données de la Shruti ([177]).
Pour bien comprendre la signification de ce symbolisme, il faut remarquer tout dabord que la chaîne, formée de fils tendus sur le métier, représente lélément immuable et principiel, tandis que les fils de la trame, passant entre ceux de la chaîne par le va-et-vient de la navette, représentent lélément variable et contingent, cest-à-dire les applications du principe à telles ou telles conditions particulières. Dautre part, si lon considère un fil de la chaîne et un fil de la trame, on saperçoit immédiatement que leur réunion forme la croix, dont ils sont respectivement la ligne verticale et la ligne horizontale ; et tout point du tissu, étant ainsi le point de rencontre de deux fils perpendiculaires entre eux, est par là même le centre dune telle croix. Or, suivant ce que nous avons vu quant au symbolisme général de la croix, la ligne verticale représente ce qui unit entre eux tous les états dun être ou tous les degrés de lExistence, en reliant leurs points correspondants, tandis que la ligne horizontale représente le développement dun de ces états ou de ces degrés. Si lon rapporte ceci à ce que nous indiquions tout à lheure, on peut dire, comme nous lavons fait précédemment, que le sens horizontal figurera par exemple létat humain, et le sens vertical ce qui est transcendant par rapport à cet état ; ce caractère transcendant est bien celui de la Shruti, qui est essentiellement « non-humaine », tandis que la Smriti comporte les applications à lordre humain et est le produit de lexercice des facultés spécifiquement humaines.
Nous pouvons ajouter ici une autre remarque qui fera encore ressortir la concordance de divers symbolismes, plus étroitement liés entre eux quon ne pourrait le supposer tout dabord : nous voulons parler de laspect sous lequel la croix symbolise lunion des complémentaires. Nous avons vu que, sous cet aspect, la ligne verticale représente le principe actif ou masculin (Purusha), et la ligne horizontale le principe passif ou féminin (Prakriti), toute manifestation étant produite par linfluence « non-agissante » du premier sur le second. Or, dun autre côté, la Shruti est assimilée à la lumière directe, figurée par le soleil, et la Smriti à la lumière réfléchie ([178]), figurée par la lune ; mais, en même temps, le soleil et la lune, dans presque toutes les traditions, symbolisent aussi respectivement le principe masculin et le principe féminin de la manifestation universelle.
Le symbolisme du tissage nest pas appliqué seulement aux écritures traditionnelles ; il est employé aussi pour représenter le monde, ou plus exactement lensemble de tous les mondes, cest-à-dire des états ou des degrés, en multitude indéfinie, qui constituent lExistence universelle. Ainsi, dans les Upanishads, le Suprême Brahma est désigné comme « Ce sur quoi les mondes sont tissés, comme chaîne et trame », ou par dautres formules similaires ([179]) ; la chaîne et la trame ont naturellement, ici encore, les mêmes significations respectives que nous venons de définir. Dautre part, daprès la doctrine taoïste, tous les êtres sont soumis à lalternance continuelle des deux états de vie et de mort (condensation et dissipation, vicissitudes du yang et du yin) ([180]) ; et les commentateurs appellent cette alternance « le va-et-vient de la navette sur le métier à tisser cosmique » ([181]).
Dailleurs, en réalité, il y a dautant plus de rapport entre ces deux applications dun même symbolisme que lUnivers lui-même, dans certaines traditions, est parfois symbolisé par un livre : nous rappellerons seulement, à ce propos, le Liber Mundi des Rose-Croix, et aussi le symbole bien connu du Liber Vitæ apocalyptique ([182]). À ce point de vue encore, les fils de la chaîne, par lesquels sont reliés les points correspondants dans tous les états, constituent le Livre sacré par excellence, qui est le prototype (ou plutôt larchétype) de toutes les écritures traditionnelles, et dont celles-ci ne sont que des expressions en langage humain ([183]) ; les fils de la trame, dont chacun est le déroulement des événements dans un certain état, en constituent le commentaire, en ce sens quils donnent les applications relatives aux différents états ; tous les événements, envisagés dans la simultanéité de l« intemporel », sont ainsi inscrits dans ce Livre, dont chacun est pour ainsi dire un caractère, sidentifiant dautre part à un point du tissu. Sur ce symbolisme du livre, nous citerons aussi un résumé de lenseignement de Mohyiddin ibn Arabi : « LUnivers est un immense livre ; les caractères de ce livre sont tous écrits, en principe, de la même encre et transcrits à la Table éternelle, par la plume divine ; tous sont transcrits simultanément et indivisibles ; cest pourquoi les phénomènes essentiels divins cachés dans le « secret des secrets » prirent le nom de « lettres transcendantes ». Et ces mêmes lettres transcendantes, cest-à-dire toutes les créatures, après avoir été condensées virtuellement dans lomniscience divine, sont, par le souffle divin, descendues aux lignes inférieures, et ont composé et formé lUnivers manifesté » ([184]).
Une autre forme du symbolisme du tissage, qui se rencontre aussi dans la tradition hindoue, est limage de laraignée tissant sa toile, image qui est dautant plus exacte que laraignée forme cette toile de sa propre substance ([185]). En raison de la forme circulaire de la toile, qui est dailleurs le schéma plan du sphéroïde cosmogonique, cest-à-dire de la sphère non fermée à laquelle nous avons déjà fait allusion, la chaîne est représentée ici par les fils rayonnant autour du centre, et la trame par les fils disposés en circonférence concentriques ([186]). Pour revenir de là à la figure ordinaire du tissage, il ny a quà considérer le centre comme indéfiniment éloigné, de telle sorte que les rayons deviennent parallèles, suivant la direction verticale, tandis que les circonférences concentriques deviennent des droites perpendiculaires à ces rayons, cest-à-dire horizontales.
En résumé, on peut dire que la chaîne, ce sont les principes qui relient entre eux tous les mondes ou tous les états, chacun de ses fils reliant des points correspondants dans ces différents états, et que la trame, ce sont les ensembles dévénements qui se produisent dans chacun des mondes, de sorte que chaque fil de cette trame est, comme nous lavons déjà dit, le déroulement des événements dans un monde déterminé. À un autre point de vue, on peut dire encore que la manifestation dun être dans un certain état dexistence est, comme tout événement quel quil soit, déterminée par la rencontre dun fil de la chaîne avec un fil de la trame. Chaque fil de la chaîne est alors un être envisagé dans sa nature essentielle, qui, en tant que projection directe du « Soi » principiel, fait le lien de tous ses états, maintenant son unité propre à travers leur indéfinie multiplicité. Dans ce cas, le fil de la trame que ce fil de la chaîne rencontre en un certain point correspond à un état défini dexistence, et leur intersection détermine les relations de cet être, quant à sa manifestation dans cet état, avec le milieu cosmique dans lequel il se situe sous ce rapport. La nature individuelle dun être humain, par exemple, est la résultante de la rencontre de ces deux fils ; en dautres termes, il y aura toujours lieu dy distinguer deux sortes déléments, qui devront être rapportés respectivement au sens vertical et au sens horizontal : les premiers expriment ce qui appartient en propre à lêtre considéré, tandis que les seconds proviennent des conditions du milieu.
Ajoutons que les fils dont est formé le « tissu du monde » sont encore désignés, dans un autre symbolisme équivalent, comme les « cheveux de Shiva » ([187]) ; on pourrait dire que ce sont en quelque sorte les « lignes de force » de lUnivers manifesté, et que les directions de lespace sont leur représentation dans lordre corporel. On voit sans peine de combien dapplications diverses toutes ces considérations sont susceptibles ; mais nous navons voulu ici quindiquer la signification essentielle de ce symbolisme du tissage, qui est, semble -il, fort peu connu en Occident ([188]).
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Chapitre XV<o:p></o:p>
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Représentation de la continuité des différentes modalités<o:p></o:p>
dun même état dêtre<o:p></o:p>
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Si nous considérons un état dêtre, figuré par un plan horizontal de la représentation « microcosmique » que nous avons décrite, il nous reste maintenant à dire dune façon plus précise à quoi correspond le centre de ce plan, ainsi que laxe vertical qui passe par ce centre. Mais, pour en arriver là, il nous faudra avoir encore recours à une autre représentation géométrique, un peu différente de la précédente, et dans laquelle nous ferons intervenir, non plus seulement, comme nous lavons fait jusquici, le parallélisme ou la correspondance, mais encore la continuité de toutes les modalités de chaque état dêtre entre elles, et aussi de tous les états entre eux, dans la constitution de lêtre total.
Pour cela, nous sommes naturellement amené à faire subir à notre figuration un changement qui correspond à ce quest, en géométrie analytique, le passage dun système de coordonnées rectilignes à un système de coordonnées polaires. En effet, au lieu de représenter les différentes modalités dun même état par des droites parallèles, comme nous lavions fait précédemment, nous pouvons les représenter par des circonférences concentriques tracées dans le même plan horizontal, et ayant pour centre commun le centre même de ce plan, cest-à-dire, selon ce que nous avons expliqué plus haut, son point de rencontre avec laxe vertical.
De cette façon, on voit bien que chaque modalité est finie, limitée, puisquelle est figurée par une circonférence, qui est une courbe fermée, ou tout au moins une ligne dont les extrémités nous sont connues et comme données ([189]) ; mais, dautre part, cette circonférence comprend une multitude indéfinie de points ([190]), représentant lindéfinité des modifications secondaires que comporte la modalité considérée, quelle quelle soit ([191]). De plus les circonférences concentriques doivent ne laisser entre elles aucun intervalle, si ce nest la distance infinitésimale de deux points immédiatement voisins (nous reviendrons un peu plus loin sur cette question), de sorte que leur ensemble comprenne tous les points du plan, ce qui suppose quil y a continuité entre toutes ces circonférences. Or, pour quil y ait vraiment continuité, il faut que la fin de chaque circonférence coïncide avec le commencement de la circonférence suivante (et non avec celui de la même circonférence) ; et, pour que ceci soit possible sans que les deux circonférences successives soient confondues, il faut que ces circonférences, ou plutôt les courbes que nous avons considérées comme telles, soient en réalité des courbes non fermées.
Dailleurs, nous pouvons aller plus loin dans ce sens : il est matériellement impossible de tracer dune façon effective une ligne qui soit vraiment une courbe fermée ; pour le prouver, il suffit de remarquer que, dans lespace où est situé notre modalité corporelle, tout est constamment en mouvement (par leffet de la combinaison des conditions spatiale et temporelle, dont le mouvement est en quelque sorte une résultante), de telle façon que, si nous voulons tracer une circonférence, et si nous commençons ce tracé en un certain point de lespace, nous nous trouverons forcément en un autre point lorsque nous lachèverons, et nous ne repasserons jamais par le point de départ. De même, la courbe qui symbolise le parcours dun cycle évolutif quelconque ([192]) ne devra jamais passer deux fois par un même point, ce qui revient à dire quelle ne doit pas être une courbe fermée (ni une courbe contenant des « points multiples »). Cette représentation montre quil ne peut pas y avoir deux possibilités identiques dans lUnivers, ce qui reviendrait dailleurs à une limitation de la Possibilité totale, limitation impossible, puisque, devant comprendre la Possibilité, elle ne pourrait y être comprise. Aussi toute limitation de la Possibilité universelle est-elle, au sens propre et rigoureux du mot, une impossibilité ; et cest par là que tous les systèmes philosophiques, en tant que systèmes, postulant explicitement ou implicitement de telles limitations, sont condamnés à une égale impuissance du point de vue métaphysique ([193]). Pour en revenir aux possibilités identiques ou supposées telles, nous ferons encore remarquer, pour plus de précision, que deux possibilités qui seraient véritablement identiques ne différeraient par aucune de leurs conditions de réalisation ; mais, si toutes les conditions sont les mêmes, cest aussi la même possibilité, et non pas deux possibilités distinctes, puisquil y a alors coïncidence sous tous les rapports ([194]) ; et ce raisonnement peut sappliquer rigoureusement à tous les points de notre représentation, chacun de ces points figurant une modification particulière qui réalise une certaine possibilité déterminée ([195]).
Le commencement et la fin de lune quelconque des circonférences que nous avons à considérer ne sont donc pas le même point, mais deux points consécutifs dun même rayon, et, en réalité, on ne peut même pas dire quils appartiennent à la même circonférence : lun appartient encore à la circonférence précédente, dont il est la fin, et lautre appartient déjà à la circonférence suivante, dont il est le commencement. Les termes extrêmes dune série indéfinie peuvent être regardés comme situés en dehors de cette série, par là même quils établissent sa continuité avec dautres séries : et tout ceci peut sappliquer, en particulier, à la naissance et à la mort de la modalité corporelle de lindividualité humaine. Ainsi, les deux modifications extrêmes de chaque modalité ne coïncident pas, mais il y a simplement correspondance entre elles dans lensemble de létat dêtre dont cette modalité fait partie, cette correspondance étant indiquée par la situation de leurs points représentatifs sur un même rayon issu du centre du plan. Par suite, le même rayon contiendra les modifications extrêmes de toutes les modalités de létat considéré, modalités qui ne doivent dailleurs pas être regardées comme successives à proprement parler (car elles peuvent tout aussi bien être simultanées), mais seulement comme senchaînant logiquement. Les courbes qui figurent ces modalités, au lieu dêtre des circonférences comme nous lavions supposé tout dabord, sont des spires successives dune spirale indéfinie tracée dans le plan horizontal et se développant à partir de son centre ; et cette courbe va en samplifiant dune façon continue dune spire à lautre, le rayon variant alors dune quantité infinitésimale, qui est la distance de deux points consécutifs de ce rayon. Cette distance peut être supposée aussi petite quon le veut, suivant la définition même des quantités infinitésimales, qui sont des quantités susceptibles de décroître indéfiniment ; mais elle ne peut jamais être considérée comme nulle, puisque les deux points consécutifs ne sont pas confondus ; si elle pouvait devenir nulle, il ny aurait plus quun seul et même point.
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Chapitre XVI<o:p></o:p>
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La question que soulève la dernière remarque que nous venons de faire mérite que nous nous y arrêtions quelque peu, sans toutefois traiter ici les considérations relatives à létendue avec tous les développements que comporterait ce sujet, qui rentre proprement dans létude des conditions de lexistence corporelle. Ce que nous voulons signaler surtout, cest que la distance de deux points immédiatement voisins, que nous avons été amené à envisager en raison de lintroduction de la continuité dans la représentation géométrique de lêtre, peut être regardée comme la limite de létendue dans le sens des quantités indéfiniment décroissantes ; en dautres termes, elle est la plus petite étendue possible, ce après quoi il ny a plus détendue, cest-à-dire plus de condition spatiale, et on ne pourrait la supprimer sans sortir du domaine dexistence qui est soumis à cette condition. Donc, lorsquon divise létendue indéfiniment (
[196]), et lorsquon pousse cette division aussi loin quil est possible, cest-à-dire jusquaux limites de la possibilité spatiale par laquelle la divisibilité est conditionnée (et qui est dailleurs indéfinie dans le sens décroissant comme dans le sens croissant), ce nest pas au point quon aboutit comme résultat ultime, mais bien à la distance élémentaire entre deux points. Il résulte de là que, pour quil y ait étendue ou condition spatiale, il faut quil y ait déjà deux points, et létendue (à une dimension) qui est réalisée par leur présence simultanée, et qui est précisément leur distance, constitue un troisième élément qui exprime la relation existant entre ces deux points, les unissant et les séparant à la foi. Dailleurs, cette distance, en tant quon la considère comme une relation, nest évidemment pas composée de parties, car ces parties en lesquelles elle pourrait être résolue, si elle le pouvait, ne seraient que dautres relations de distance, dont elle est logiquement indépendante, comme, au point de vue numérique, lunité est indépendante des fractions ([197]). Ceci est vrai pour une distance quelconque, lorsquon ne lenvisage que par rapport aux deux points qui sont ses extrémités, et lest a fortiori pour une distance infinitésimale, qui nest nullement une quantité définie, mais qui exprime seulement une relation spatiale entre deux points immédiatement voisins, tels que deux points consécutifs dune ligne quelconque. Dautre part, les points eux-mêmes, considérés comme extrémités dune distance, ne sont pas des parties du continu spatial, bien que la relation de distance suppose quils sont envisagés comme situés dans lespace ; cest donc, en réalité, la distance qui est le véritable élément spatial.
Par conséquent, on ne peut pas dire, en toute rigueur, que la ligne soit formée de points, et cela se comprend aisément, car, chacun des points étant sans étendue, leur simple addition, même sils sont en multitude indéfinie, ne peut jamais former une étendue ; 1a ligne est en réalité constituée par les distances élémentaires entre ses points consécutifs. De la même façon, et pour une raison semblable, si nous considérons dans un plan une indéfinité de droites parallèles, nous ne pouvons pas dire que le plan est constitué par la réunion de toutes ces droites, ou que celles-ci sont les véritables éléments constitutifs du plan ; les véritables éléments sont les distances de ces droites, distances par lesquelles elles sont des droites distinctes et non confondues, et, si les droites forment le plan en un certain sens, ce nest pas par elle mêmes, mais bien par leurs distances, comme il en est pour les points par rapport à chaque droite. De même encore, létendue à trois dimensions nest pas composée dune indéfinité de plans parallèles, mais des distances entre tous ces plans.
Cependant, lélément primordial, celui qui existe par lui-même, cest le point, puisquil est présupposé par la distance et que celle-ci nest quune relation ; létendue elle-même présuppose donc le point. On peut dire que celui-ci contient en soi une virtualité détendue, quil ne peut développer quen se dédoublant dabord, pour se poser en quelque façon en face de lui-même, puis en se multipliant (ou mieux en se sous-multipliant) indéfiniment, de telle sorte que létendue manifestée procède tout entière de sa différenciation, ou, pour parler plus exactement, de lui-même en tant quil se différencie. Cette différenciation na dailleurs de réalité quau point de vue de la manifestation spatiale ; elle est illusoire au regard du point principiel lui-même, qui ne cesse pas par là dêtre en soi tel quil était, et dont lunité essentielle ne saurait en être aucunement affectée ([198]). Le point, considéré en soi, nest aucunement soumis à la condition spatiale, puisque, au contraire, il en est le principe : cest lui qui réalise lespace, qui produit létendue par son acte, lequel, dans la condition temporelle (mais dans celle-là seulement), se traduit par le mouvement ; mais, pour réaliser ainsi lespace, il faut que, par quelquune de ses modalités, il se situe lui-même dans cet espace, qui dailleurs nest rien sans lui, et quil remplira tout entier du déploiement de ses propres virtualités ([199]). Il peut, successivement dans la condition temporelle, ou simultanément hors de cette condition (ce qui, disons-le en passant, nous ferait sortir de lespace ordinaire à trois dimensions) ([200]), sidentifier, pour les réaliser, à tous les points potentiels de cette étendue, celle-ci étant alors envisagée seulement comme une pure puissance dêtre, qui nest autre que la virtualité totale du point conçue sous son aspect passif, ou comme potentialité, le lieu ou le contenant de toutes les manifestations de son activité, contenant qui actuellement nest rien, si ce nest par leffectuation de son contenu possible ([201]).
Le point primordial, étant sans dimensions, est aussi sans forme ; il nest donc pas de lordre des existences individuelles ; il ne sindividualise en quelque façon que lorsquil se situe dans lespace, et cela non pas en lui-même, mais seulement par quelquune de ses modalités, de sorte que, à vrai dire, ce sont celles-ci qui sont proprement individualisées, et non le point principiel. Dailleurs, pour quil y ait forme, il faut quil y ait déjà différenciation, donc multiplicité réalisée dans une certaine mesure, ce qui nest possible que quand le point soppose à lui-même, si lon peut ainsi parler, par deux ou plusieurs de ses modalités de manifestation spatiale ; et cette opposition est ce qui, au fond, constitue la distance, dont la réalisation est la première effectuation de lespace, qui nest sans elle, comme nous venons de le dire, quune pure puissance de réceptivité. Remarquons encore que la distance nexiste dabord que virtuellement ou implicitement dans la forme sphérique dont nous avons parlé plus haut, et qui est celle qui correspond au minimum de différenciation, étant « isotrope » par rapport au point central, sans rien qui distingue une direction particulière par rapport à toutes les autres ; le rayon, qui est ici lexpression de la distance (prise du centre à la périphérie), nest pas tracé effectivement et ne fait pas partie intégrante de la figure sphérique. La réalisation effective de la distance ne se trouve exploitée que dans la ligne droite, et en tant quélément initial et fondamental de celle-ci, comme résultant de la spécification dune certaine direction déterminée ; dès lors, lespace ne peut plus être regardé comme « isotrope », et, à ce point de vue, doit être rapportée à deux pôles symétriques (les deux points entre lesquels il y a distance), au lieu de lêtre à un centre unique.
