Notre époque est celle des incertitudes sur nombre de sujets et nous sommes de plus en plus à percevoir que nos sociétés progressistes sonnent le glas quant au promesses qui furent les leurs. Nous assistons à une danse macabre en laquelle telles des
PERSISTANCES DU DRUIDISME
par Gobannogenos
Les dieux ne regardent ni les indolents,
ni les approximatifs, ni surtout les ignorants
Depuis les temps de la conquete romaine se sont levees dans nos campagnes, se cachant dans nos forets, des
generations de "resistants". Transmettant les ancestrales valeurs de leurs origines et de leur terre, se dressant
contre les oppresseurs et les conformismes, ces groupes insoumis se structurerent en reseaux, puis
s'organiserent a travers les ages en societes et obediences.
Pourtant, de siecle en siecle, des bandes, puis des pans entiers de ces collectivites clandestines voulurent
"sortir de la foret" : ils commencaient en pactisant avec les puissants, puis collaboraient franchement avec eux.
Mais pour cette fin ils devaient renier peu a peu leur caracteristiques les plus heterodoxes ; redoutes en tant
que paiens par les bien-pensants ils finirent trop souvent sur les buchers comme sorciers et heretiques : ils se
recouvrirent donc d'alibis pouvant convenir a des chretiens; ainsi, certains iront jusqu'a devenir pretres ou
moines; d'autres simulerent d'en adopter la mythologie.
L'expose qui va suivre s'appuie essentiellement sur un large eventail de faits mythiques et historiques dont
la mise en relation et l'ensemble constituent un reseau assez dense de presomptions convaincantes pour que l'on
puisse envisager qu'il y ait la matiere a reflexion.
Lorsque l'on jette, par exemple, un regard sur la franc-maconnerie et que l'on connait l'actuel druidisme (et
inversement), on remarque d'emblee bon nombre de similitudes entre ces societes de pensee. Tres souvent,
jusqu'a ces derniers temps, il en avait ete facilement – et trop rapidement – deduit que les colleges druidiques
contemporains avaient puise "a pleins rituels" dans le patrimoine de la franc-maconnerie.
Or, l'examen des documents concernant les Celtes de l'Antiquite, l'etude de la litterature irlandaise
medievale mais aussi celle de l'ensemble de l'histoire de l'Extreme Occident, durant pres de deux millenaires,
conduisent a revoir ce genre d'appreciation. D'ailleurs, l'Eglise ne s'y est jamais trompe, puisqu'un auteur
catholique ecrivait en 1 717
: il paraît bien que les maçons sont des descendants attentifs à recueillir les successions
systématiques de leurs ancêtres. On voit trop, au vrai, revivre dans la maçonnerie les maximes de ces payens dont elle implore les
auspices
. (1)
Il s'avere, en effet, que l'essentiel de ce qui fait le fonds maconnique existait deja chez nos peuples, depuis
la nuit des temps, en tant qu'ossature du druidisme.
Les héros et les dieux, a dit Gustave Le Bon, condensent en
lumineuses synthèses les obscures aspirations des peuples
. Et c'est effectivement par l'evocation des heros et des dieux,
c'est-a-dire par le mythe, qu'a ete entretenue, a travers les siecles et jusqu'a notre epoque, l'identite de la culture
europeenne.
L'Europe, depuis deux millenaires vit une superposition culturelle, ... et spirituelle. Se cotoient et
s'opposent, parfois s'interpenetrent la culture des dominants – qui est aussi celle des conformistes, des soumis
– et la culture des refractaires. Les dominants furent d'abord Rome et ses suppletifs indigenes, ensuite les
adeptes du christianisme, puis finalement les tenants d'autres ideologies. Face a ces dominants, se sont toujours
dresses, souvent contraints a la clandestinite, les fideles de la tradition, les transmetteurs des mythes
ancestraux.
Il conviendrait, avant toute chose, que le lecteur interesse consulte sur ce sujet l'etude d'Artonouios
(Morvan Marchal),
Le druidisme et les traditions initiatiques, publie dans les numeros 2 (3eme trimestre 1 943) et
3-4 (1
er & 2nd trimestre 1 943) de la revue Nemeton, puis repris par Ialon dans ses numeros 9, 10 et 11
(respectivement de Samonios 3 867 / 1 996, 3 868 / 1 997, 3 869 / 1 998).
COMPARAISON DE QUELQUES RITES
"A la parole, il faut joindre le geste"
, affirme la sagesse populaire. C'est ainsi que l'enonce du mythe va etre
accompagne par les symboles, le rite, la liturgie. Les messages cryptes des mythes anciens vont donc souvent se
doubler de ceremonies cultuelles plus ou moins developpees. Mais regardons justement quelques rites et faits de
legendes celtiques que l'on retrouve, entre beaucoup d'autres, dans la franc-maconnerie :
â–ª L'initiation d'abord : la transmission de l'esprit de l'ordre, c'est-a-dire la consecration, est bien prouvee chez les