Le point qui réalise toute létendue, comme nous venons de lindiquer, sen fait le centre, en la mesurant selon toutes les dimensions, par lextension indéfinie des branches de la croix dans les six directions, ou vers les six points cardinaux de cette étendue. Cest l« Homme Universel », symbolisé par cette croix, mais non lhomme individuel (celui-ci, en tant que tel, ne pouvant rien atteindre qui soit en dehors de son propre état dêtre), qui est véritablement la « mesure de toutes choses », pour employer lexpression de Protagoras que nous avons déjà rappelée ailleurs ([202]), mais, bien entendu, sans attribuer au sophiste grec lui-même la moindre compréhension de cette interprétation métaphysique ([203]).
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Chapitre XVII<o:p></o:p>
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Nous pouvons encore préciser la signification du dédoublement du point par polarisation, telle que nous venons de lexposer, en nous plaçant au point de vue proprement « ontologique » ; et, pour rendre la chose plus aisément compréhensible, nous pouvons envisager tout dabord lapplication du point de vue logique et même simplement grammatical. En effet, nous avons ici trois éléments, les deux points et leur distance, et il est facile de se rendre compte que ces trois éléments correspondent très exactement à ceux dune proposition : les deux points représentent les deux termes de celle-ci, et leur distance, exprimant la relation qui existe entre eux, joue le rôle de la « copule », cest-à-dire de lélément qui relie les deux termes lun à lautre. Si nous considérons la proposition sous sa forme la plus habituelle et en même temps la plus générale, celle de la proposition attributive, dans laquelle la « copule » est le verbe « être » (
[204]), nous voyons quelle exprime une identité, au moins sous un certain rapport, entre le sujet et lattribut ; et ceci correspond au fait que les deux points ne sont en réalité que le dédoublement dun seul et même point, se posant pour ainsi dire en face de lui-même comme nous lavons expliqué.
Dautre part, on peut aussi envisager le rapport entre ces deux termes comme étant un rapport de connaissance : dans ce cas, lêtre, se posant pour ainsi dire en face de lui-même pour se connaître, se dédouble en sujet et objet ; mais, ici encore, ces deux ne sont quun en réalité. Ceci peut être étendu à toute connaissance vraie, qui implique essentiellement une identification du sujet et de lobjet, ce quon peut exprimer en disant que, sous le rapport et dans la mesure où il y a connaissance, lêtre connaissant est lêtre connu ; on voit dès lors que ce point de vue se rattache directement au précédent, car on peut dire que lobjet connu est un attribut (cest-à-dire une modalité) du sujet connaissant.
Si maintenant nous considérons lÊtre universel, qui est représenté par le point principiel dans son indivisible unité, dont tous les êtres, en tant que manifestés dans lExistence, ne sont en somme que des « participations », nous pouvons dire quil se polarise en sujet et attribut sans que son unité soit affectée ; et la proposition dont il est à la fois le sujet et lattribut prend cette forme : « LÊtre est lÊtre. » Cest lénoncé même de ce que les logiciens appellent le « principe didentité » ; mais, sous cette forme, on voit que sa portée réelle dépasse le domaine de la logique, et que cest proprement, avant tout, un principe ontologique, quelles que soient les applications quon peut en tirer dans des ordres divers. On peut dire encore que cest lexpression du rapport de lÊtre comme sujet (Ce qui est) à lÊtre comme attribut (Ce quIl est), et que, dautre part, lÊtre-sujet étant le Connaissant et lÊtre-attribut (ou objet) le Connu, ce rapport est la Connaissance elle-même ; mais, en même temps, cest le rapport didentité ; la Connaissance absolue est donc lidentité même, toute connaissance vraie, en étant une participation, implique aussi identité dans la mesure où elle est effective. Ajoutons encore que, le rapport nayant de réalité que par les deux termes quil relie, et ceux-ci nétant quun, les trois éléments (le Connaissant, le Connu et la Connaissance) ne sont véritablement quun ([205]) ; cest ce quon peut exprimer en disant que « lÊtre Se connaît Soi-même par Soi-même » ([206]).
Ce qui est remarquable, et ce qui montre bien la valeur traditionnelle de la formule que nous venons dexpliquer ainsi, cest quelle se trouve textuellement dans la Bible hébraïque, dans le récit de la manifestation de Dieu à Moïse dans le Buisson ardent ([207]) : Moïse lui demandant quel est Son Nom, Il répond : Eheieh asher Eheieh ([208]), ce quon traduit le plus habituellement par : « Je suis Celui qui suis » (ou « Ce que Je suis »), mais dont la signification la plus exacte est « LÊtre est lÊtre » ([209]). Il y a deux façons différentes denvisager la constitution de cette formule, dont la première consiste à la décomposer en trois stades successifs et graduels, suivant lordre même des trois mots dont elle est formée : Eheieh, « lÊtre » ; Eheieh asher, « lÊtre est » ; Eheieh asher Eheieh, « lÊtre est lÊtre ». En effet lÊtre étant posé, ce quon peut en dire (et il faudrait ajouter : ce quon ne peut pas ne pas en dire), cest dabord quIl est, et ensuite quIl est lÊtre ; ces affirmations nécessaires constituent essentiellement toute lontologie au sens propre de ce mot ([210]). La seconde façon denvisager la même formule, cest de poser dabord le premier Eheieh, puis le second comme le reflet du premier dans un miroir (image de la contemplation de lÊtre par Lui-même) ; en troisième lieu, la « copule » asher vient se placer entre ces deux termes comme un lien exprimant leur relation réciproque. Ceci correspond exactement à ce que nous avons exposé précédemment : le point, dabord unique, puis se dédoublant par une polarisation qui est aussi une réflexion, et la relation de distance (relation essentiellement réciproque) sétablissant entre les deux points par le fait même de leur situation lun en face de lautre ([211]).
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Chapitre XVIII<o:p></o:p>
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continuité par rotation<o:p></o:p>
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Il nous faut maintenant revenir à la représentation géométrique que nous avons exposée en dernier lieu, et dont lintroduction, comme nous lavons fait remarquer, équivaut à remplacer par des coordonnées polaires les coordonnées rectilignes et rectangulaires de notre précédente représentation « microcosmique ». Toute variation du rayon de la spirale que nous avons envisagée correspond à une variation équivalente sur laxe traversant toutes les modalités, cest-à-dire perpendiculaire à la direction suivant laquelle seffectuait le développement de chaque modalité. Quant aux variations sur laxe parallèle à cette dernière direction, elles sont remplacées par les positions différentes quoccupe le rayon en tournant autour du pôle (centre du plan ou origine des coordonnées), cest-à-dire par les variations de cet angle de rotation, mesuré à partir dune certaine position prise pour origine. Cette position initiale, qui sera la normale au départ de la spirale (cette courbe partant du centre tangentiellement à la position du rayon qui est perpendiculaire à celle-là), sera celle du rayon qui contient, comme nous lavons dit, les modifications extrêmes (commencement et fin) de toutes les modalités.
Mais, dans ces modalités, il ny a pas que le commencement et la fin qui se correspondent, et chaque modification intermédiaire ou élément quelconque dune modalité a également sa correspondance dans toutes les autres, les modifications correspondantes étant toujours représentées par des points situés sur un même rayon issu du pôle. Si lon prenait ce rayon, quel quil soit, comme normale à lorigine de la spirale, on aurait toujours la même spirale, mais la figure tout entière aurait tourné dun certain angle. Pour représenter la parfaite continuité qui existe entre toutes les modalités, et dans la correspondance de tous leurs éléments, il faudrait supposer que la figure occupe simultanément toutes les positions possibles autour du pôle, toutes ces figures similaires sinterpénétrant, puisque chacune delles, dans lensemble de son développement indéfini, comprend également tous les points du plan. Ce nest, à proprement parler, quune même figure dans une indéfinité de positions différentes, positions qui correspondent à lindéfinité des valeurs que peut prendre langle de rotation, en supposant que cet angle varie dune façon continue jusquà ce que le rayon, parti de la position initiale que nous avons définie, soit revenu, après une révolution complète, se superposer à cette position première.
Dans cette supposition, on aurait limage exacte dun mouvement vibratoire se propageant indéfiniment, en ondes concentriques, autour de son point de départ, dans un plan horizontal tel que la surface libre dun liquide ([212]) ; et ce sera aussi le symbole géométrique le plus exact quon puisse donner de lintégralité dun état dêtre. Si lon voulait entrer plus avant dans les considérations dordre purement mathématique, qui ne nous intéressent ici quen tant quelles nous fournissent des représentations symboliques, on pourrait même montrer que la réalisation de cette intégralité correspondrait à lintégration de léquation différentielle exprimant la relation qui existe entre les variations concomitantes du rayon et de son angle de rotation, lun et lautre variant à la fois, et lun en fonction de lautre, dune façon continue, cest-à-dire de quantités infinitésimales. La constante arbitraire qui figure dans lintégrale serait déterminée par la position du rayon prise pour origine, et cette même quantité, qui nest fixe que pour une position déterminée de la figure, devrait varier dune façon continue de 0 à 2 p pour toutes ses positions, de sorte que, si lon considère celles-ci comme pouvant être simultanées (ce qui revient à supprimer la condition temporelle, qui donne à lactivité de manifestation la qualification particulière constituant le mouvement), il faut laisser la constante indéterminée entre ces deux valeurs extrêmes.
Cependant, on doit avoir bien soin de remarquer que ces représentations géométriques, quelles quelles soient, sont toujours plus ou moins imparfaites, comme lest dailleurs nécessairement toute représentation et toute expression formelle. En effet, nous sommes naturellement obligé de les situer dans un espace particulier, dans une étendue déterminée, et lespace, même envisagé dans toute lextension dont il est susceptible, nest rien de plus quune condition spéciale contenue dans un des degrés de lExistence universelle, et à laquelle (dailleurs unie ou combinée à dautres conditions du même ordre) sont soumis certains des domaines multiples compris dans ce degré de lExistence, domaines dont chacun est, dans le « macrocosme », lanalogue de ce quest dans le « microcosme » la modalité correspondante de létat dêtre situé dans ce même degré. La représentation est forcément imparfaite, par là même quelle est enfermée dans des limites plus restreintes que ce qui est représenté, et, dailleurs, sil en était autrement, elle serait inutile ([213]) ; mais, dautre part, elle est dautant moins imparfaite que, tout en demeurant toujours comprise dans les limites du concevable actuel, et même dans celles, beaucoup plus étroites, de limaginable (qui procède entièrement du sensible), elle devient cependant moins limitée, ce qui, en somme, revient à dire quelle fait intervenir une puissance plus élevée de lindéfini ([214]). Ceci se traduit en particulier, dans les représentations spatiales, par ladjonction dune dimension, ainsi que nous lavons déjà indiqué précédemment ; dailleurs, cette question sera encore éclaircie par la suite de notre exposé.
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Chapitre XIX<o:p></o:p>
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Dans notre nouvelle représentation, nous navons encore considéré jusquici quun plan horizontal, cest-à-dire un seul état dêtre, et il nous faut maintenant figurer aussi la continuité de tous les plans horizontaux, qui représentent lindéfinie multiplicité de tous les états. Cette continuité sobtiendra géométriquement dune façon analogue : au lieu de supposer le plan horizontal fixe dans létendue à trois dimensions, supposition que le fait du mouvement rend dailleurs aussi irréalisable matériellement que le tracé dune courbe fermée, nous navons quà supposer quil se déplace insensiblement, parallèlement à lui-même, donc en demeurant toujours perpendiculaire à laxe vertical, et de façon à rencontrer successivement cet axe en tous ses points consécutifs, le passage dun point à un autre correspondant au parcours dune des spires que nous avons considérées. Le mouvement spiroïdal sera ici supposé isochrone, dabord pour simplifier la représentation autant quil est possible, et aussi pour traduire léquivalence des multiples modalités de lêtre en chacun de ses états, lorsquon les envisage du point de vue de lUniversel.
Nous pouvons même, pour plus de simplicité, considérer de nouveau et provisoirement chacune des spires comme nous lavons déjà envisagée dans le plan horizontal fixe, cest-à-dire comme une circonférence. Cette fois encore, la circonférence ne se fermera pas, car, lorsque le rayon qui la décrit reviendra se superposer à sa position initiale, il ne sera plus dans le même plan horizontal (supposé fixe comme parallèle à la direction dun des plans de coordonnées et marquant une certaine situation définie sur laxe perpendiculaire à cette direction) ; la distance élémentaire qui séparera les deux extrémités de cette circonférence, ou plutôt de la courbe supposée telle, sera alors mesurée, non plus sur un rayon issu du pôle, mais sur une parallèle à laxe vertical ([215]). Ces points extrêmes nappartiennent pas au même plan horizontal, mais à deux plans horizontaux superposés ; ils sont situés de part et dautre du plan horizontal considéré dans le cours de son déplacement intermédiaire entre ces deux positions (déplacement qui correspond au développement de létat représenté par ce plan), parce quil marquent la continuité de chaque état dêtre avec celui qui le précède et celui qui le suit immédiatement dans la hiérarchisation de lêtre total. Si lon considère les rayons qui contiennent les extrémités des modalités de tous les états, leur superposition forme un plan vertical dont ils sont les droites horizontales, et ce plan vertical est le lieu de tous les points extrêmes dont nous venons de parler, et quon pourrait appeler des points-limites pour les différents états, comme ils létaient précédemment, à un autre point de vue, pour les diverses modalités de chaque état. La courbe que nous avions provisoirement considérée comme un circonférence est en réalité une spire, de hauteur infinitésimale (distance de deux plans horizontaux rencontrant laxe vertical en deux points consécutifs), dune hélice tracée sur un cylindre de révolution dont laxe nest autre que laxe vertical de notre représentation. La correspondance entre les points des spires successives est ici marquée par leur situation sur une même génératrice du cylindre, cest-à-dire sur une même verticale ; les points qui se correspondent, à travers la multiplicité des états dêtre, paraissent confondus lorsquon les envisage dans la totalité de létendue à trois dimensions, en projection orthogonale sur un plan de base du cylindre, cest-à-dire sur un plan horizontal déterminé.
Pour compléter notre représentation, il suffit maintenant denvisager simultanément, dune part, ce mouvement hélicoïdal, seffectuant sur un système cylindrique vertical constitué par une indéfinité de cylindres circulaires concentriques (le rayon de base ne variant de lun à lautre que dune quantité infinitésimale), et, dautre part, le mouvement spiroïdal que nous avons considéré précédemment dans chaque plan horizontal supposé fixe. Par suite de la combinaison de ces deux mouvements, la base plane du système vertical ne sera autre que la spirale horizontale, équivalant à lensemble dune indéfinité de circonférences concentriques non fermées ; mais, en outre, pour pousser plus loin lanalogie des considérations relatives respectivement aux étendues à deux et trois dimensions, et aussi pour mieux symboliser la parfaite continuité de tous les états dêtre entre eux, il faudra envisager la spirale, non pas dans une seule position, mais dans toutes les positions quelle peut occuper autour de son centre. On aura ainsi une indéfinité de systèmes verticaux tels que le précédent, ayant le même axe, et sinterpénétrant tous lorsquon les regarde comme coexistants, puisque chacun deux comprend également la totalité des points dune même étendue à trois dimensions, dans laquelle ils sont tous situés ; ce nest, ici encore, que le même système considéré simultanément dans toutes les positions, en multitude indéfinie, quil peut occuper accomplissant une rotation complète autour de laxe vertical.
Nous verrons cependant que, en réalité, lanalogie ainsi établie nest pas encore tout à fait suffisante ; mais, avant daller plus loin, nous ferons remarquer que tout ce que nous venons de dire pourrait sappliquer à la représentation « macrocosmique », aussi bien quà la représentation « microcosmique ». Dans ce cas, les spires successives de la spirale indéfinie tracée dans un plan horizontal, au lieu de représenter les diverses modalités dun état dêtre, représenteraient les domaines multiples dun degré de lExistence universelle, tandis que la correspondance verticale serait celle de chaque degré de lExistence, dans chacune des possibilités déterminées quil comprend, avec tous les autres degrés. Ajoutons dailleurs, pour navoir pas à y revenir, que cette concordance entre les deux représentations « macrocosmique » et « microcosmique » sera également vraie pour tout ce qui va suivre.
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Si nous revenons au système vertical complexe que nous avons considéré en dernier lieu, nous voyons que, autour du point pris pour centre de létendue à trois dimensions que remplit ce système, cette étendue nest pas « isotrope », ou, en dautres termes, que, par suite de la détermination dune direction particulière et en quelque sorte « privilégiée », qui est celle de laxe du système, cest-à-dire la direction verticale, la figure nest pas homogène dans toutes les directions à partir de ce point. Au contraire, dans le plan horizontal, lorsque nous considérions simultanément toutes les positions de la spirale autour du centre, ce plan était envisagé ainsi dune façon homogène et sous un aspect « isotrope » par rapport à ce centre. Pour quil en soit de même dans létendue à trois dimensions, il faut remarquer que toute droite passant par le centre pourrait être prise pour axe dun système tel que lui dont nous venons de parler, de sorte que toute direction peut jouer le rôle de la verticale ; de même, tout plan passant par le centre étant perpendiculaire à lune de ces droites, il en résulte que, corrélativement, toute direction de plans pourra jouer le rôle de la direction horizontale, et même celui de la direction parallèle à lun quelconque des trois plans de coordonnées. En effet, tout plan passant par le centre peut devenir lun de ces trois plans dans une indéfinité de systèmes de coordonnées trirectangulaires, car il contient une indéfinité de couples de droites orthogonales se coupant au centre (ces droites étant tous les rayons issus du pôle dans la figuration de la spirale), couples qui peuvent tous former deux quelconques des trois axes dun de ces systèmes. De même que chaque point de létendue est centre en puissance, comme nous lavons dit plus haut, toute droite de cette même étendue est axe en puissance, et, même lorsque le centre aura été déterminé, chaque droite passant par ce point sera encore, en puissance, lun quelconque des trois axes. Quand on aura choisi laxe central ou principal dun système, il restera encore à fixer les deux autres axes dans le plan perpendiculaire au premier et passant également par le centre ; mais il faut que, comme le centre lui-même, les trois axes soient aussi déterminés pour que la croix soit tracée effectivement, cest-à-dire pour que létendue tout entière puisse être réellement mesurée selon ses trois dimensions.
On peut envisager comme coexistants tous les systèmes tels que notre représentation verticale, ayant respectivement pour axes centraux toutes les droites passant par le centre, car ils sont en effet coexistants à létat potentiel, et, dailleurs, cela nempêche nullement de choisir ensuite trois axes de coordonnées déterminés, auxquels on rapportera toute létendue. Ici encore, tous les systèmes dont nous parlons ne sont en réalité que les différentes positions du même système, lorsque son axe prend toutes les positions possibles autour du centre, et ils sinterpénètrent pour la même raison que précédemment, cest-à-dire parce que chacun deux comprend tous les points de létendue. On peut dire que cest le point principiel dont nous avons parlé, indépendant de toute détermination et représentant lêtre en soi, qui effectue ou réalise cette étendue, jusqualors toute potentielle et conçue comme une pure possibilité de développement, en remplissant le volume total, indéfini à la troisième puissance, par la complète expansion de ses virtualités dans toutes les directions. Dailleurs, cest précisément dans la plénitude de lexpansion que sobtient la parfaite homogénéité, de même que, inversement, lextrême distinction nest réalisable que dans lextrême universalité ([216]) ; au point central de lêtre, il sétablit, comme nous lavons dit plus haut, un parfait équilibre entre les termes opposés de tous les contrastes et de toutes les antinomies auxquels donnent lieu les points de vue extérieurs et particuliers.
Comme, avec la nouvelle considération de tous les systèmes coexistants, les directions de létendue jouent toutes le même rôle, le déploiement qui seffectue à partir du centre peut être regardé comme sphérique, ou mieux sphéroïdal : le volume total est, ainsi que nous lavons déjà indiqué, un sphéroïde qui sétend indéfiniment dans tous les sens, et dont la surface ne se ferme pas, non plus que les courbes que nous avons décrites auparavant ; dailleurs, la spirale plane, envisagée simultanément dans toutes ses positions, nest pas autre chose quune section de cette surface par un plan passant par le centre. Nous avons dit que la réalisation de lintégralité dun plan se traduisait par le calcul dune intégrale simple ; ici, comme il sagit dun volume, et non plus dune surface, la réalisation de la totalité de létendue se traduirait par le calcul dune intégrale double ([217]) ; les deux constantes arbitraires qui sintroduiraient dans ce calcul pourraient être déterminées par le choix de deux axes de coordonnées, le troisième axe se trouvant fixé par là même, puisquil doit être perpendiculaire au plan des deux autres et passer par le centre. Nous devons encore remarquer que le déploiement de ce sphéroïde nest, en somme, pas autre chose que la propagation indéfinie dun mouvement vibratoire (ou ondulatoire, ces deux termes étant au fond synonymes), non plus seulement dans un plan horizontal, mais dans toute létendue à trois dimensions, dont le point de départ de ce mouvement peut être actuellement regardé comme le centre. Si lon considère cette étendue comme un symbole géométrique, cest-à-dire spatial, de la Possibilité totale (symbole nécessairement imparfait, puisque limité par sa nature même), la représentation à laquelle nous avons ainsi abouti sera la figuration, dans la mesure où elle est possible, du vortex sphérique universel suivant lequel sécoule la réalisation de toutes choses, et que la tradition métaphysique dExtrême-Orient appelle Tao, cest-à-dire la « Voie ».
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Par ce que nous venons dexposer, nous avons poussé jusquà ses extrêmes limites concevables, ou plutôt imaginables (puisque cest toujours dune représentation dordre sensible quil sagit), luniversalisation de notre symbole géométrique, en y introduisant graduellement, en plusieurs phases successives, ou, pour parler plus exactement, envisagées successivement au cours de notre étude, une indétermination de plus en plus grande, correspondant à ce que nous avons appelé des puissances de plus en plus élevées de lindéfini, mais toutefois sans sortir de létendue à trois dimensions. Après en être arrivé à ce point, il nous va falloir refaire en quelque sorte le même chemin en sens inverse, pour rendre à la figure la détermination de tous ses éléments, détermination sans laquelle, tout en existant tout entière à létat virtuel, elle ne peut être tracée effectivement ; mais cette détermination, qui, à notre point de départ, était seulement envisagée pour ainsi dire synthétiquement, comme une pure possibilité, deviendra maintenant réelle, car nous pourrons marquer la signification précise de chacun des éléments constitutifs du symbole crucial par lequel elle est caractérisée.
Tout dabord, nous envisagerons, non luniversalité des êtres, mais un seul être dans sa totalité ; nous supposerons que laxe vertical soit déterminé, et ensuite que soit également déterminé le plan passant par cet axe et contenant les points extrêmes des modalités de chaque état ; nous reviendrons ainsi au système vertical ayant pour base plane la spirale horizontale considérée dans une seule position, système que nous avions déjà décrit précédemment. Ici, les directions des trois axes de coordonnées sont déterminées, mais laxe vertical seul est effectivement déterminé en position ; lun des deux axes horizontaux sera situé dans le plan vertical dont nous venons de parler, et lautre lui sera naturellement perpendiculaire ; mais le plan horizontal qui contiendra ces deux droites rectangulaires reste encore indéterminé. Si nous déterminions ce plan, nous déterminerions aussi par là même le centre de létendue, cest-à-dire lorigine du système de coordonnées auquel cette étendue est rapportée, puisque ce point nest autre que lintersection du plan horizontal de coordonnées avec laxe vertical ; tous les éléments de la figure seraient alors effectivement déterminés, ce qui permettrait de tracer la croix à trois dimensions, mesurant létendue dans sa totalité.
Nous devons encore rappeler que nous avions eu à considérer, pour constituer le système représentatif de lêtre total, dabord une spirale horizontale, et ensuite une hélice cylindrique verticale. Si nous considérons isolément une spire quelconque dune telle hélice, nous pourrons, en négligeant la différence élémentaire de niveau entre ses extrémités, la regarder comme une circonférence tracée dans un plan horizontal ; on pourra de même prendre pour une circonférence chaque spire de lautre courbe, la spirale horizontale, si lon néglige la variation élémentaire du rayon entre ses extrémités. Par suite, toute circonférence tracée dans un plan horizontal et ayant pour centre le centre même de ce plan, cest-à-dire son intersection avec laxe vertical, pourra inversement, et avec les mêmes approximations, être envisagée comme une spire appartenant à la fois à une hélice verticale et à une spirale horizontale ([218]) ; il résulte de là que la courbe que nous représentons comme une circonférence nest en réalité, rigoureusement parlant, ni fermée ni plane.
Une telle circonférence représentera une modalité quelconque dun état dêtre également quelconque, envisagée suivant la direction de laxe vertical, qui se projettera lui-même horizontalement en un point, centre de la circonférence. Dautre part, si lon envisageait celle-ci suivant la direction de lun ou de lautre des deux axes horizontaux, elle se projetterait en un segment, symétrique par rapport à laxe vertical, dune droite horizontale formant avec ce dernier une croix à deux dimensions, cette droite horizontale étant la trace, sur le plan vertical de projection, du plan dans lequel est située la circonférence considérée.
En ce qui concerne la signification de la circonférence avec le point central, celui-ci étant la trace de laxe vertical sur un plan horizontal, nous ferons remarquer que, suivant un symbolisme tout à fait général, le centre et la circonférence représentent le point de départ et laboutissement dun mode quelconque de manifestation ([219]) ; ils correspondent donc respectivement à ce que sont, dans lUniversel, l« essence » et la « substance » (Purusha et Prakriti dans la doctrine hindoue), ou encore lÊtre en soi et sa possibilité, et ils figurent, pour tout mode de manifestation, lexpression plus ou moins particularisée de ces deux principes envisagés comme complémentaires, actif et passif lun par rapport à lautre. Ceci achève de justifier ce que nous avons dit précédemment sur la relation existant entre les divers aspects du symbolisme de la croix, car nous pouvons déduire de là que, dans notre représentation géométrique, le plan horizontal (que lon suppose fixe en tant que plan de coordonnées, et qui peut dailleurs occuper une position quelconque, nétant déterminé quen direction) jouera un rôle passif par rapport à laxe vertical, ce qui revient à dire que létat dêtre correspondant se réalisera dans son développement intégral sous linfluence active du principe qui est présenté par laxe ([220]) ; ceci pourra être mieux compris par la suite, mais il importait de lindiquer dès maintenant.
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Chapitre XXII<o:p></o:p>
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Le symbole extrême-oriental du Yin-Yang ; équivalence métaphysique de la naissance et de la mort<o:p></o:p>
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Pour en revenir à la détermination de notre figure, nous navons en somme à considérer particulièrement que deux choses : dune part, laxe vertical, et, dautre part, le plan horizontal de coordonnées. Nous savons quun plan horizontal représente un état dêtre, dont chaque modalité correspond à une spire plane que nous avons confondue avec une circonférence ; dun autre côté, les extrémités de cette spire, en réalité, ne sont pas contenues dans le plan de la courbe, mais dans deux plans immédiatement voisins, car cette même courbe, envisagée dans le système cylindrique vertical, est « une spire, une fonction dhélice, mais dont le pas est infinitésimal. Cest pourquoi, étant donné que nous vivons, agissons et raisonnons à présent sur des contingences, nous pouvons et devons même considérer le graphique de lévolution individuelle (
[221]) comme une surface (plane). Et, en réalité, elle en possède tous les attributs et qualités, et ne diffère de la surface que considérée de lAbsolu ([222]). Ainsi, à notre plan (ou degré dexistence), le « circulus vital » est une vérité immédiate, et le cercle est bien la représentation du cycle individuel humain » ([223]).
Le yin-yang qui, dans le symbolisme traditionnel de lExtrême-Orient, figure le « cercle de la destinée individuelle », est bien en effet un cercle, pour les raisons précédentes. « Cest un cercle représentatif dune évolution individuelle ou spécifique ([224]), et il ne participe que par deux dimensions au cylindre cyclique universel. Nayant point dépaisseur, il na pas dopacité, et il est représenté diaphane et transparent, cest-à-dire que les graphiques des évolutions, antérieures et postérieures à son moment ([225]), se voient et simpriment au regard à travers lui » ([226]). Mais, bien entendu, « il ne faut jamais perdre de vue que si, pris à part, le yin-yang peut être considéré comme un cercle, il est, dans la succession des modifications individuelles ([227]), un élément dhélice : toute modification individuelle est essentiellement un vortex à trois dimensions ([228]) ; il ny a quune seule stase humaine, et lon ne repasse jamais par le chemin déjà parcouru » ([229]).
Les deux extrémités de la spire dhélice de pas infinitésimal sont, comme nous lavons dit, deux points immédiatement voisins sur une génératrice du cylindre, une parallèle à laxe vertical (dailleurs située dans un des plans des coordonnées). Ces deux points nappartiennent pas réellement à lindividualité, ou, dune façon plus générale, à létat dêtre représenté par le plan horizontal que lon considère. « Lentrée dans le yin-yang et la sortie du yin-yang ne sont pas à la disposition de lindividu, car ce sont deux points qui appartiennent, bien quau yin-yang, à la spire inscrite sur la surface latérale (verticale) du cylindre, et qui sont soumis à lattraction de la « Volonté du Ciel ». Et en réalité, en effet, lhomme nest pas libre de sa naissance ni de sa mort. Pour sa naissance, il nest libre ni de lacceptation, ni du refus, ni du moment. Pour la mort, il nest pas libre de sy soustraire ; et il ne doit pas non plus, en toute justice analogique, être libre du moment de sa mort... En tout cas, il nest libre daucune des conditions de ces deux actes : la naissance le lance invinciblement sur le circulus dune existence quil na ni demandée ni choisie ; la mort le retire de ce circulus et le lance invinciblement dans un autre, prescrit et prévu par la « Volonté du Ciel », sans quil puisse rien en modifier ([230]). Ainsi, lhomme terrestre est esclave quant à sa naissance et quant à sa mort, cest-à-dire par rapport à deux actes principaux de sa vie individuelle, aux seuls qui résument en somme son évolution spéciale au regard de lInfini » ([231]).
Il doit être bien compris que « les phénomènes mort et naissance, considérés en eux-mêmes et en dehors des cycles, sont parfaitement égaux » ([232]) ; on peut même dire que ce nest en réalité quun seul et même phénomène envisagé sous des faces opposées, du point de vue de lun et de lautre des deux cycles consécutifs entre lesquels il intervient. Cela se voit dailleurs immédiatement dans notre représentation géométrique, puisque la fin dun cycle quelconque coïncide toujours nécessairement avec le commencement dun autre, et que nous nemployons les mots « naissance » et « mort », en les prenant dans leur acception tout à fait générale, que pour désigner les passages entre les cycles, quelle que soit dailleurs lextension de ceux-ci, et quil sagisse de mondes aussi bien que dindividus. Ces deux phénomènes « saccompagnent donc et se complètent lun lautre : la naissance humaine est la conséquence immédiate dune mort (à un autre état) ; la mort humaine est la cause immédiate dune naissance (dans un autre état également). Lune de ces circonstances ne se produit jamais sans lautre. Et, le temps nexistant pas ici, nous pouvons affirmer que, entre la valeur intrinsèque du phénomène naissance et la valeur intrinsèque du phénomène mort, il y a identité métaphysique. Quant à leur valeur relative, et à cause de limmédiateté des conséquences, la mort à lextrémité dun cycle quelconque est supérieure à la naissance sur le même cycle, de toute la valeur de lattraction de la « Volonté du Ciel » sur ce cycle, cest-à-dire, mathématiquement, du pas de lhélice évolutive » ([233]).
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Chapitre XXIII<o:p></o:p>
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Signification de laxe vertical ;<o:p></o:p>
linfluence de la Volonté du Ciel<o:p></o:p>
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De ce qui précède, il résulte que le pas de lhélice, élément par lequel les extrémités dun cycle individuel, quel quil soit, échappent au domaine propre de lindividualité, est la mesure de la « force attractive de la Divinité » (
[234]). Linfluence de la « Volonté du Ciel » dans le développement de lêtre se mesure donc parallèlement à laxe vertical ; ceci implique évidemment la considération simultanée dune pluralité détats, constituant autant de cycles intégraux dexistence (spirales horizontales), cette influence transcendante ne se faisant pas sentir dans lintérieur dun même état pris isolément.
Laxe vertical représente alors le lieu métaphysique de la manifestation de la « Volonté du Ciel », et il traverse chaque plan horizontal en son centre, cest-à-dire au point où se réalise léquilibre en lequel réside précisément cette manifestation, ou, en dautres termes, lharmonisation complète de tous les éléments constitutifs de létat dêtre correspondant. Cest là, comme nous lavons vu plus haut, ce quil faut entendre par l« Invariable Milieu » (Tchoung-young), où se reflète, en chaque état dêtre (par léquilibre qui est comme une image de lUnité principielle dans le manifesté), l« Activité du Ciel », qui, en elle-même, est non-agissante et non-manifestée, bien que devant être conçue comme capable daction de manifestation, sans dailleurs que cela puisse laffecter ou la modifier en quelque façon que ce soit, et même, à la vérité, comme capable de toute action et de toute manifestation, précisément parce quelle est au delà de toutes les actions et manifestations particulières. Par suite, nous pouvons dire que, dans la représentation dun être, laxe vertical est le symbole de la « Voie personnelle » ([235]), qui conduit à la Perfection, et qui est une spécification de la « Voie universelle », représentée précédemment par une figure sphéroïdale indéfinie et non fermée ; avec le même symbolisme géométrique, cette spécification sobtient, daprès ce que nous avons dit, par la détermination dune direction particulière dans létendue, direction qui est celle de cet axe vertical ([236]).
Nous avons parlé ici de la Perfection, et, à ce propos, une brève explication est nécessaire : quand ce terme est ainsi employé, il doit être entendu dans son sens absolu et total. Seulement, pour y penser, dans notre condition actuelle (en tant quêtres appartenant à létat individuel humain), il faut bien rendre cette conception intelligible en mode distinctif ; cette conceptibilité est la « perfection active » (Khien), possibilité de la volonté dans la Perfection, et naturellement de toute-puissance, qui est identique à ce qui est désigné comme l« Activité du Ciel ». Mais, pour en parler, il faut en outre sensibiliser cette conception (puisque le langage, comme toute expression extérieure, est nécessairement dordre sensible) ; cest alors la « perfection passive » (Khouen), possibilité de laction comme motif et comme but. Khien est la volonté capable de se manifester, et Khouen est lobjet de cette manifestation ; mais, dailleurs, dès lors quon dit « perfection active » ou « perfection passive », on ne dit plus Perfection au sens absolu, puisquil y a déjà là une distinction et une détermination, donc une limitation. On peut encore, si lon veut, dire que Khien est la faculté agissante (il serait plus exact de dire « influente »), correspondant au « Ciel » (Tien), que Khouen est la faculté plastique, correspondant à la « Terre » (Ti) ; nous trouvons ici, dans la Perfection, lanalogue, mais encore plus universel, de ce que nous avons désigné, dans lÊtre, comme l« essence » et la « substance » ([237]). En tout cas, quel que soit le principe par lequel on les détermine, il faut savoir que Khien et Khouen nexistent métaphysiquement que de notre point de vue dêtres manifestés, de même que ce nest pas en soi que lÊtre se polarise et se détermine en « essence » et « substance », mais seulement par rapport à nous, et en tant que nous lenvisageons à partir de la manifestation universelle dont il est le principe et à laquelle nous appartenons.
Si nous revenons à notre représentation géométrique, nous voyons que laxe vertical est déterminé comme expression de la « Volonté du Ciel » dans le développement de lêtre, ce qui détermine en même temps la direction des plans horizontaux, représentant les différents états, et la correspondance horizontale et verticale de ceux-ci, établissant leur hiérarchisation. Par suite de cette correspondance, les points-limites de ces états sont déterminés comme extrémités des modalités particulières ; le plan vertical qui les contient est un des plans de coordonnées, ainsi que celui qui lui est perpendiculaire suivant laxe ; ces deux plans verticaux tracent dans chaque plan horizontal une croix à deux dimensions, dont le centre est dans l« Invariable Milieu ». Il ne reste donc plus quun seul élément indéterminé : cest la position du plan horizontal particulier qui sera le troisième plan de coordonnées ; à ce plan correspond, dans lêtre total, un certain état, dont la détermination permettra de tracer la croix symbolique à trois dimensions, cest-à-dire de réaliser la totalisation même de lêtre.
Un point quil importe de noter encore, avant daller plus loin, est celui-ci : la distance verticale qui sépare les extrémités dun cycle évolutif quelconque est constante, ce qui, semble-t-il, reviendrait à dire que, quel que soit le cycle que lon envisage, la « force attractive de la Divinité » agit toujours avec la même intensité ; et il en est effectivement ainsi au regard de lInfini : cest ce quexprime la loi dharmonie universelle, qui exige la proportionnalité en quelque sorte mathématique de toutes les variations. Il est vrai, cependant, quil pourrait ne plus en être de même, en apparence, si lon se plaçait à un point de vue spécialisé, et si lon avait seulement égard au parcours dun certain cycle déterminé que lon voudrait comparer aux autres sous le rapport dont il sagit ; il faudrait alors pouvoir évaluer, dans le cas précis où lon se serait placé (en admettant quil y ait lieu effectivement de sy placer, ce qui, en tout cas, est en dehors du point de vue de la métaphysique pure), la valeur du pas de lhélice ; mais « nous ne connaissons pas la valeur essentielle de cet élément géométrique, parce que nous navons pas actuellement conscience des états cycliques où nous passâmes, et que nous ne pouvons donc pas mesurer la hauteur métaphysique qui nous sépare aujourdhui de celui dont nous sortons » ([238]). Nous navons ainsi aucun moyen direct dapprécier la mesure de laction de la « Volonté du Ciel » ; « nous ne la connaîtrions que par analogie (en vertu de la loi dharmonie), si, dans notre état actuel, ayant conscience de notre état précédent, nous pouvions juger de la quantité métaphysique acquise ([239]), et, par suite, mesurer la force ascensionnelle. Il nest pas dit que la chose soit impossible, car elle est facilement compréhensible ; mais elle nest pas dans les facultés de la présente humanité » ([240]).
Remarquons encore en passant, et simplement pour indiquer, comme nous le faisons chaque fois que loccasion sen présente, la concordance qui existe entre toutes les traditions, que lon pourrait, daprès ce que nous venons dexposer sur la signification de laxe vertical, donner une interprétation métaphysique de la parole bien connue de lÉvangile suivant laquelle le Verbe (ou la « Volonté du Ciel » en action) est (par rapport à nous) « la Voie, la Vérité et la Vie » ([241]). Si nous reprenons pour un instant notre représentation « microcosmique » du début, et si nous considérons ses trois axes de coordonnées, la « Voie » (spécifiée à légard de lêtre envisagé) sera représentée, comme ici, par laxe vertical ; des deux axes horizontaux, lun représentera alors la « Vérité », et lautre la « Vie ». Tandis que la « Voie » se rapporte à l« Homme Universel », auquel sidentifie le « Soi », la « Vérité » se rapporte ici à lhomme intellectuel, et la « Vie » à lhomme corporel (bien que ce dernier terme soit aussi susceptible dune certaine transposition) ([242]) ; de ces deux derniers, qui appartiennent lun et lautre au domaine dun même état particulier, cest-à-dire à un même degré de lexistence universelle, le premier doit ici être assimilé à lindividualité intégrale, dont le second nest quune modalité. La « Vie » sera donc représentée par laxe parallèle à la direction suivant laquelle se développe chaque modalité, la « Vérité » le sera par laxe qui réunit toutes les modalités en les traversant perpendiculairement à cette même direction (axe qui, quoique également horizontal, pourra être regardé comme relativement vertical par rapport à lautre, suivant ce que nous avons indiqué précédemment). Ceci suppose dailleurs que le tracé de la croix à trois dimensions est rapporté à lindividualité humaine terrestre, car cest par rapport à celle-ci seulement que nous venons de considérer ici la « Vie » et même la « Vérité » ; ce tracé figure laction du Verbe dans la réalisation de lêtre total et son identification avec l« Homme Universel ».
Chapitre XXIV<o:p></o:p>
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Si nous considérons la superposition des plans horizontaux représentatifs de tous les états dêtre, nous pouvons dire encore que, par rapport à ceux-ci, envisagés séparément ou dans leur ensemble, laxe vertical, qui les relie tous entre eux et au centre de lêtre total, symbolise ce que diverses traditions appellent le « Rayon Céleste » ou le « Rayon Divin » : cest le principe que la doctrine hindoue désigne sous les nom de Buddhi et de Mahat (
[243]), « qui constitue lélément supérieur non-incarné de lhomme, et qui lui sert de guide à travers les phases de lévolution universelle » ([244]). Le cycle universel, représenté par lensemble de notre figure, et « dont lhumanité (au sens individuel et « spécifique ») ne constitue quune phase, a un mouvement propre ([245]), indépendant de notre humanité, de toutes les humanités, de tous les plans (représentant tous les degrés de lExistence), dont il forme la somme indéfinie (qui est l« Homme Universel ») ([246]). Ce mouvement propre, quil tient de laffinité essentielle du « Rayon Céleste » vers son origine, laiguille invinciblement vers sa fin (la Perfection), qui est identique à son Commencement, avec une force directrice ascensionnelle et divinement bienfaisante (cest-à-dire harmonique) » ([247]), qui nest autre que cette « force attractive de la Divinité » dont il a été question au chapitre précédent.
Ce sur quoi il nous faut insister, cest que le « mouvement » du cycle universel est nécessairement indépendant dune volonté individuelle quelconque, particulière ou collective, laquelle ne peut agir quà lintérieur de son domaine spécial, sans jamais sortir des conditions déterminées dexistence auxquelles ce domaine est soumis. « Lhomme, en tant quhomme (individuel), ne saurait disposer de mieux et de plus que de son destin hominal, dont il est libre darrêter, en effet, la marche individuelle. Mais cet être contingent, doué de vertus et de possibilités contingentes, ne saurait se mouvoir, ou sarrêter, ou sinfluencer soi-même en dehors du plan contingent spécial où, pour lheure, il est placé et exerce ses facultés. Il est déraisonnable de supposer quil puisse modifier, a fortiori arrêter la marche éternelle du cycle universel » ([248]). Dailleurs, lextension indéfinie des possibilités de lindividu, envisagé dans son intégralité, ne change rien à ceci, puisquelle ne saura naturellement le soustraire à tout lensemble des conditions limitatives qui caractérisent létat dêtre auquel il appartient en tant quindividu ([249]).
Le « Rayon Céleste » traverse tous les états dêtre, marquant, ainsi que nous lavons déjà dit, le point central de chacun deux par sa trace sur le plan horizontal correspondant, et le lieu de tous ces point centraux est l« Invariable Milieu » ; mais cette action du « Rayon Céleste » nest effective que sil produit, par sa réflexion sur un de ces plans, une vibration qui, se propageant et samplifiant dans la totalité de lêtre, illumine son chaos, cosmique ou humain. Nous disons cosmique ou humain, car ceci peut sappliquer au « macrocosme » aussi bien quau « microcosme » ; dans tous les cas, lensemble des possibilités de lêtre ne constitue proprement quun chaos « informe et vide » ([250]), dans lequel tout nest quobscurité jusquau moment où se produit cette illumination qui en détermine lorganisation harmonique dans le passage de la puissance à lacte ([251]). Cette même illumination correspond strictement à la conversion des trois gunas lun dans lautre, que nous avons décrite plus haut daprès un texte du Vêda : si nous considérons les deux phases de cette conversion, le résultat de la première, effectuée à partir des états inférieurs de lêtre, sopère dans le plan même de réflexion, tandis que la seconde imprime à la vibration réfléchie une direction ascensionnelle, qui la transmet à travers toute la hiérarchie des états supérieurs de lêtre. Le plan de réflexion, dont le centre, point dincidence du « Rayon Céleste », est le point de départ de cette vibration indéfinie, sera alors le plan central dans lensemble des états de lêtre, cest-à-dire le plan horizontal de coordonnées dans notre représentation géométrique, et son centre sera effectivement le centre de lêtre total. Ce plan central, où sont tracées les branches horizontales de la croix à trois dimensions, joue, par rapport au « Rayon Céleste » qui en est la branche verticale, un rôle analogue à celui de la « perfection passive » par rapport à la « perfection active », ou à celui de la « substance » par rapport à l« essence », de Prakriti par rapport à Purusha : cest toujours, symboliquement, la « Terre » par rapport au « Ciel », et cest aussi ce que toutes les traditions cosmogoniques saccordent à représenter comme la « surface des Eaux » ([252]). On peut encore dire que cest le plan de séparation des « Eaux inférieures » et des « Eaux supérieures » ([253]), cest-à-dire des deux chaos, formel et informel, individuel et extra-individuel, de tous les états, tant non-manifestés que manifestés, dont lensemble constitue la Possibilité totale de l« Homme Universel ».
Par lopération de l« Esprit Universel » (Âtmâ), projetant le « Rayon Céleste » qui se réfléchit sur le miroir des « Eaux », au sein de celles-ci est enfermée une étincelle divine, germe spirituel incréé, qui, dans lUnivers potentiel (Brahmânda ou « uf du Monde »), est cette détermination du « Non-Suprême » Brahma (Apara-Brahma) que la tradition hindoue désigne comme Hiranyagarbha (cest-à-dire l« Embryon dOr ») ([254]). Dans chaque être envisagé en particulier, cette étincelle de la Lumière intelligible constitue, si lon peut ainsi parler, une unité fragmentaire (expression dailleurs inexacte si on la prenait à la lettre, lunité étant en réalité indivisible et sans parties) qui, se développant pour sidentifier en acte à lUnité totale, à laquelle elle est en effet identique en puissance (car elle contient en elle-même lessence indivisible de la lumière, comme la nature du feu est contenue tout entière en chaque étincelle) ([255]), sirradiera en tous sens à partir du centre, et réalisera dans son expansion le parfait épanouissement de toutes les possibilités de lêtre. Ce principe dessence divine involué dans les êtres (en apparence seulement, car il ne saurait être réellement affecté par les contingences, et cet état d« enveloppement » nexiste que du point de vue de la manifestation), cest encore, dans le symbolisme vêdique, Agni ([256]), se manifestant au centre du swastika, qui est, comme nous lavons vu, la croix tracée dans le plan horizontal, et qui, par sa rotation autour de ce centre, génère le cycle évolutif constituant chacun des éléments du cycle universel. Le centre, seul point restant immobile dans ce mouvement de rotation, est, en raison même de son immobilité (image de limmutabilité principielle), le moteur de la « roue de lexistence » ; il renferme en lui-même la « Loi » (au sens du terme sanscrit Dharma) ([257]), cest-à-dire lexpression ou la manifestation de la « Volonté du Ciel », pour le cycle correspondant du plan horizontal dans lequel seffectue cette rotation, et, suivant ce que nous avons dit, son influence se mesure, ou du moins se mesurerait si nous en avions la faculté, par le pas de lhélice évolutive à axe vertical ([258]).
La réalisation des possibilités de lêtre seffectue ainsi par une activité qui est toujours intérieure, puisquelle sexerce à partir du centre de chaque plan ; et dailleurs, métaphysiquement, il ne saurait y avoir daction extérieure sexerçant sur lêtre total, car une telle action nest possible quà un point de vue relatif et spécialisé, comme lest celui de lindividu ([259]). Cette réalisation elle-même est figurée dans les différents symbolismes par lépanouissement, à la surface des « Eaux », dune fleur qui est, le plus habituellement, le lotus dans les traditions orientales et la rose ou le lis dans les traditions occidentales ([260]) ; mais nous navons pas lintention dentrer ici dans le détail de ces diverses figurations, qui peuvent varier et se modifier dans une certaine mesure, en raison des adaptations multiples auxquelles elles se prêtent, mais qui, au fond, procèdent partout et toujours du même principe, avec certaines considérations secondaires qui sont surtout basées sur les nombres ([261]). En tout cas, lépanouissement dont il sagit pourra être envisagé dabord dans le plan central, cest-à-dire dans le plan horizontal de réflexion du « Rayon Céleste », comme intégration de létat dêtre correspondant ; mais il sétendra aussi hors de ce plan, à la totalité des états, suivant le développement indéfini, dans toutes les directions à partir du point central, du vortex sphérique universel dont nous avons parlé précédemment ([262]).
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Chapitre XXV<o:p></o:p>
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Si nous reprenons maintenant le symbole du serpent enroulé autour de larbre, dont nous avons dit quelques mots plus haut, nous constaterons que cette figure est exactement celle de lhélice tracée autour du cylindre vertical de la représentation géométrique que nous avons étudiée. Larbre symbolisant l« Axe du Monde » comme nous lavons dit, le serpent figurera donc lensemble des cycles de la manifestation universelle (
[263]) ; et, en effet, le parcours des différents états est représenté, dans certaines traditions, comme une migration de lêtre dans le corps de ce serpent ([264]). Comme ce parcours peut être envisagé suivant deux sens contraires, soit dans le sens ascendant, vers les états supérieurs, soit dans le sens descendant, vers les états inférieurs, les deux aspects opposés du symbolisme du serpent, lun bénéfique et lautre maléfique, sexpliquent par là deux-mêmes ([265]).
On trouve le serpent enroulé, non seulement autour de larbre, mais aussi autour de divers autres symboles de l« Axe du Monde » ([266]), et particulièrement de la montagne, comme on le voit, dans la tradition hindoue, dans le symbolisme du « barattement de la mer » ([267]). Ici, le serpent Shêsha ou Ananta, représentant lindéfinité de lExistence universelle, est enroulé autour du Mêru, qui est la « montagne polaire » ([268]), et il est tiré en sens contraires par les Dêvas et les Asuras, qui correspondent respectivement aux états supérieurs et inférieurs par rapport à létat humain ; on aura alors les deux aspects bénéfique et maléfique suivant quon envisagera le serpent du côté des Dêvas ou du côté des Asuras ([269]). Dautre part, si lon interprète la signification de ceux-ci en termes de « bien » et de « mal », on a une correspondance évidente avec les deux côtés opposés de l« Arbre de la Science » et des autres symboles similaires dont nous avons parlé précédemment ([270]).
Il y a lieu denvisager encore un autre aspect sous lequel le serpent, dans son symbolisme général, apparaît, sinon précisément comme maléfique (ce qui implique nécessairement la présence du corrélatif bénéfique, « bien » et « mal », comme les deux termes de toute dualité, ne pouvant se comprendre que lun par lautre), tout au moins comme redoutable, en tant quil figure lenchaînement de lêtre à la série indéfinie des cycles de manifestation ([271]). Cet aspect correspond notamment au rôle du serpent (ou du dragon qui en est alors un équivalent) comme gardien de certains symboles dimmortalité dont il défend lapproche : cest ainsi quon le voit enroulé autour de larbre aux pommes dor du jardin des Hespérides, ou du hêtre de la forêt de Colchide auquel est suspendue la « toison dor » ; il est évident que ces arbres ne sont pas autre chose que des formes de l« Arbre de Vie », et que, par conséquent, ils représentent encore l« Axe du Monde » ([272]).
Pour se réaliser totalement, il faut que lêtre échappe à cet enchaînement cyclique et passe de la circonférence au centre, cest-à-dire au point où laxe rencontre le plan représentant cet état où cet être se trouve actuellement ; lintégration de cet état étant tout dabord effectuée par là même, la totalisation sopérera ensuite, à partir de ce plan de base, suivant la direction même de laxe vertical. Il est à remarquer que, tandis quil y a continuité entre tous les états envisagés dans leur parcours cyclique, comme nous lavons expliqué précédemment, le passage au centre implique essentiellement une discontinuité dans le développement de lêtre ; il peut, à cet égard, être comparé à ce quest, au point de vue mathématique, le « passage à la limite » dune série indéfinie en variation continue. En effet, la limite, étant par définition une quantité fixe, ne peut, comme telle, être atteinte dans le cours de la variation, même si celle-ci se poursuit indéfiniment ; nétant pas soumise à cette variation, elle nappartient pas à la série dont elle est le terme, et il faut sortir de cette série pour y parvenir. De même, il faut sortir de la série indéfinie des états manifestés et de leurs mutations pour atteindre l« Invariable Milieu », le point fixe et immuable qui commande le mouvement sans y participer, comme la série mathématique tout entière est, dans sa variation, ordonnée par rapport à sa limite, qui lui donne ainsi sa loi, mais est elle-même au delà de cette loi. Pas plus que le passage à la limite, ni que lintégration qui nen est dailleurs en quelque sorte quun cas particulier, la réalisation métaphysique ne peut seffectuer « par degrés » ; elle est comme une synthèse qui ne peut être précédée daucune analyse, en vue de laquelle toute analyse serait dailleurs impuissante et de portée rigoureusement nulle.
Il y a dans la doctrine islamique un point intéressant et important en connexion avec ce qui vient dêtre dit : le « chemin droit » (Eç-çirâtul-mustaqîm) dont il est parlé dans la fâtihah (littéralement « ouverture ») ou première sûrat du Qorân nest pas autre chose que laxe vertical pris dans son sens ascendant, car sa « rectitude » (identique au Te de Lao-tseu) doit, daprès la racine même du mot qui la désigne (qâm, « se lever »), être envisagée suivant la direction verticale. On peut dès lors comprendre facilement la signification du dernier verset, dans lequel ce « chemin droit » est défini comme « chemin de ceux sur qui Tu répands Ta grâce, non de ceux sur qui est Ta colère ni de ceux qui sont dans lerreur » (çirâta elladhîna anamta alayhim, ghayri el-maghdûbi alayhim wa lâ ed-dâllîn). Ceux sur qui est la « grâce » divine ([273]), ce sont ceux qui reçoivent directement linfluence de l« Activité du Ciel », et qui sont conduits par elle aux états supérieurs et à la réalisation totale, leur être étant en conformité avec le Vouloir universel. Dautre part, la « colère » étant en opposition directe avec la « grâce », son action doit sexercer aussi suivant laxe vertical, mais avec leffet inverse, le faisant parcourir dans le sens descendant, vers les états inférieurs ([274]) : cest la voie « infernale » sopposant à la voie « céleste », et ces deux voies sont les deux moitiés inférieure et supérieure de laxe vertical, à partir du niveau correspondant à létat humain. Enfin, ceux qui sont dans l« erreur », au sens propre et étymologique de ce mot, ce sont ceux qui, comme cest le cas de limmense majorité des hommes, attirés et retenus par la multiplicité, errent indéfiniment dans les cycles de la manifestation, représentés par les spires du serpent enroulé autour de l« Arbre du Milieu » ([275]).
Rappelons encore, à ce propos, que le sens propre du mot Islâm est « soumission à la Volonté divine » ([276]) ; cest pourquoi il est dit, dans certains enseignements ésotériques, que tout être est muslim, en ce sens quil nen est évidemment aucun qui puisse se soustraire à cette Volonté, et que, par conséquent, chacun occupe nécessairement la place qui lui est assignée dans lensemble de lUnivers. La distinction des êtres en « fidèles » (mûminîn) et « infidèles » (kuffâr) ([277]) consiste donc seulement en ce que les premiers se conforment consciemment et volontairement à lordre universel, tandis que, parmi les seconds, il en est qui nobéissent à la loi que contre leur gré, et dautres qui sont dans lignorance pure et simple. Nous retrouvons ainsi les trois catégories dêtres que nous venons davoir à envisager ; les « fidèles » sont ceux qui suivent le « chemin droit », qui est le lieu de la « paix », et leur conformité au Vouloir universel fait deux les véritables collaborateurs du « plan divin ».
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Chapitre XXVI<o:p></o:p>
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Nous devons maintenant insister sur un point qui, pour nous, est dune importance capitale : cest que la conception traditionnelle de lêtre, telle que nous lexposons ici, diffère essentiellement, dans son principe même et par ce principe, de toutes les conceptions anthropomorphiques et géocentriques dont la mentalité occidentale saffranchit si difficilement. Nous pourrions même dire quelle en diffère infiniment, et ce ne serait point là un abus de langage comme il arrive dans la plupart des cas où lon emploie communément ce mot, mais bien, au contraire, une expression plus juste que toute autre, et plus adéquate à la conception à laquelle nous lappliquons, car celle-ci est proprement illimitée. La métaphysique pure ne saurait en aucune façon admettre lanthropomorphisme (
[278]) ; si celui-ci semble parfois sintroduire dans lexpression, ce nest là quune apparence tout extérieure, dailleurs inévitable dans une certaine mesure dès lors que, si lon veut exprimer quelque chose, il faut nécessairement se servir du langage humain. Ce nest donc là quune conséquence de limperfection qui est forcément inhérente à toute expression, quelle quelle soit, en raison de sa limitation même ; et cette conséquence est admise seulement à titre dindulgence en quelque sorte, concession provisoire et accidentelle à la faiblesse de lentendement humain individuel, à son insuffisance pour atteindre ce qui dépasse le domaine de lindividualité. Il se produit déjà, du fait de cette insuffisance, quelque chose de ce genre, avant toute expression extérieure, dans lordre de la pensée formelle (qui, du reste, apparaît aussi comme une expression si on lenvisage par rapport à linformel) : toute idée à laquelle on pense avec intensité finit par « se figurer », par prendre en quelque façon une forme humaine, celle même du penseur ; on dirait que, suivant une comparaison fort expressive de Shankarâchârya, « la pensée coule dans lhomme comme le métal en fusion se répand, dans le moule du fondeur ». Lintensité même de la pensée ([279]) fait quelle occupe lhomme tout entier, dune manière analogue à celle dont leau remplit un vase jusquaux bords ; elle prend donc la forme de ce qui la contient et la limite, cest-à-dire, en dautres termes, quelle devient anthropomorphe. Cest là, encore une fois, une imperfection à laquelle lêtre individuel, dans les conditions restreintes et particularisées de son existence, ne peut guère échapper ; à la vérité, ce nest même pas en tant quindividu quil le peut, bien quil doive y tendre, car laffranchissement complet dune telle limitation ne sobtient que dans les états extra-individuels et supra-individuels, cest-à-dire informels, atteints au cours de la réalisation effective de lêtre total.
Ceci étant dit pour prévenir toute objection possible à cet égard, il est évident quil ne peut y avoir aucune commune mesure entre, dune part, le « Soi », envisagé comme la totalisation de lêtre sintégrant suivant les trois dimensions de la croix, pour se réintégrer finalement en son Unité première, réalisée dans cette plénitude même de lexpansion que symbolise lespace tout entier, et, dautre part, une modification individuelle quelconque, représentée par un élément infinitésimal du même espace ou même lintégralité dun état, dont la figuration plane (ou du moins considérée comme plane avec les restrictions que nous avons faites, cest-à-dire tant que lon envisage cet état isolément) comporte encore un élément infinitésimal par rapport à lespace à trois dimensions, puisque, en situant cette figuration dans lespace (cest-à-dire dans lensemble de tous les états dêtre), son plan horizontal doit être regardé comme se déplaçant effectivement dune quantité infinitésimale suivant la direction de laxe vertical ([280]). Puisquil sagit déléments infinitésimaux, même dans un symbolisme géométrique forcément restreint et limité, on voit que, en réalité et a fortiori, cest bien là, pour ce qui est symbolisé respectivement par les deux termes que nous venons de comparer entre eux, une incommensurabilité absolue, ne dépendant daucune convention plus ou moins arbitraire, comme lest toujours le choix de certaines unités relatives dans les mesures quantitatives ordinaires. Dautre part, quand il sagit de lêtre total, un indéfini est pris ici pour symbole de lInfini, dans la mesure où il est permis de dire que lInfini peut être symbolisé ; mais il est bien entendu que ceci ne revient nullement à les confondre comme le font assez habituellement les mathématiciens et les philosophes occidentaux. « Si nous pouvons prendre lindéfini comme image de lInfini, nous ne pouvons appliquer à lInfini les raisonnements de lindéfini ; le symbolisme descend et ne remonte point » ([281]).
Cette intégration ajoute une dimension à la représentation spatiale correspondante ; on sait en effet que, en partant de la ligne qui est le premier degré de lindéfinité dans létendue, lintégrale simple correspond au calcul dune surface, et lintégrale double au calcul dun volume. Donc, sil a fallu une première intégration pour passer de la ligne à la surface, qui est mesurée par la croix à deux dimensions décrivant le cercle indéfini qui ne se ferme pas (ou la spirale plane envisagée simultanément dans toutes ses positions possibles), il faut une seconde intégration pour passer de la surface au volume, dans lequel la croix à trois dimensions produit, par lirradiation de son centre suivant toutes les directions de lespace où il sest situé, le sphéroïde indéfini dont un mouvement vibratoire nous donne limage, le volume toujours ouvert en tous sens qui symbolise le vortex universel de la « Voie ».
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Chapitre XXVII<o:p></o:p>
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Après ce que nous avons dit dans le chapitre précédent au sujet de lanthropomorphisme, il est clair que lindividualité humaine, même envisagée dans son intégralité (et non pas restreinte à la seule modalité corporelle), ne saurait avoir une place privilégiée et « hors série » dans la hiérarchie indéfinie des états de lêtre total ; elle y occupe son rang comme nimporte lequel des autres états et au même titre exactement, sans rien de plus ni de moins, conformément à la loi dharmonie qui régit les rapports de tous les cycles de lExistence universelle. Ce rang est déterminé par les conditions particulières qui caractérisent létat dont il sagit et en délimitent le domaine ; et, si nous ne pouvons le connaître actuellement, cest quil ne nous est pas possible, en tant quindividus humains, de sortir de ces conditions pour les comparer à celles des autres états, dont les domaines nous sont forcément inaccessibles ; mais il nous suffit évidemment, toujours comme individus, de comprendre que ce rang est ce quil doit être et ne peut pas être autre quil est, chaque chose étant rigoureusement à la place quelle doit occuper comme élément de lordre total. En outre, en vertu de cette même loi dharmonie à laquelle nous venons de faire allusion, « lhélice évolutive étant régulière partout et en tous ses points, le passage dun état à un autre se fait aussi logiquement et aussi simplement que le passage dune situation (ou modification) à une autre dans lintérieur dun même état » (
[282]), sans que, à ce point de vue tout au moins, il y ait nulle part dans lUnivers la moindre solution de continuité.
Si nous devons cependant faire une restriction en ce qui concerne la continuité (sans laquelle la causalité universelle ne saurait être satisfaite, car elle exige que tout senchaîne sans aucune interruption), cest que, comme nous lavons indiqué plus haut, il y a, à un point de vue autre que celui du parcours des cycles, un moment de discontinuité dans le développement de lêtre : ce moment qui a un caractère absolument unique, cest celui où se produit, sous laction du « Rayon Céleste » opérant sur un plan de réflexion, la vibration qui correspond au Fiat Lux cosmogonique et qui illumine, par son irradiation, tout le chaos des possibilités. À partir de ce moment, lordre succède au chaos, la lumière aux ténèbres, lacte à la puissance, la réalité à la virtualité ; et, lorsque cette vibration a atteint son plein effet en samplifiant et se répercutant jusquaux confins de lêtre, celui-ci, ayant dès lors réalisé sa plénitude totale, nest évidemment plus assujetti à parcourir tel ou tel cycle particulier, puisquil les embrasse tous dans la parfaite simultanéité dune compréhension synthétique « non-distinctive ». Cest là ce qui constitue à proprement parler la « transformation », conçue comme impliquant le « retour des êtres en modification dans lÊtre immodifié », en dehors et au delà de toutes les conditions spéciales qui définissent les degrés de lExistence manifestée. « La modification, dit le sage Shi-ping-wen, est le mécanisme qui produit tous les êtres ; la transformation est le mécanisme dans lequel sabsorbent tous les êtres » ([283]).
Cette « transformation » (au sens étymologique de passage au delà de la forme), par laquelle seffectue la réalisation de l« Homme Universel », nest pas autre chose que la « Délivrance » (en sanscrit Moksha ou Mukti) dont nous avons parlé ailleurs ([284]) ; elle requiert, avant tout, la détermination préalable dun plan de réflexion du « Rayon Céleste », de telle sorte que létat correspondant devienne par là même létat central de lêtre. Dailleurs, cet état, en principe, peut être quelconque, puisque tous sont parfaitement équivalents quand ils sont envisagés de lInfini ; et le fait que létat humain nest en rien distingué parmi les autres comporte évidemment, pour lui aussi bien que pour nimporte quel autre état, la possibilité de devenir cet état central. La « transformation » peut donc être atteinte à partir de létat humain pris comme base, et même à partir de toute modalité de cet état, ce qui revient à dire quelle est notamment possible pour lhomme corporel et terrestre ; en dautres termes, et comme nous lavons dit en son lieu ([285]), la « Délivrance » peut sobtenir « dans la vie » (jîvan-mukti), ce qui nempêche pas quelle implique essentiellement, pour lêtre qui lobtient ainsi comme dans tout autre cas, la libération absolue et complète des conditions limitatives de toutes les modalités et de tous les états.
Pour ce qui est du processus effectif de développement qui permet à lêtre de parvenir, après avoir traversé certaines phases préliminaires, à ce moment précis où sopère la « transformation », nous navons nullement lintention den parler ici, car il est évident que sa description, même sommaire, ne saurait rentrer dans le cadre dune étude comme celle-ci, dont le caractère doit rester purement théorique. Nous avons seulement voulu indiquer quelles sont les possibilités de lêtre humain, possibilités qui, dailleurs, sont nécessairement, sous le rapport de la totalisation, celles de lêtre en chacun de ses états, puisque ceux-ci ne sauraient maintenir entre eux aucune différenciation au regard de lInfini, où réside la Perfection.
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Chapitre XXVIII<o:p></o:p>
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En rapprochant les dernières considérations de ce que nous avons dit au début, on peut se rendre compte aisément que la conception traditionnelle de l« Homme Universel » na en réalité, malgré sa désignation, absolument rien danthropomorphique ; mais, si tout anthropomorphisme est nettement antimétaphysique et doit être rigoureusement écarté comme tel, il nous reste à préciser en quel sens et dans quelles conditions un certain anthropocentrisme peut, par contre, être regardé comme légitime (
[286]). Tout dabord, comme nous lavons indiqué, lhumanité, au point de vue cosmique, joue réellement un rôle « central » par rapport au degré de lExistence auquel elle appartient, mais seulement par rapport à celui-là, et non pas, bien entendu, à lensemble de lExistence universelle, dans lequel ce degré nest quun quelconque parmi une multitude indéfinie, sans rien qui lui confère une situation spéciale par rapport aux autres. À cet égard, il ne peut donc être question danthropocentrisme que dans un sens restreint et relatif, mais cependant suffisant pour justifier la transposition analogique à laquelle donne lieu la notion de lhomme, et, par conséquent, la dénomination même de l« Homme Universel ».
À un autre point de vue, nous avons vu que tout individu humain, aussi bien dailleurs que toute manifestation dun être dans un état quelconque, a en lui-même la possibilité de se faire centre par rapport à lêtre total ; on peut donc dire quil lest en quelque sorte virtuellement, et que le but quil doit se proposer, cest de faire de cette virtualité une réalité actuelle. Il est donc permis à cet être, avant même cette réalisation, et en vue de celle-ci, de se placer en quelque sorte idéalement au centre ([287]) ; du fait quil est dans létat humain, sa perspective particulière donne naturellement à cet état une importance prépondérante, contrairement à ce qui a lieu quand on lenvisage du point de vue de la métaphysique pure, cest-à-dire de lUniversel ; et cette prépondérance se trouvera pour ainsi dire justifiée a posteriori dans le cas où cet être, prenant effectivement létat en question pour point de départ et pour base de sa réalisation, en fera véritablement létat central de sa totalité, correspondant au plan horizontal de coordonnées dans notre représentation géométrique. Ceci implique tout dabord la réintégration de lêtre considéré au centre même de létat humain, réintégration en laquelle consiste proprement la restitution de l« état primordial », et ensuite, pour ce même être, lidentification du centre humain lui-même avec le centre universel ; la première de ces deux phases est la réalisation de lintégralité de létat humain, la seconde est celle de la totalité de lêtre.
Suivant la tradition extrême-orientale, l« homme véritable » (tchenn-jen) est celui qui, ayant réalisé le retour à l« état primordial », et par conséquent la plénitude de lhumanité, se trouve désormais établi définitivement dans l« Invariable Milieu », et échappe déjà par là même aux vicissitudes de la « roue des choses ». Au-dessus de ce degré est l« homme transcendant » (cheun-jen), qui à proprement parler nest plus un homme, puisquil a dépassé lhumanité et est entièrement affranchi de ses conditions spécifiques : cest celui qui est parvenu à la réalisation totale, à l« Identité Suprême » ; celui-là est donc véritablement devenu l« Homme Universel ». Il nen est pas ainsi pour l« homme véritable », mais cependant on peut dire que celui-ci est tout au moins virtuellement l« Homme Universel », en ce sens que, dès lors quil na plus à parcourir dautres états en mode distinctif, puisquil est passé de la circonférence au centre, létat humain devra nécessairement être pour lui létat central total, bien quil ne le soit pas encore dune façon effective ([288]).
Ceci permet de comprendre en quel sens doit être entendu le terme intermédiaire de la « Grande Triade » quenvisage la tradition extrême-orientale : les trois termes sont le « Ciel » (Tien), la « Terre » (Ti) et l« Homme » (Jen), ce dernier jouant en quelque sorte un rôle de « médiateur » entre les deux autres, comme unissant en lui leurs deux natures. Il est vrai que, même en ce qui concerne lhomme individuel, on peut dire quil participe réellement du « Ciel » et de la « Terre », qui sont la même chose que Purusha et Prakriti, les deux pôles de la manifestation universelle ; mais il ny a rien qui soit spécial au cas de lhomme, car il en est nécessairement de même pour tout être manifesté. Pour quil puisse remplir effectivement, à légard de lExistence universelle, le rôle dont il sagit, il faut que lhomme soit parvenu à se situer au centre de toutes choses, cest-à-dire quil ait atteint tout au moins létat de l« homme véritable » ; encore ne lexerce-t-il alors effectivement que pour un degré de lExistence ; et cest seulement dans létat de l« homme transcendant » que cette possibilité est réalisée dans sa plénitude. Ceci revient à dire que le véritable « médiateur », en qui lunion du « Ciel » et de la « Terre » est pleinement accomplie par la synthèse de tous les états, est l« Homme Universel », qui est identique au Verbe ; et notons-le en passant, beaucoup de points des traditions occidentales, même dans lordre simplement théologique, pourraient trouver par là leur explication la plus profonde ([289]).
Dautre part, le « Ciel » et la Terre » étant deux principes complémentaires, lun actif et lautre passif, leur union peut être représentée par la figure de l« Androgyne », et ceci nous ramène à quelques-unes des considérations que nous avons indiquées dès le début en ce qui concerne l« Homme Universel ». Ici encore, la participation des deux principes existe pour tout être manifesté, et elle se traduit en lui par la présence des deux termes yang et yin, mais en proportion diverses et toujours avec prédominance de lun ou de lautre ; lunion parfaitement équilibrée de ces deux termes ne peut être réalisée que dans l« état primordial » ([290]). Quant à létat total, il ne peut plus y être question daucune distinction du yang et du yin, qui sont alors rentrés dans lindifférenciation principielle ; on ne peut donc même plus parler ici de l« Androgyne », ce qui implique déjà une certaine dualité dans lunité même, mais seulement de la « neutralité » qui est celle de lÊtre considéré en soi-même, au delà de la distinction de l« essence » et de la « substance », du « Ciel » et de la « Terre », de Purusha et de Prakriti. Cest donc seulement par rapport à la manifestation que le couple Purusha-Prakriti peut être, comme nous le disions plus haut, identifié à l« Homme Universel » ([291]) : et cest aussi à ce point de vue, évidemment, que celui-ci est le « médiateur » entre le « Ciel » et la « Terre », ces deux termes eux-mêmes disparaissant dès lors quon passe au delà de la manifestation ([292]).
Chapitre XXIX<o:p></o:p>
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Les considérations que nous avons exposées ne nous conduisent nullement, comme certains pourraient le croire à tort si nous ne prenions la précaution dy insister quelque peu, à envisager lespace comme « une sphère dont le centre est partout et la circonférence nulle part », suivant la formule souvent citée de Pascal, qui, du reste, nen est peut être pas le premier inventeur. En tout cas, nous ne voulons pas rechercher ici dans quel sens précis Pascal lui-même entendait cette phrase, qui a pu être mal interprétée ; cela nous importe peu, car il est bien évident que lauteur des trop célèbres considérations sur les « deux infinis », malgré ses mérites incontestables à dautres égards, ne possédait aucune connaissance dordre métaphysique ([293]).
Dans la représentation spatiale de lêtre total, il est vrai, sans doute, que chaque point, avant toute détermination, est, en puissance, centre de lêtre que représente cette étendue où il est situé ; mais il ne lest quen puissance et virtuellement, tant que le centre réel nest pas effectivement déterminé. Cette détermination implique, pour le centre, une identification à la nature même du point principiel, qui, en soi, nest à proprement parler nulle part, puisquil nest pas soumis à la condition spatiale, ce qui lui permet den contenir toutes les possibilités ; ce qui est partout, au sens spatial, ce ne sont donc que les manifestations de ce point principiel, qui remplissent en effet létendue tout entière, mais qui ne sont que de simples modalités, de telle sorte que l« ubiquité » nest en somme que le substitut sensible de l« omniprésence » véritable ([294]). De plus, si le centre de létendue sassimile en quelque façon tous les autres points par la vibration quil leur communique, ce nest quen tant quil les fait participer de la même nature indivisible et inconditionnée qui est devenue la sienne propre, et cette participation, pour autant quelle est effective, les soustrait par là même à la condition spatiale.
Il y a lieu, en tout ceci, de tenir compte dune loi générale élémentaire que nous avons déjà rappelée en diverses occasions et quon ne devrait jamais perdre de vue, encore que certains paraissent lignorer presque systématiquement : cest que, entre le fait ou lobjet sensible (ce qui est au fond la même chose) que lon prend pour symbole et lidée ou plutôt le principe métaphysique que lon veut symboliser dans la mesure où il peut lêtre, lanalogie est toujours inversée, ce qui est dailleurs le cas de la véritable analogie ([295]). Ainsi, dans lespace considéré dans sa réalité actuelle, et non plus comme symbole de lêtre total, aucun point nest et ne peut être centre ; tous les points appartiennent également au domaine de la manifestation, par le fait même quils appartiennent à lespace, qui est une des possibilités dont la réalisation est comprise dans ce domaine, lequel, dans son ensemble, constitue rien de plus que la circonférence de la « roue des choses », ou ce que nous pouvons appeler lextériorité de lExistence universelle. Parler ici d« intérieur » et d« extérieur » est dailleurs encore, aussi bien que de parler de centre et de circonférence, un langage symbolique, et même dun symbolisme spatial ; mais limpossibilité de se passer de tels symboles ne prouve pas autre chose que cette inévitable imperfection de nos moyens dexpression que nous avons déjà signalée plus haut. Si nous pouvons, jusquà un certain point, communiquer nos conceptions à autrui, dans le monde manifesté et formel (puisquil sagit dun état individuel restreint, hors duquel il ne pourrait dailleurs plus être même question d« autrui » à proprement parler, tout au moins au sens « séparatif » quimplique ce mot dans le monde humain), ce nest évidemment quà travers des figurations manifestant ces conceptions dans certaines formes, cest-à-dire par des correspondances et des analogies ; cest là le principe et la raison dêtre de tout symbolisme, et toute expression, quel quen soit le mode, nest en réalité pas autre chose quun symbole ([296]). Seulement, « gardons-nous bien de confondre la chose (ou lidée) avec la forme détériorée sous laquelle nous pouvons seulement la figurer, et peut-être même la comprendre (en tant quindividus humains) ; car les pires erreurs métaphysiques (ou plutôt antimétaphysiques) sont issues de linsuffisante compréhension et de la mauvaise interprétation des symboles. Et rappelons-nous toujours le dieu Janus, qui est représenté avec deux figures, et qui cependant nen a quune, qui nest ni lune ni lautre de celles que nous pouvons toucher ou voir » ([297]). Cette image de Janus pourrait sappliquer très exactement à la distinction de l« intérieur » et de l« extérieur », tout aussi bien quà la considération du passé et de lavenir ; et le visage unique, que nul être relatif et contingent ne peut contempler sans être sorti de sa condition bornée, ne saurait être au mieux comparé quau troisième il de Shiva, qui voit toutes choses dans l« éternel présent » ([298]).
Dans ces conditions, et avec les restrictions qui simposent daprès ce que nous venons de dire, nous pouvons, et nous devons même, pour conformer notre expression au rapport normal de toutes les analogies (que nous appellerions volontiers, en termes géométriques, un rapport dhomothétie inverse), renverser lénoncé de la formule de Pascal que nous avons rappelée plus haut. Cest dailleurs ce que nous avons trouvé dans un des textes taoïstes que nous avons cités précédemment. « Le point qui est le pivot de la norme est le centre immobile dune circonférence sur le contour de laquelle roulent toutes les contingences, les distinctions et les individualités » ([299]). À première vue, on pourrait presque croire que ces deux images sont comparables, mais, en réalité, elles sont exactement inverses lune de lautre ; en somme, Pascal sest laissé entraîner par son imagination de géomètre, qui la amené à renverser les véritables rapports, tels quon doit les envisager au point de vue métaphysique. Cest le centre qui nest proprement nulle part, puisque, comme nous lavons dit, il est essentiellement « non-localisé » ; il ne peut être trouvé en aucun lieu de la manifestation, étant absolument transcendant par rapport à celle-ci, tout en étant intérieur à toutes choses. Il est au delà de tout ce qui peut être atteint par les sens et par les facultés qui procèdent de lordre sensible : « Le Principe ne peut être atteint ni par la vue ni par louïe... Le Principe ne peut pas être entendu ; ce qui sentend, ce nest pas Lui. Le Principe ne peut pas être vu ; ce qui se voit, ce nest pas Lui. Le Principe ne peut pas être énoncé ; ce qui sénonce, ce nest pas Lui... Le Principe, ne pouvant pas être imaginé, ne peut pas non plus être décrit » ([300]). Tout ce qui peut être vu, entendu, imaginé, énoncé ou décrit, appartient nécessairement à la manifestation, et même à la manifestation formelle ; cest donc, en réalité, la circonférence qui est partout, puisque tous les lieux de lespace, ou, plus généralement, toutes les choses manifestées (lespace nétant ici quun symbole de la manifestation universelle), « toutes les contingences, les distinctions et les individualités », ne sont que des éléments du « courant des formes », des points de la circonférence de la « roue cosmique ».
Donc, pour résumer ceci en quelques mots, nous pouvons dire que, non seulement dans lespace, mais dans tout ce qui est manifesté, cest lextérieur ou la circonférence qui est partout, tandis que le centre nest nulle part, puisquil est non manifesté ; mais (et cest ici que lexpression du « sens inverse », prend toute sa force significative) le manifesté ne serait absolument rien sans ce point essentiel, qui nest lui-même rien de manifesté, et qui, précisément en raison de sa non-manifestation, contient en principe toutes les manifestations possibles, étant véritablement le « moteur immobile » de toutes choses, lorigine immuable de toute différenciation et de toute modification. Ce point produit tout lespace (ainsi que les autres manifestations) en sortant de lui-même en quelque sorte, par le déploiement de ses virtualités en une multitude indéfinie de modalités, desquelles il remplit cet espace tout entier ; mais, quand nous disons quil sort de lui-même pour effectuer ce développement, il ne faudrait pas prendre à la lettre cette expression très imparfaite, car ce serait là une grossière erreur. En réalité, le point principiel dont nous parlons, nétant jamais soumis à lespace, puisque cest lui qui leffectue et que le rapport de dépendance (ou le rapport causal) nest évidemment pas réversible, demeure « non-affecté » par les conditions de ses modalités quelconques, doù il résulte quil ne cesse point dêtre identique à lui-même. Quand il a réalisé sa possibilité totale, cest pour revenir (mais sans que lidée de « retour » ou de « recommencement » soit cependant aucunement applicable ici) à la « fin qui est identique au commencement », cest-à-dire à cette Unité première qui contenait tout en principe, Unité qui, étant lui-même (considéré comme le « Soi »), ne peut en aucune façon devenir autre que lui-même (ce qui impliquerait une dualité), et dont, par conséquent, envisagé en lui-même, il nétait point sorti. Dailleurs, tant quil sagit de lêtre en soi, symbolisé par le point, et même de lÊtre universel, nous ne pouvons parler que de lUnité, comme nous venons de le faire ; mais, si nous voulions, en dépassant les bornes de lÊtre même, envisager la Perfection absolue, nous devrions passer en même temps, par delà cette Unité, au Zéro métaphysique, quaucun symbolisme ne saurait représenter, non plus quaucun nom ne saurait le nommer ([301]).
Chapitre XXX<o:p></o:p>
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Dans tout ce qui précède, nous navons pas cherché à établir une distinction nette entre les significations respectives des deux termes « espace » et « étendue », et, dans bien des cas, nous les avons même employés à peu près indifféremment lun pour lautre ; cette distinction, comme celle du « temps » et de la « durée », peut être dun grand usage pour certaines subtilités philosophiques, elle peut même avoir quelque valeur réelle au point de vue cosmologique, mais, assurément, la métaphysique pure nen a que faire ([302]). Dailleurs, dune façon générale, nous préférons nous abstenir de toutes les complications de langage qui ne seraient pas strictement nécessaires à la clarté et à la précision de notre exposé ; et, suivant une déclaration qui nest pas de nous, mais que nous pouvons entièrement faire nôtre, « nous répugnons à charger la métaphysique dune nouvelle terminologie, nous rappelant que les terminologies sont des sujets de discussions, derreur et de discrédit ; ceux qui les créent, pour les besoins apparents de leurs démonstrations, en hérissent incompréhensiblement leurs textes, et sy attachent avec tant damour que souvent ces terminologies, arides et inutiles, finissent par constituer lunique nouveauté du système proposé » ([303]).
En dehors de ces raisons générales, sil nous est arrivé souvent dappeler espace ce qui, à proprement parler, nest en réalité quune étendue particulière à trois dimensions, cest que, même dans le plus haut degré duniversalisation du symbole spatial que nous avons étudié, nous navons pas dépassé les limites de cette étendue, prise pour donner une figuration, nécessairement imparfaite comme nous lavons expliqué, de lêtre total. Cependant, si lon voulait sastreindre à un langage plus rigoureux, on devrait sans doute nemployer le mot « espace » que pour désigner lensemble de toutes les étendues particulières ; ainsi, la possibilité spatiale, dont lactualisation constitue une des conditions spéciales de certaines modalités de manifestation (telles que notre modalité corporelle, en particulier) dans le degré dexistence auquel appartient létat humain, contient dans son indéfinité toutes les étendues possibles, dont chacune est elle-même indéfinie à un moindre degré, et qui peuvent différer entre elles par le nombre des dimensions ou par dautres caractéristiques ; et il est dailleurs évident que létendue dite « euclidienne », quétudie la géométrie ordinaire, nest quun cas particulier de létendue à trois dimensions, puisquelle nen est pas la seule modalité concevable ([304]).
Malgré cela, la possibilité spatiale, même dans toute cette généralité où nous lenvisageons, nest encore quune possibilité déterminée, indéfinie sans doute, et même indéfinie à une puissance multiple, mais néanmoins finie, puisque, comme le montre en particulier la production de la série des nombres à partir de lunité, lindéfini procède du fini, ce qui nest possible quà la condition que le fini lui-même contienne en puissance cet indéfini ; et il est bien évident que le « plus » ne peut pas sortir du « moins », ni linfini du fini. Dailleurs, sil en était autrement, la coexistence dune indéfinité dautres possibilités, qui ne sont pas comprises dans celle-là ([305]), et dont chacune est également susceptible dun développement indéfini, serait impossible ; et cette seule considération, à défaut de toute autre, suffirait pleinement à démontrer labsurdité de cet « espace infini » dont on a tant abusé ([306]), car ne peut être vraiment infini que ce qui comprend tout, ce hors de quoi il ny a absolument rien qui puisse le limiter dun façon quelconque, cest-à-dire la Possibilité totale et universelle ([307]).
Nous arrêterons là le présent exposé, réservant pour une autre étude le surplus des considérations relatives à la théorie métaphysique des états multiples de lêtre, que nous envisagerons alors indépendamment du symbolisme géométrique auquel elle donne lieu. Pour rester dans les limites que nous entendons nous imposer pour le moment, nous ajouterons simplement ceci, qui nous servira de conclusion : cest par la conscience de lIdentité de lÊtre, permanente à travers toutes les modifications indéfiniment multiples de lExistence unique, que se manifeste, au centre même de notre état humain aussi bien que de tous les autres états, cet élément transcendant et informel, donc non-incarné et non-individualisé, qui est appelé le « Rayon Céleste » ; et cest cette conscience, supérieure par là même à toute faculté de lordre formel, donc essentiellement supra-rationnelle, et impliquant lassentiment de la loi dharmonie qui relie et unit toutes choses dans lUnivers, cest, disons-nous, cette conscience qui, pour notre être individuel, mais indépendamment de lui et des conditions auxquelles il est soumis, constitue véritablement la « sensation de léternité » ([308]).
[1] Orient et Occident, 2e éd., pp. 203-207.
[2] Introduction générale à létude des doctrines hindoues, 3e partie, ch. III ; LHomme et son devenir selon le Vêdânta, 3e éd., ch. Ier.
[3] « La vérité historique elle-même nest solide que quand elle dérive du Principe » (Tchoang-tseu, ch. XXV).
[4] Voir LHomme et son devenir selon le Vêdânta, ch. II et X.
[5] Ibid., ch. II
[6] Il résulte de là que, rigoureusement parlant, lexpression vulgaire « existence de Dieu » est un non-sens, que lon entende dailleurs par « Dieu », soit lÊtre comme on le fait le plus souvent soit, à plus forte raison, le Principe Suprême qui est au delà de lÊtre.
[7] Ce terme est celui qui nous permet de rendre le plus exactement lexpression arabe équivalente Wahdatul-wujûd. Sur la distinction quil y a lieu de faire entre l« unicité » de lExistence, l« unité » de lÊtre et la « non-dualité » du Principe Suprême, lire LHomme et son devenir selon le Vêdânta, ch. VI.
[8] Il est à remarquer que les philosophes, pour édifier leurs systèmes prétendent toujours, consciemment ou non, imposer quelque limitation à la Possibilité universelle, ce qui est contradictoire, mais ce qui est exigé par la constitution même dun système comme tel ; il pourrait même être assez curieux de faire lhistoire des différentes théories philosophiques modernes, qui sont celles qui présentent au plus haut degré ce caractère systématique, en se plaçant à ce point de vue des limitations supposées de la Possibilité universelle.
[9] Sur létat qui correspond au degré de lÊtre et létat inconditionné qui est au delà de lÊtre, voir LHomme et son devenir selon le Vêdânta, ch. XIV et XV, 3e éd.
[10] L« Homme Universel » (en arabe El-Insânul-kâmil) est lAdam Qadmôn de la Qabbalah hébraïque ; cest aussi le « Roi » (Wang) de la tradition extrême-orientale (Tao-te-king, XXV). Il existe, dans lésotérisme islamique, un assez grand nombre de traités de différents auteurs sur El-Insânul-kâmil ; nous mentionnerons seulement ici, comme plus particulièrement importants à notre point de vue, ceux de Mohyiddin ibn Arabi et dAbdul-Karîm El-Jîli.
[11] Nous nous sommes déjà expliqué ailleurs sur lemploi que nous faisons de ces termes, ainsi que de certains autres pour lesquels nous estimons navoir pas à nous préoccuper davantage de labus qui a pu en être fait parfois (LHomme et son devenir selon le Vêdânta, ch. II et IV). Ces termes, dorigine grecque, ont aussi en arabe leurs équivalents exacts (El-Kawnul-kebir et El-Kawnuç-çeghir), qui sont pris dans la même acception.
[12] On pourrait faire une remarque semblable en ce qui concerne la théorie des cycles, qui nest au fond quune autre expression des états dexistence : tout cycle secondaire reproduit en quelque sorte, à une moindre échelle, des phases correspondantes à celles du cycle plus étendu auquel il est subordonné.
[13] Cf. le Purusha-Sûkta du Rig-Vêda, X, 90.
[14] À ce sujet, et à propos du Vaishwânara de la tradition hindoue, voir LHomme et son devenir selon le Vêdânta, ch. XII.
[15] Voir ibid., ch. I et III.
[16] Nous avons montré que ceci se trouve très nettement exprimé a la fois dans des textes tirés les uns des Upanishads et les autres de lÉvangile.
[17] Signalons notamment, à cet égard, la tradition islamique relative à la création des anges et à celle de lhomme. Il va sans dire que la signification réelle de ces traditions na absolument rien de commun avec aucune conception « transformiste », ou même simplement « évolutionniste », au sens le plus général de ce mot, ni avec aucune des fantaisies modernes qui sinspirent plus ou moins directement de telles conceptions antitraditionnelles.
[18] La réalisation de lindividualité humaine intégrale correspond à l« état primordial », dont nous avons eu souvent à parler déjà, et qui est appelé « état édénique » dans la tradition judéo-chrétienne.
[19] Nous rappelons, pour éviter toute équivoque, que nous prenons toujours le mot « transformation » dans son sens strictement étymologique, qui est celui de « passage au delà de la forme », donc au delà de tout ce qui appartient à lordre des existences individuelles.
[20] En un certain sens, ces deux états négatif et positif de l« Homme Universel » correspondent respectivement, dans le langage de la tradition judéo-chrétienne, à létat préalable à la « chute » et à létat consécutif à la « rédemption » ; ce sont donc, à ce point de vue, les deux Adam dont parle saint Paul (1ère Épître aux Corinthiens, XV), ce qui montre en même temps le rapport de l« Homme Universel » avec le Logos (Cf. Autorité spirituelle et pouvoir temporel, 2e éd., p. 98).
[21] Ces termes sont empruntés au langage de lésotérisme islamique, qui est particulièrement précis sur ce point. Dans le monde occidental, le symbole de la « Rose-Croix » a eu exactement le même sens, avant que lincompréhension moderne ne donne lieu à toutes sortes dinterprétations bizarres ou insignifiantes ; la signification de la rose sera expliquée plus loin.
[22] « Lorsque lhomme, dans le « degré universel », sexalte vers le sublime, lorsque surgissent en lui les autres degrés (états non-humains) en parfait épanouissement, il est l« Homme Universel ». Lexaltation ainsi que lampleur ont atteint leur plénitude dans le Prophète (qui est ainsi identique à l« Homme Universel ») » (Épître sur la Manifestation du Prophète, par le Sheikh Mohammed ibn Fadlallah El-Hindi). Ceci permet de comprendre cette parole qui fut prononcée, il y a une vingtaine dannées, par un personnage occupant alors dans lIslam, même au simple point de vue exotérique, un rang fort élevé : « Si les Chrétiens ont le signe de la croix, les Musulmans en ont la doctrine. » Nous ajouterons que, dans lordre ésotérique, le rapport de l« Homme Universel » avec le Verbe dune part et avec le Prophète dautre part ne laisse subsister, quant au fond même de la doctrine, aucune divergence réelle entre le Christianisme et lIslam, entendus lun et lautre dans leur véritable signification. Il semble que la conception du Vohu-Mana, chez les anciens Perses, ait correspondu aussi à celle de l« Homme Universel ».
[23] Voir à ce sujet les derniers chapitres de LHomme et son devenir selon le Vêdânta.
[24] Ce nombre, qui est 66, est donné par la somme des valeurs numériques des lettres formant les noms Adam wa Hawâ. Suivant la Genèse hébraïque, lhomme, « créé mâle et femelle », cest-à-dire dans un état androgynique, est « à limage de Dieu » ; et, daprès la tradition islamique, Allah ordonna aux anges dadorer lhomme (Qorân, II, 34 ; XVII, 61 ; XVIII, 50). Létat androgynique originel est létat humain complet, dans lequel les complémentaires, au lieu de sopposer, séquilibrent parfaitement ; nous aurons à revenir sur ce point dans la suite. Nous ajouterons seulement ici, que, dans la tradition hindoue, une expression de cet état se trouve contenue symboliquement dans le mot Hamsa, où les deux pôles complémentaires de lêtre sont, en outre, mis en correspondance avec les deux phases de la respiration, qui représentent celles de la manifestation universelle.
[25] Les deux stades que nous indiquons ici dans la réalisation de l« Identité Suprême » correspondent à la distinction que nous avons déjà faite ailleurs entre ce que nous pouvons appeler l« immortalité effective » et l« immortalité virtuelle » (voir LHomme et son devenir selon le Vêdânta, ch. XVIII, 3e éd.)<o:p></o:p>
[26] Nous avons eu déjà loccasion de signaler que Leibnitz, différent en cela des autres philosophes modernes, avait eu quelques données traditionnelles, dailleurs assez élémentaires et incomplètes, et que, à en juger par lusage quil en fait, il ne semble pas avoir toujours parfaitement comprises.
[27] Un autre défaut capital de la conception de Leibnitz, défaut qui, dailleurs, est peut-être lié plus ou moins étroitement à celui-là, est lintroduction du point de vue moral dans des considérations dordre universel où il na rien à voir, par le « principe du meilleur » dont ce philosophe a prétendu faire la « raison suffisante » de toute existence. Ajoutons encore, à ce propos, que la distinction du possible et du réel, telle que Leibnitz veut létablir, ne saurait avoir aucune valeur métaphysique, car tout ce qui est possible est par là même réel selon son mode propre.
[28] Ces citations sont empruntées, à titre dexemple très caractéristique, à un auteur maçonnique bien connu, J.-M. Ragon (Rituel du grade de Rose-Croix, pp. 25-28).
[29] Il est peut-être bon de rappeler encore ici, quoique nous layons déjà fait en dautres occasions, que cest cette interprétation astronomique, toujours insuffisante en elle-même, et radicalement fausse quand elle prétend être exclusive, qui a donné naissance à la trop fameuse théorie du « mythe solaire », inventée vers la fin du XVIIIe siècle par Dupuis et Volney, puis reproduite plus tard par Max Müller, et encore de nos jours par les principaux représentants dune soi-disant « science des religions » quil nous est tout à fait impossible de prendre au sérieux.
[30] Remarquons, dailleurs, que le symbole garde toujours sa valeur propre, même lorsquil est tracé sans intention consciente, comme il arrive notamment quand certains symboles incompris sont conservés simplement à titre dornementation.
[31] Il ne faut pas confondre « directions » et « dimensions » de lespace : il y a six directions, mais seulement trois dimensions, dont chacune comporte deux directions diamétralement opposées. Cest ainsi que la croix dont nous parlons a six branches, mais est formée seulement de trois droites dont chacune est perpendiculaire aux deux autres ; chaque branche est, suivant le langage géométrique, une « demi-droite » dirigée dans un certain sens à partir du centre.
[32] Le Roi du Monde, ch. VII.
[33] P. Vulliaud, La Kabbale juive, t. Ier, pp. 215-216.
[34] Ce Nom est formé de quatre lettres, iod he vau he, mais parmi lesquelles il nen est que trois distinctes, le he étant répété deux fois.
[35] Il sagit des « colonnes » de larbre séphirothique : colonne du milieu, colonne de droite et colonne de gauche ; nous y reviendrons plus loin. Il est essentiel de noter, dautre part, que l« éther » dont il est question ici ne doit pas être entendu seulement comme le premier élément du monde corporel, mais aussi dans un sens supérieur obtenu par transposition analogique, comme il arrive également pour lÂkâsha de la doctrine hindoue (voir LHomme et son devenir selon le Vêdânta, ch. III).<o:p></o:p>
[36] Sepher Ietsirah, IV, 5.<o:p></o:p>
[37] Siphra di-Tseniutha : Zohar, II, 176 b.<o:p></o:p>
[38] Rappelons ici la parole biblique : « Mille ans sont comme un jour au regard du Seigneur ».
[39] Antiquités judaïques, I, 4.
[40] Ce dernier millénaire est sans doute assimilable au « règne de mille ans » dont il est parlé dans lApocalypse.
[41] Ces lignes sont représentées comme les « cheveux de Shiva » dans la tradition hindoue.
[42] La Kabbale juive, t. Ier, p. 217.
[43] Ibid., t. Ier, p. 217.<o:p></o:p>
[44] La « formation » (Ietsirah) doit être entendue proprement comme la production de la manifestation dans létat subtil ; la manifestation dans létat grossier est appelée Asiah, tandis que, dautre part, Beriah est la manifestation informelle. Nous avons déjà signalé ailleurs cette exacte correspondance des mondes envisagés par la Qabbalah avec le Tribhuvana de la doctrine hindoue (LHomme et son devenir selon le Vêdânta, ch. v).
[45] Ces trois points peuvent, sous ce rapport, être assimilés aux trois éléments du monosyllabe Aum (Om) dans le symbolisme hindou, et aussi dans lancien symbolisme chrétien (voir LHomme et son devenir selon le Vêdânta, ch. XVI, 3e éd., et Le Roi du Monde, ch. IV).
[46] On trouve ici léquivalent de la distinction que fait la doctrine hindoue entre Brahma « non-qualifié » (nirguna) et Brahma « qualifié » (saguna), cest-à-dire entre le « Suprême » et le « Non Suprême », ce dernier nétant autre quÎshwara (voir LHomme et son devenir selon le Vêdânta, ch. Ier et X). Middah signifie littéralement « mesure » (cf. le sanscrit mâtrâ).
[47] On sait que cest le mot par lequel commence la Genèse : « in Principio ».
[48] On voit que ce degré est la même chose que le « degré universel » de lésotérisme islamique, en lequel se totalisent synthétiquement tous les autres degrés, cest-à-dire tous les états de lExistence. La même doctrine fait aussi usage de la comparaison du miroir et dautres similaires : cest ainsi que, suivant une expression que nous avons déjà citée ailleurs (LHomme et son devenir selon le Vêdânta, ch. X), lUnité, considérée en tant quelle contient en elle-même tous les aspects de la Divinité (Asrâr rabbâniyah ou « mystères dominicaux »), cest-à-dire tous les attributs divins, exprimés par les noms çifâtiyah (voir Le Roi du Monde, ch. III), « est de lAbsolu (le « Saint » insaisissable en dehors de Ses attributs) la surface réverbérante à innombrables facettes qui magnifie toute créature qui sy mire directement » ; et il est à peine besoin de faire remarquer que cest précisément de ces Asrâr rabbâniyah quil est question ici.
[49] Le degré représenté par le point, qui correspond à lUnité, est celui de lÊtre pur (Îshwara dans la doctrine hindoue).
[50] On pourra, à ce propos, se reporter à ce quenseigne la doctrine hindoue au sujet de ce qui est au delà de lÊtre, cest-à-dire de létat inconditionné dÂtmâ (voir LHomme et son devenir selon le Vêdânta, ch. xv, 3e éd., où nous avons indiqué les enseignements concordants des autres traditions).
[51] LÊtre est encore non-manifesté, mais il est le principe de toute manifestation.
[52] Lunité est, en effet, le premier de tous les nombres ; avant elle, il ny a donc rien qui puisse être compté ; et la numération est prise ici comme symbole de la connaissance en mode distinctif.
[53] Cest le Zéro métaphysique, ou le « Non-Être » de la tradition extrême-orientale, symbolisé par le « vide » (cf. Tao-te-king, XI) ; nous avons déjà expliqué ailleurs pourquoi les expressions de forme négative sont les seules qui puissent encore sappliquer au delà de lÊtre (LHomme et son devenir selon le Vêdânta, ch. XV, 3e éd.).<o:p></o:p>
[54] Cest-à-dire dans lÊtre, qui est le principe de lExistence, laquelle est la même chose que la manifestation universelle, de même que lunité est le principe et le commencement de tous les nombres.
[55] Parce que toutes choses doivent être conçues par la pensée avant dêtre réalisées extérieurement : ceci doit être entendu analogiquement par un transfert de lordre humain a lordre cosmique.
[56] Le « Saint des Saints » était représenté par la partie la plus intérieure du Temple de Jérusalem, qui était le Tabernacle (mishkan) où se manifestait la Shekinah, cest-à-dire la « présence divine ».
[57] Cest le Verbe en tant quIntellect divin, qui est, suivant une expression employée par la théologie chrétienne, le « lieu des possibles ».
[58] Cest la « permanente actualité » de toutes choses dans l« éternel présent ».
[59] Voir Le Roi du Monde, ch. III ; on remarquera que 50 = 72 + 1. Le mot kol, « tout », en hébreu et en arabe, a pour valeur numérique 50. Cf. aussi les « cinquante portes de lIntelligence ».
[60] Cest encore le Verbe, mais en tant que Parole divine ; il est dabord Pensée à lintérieur (cest-à-dire en Soi-même), puis, Parole à lextérieur (cest-à-dire par rapport à lExistence universelle), la Parole étant la manifestation de la Pensée ; et la première parole proférée est le Iehi Aor (Fiat Lux) de la Genèse.
[61] Cité dans La Kabbale juive, t. Ier, pp. 405-406.
[62] On peut noter encore, à titre de concordance, lallusion que fait saint Paul au symbolisme des directions ou des dimensions de lespace, lorsquil parle de « la largeur, la longueur, la hauteur et la profondeur de lamour de Jésus-Christ » (Épître aux Éphésiens, III, 18). Ici, il ny a que quatre termes énoncés distinctement au lieu de six : les deux premiers correspondent respectivement aux deux axes horizontaux, chacun de ceux-ci étant pris dans sa totalité ; les deux derniers correspondent aux deux moitiés supérieure et inférieure de laxe vertical. La raison de cette distinction, en ce qui concerne les deux moitiés de cet axe vertical, est quelles se rapportent à deux gunas différents, et même opposés en un certain sens ; par contre, les deux axes horizontaux tout entiers se rapportent à un seul et même guna, ainsi quon va le voir au chapitre suivant.
[63] Voir Introduction générale à létude des doctrines hindoues, p. 244, et LHomme et son devenir selon le Vêdânta, ch. IV.
[64] Les trois gunas sont en effet inhérents à Prakriti même, qui est la « racine » (mûla) de la manifestation universelle ; ils sont dailleurs en parfait équilibre dans son indifférenciation primordiale, et toute manifestation représente une rupture de cet équilibre.
[65] Dans son acception ordinaire et littérale, le mot guna signifie « corde » ; de même, les termes bandha et pâsha, qui signifient proprement « lien », sappliquent à toutes les conditions particulières et limitatives dexistence (upâdhis) qui définissent plus spécialement tel ou tel état ou mode de la manifestation. Il faut dire cependant que la dénomination de guna sapplique plus particulièrement à la corde dun arc ; elle exprimerait donc, sous un certain rapport tout au moins, lidée de « tension » à des degrés divers, doù, par analogie, celle de « qualification » ; mais peut-être est-ce moins lidée de « tension » quil faut voir ici que celle de « tendance », qui lui est dailleurs apparentée comme les mots mêmes lindiquent, et qui est celle qui répond le plus exactement à la définition des trois gunas.
[66] Le mot varna, qui signifie proprement « couleur », et par généralisation « qualité », est employé analogiquement pour désigner la nature ou lessence dun principe ou dun être ; de là dérive aussi son usage dans le sens de « caste », parce que linstitution des castes, envisagée dans sa raison profonde, traduit essentiellement la diversité des natures propres aux différents individus humains (voir Introduction générale à létude des doctrines hindoues, 3e partie, ch. VI). Dailleurs, en ce qui concerne les trois gunas, ils sont effectivement représentés par des couleurs symboliques : tamas par le noir, rajas par le rouge, et sattwa par le blanc (Chhândogya Upanishad, 6e Prapâthaka, 3e Khanda, shruti 1 ; cf. Autorité spirituelle et pouvoir temporel, 2e éd., p. 53).
[67] Ce symbolisme nous semble éclairer et justifier suffisamment limage de la « corde darc » qui se trouve, comme nous lavons dit, impliquée dans la signification du terme guna.
[68] Cest à ce rôle du Principe, dans le monde et dans chaque être, que se réfère lexpression d« ordonnateur interne » (antaryâmî) : il dirige toutes choses de lintérieur, résidant lui-même au point le plus intérieur de tous, qui est le centre (voir LHomme et devenir selon le Vêdânta, ch. XIV, 3e éd.).<o:p></o:p>
[69] Sur ce même texte considéré comme donnant un schéma de lorganisation des « trois mondes », en correspondance avec les trois gunas, voir LÉsotérisme de Dante, ch. VI.
[70] Voir LHomme et son devenir selon le Vêdânta, ch. IV.<o:p></o:p>
[71] Voir ibid., ch. V.<o:p></o:p>
[72] Ibid., ch. IV.
[73] On connaît à cet égard le discours que Platon, dans le Banquet, met dans la bouche dAristophane, et dont la plupart des commentateurs modernes ont le tort de méconnaître la valeur symbolique, pourtant évidente. On trouve quelque chose de tout a fait similaire dans un certain aspect du symbolisme du yin-yang extrême-oriental, dont il sera question plus loin.
[74] Parmi toutes les lignes dégale longueur, la circonférence est celle qui enveloppe la surface maxima ; de même, parmi les corps dégale surface, la sphère est celui qui contient le volume maximum ; cest là, au point de vue purement mathématique, la raison pour laquelle ces figures étaient regardées comme les plus parfaites. Leibnitz sest inspiré de cette idée dans sa conception du « meilleur des mondes », quil définit comme étant, parmi la multitude indéfinie de tous les mondes possibles, celui qui renferme le plus dêtre ou de réalité positive ; mais lapplication quil en fait ainsi est, comme nous lavons déjà indiqué, dépourvue de toute portée métaphysique véritable.
[75] Cette forme sphérique lumineuse, indéfinie et non fermée, avec ses alternatives de concentration et dexpansion (successives au point de vue de la manifestation, mais en réalité simultanées dans l« éternel présent »), est, dans lésotérisme islamique, la forme la Rûh muhammadiyah ; cest cette forme totale de l« Homme Universel » que Dieu ordonna aux anges dadorer, ainsi quil a été dit plus haut ; et la perception de cette même forme est impliquée dans un des degrés de linitiation islamique.
[76] Nous avons indiqué plus haut que ceci, dans la tradition hindoue, est exprimé par le symbolisme du mot Hamsa. On trouve aussi dans certains textes tantriques, le mot aha symbolisant lunion de Shiva et Shakti, représentés respectivement par la première et la dernière lettres de lalphabet sanscrit (de même que, dans la particule hébraïque eth, laleph et le thau représentent l« essence » et la « substance » dun être).
[77] Cette remarque trouve notamment son application dans le symbolisme du swastika, dont il sera question plus loin.
[78] Au sujet du complémentarisme, nous signalerons encore que, dans le symbolisme de lalphabet arabe, les deux premières lettres, alif et be, sont considérées respectivement comme active ou masculine et comme passive ou féminine ; la forme de la première étant verticale, et celle de la seconde étant horizontale, leur réunion forme la croix. Dautre part, les valeurs numériques de ces lettres étant respectivement 1 et 2, ceci saccorde avec le symbolisme arithmétique pythagoricien, selon lequel la « monade » est masculine et la « dyade » féminine ; la même concordance se retrouve dailleurs dans dautres traditions, par exemple dans la tradition extrême-orientale, dans les figures des koua ou « trigrammes » de Fo-hi, le yang, principe masculin, est représenté par un trait plein, et le yin, principe féminin, par un trait brisé (ou mieux, interrompu en son milieu) ; ces symboles, appelés les « deux déterminations », évoquent respectivement lidée de lunité et celle de la dualité ; il va de soi que ceci, comme dans le Pythagorisme lui-même, doit être entendu en un tout autre sens que celui du simple système de « numération » que Leibnitz sétait imaginé y trouver (voir Orient et Occident, 2e éd. ; pp. 64-70). Dune façon générale, suivant le Yi-king, les nombres impairs correspondent au yang et les nombres pairs au yin ; il semble que lidée pythagoricienne du pair et de limpair se retrouve aussi dans ce que Platon appelle le « même » et l« autre », correspondant respectivement à lunité et à la dualité, envisagées dailleurs exclusivement dans le monde manifesté. Dans la numération chinoise, la croix représente le nombre 10 (le chiffre romain X nest dailleurs, lui aussi, que la croix autrement disposée) ; on peut voir là une allusion au rapport du dénaire avec le quaternaire : 1 + 2 + 3 + 4 = 10, rapport qui était figuré aussi par la Tétraktys pythagoricienne. En effet, dans la correspondance des figures géométriques avec les nombres, la croix représente naturellement le quaternaire ; plus précisément, elle le représente sous un aspect dynamique, tandis que le carré le représente sous son aspect statique ; la relation entre ces deux aspects est exprimée par le problème hermétique de la « quadrature du cercle », ou, suivant le symbolisme géométrique à trois dimensions, par un rapport entre la sphère et le cube auquel nous avons eu loccasion de faire allusion à propos des figures du « Paradis terrestre » et de la « Jérusalem céleste » (Le Roi du Monde, ch. XI). Enfin, nous noterons encore, à ce sujet, que, dans le nombre 10, les deux chiffres 1 et 0 correspondent aussi respectivement à lactif et au passif, représentés par le centre et la circonférence suivant un autre symbolisme, quon peut dailleurs rattacher à celui de la croix en remarquant que le centre est la trace de laxe vertical dans le plan horizontal, dans lequel doit alors être supposé située la circonférence, qui représentera lexpansion dans ce même plan par une des ondes concentriques suivant lesquelles elle seffectue ; le cercle avec le point central, figure du dénaire, est en même temps le symbole de la perfection cyclique, cest-à-dire de la réalisation intégrale des possibilités impliquées dans un état dexistence.
[79] La Crise du Monde moderne, pp. 43-44, 2e éd.
[80] Par conséquent, tout « dualisme », quil soit dordre théologique comme celui quon attribue aux Manichéens, ou dordre philosophique comme celui de Descartes est une conception radicalement fausse.
[81] Cest le « moteur immobile » dAristote, auquel nous avons déjà par ailleurs eu loccasion de faire dassez fréquentes allusions.
[82] Cest la « quintessence » (quinta essentia) des alchimistes, parfois représentée, au centre de la croix des éléments, par une figure telle que létoile à cinq branches ou la fleur à cinq pétales. Il est dit aussi que léther a une « quintuple nature » ; ceci doit sentendre de léther envisagé en lui-même et comme principe des quatre autres éléments.
[83] Cest la raison pour laquelle la désignation de léther est susceptible de donner lieu aux transpositions analogiques que nous avons signalées plus haut ; elle est alors prise symboliquement comme une désignation de létat principiel lui-même.
[84] On atteint cette « station », ou ce degré de réalisation effective de lêtre, par El-fanâ, cest-à-dire par l« extinction » du « moi » dans le retour à l« état primordial » ; cette « extinction » nest pas sans analogie, même quant au sens littéral du terme qui la désigne, avec le Nirvâna de la doctrine hindoue. Au delà dEl-fanâ, il y a encore Fanâ el-fanâi, l« extinction de lextinction », qui correspond de même au Parinirvâna (voir LHomme et son devenir selon le Vêdânta, ch. XIII, 3e éd.). En un certain sens, le passage de lun de ces degrés à lautre se rapporte à lidentification du centre dun état de lêtre avec celui de lêtre total, suivant ce qui sera expliqué plus loin.
[85] Voir Le Roi du Monde, ch. Ier et IV, et LÉsotérisme de Dante, 3e éd., p. 62.
[86] Le Confucianisme développe lapplication de l« Invariable milieu » à lordre social, tandis que la signification purement métaphysique en est donnée par le Taoïsme.
[87] Tao-te-king, XXXVII.<o:p></o:p>
[88] Le mot Tao, littéralement « Voie », qui désigne le Principe, est représenté par un caractère idéographique qui réunit les signes de la tête et des pieds, ce qui équivaut au symbole de lalpha et lôméga dans les traditions occidentales.
[89] Tao-te-king, XVI.<o:p></o:p>
[90] Ce détachement est identique à El-fanâ ; on pourra se reporter aussi à ce quenseigne la Bhagavad-Gîtâ sur lindifférence à cet égard des fruits de laction, indifférence par laquelle lêtre échappe à lenchaînement indéfini des conséquences de cette action : cest l« action sans désir » (nishkâma karma), tandis que l« action avec désir » (sakâma karma) est laction accomplie en vue de ses fruits.
[91] Aristote, dans un sens semblable, dit « génération » et « corruption ».
[92] Tao-te-king, XI. La forme la plus simple de la roue est le cercle divisé en quatre parties égales par la croix ; outre cette roue à quatre rayons, les formes les plus répandues dans le symbolisme de tous les peuples sont les roues à six et huit rayons ; naturellement, chacun de ces nombres ajoute à la signification générale de la roue une nuance particulière. La figure octogonale des huit koua ou « trigrammes » de Fo-hi, qui est un des symboles fondamentaux de la tradition extrême-orientale, équivaut à certains égards à la roue à huit rayons, ainsi que le lotus à huit pétales. Dans les anciennes traditions de lAmérique centrale, le symbole du monde est toujours donné par le cercle dans lequel est inscrite un croix.
[93] Lie-tseu, ch. Ier. Nous citons les textes de Lie-tseu et de Tchoang-tseu daprès la traduction du R. P. Léon Wieger.
[94] Cest aussi la Pax profunda de la tradition rosicrucienne.
[95] Voir LHomme et son devenir selon le Vêdânta, ch. XIII, 3e éd., et Le Roi du Monde, ch. III. Il est dit quAllah « fait descendre la Paix dans les curs des fidèles » (Huwa elladhî anzala es-Sakînata fî qulûbil-mûminîn) ; et la Qabbalah hébraïque enseigne exactement la même chose : « La Shekinah porte ce nom, dit lhébraïsant Louis Cappel, parce quelle habite (shakan) dans le cur des fidèles, laquelle habitation fut symbolisée par le Tabernacle (mishkan) où Dieu est censé résider » (Critica sacra, p. 311, édition dAmsterdam, 1689 ; cité par M. P. Vulliaud, La Kabbale juive, t. Ier, p. 493). Il est à peine besoin de faire remarquer que la « descente » de la « Paix » dans le cur seffectue suivant laxe vertical : cest la manifestation de l« Activité du Ciel ». Voir aussi, dautre part, lenseignement de la doctrine hindoue sur le séjour de Brahma, symbolisé par léther, dans le cur, cest-à-dire dans le centre vital de lêtre humain (LHomme et son devenir selon le Vêdânta, ch. III).<o:p></o:p>
[96] Lie-tseu, ch. IV. On voit ici toute la différence qui sépare la connaissance transcendante du sage du savoir ordinaire ou « profane » ; les allusions à la « simplicité », expression de lunification de toutes les puissances de lêtre, et regardée comme caractéristique de l« état primordial », sont fréquentes dans le Taoïsme. De même, dans la doctrine hindoue, létat d« enfance » (bâlya), entendu au sens spirituel, est considéré comme une condition préalable pour lacquisition de la connaissance par excellence (voir LHomme et son devenir selon le Vêdânta, ch. XXIII, 3e éd.). On peut rappeler à ce propos les paroles similaires qui se trouvent dans lÉvangile : « Quiconque ne recevra point le Royaume de Dieu comme un enfant, nentrera point » (St Luc, XVIII, 17) ; « Tandis que vous avez cachés ces choses aux savants et aux prudents, vous les avez révélées aux simples et aux petits » (St Matthieu, XI, 25 ; St Luc, X, 21). Le point central, par lequel sétablit la communication avec les états supérieurs ou « célestes », est la « porte étroite » du symbolisme évangélique ; les « riches » qui ne peuvent y passer, ce sont les êtres attachés à la multiplicité, et qui, par suite, sont incapables de sélever de la connaissance distinctive à la connaissance unifiée. La « pauvreté spirituelle », qui est le détachement à légard de la manifestation, apparaît ici comme un autre symbole équivalent à celui de l« enfance » : « Bienheureux les pauvres en esprit, car le Royaume des Cieux leur appartient » (St Matthieu, v, 2). Cette « pauvreté » (en arabe El-faqru) joue également un rôle important dans lésotérisme islamique ; outre ce que nous venons de dire, elle implique encore la dépendance complète de lêtre, en tout ce quil est, vis-à-vis du Principe, « hors duquel il ny a rien, absolument rien qui existe » (Mohyiddin ibn Arabi, Risâlatul-Ahadiyah).
[97] Cest la même idée qui est exprimée dune part, dans la tradition hindoue, par le terme Chakravartî, littéralement « celui fait tourner la roue » (Voir Le Roi du Monde, ch. II, et LÉsotérisme de Dante, 3e éd., p. 55).
[98] Tchoang-tseu, ch. Ier. Cf. Le Roi du Monde, ch. IX.
[99] Malgré lapparente similitude de certaines expressions, cette « impassibilité » est tout autre chose que celle des Stoïciens, qui était dordre uniquement « moral », et qui, dailleurs, semble navoir jamais été quune simple conception théorique.
[100] Suivant le commentaire traditionnel de Tcheng-tseu sur le Yi-king, « le mot « destinée » désigne la véritable raison dêtre des choses » ; le « centre de toutes les destinées », cest donc le Principe en tant que tous les êtres ont en lui leur raison suffisante.
[101] Le Principe ou le « Centre », en effet, est avant toute distinction, y compris celle du « Ciel » (Tien) et de la « Terre » (Ti), qui représente la première dualité, ces deux termes étant les équivalents respectifs de Purusha et de Prakriti.
[102] Cest létat du jîvan-mukta (voir LHomme et son devenir selon le Vêdânta, ch. XXIII, 3e éd.).<o:p></o:p>
[103] Cf. la condition de Prâjna dans la doctrine hindoue (ibid., ch. XIV).
[104] Tchoang-tseu, ch. V. Lindépendance de celui qui, dégagé, de toutes les choses contingentes, est parvenu à la connaissance de la vérité immuable, est également affirmée dans lÉvangile : « Vous connaîtrez la vérité, et la vérité vous rendra libres » (St Jean, VIII 32) ; et lon pourrait aussi, dautre part, faire un rapprochement entre ce qui précède et cette autre parole évangélique : « Cherchez dabord le Royaume de Dieu et sa justice, et tout le reste vous sera donné par surcroît » (St Matthieu, VII, 33 ; St Luc, XII, 31). Il faut se souvenir ici du rapport étroit qui existe entre lidée de justice et celles déquilibre et dharmonie ; et nous avons aussi indiqué ailleurs la relation qui unit la justice et la paix (Le Roi du Monde, ch. 1er et VI ; Autorité spirituelle et pouvoir temporel, ch VIII).
[105] Cest-à-dire par la rotation de la « roue cosmique » autour de son axe.
[106] Cette réduction du « moi distinct », qui finalement disparaît en se résorbant en un point unique, est la même chose que le « vide » dont il a été question plus haut ; cest aussi El-fanâ de lésotérisme islamique. Il est dailleurs évident, daprès le symbolisme de la roue, que le « mouvement » dun être est dautant plus réduit que cet être est rapproché du centre.
[107] La première de ces deux expressions se rapporte à la « personnalité », et la seconde à l« individualité ».
[108] Tchoang-tseu, ch. XIX. La dernière phrase se rapporte encore aux conditions de l« état primordial » : cest ce que la tradition judéo-chrétienne désigne comme limmortalité de lhomme avant la « chute », immortalité recouvrée par celui qui, revenu au « Centre du Monde », salimente à l« Arbre de Vie ».
[109] Id., ch. XXII.<o:p></o:p>
[110] Lie-tseu, ch. Il.
[111] Le feu et leau, envisagés non plus sous laspect de lopposition, mais sous celui du- complémentarisme, sont une des expressions des deux principes actif et passif dans le domaine de la manifestation corporelle ou sensible ; les considérations se rapportant à ce point de vue ont été spécialement développées par lhermétisme.
[112] Tchoang-tseu, ch. II.
[113] Nous avons étudié particulièrement ce symbolisme dans Le Roi du Monde. Dans la tradition extrême-orientale, la « Grande Unité » (Tai-i) est représentée comme résidant dans létoile polaire, qui est appelée Tien-ki, cest-à-dire littéralement « faîte du ciel ».
[114] La « Rectitude » (Te), dont le nom évoque lidée de la ligne droite et plus particulièrement celle de l« Axe du Monde » est, dans la doctrine de Lao-tseu, ce quon pourrait appeler une « spécification » de la « Voie » (Tao) par rapport à un être ou à un état dexistence déterminé : cest la direction que cet être doit suivre pour que son existence soit selon la « Voie », ou, en dautres termes en conformité avec le Principe (direction prise dans le sens ascendant, tandis que, dans le sens descendant, cette même direction est celle suivant laquelle sexerce l« Activité du Ciel »). Ceci peut être rapproché de ce que nous avons indiqué ailleurs (Le Roi du Monde, ch. VIII) au sujet de lorientation rituelle, dont il sera encore question plus loin.
[115] Le Roi du Monde, ch. x ; Autorité spirituelle et pouvoir temporel, ch. III et VIII.
[116] Krishna et Arjuna, qui représentent le « Soi » et le « moi », ou la « personnalité » et l« individualité », Âtmâ inconditionné et jîvâtmâ, sont montés sur un même char, qui est le « véhicule » de lêtre envisagé dans son état de manifestation ; et, tandis quArjuna combat, Krishna conduit le char sans combattre, cest-à-dire sans être lui-même engagé dans laction. Dautres, symboles ayant la même signification se trouvent dans plusieurs textes des Upanishad : les « deux oiseaux qui résident sur le même arbre » (Mundaka Upanishad, 3e Mundaka, 1er Khanda, shruti 1 ; Shwêtâshwatara Upanishad, 4e Adhyâya, shruti 6), et aussi les « deux qui sont entrés dans la caverne » (Katha Upanishad, 1er Adhyâya, 3e Vallî, shruti 1) ; la « caverne » nest autre que la cavité du cur, qui représente précisément le lieu de lunion de lindividuel avec lUniversel, ou du « moi » avec le « Soi » (voir LHomme et son devenir selon le Vêdânta, ch. III). El-Hallâj dit dans le même sens : « Nous sommes deux esprits conjoints dans un même corps » (nahnu ruhâni halalnâ badana).
[117] Ceci repose sur un hadîth du Prophète qui, au retour dune expédition, prononça cette parole : « Nous sommes revenus de la petite guerre sainte à la grande guerre sainte » (rajanâ min el-jihâdil-açghar ilâ el-jihâdil-akbar).
[118] Voir Le Roi du Monde, ch. VI.
[119] Voir ce que nous avons dit ailleurs sur l« intention droite » et la « bonne volonté » (Le Roi du Monde, ch. III et VIII).
[120] Ce regard est, selon la tradition hindoue, celui du troisième il de Shiva, qui représente le « sens de léternité », et dont la possession effective est essentiellement impliquée dans la restauration de l« état primordial » (voir LHomme et son devenir selon le Vêdânta, ch. xx, 3e éd., et Le Roi du Monde, ch. V et VII).
[121] Cette expression est empruntée à lésotérisme islamique : dans le même sens la doctrine hindoue parle de lêtre qui est parvenu à cet état comme swêchchhâcharî, cest-à-dire « accomplissant sa propre volonté ».
[122] Le Roi du Monde, ch. II ; sur l« Arbre du Monde » et ses différentes formes, voir aussi LHomme et son devenir selon le Vêdânta, ch. VIII. Dans lésotérisme islamique, il existe un traité de Mohyiddin ibn Arabi intitulé LArbre du Monde (Shajaratul-Kawn).
[123] Le Roi du Monde, ch. V et IX ; Autorité spirituelle et pouvoir temporel, ch. V et VIII.
[124] Sur le symbolisme végétal en relation avec le « Paradis terrestre », voir LÉsotérisme de Dante, ch. IX.
[125] Genèse, II, 9.
[126] Ibid., III, 3, <o:p></o:p>
[127] Ibid., III, 22.<o:p></o:p>
[128] Ibid., II, 17.
[129] Sur l« arbre séphirothique », voir Le Roi du Monde, ch III. De même, dans le symbolisme médiéval, l« arbre des vifs et des morts », par ses deux côtés dont les fruits représentent respectivement les uvres bonnes et mauvaises, sapparente nettement à l« Arbre de la Science du bien et du mal » ; et en même temps son tronc, qui est le Christ lui-même, lidentifie à l« Arbre de Vie ».
[130] Genèse, III, 22. Lorsque « leurs yeux furent ouverts », Adam et Ève se couvrirent de feuilles de figuier (ibid., III, 7) ; ceci est à rapprocher du fait que, dans la tradition hindoue, l« Arbre du Monde » est représenté par le figuier, et aussi du rôle que joue ce même arbre dans lÉvangile.
[131] Ibid., III, 24.
[132] Cf. Le Roi du Monde, ch. V
[133] Ce symbolisme est à rapprocher de ce que saint Paul dit des deux Adam (1re Épître aux Corinthiens, XV), et à quoi nous avons déjà fait allusion plus haut. La figuration du crâne dAdam au pied de la croix, en relation avec la légende daprès laquelle il aurait été enterré au Golgotha même (dont le nom signifie « crâne »), nest quune autre expression symbolique du même, rapport.
[134] Il est à remarquer que la croix, sous sa forme ordinaire se rencontre dans les hiéroglyphes égyptiens avec le sens de « salut » (par exemple dans le nom de Ptolémée Soter). Ce signe est nettement distinct de la « croix ansée » (ankh), qui, de son côté exprime lidée de « vie », et qui fut dailleurs employée fréquemment comme symbole par les Chrétiens des premiers siècles. On peut se demander si le premier de ces deux hiéroglyphes naura pas un certain rapport avec la figuration de l« Arbre de Vie » qui relierait lune à lautre ces deux formes différentes de croix, puisque leur signification serait ainsi en partie identique et, en tout cas, il y a entre les idées de « vie » et de « salut » une connexion évidente.
[135] Nombres, XXI.
[136] Le bâton dEsculape à une signification similaire ; dans le caducée dHermès, on a les deux serpents en opposition, correspondant à la double signification du symbole.
[137] Le Roi du Monde, ch. III.
[138] Le serpent enroulé autour de larbre (ou autour du bâton qui en est un équivalent) est un symbole qui se rencontre dans la plupart des traditions ; nous verrons plus loin quelle en est la signification au point de vue de la représentation géométrique de lêtre et de ses états.
[139] Dans un passage de lAstrée dHonoré dUrfé, il est question dun arbre à trois jets, daprès une tradition qui paraît bien être dorigine druidique.
[140] Cette identification de la croix à l« Axe du Monde » se trouve énoncée expressément dans la devise des Chartreux : « Stat Crux dum volvitur orbis ». Cf. le symbole du « globe du Monde », où la croix, surmontant le pôle, tient également la place de laxe (voir LÉsotérisme de Dante, ch. VIII).
[141] Ces deux formes se rencontrent notamment sur des bas reliefs de lépoque des Han.
[142] Larbre dont il sagit porte des feuilles trilobées rattachées à deux branches à la fois, et, à son pourtour, des fleurs en forme de calice ; des oiseaux volent autour ou sont posés sur larbre. Sur le rapport entre le symbolisme des oiseaux et celui de larbre dans différentes traditions, voir LHomme et son devenir selon le Vêdânta, ch. III, où nous avons relevé à cet égard divers textes des Upanishads et la parabole évangélique du grain de sénevé ; on peut y ajouter, chez les Scandinaves, les deux corbeaux messagers dOdin se reposant sur le frêne Ygdrasil, qui est une des formes de l« Arbre du Monde ». Dans le symbolisme du moyen âge, on trouve également des oiseaux sur larbre Peridexion, au pied duquel est un dragon ; le nom de cet arbre est une corruption de Paradision, et il peut sembler assez étrange quil ait été ainsi déformé, comme si lon avait cessé de le comprendre à un certain moment.
[143] Au lieu de l« arbre lié », on trouve aussi parfois deux rochers joints de la même façon ; il y a dailleurs un rapport étroit entre larbre et le rocher, équivalent de la montagne, en tant que symboles de l« Axe du Monde » ; et, dune façon plus générale encore, il y a un rapprochement constant de la pierre et de larbre dans la plupart des traditions.
[144] La Qabbalah, fait correspondre à ces quatre fleuves les quatre lettres dont est formé le mot PaRDeS.
[145] Cette source est, suivant la tradition des « Fidèles dAmour », la « fontaine de jouvence » (fons juventutis), toujours représentée comme située au pied dun arbre ; ses eaux sont donc assimilables au « breuvage dimmortalité » (lamrita de la tradition hindoue) ; les rapports de l« Arbre de Vie » avec le Soma vêdique et le Haoma mazdéen sont dailleurs évidents, (cf. Le Roi du Monde, ch. IV et VI). Rappelons aussi, à ce propos, la « rosée de lumière » qui, daprès la Qabbalah hébraïque, émane de l« Arbre de Vie », et par laquelle doit sopérer la résurrection des morts (voir ibid., ch. III) ; la rosée joue également un rôle important dans le symbolisme hermétique. Dans les traditions extrême-orientales, il est fait mention de l« arbre de la rosée douce », situé sur le mont Kouenlun, qui est souvent pris comme un équivalent du Mêru et des autres « montagnes sacrées » (la « montagne polaire », qui est comme larbre, un symbole de l« Axe du Monde », ainsi que nous venons de le rappeler). Suivant la même tradition des « Fidèles dAmour » (voir Luigi Valli, Il Linguaggio segreto di Dante e dei « Fedeli dAmore »), cette source est aussi la « fontaine denseignement », ce qui se rapporte à la conservation de la Tradition primordiale au centre spirituel du monde ; nous retrouvons donc ici, entre l« état primordial » et la « Tradition primordiale », le lien que nous avons signalé ailleurs au sujet du symbolisme du « Saint Graal » envisagé sous le double aspect de la coupe et du livre (Le Roi du Monde, ch. V). Rappelons encore la représentation, dans, le symbolisme chrétien, de lagneau sur le livre scellé de sept sceaux, sur la montagne doù descendent les quatre fleuves (voir ibid., ch. IX), nous verrons plus loin le rapport qui existe entre le symbole de l« Arbre de Vie » et celui du « Livre de Vie ». Un autre symbolisme pouvant donner lieu à des rapprochements, intéressants se trouve chez certains peuples de lAmérique centrale, qui, « à lintersection de deux diamètres rectangulaires tracés dans, un cercle, placent le cactus sacré, peyotl ou hicouri, symbolisant la « coupe dimmortalité » et qui est ainsi censé se trouver au centre dune sphère creuse et au centre du monde » (A. Rouhier, La Plante qui fait les yeux émerveillés. Le Peyotl, Paris, 1927, p. 154). Cf. aussi, en correspondance avec les quatre fleuves, les quatre coupes sacrificielles des Rhibus dans le Vêda.
[146] Voir LÉsotérisme de Dante, ch. VIII, où, à propos de la figure du « vieillard de Crète », qui représente les quatre âges lhumanité, nous avons indiqué lexistence dun rapport analogique entre les quatre fleuves des Enfers et ceux du Paradis terrestre.
[147] Voir Le Roi du Monde, ch. XI.
[148] Voir encore ibid., ch. XI. La figure de la « Jérusalem céleste » est, non plus circulaire, mais carrée, léquilibre final étant alors atteint pour le cycle considéré.
[149] Les fruits de l« Arbre de Vie » sont les « pommes dor » du jardin des Hespérides ; la « toison dor » des Argonautes, également placée sur un arbre et gardée par un serpent ou un dragon, est un autre symbole de limmortalité que lhomme doit reconquérir.
[150] Voir Le Roi du Monde, ch. IV et XI.
[151] Les Dêvas, assimilés aux Âdityas, sont dits issus dAditi (« indivisibilité ») ; de Diti (« division ») sont issus les Daityas ou les Asuras. Aditi est aussi, en un certain sens, la « Nature primordiale », appelée en arabe El-Fitrah.
[152] Ceci nest pas sans rapport avec ce que nous avons indiqué ailleurs en ce qui concerne le transfert de certaines désignations des constellations polaires aux constellations zodiacales ou inversement (Le Roi du Monde, ch. X). Le Soleil peut, dune certaine façon être dit « fils du Pôle » ; de là lantériorité du symbolisme « polaire » par rapport au symbolisme « solaire ».
[153] Cf., dans la doctrine hindoue, les dix Avatâras se manifestant pendant la durée dun Manvantara.
[154] Chez les peuples de lAmérique centrale, les quatre âges en lesquels est divisée la grande période cyclique sont considérés comme régis par quatre soleils différents, dont les désignations sont tirées de leur correspondance avec les quatre éléments.
[155] Nous avons même relevé assez récemment une information qui semblerait indiquer que les traditions de lAmérique ancienne ne sont pas aussi complètement perdues quon le pense ; lauteur de larticle où nous lavons trouvée ne sest dailleurs probablement pas douté de sa portée ; la voici textuellement reproduite : « En 1925, une grande partie des Indiens Cuna se soulevèrent, tuèrent les gendarmes de Panama qui habitaient sur leur territoire, et fondèrent la République indépendante de Tulé, dont le drapeau est un swastika sur fond orange à bordure rouge. Cette république existe encore, à lheure actuelle » (Les Indiens de listhme de Panama, par G. Grandidier : Journal des Débats, 22 janvier 1929). On remarquera surtout lassociation du swastika avec le nom de Tulé ou Tula qui est une des plus anciennes désignations du centre spirituel suprême, appliquée aussi par la suite à quelques-uns des centres subordonnés (voir Le Roi du Monde, ch. X).
[156] En Lithuanie et en Courlande, les paysans tracent encore ce signe dans leurs maisons ; sans doute nen connaissent-ils plus le sens et ny voient-ils quune sorte de talisman protecteur ; mais ce qui est peut-être le plus curieux, cest quils lui donnent son nom sanscrit de swastika. Il semble dailleurs que le lithuanien soit, de toutes les langues européennes, celle qui a le plus de ressemblance avec le sanscrit. Nous laissons entièrement de côté, cela va sans dire, lusage tout artificiel et même antitraditionnel du swastika par les « racistes » allemands qui, sous lappellation fantaisiste et quelque peu ridicule de hakenkreuz ou « croix à crochets », en firent très arbitrairement un signe dantisémitisme, sous prétexte que cet emblème aurait été propre à la soi-disant « race âryenne », alors que cest au contraire, comme nous venons de le dire, un symbole réellement universel. Signalons à ce propos que la dénomination de « croix gammée », qui est souvent donnée au swastika en Occident à cause de la ressemblance de la forme de ses branches avec celle de la lettre grecque gamma, est également erronée ; en réalité, les signes appelés anciennement gammadia étaient tout différents, bien que sétant trouvés parfois, en fait, plus ou moins étroitement associés au swastika dans les premiers siècles du Christianisme. Lun de ces signes, appelé aussi « croix du Verbe », est formé de quatre gammas dont les angles sont tournés vers le centre ; la partie intérieure de la figure, ayant la forme cruciale, représente le Christ, et les quatre gammas angulaires les quatre Évangélistes ; cette figure équivaut ainsi à la représentation bien connue du Christ au milieu des quatre animaux. On trouve une autre disposition où une croix centrale est entourée de quatre gammas placés en carré (les angles étant tournés en dehors au lieu de lêtre en dedans) ; la signification de cette figure est la même que celle de la précédente. Ajoutons, sans y insister davantage, que ces signes mettent le symbolisme de léquerre (dont la forme est celle du gamma) en relation directe avec celui de la croix.
[157] Il existe diverses variantes du swastika, notamment une forme à branches courbes (ayant lapparence de deux S croisés), et dautres formes indiquant une relation avec divers symboles dont nous ne pouvons développer ici la signification ; la plus importante de ces formes est le swastika dit « clavigère », parce que ses branches sont constituées par des clefs (voir La Grande Triade, ch. VI). Dautre part, certaines figures qui nont gardé quun caractère purement décoratif, comme celle à laquelle on donne le nom de « grecque », sont originairement dérivées du swastika.
[158] Voir Le Roi du Monde, ch. Ier.<o:p></o:p>
[159] Ibid., ch. II. Ayant indiqué à cette occasion les interprétations fantaisistes des Occidentaux modernes, nous ny reviendrons pas ici.
[160] Le mot swastika est, en sanscrit, le seul qui serve à désigner dans tous les cas le symbole en question ; le terme sauvastika, que certains ont voulu appliquer a lune des deux formes pour la distinguer de lautre (qui seule serait alors le véritable swastika), nest en réalité quun adjectif dérivé de swastika, et indiquant ce qui se rapporte à ce symbole ou à ses significations. Quant au mot swastika lui-même, on le fait dériver de su asti, formule de « bénédiction » au sens propre, qui a son exact équivalent dans le ki-tôb hébraïque de la Genèse. En ce qui concerne ce dernier, le fait quil se trouve répété à la fin du récit de chacun des « jours » de la création est assez remarquable si lon tient compte de ce rapprochement : il semble indiquer que ces « jours » sont assimilables à autant de rotations du swastika, ou, en dautres termes, de révolutions complètes de la « roue du monde », révolutions dont résulte la succession de « soir et matin » qui est énoncée ensuite (cf. aussi La Grande Triade, ch. V).
[161] Il y a à cet égard une relation entre le symbole du swastika et celui de la double spirale, très important également, et qui, dautre part, est assez étroitement apparenté au yin-yang extrême-oriental dont il sera question plus loin.
[162] LHomme et son devenir selon le Vêdânta, ch. II, et aussi ch. XII et XIII, 3e éd. Il faut noter aussi que, quand on parle de la manifestation subtile, on est souvent obligé de comprendre dans ce terme les états individuels non-humains, en outre des modalités extra-corporelles de létat humain dont il est ici question.
[163] Il y a lieu denvisager aussi, et nous pourrions même dire surtout, tout au moins en ce qui concerne létat humain, des modalités qui sont en quelque sorte des extensions, résultant de la suppression pure et simple dune ou plusieurs conditions limitatives.
[164] Sur ces conditions, voir LHomme et son devenir selon le Vêdânta, ch. XXIV, 3e éd.<o:p></o:p>
[165] Nous rappelons quun état individuel est, comme nous lavons dit plus haut, un état qui comprend la forme parmi ses conditions déterminantes, de sorte que manifestation individuelle et manifestation formelle sont des expressions équivalentes.
[166] Pour bien comprendre les termes empruntés à la perspective, il est nécessaire de se rappeler quun plan de front est un cas particulier dun plan vertical, tandis quun plan horizontal, au contraire, est un cas particulier dun plan de bout. Inversement, une droite verticale est un cas particulier dune droite de front, et une droite de bout est un cas particulier dune droite horizontale. Il faut remarquer aussi que, en tout point, il passe une seule droite verticale et une multitude indéfinie de droites horizontales, mais, par contre, un seul plan horizontal (contenant toutes les droites horizontales qui passe par ce même point) et une multitude indéfinie de plans verticaux (passant tous par la droite verticale, qui est leur commune intersection, et dont chacun est déterminé par cette droite verticale et une des droites horizontales passant par le point considéré).
[167] Dans le plan horizontal, la direction de la première dimension est celle des droites de front (ou transversales), et la direction de la seconde est celle des droites de bout.
[168] Cest à dessein que nous employons ici le mot « gestes », parce quil fait allusion à une théorie métaphysique très importante, mais qui ne rentre pas dans le cadre de la présente étude. On pourra avoir un aperçu sommaire de cette théorie en se reportant à ce que nous avons dit ailleurs au sujet de la notion de lapûrva dans la doctrine hindoue et des « actions et réactions concordantes » (Introduction générale à létude des doctrines hindoues, pp. 258-261).
[169] Lindéfini, qui procède du fini, est toujours réductible à celui-ci, puisquil nest quun développement des possibilités incluses ou impliquées dans le fini. Cest une vérité élémentaire, quoique trop souvent méconnue, que le prétendu « infini mathématique » (indéfinité quantitative, soit numérique, soit géométrique) nest nullement infini, étant limité par les déterminations inhérentes à sa propre nature ; il serait dailleurs hors de propos de nous étendre ici sur ce sujet, dont nous aurons encore loccasion de dire quelques mots plus loin.
[170] Ce nest pas ici le lieu de traiter cette question de la « quatrième dimension » de lespace, qui a donné naissance à beaucoup de conceptions erronées ou fantaisistes, et qui trouverait plus naturellement sa place dans une étude sur les conditions de lexistence corporelle.
[171] Il est bien entendu que les idées de succession et de simultanéité ne doivent être envisagées ici quau point de vue purement logique, et non chronologique, puisque le temps nest quune condition spéciale, nous ne dirons même pas de létat humain tout entier, mais de certaines modalités de cet état.
[172] Voir LHomme et son devenir selon le Vêdânta, ch. XII, 3e éd.<o:p></o:p>
[173] On peut en dire à peu près autant des comparaisons de la société humaine à un organisme, qui, ainsi que nous lavons fait remarquer ailleurs à propos de linstitution des castes, renferment assurément une part de vérité, mais dont beaucoup de sociologues ont fait un usage immodéré, et parfois fort peu judicieux (voir Introduction générale à létude des doctrines hindoues, p. 203).
[174] Ce mot est identique au latin sutura, la même racine, avec le sens de « coudre », se trouvant également dans les deux langues. Il est au moins curieux de constater que le mot arabe sûrat, qui désigne les chapitres du Qorân, est composé exactement des mêmes éléments que le sanscrit sûtra ; ce mot a, dailleurs, le sens voisin de « rang » ou « rangée », et sa dérivation est inconnue.
[175] La racine tan de ce mot exprime en premier lidée dextension.
[176] Au symbolisme du tissage se rattache aussi lusage des cordelettes nouées, qui tenaient lieu décriture en Chine à une époque fort reculée ; ces cordelettes étaient du même genre que celles que les anciens Péruviens employaient également et auxquelles ils donnaient le nom de quipos. Bien quon ait parfois prétendu que ces dernières ne servaient quà compter, il paraît bien quelles exprimaient aussi des idées beaucoup plus complexes, dautant plus quil est dit quelles constituaient les « annales de lempire », et que, dailleurs, les Péruviens nont jamais eu aucun autre procédé décriture, alors quils possédaient une langue très parfaite et très raffinée ; cette sorte didéographie était rendue possible par de multiples combinaisons dans lesquelles lemploi de fils de couleurs différentes joue un rôle important.
[177] Voir LHomme et son devenir selon le Vêdânta, ch. Ier, et aussi Autorité spirituelle et pouvoir temporel, ch. VIII.
[178] Le double sens du mot « réflexion » est ici très digne de remarque.
[179] Mundaka Upanishad, 2e Mundaka, ??e Khanda, shruti 5 ; Brihad-Âranyaka Upanishad, 3e Adhyâya, 8e Brâhmana, shrutis 7 et 8. Le moine bouddhiste Kumârajîva traduisit en chinois un ouvrage sanscrit intitulé Le Filet de Brahma (Fan-wang-king), daprès lequel les mondes sont disposés comme les mailles dun filet.
[180] Tao-te-king, XVI.<o:p></o:p>
[181] Tchang-houng-yang compare aussi cette alternance à la respiration, linspiration active répondant à la vie, lexpiration passive répondant à la mort, la fin de lune étant dailleurs le commencement de lautre. Le même commentateur se sert encore, comme terme de comparaison, de la révolution lunaire, la pleine lune étant la vie, la nouvelle lune étant la mort, avec deux périodes intermédiaires de croissance et de décroissance. En ce qui concerne la respiration, ce qui est dit ici doit être rapporté aux phases de lexistence dun être comparé à celui-là même qui respire ; dautre part, dans lordre universel, lexpiration correspond au développement de la manifestation, et linspiration au retour au non-manifesté, ainsi quil a été dit plus haut ; selon quon envisage les choses par rapport à la manifestation ou par rapport au Principe, il ne faut pas oublier de faire lapplication du « sens inverse » dans lanalogie.
[182] Nous avons indiqué plus haut que, dans certaines figurations, le livre scellé de sept sceaux, et sur lequel est couché lagneau, est placé, comme l« Arbre de Vie », à la source commune des quatre fleuves paradisiaques, et nous avons alors fait allusion a un rapport entre le symbolisme de larbre et celui du livre : les feuilles de larbre et les caractères du livre représentent pareillement tous les êtres de lUnivers (les « dix mille êtres » de la Tradition extrême-orientale).
[183] Ceci est affirmé expressément du Vêda et du Qorân ; lidée de l« Évangile éternel » montre aussi que cette même conception nest pas entièrement étrangère au Christianisme.
[184] El-Futûhâtul-Mekkiyah. On pourra faire un rapprochement avec le rôle que jouent également les lettres dans la doctrine cosmogonique du Sepher Ietsirah.
[185] Commentaire de Shankarâchârya sur les Brahma-Sûtras, 2e Adhyâya, 1er Pâda, sûtra 25.
[186] Laraignée, se tenant au centre de sa toile, donne limage du soleil entouré de ses rayons ; elle peut ainsi être prise comme une figure du « Cur du Monde ».
[187] Nous y avons fait allusion plus haut, au sujet des directions de lespace.
[188] On trouve cependant des traces dun symbolisme du même genre dans lantiquité gréco-latine, notamment dans le mythe des Parques ; mais celui-ci semble bien ne se rapporter quaux fils de la trame, et son caractère « fatal » peut en effet sexpliquer par labsence de la notion de la chaîne, cest-à-dire par le fait que lêtre est envisagé seulement dans son état individuel, sans aucune intervention consciente (pour cet individu) de son principe personnel transcendant. Cette interprétation est, dailleurs, justifiée par la façon dont Platon considère laxe vertical dans le mythe dEr lArménien (République, livre X) : suivant lui, en effet, laxe lumineux du monde est le « fuseau de la Nécessité » ; cest un axe de diamant, entouré de plusieurs gaines concentriques, de dimensions et de couleurs diverses, qui correspondent aux différentes sphères planétaires ; la Parque Clotho le fait tourner de la main droite, donc de droite à gauche, ce qui est aussi le sens le plus habituel et le plus normal de la rotation du swastika. À propos de cet « axe de diamant », signalons que le symbole thibétain du vajra, dont le nom signifie à la fois « foudre » et « diamant », est aussi en rapport avec l« Axe du Monde ».
[189] Cette restriction est nécessaire pour que ceci ne soit pas en contradiction, même simplement apparente, avec ce qui va suivre.
[190] Il importe de remarquer que nous ne disons pas un nombre indéfini, mais une multitude indéfinie, parce quil est possible que lindéfinité dont il sagit dépasse tout nombre,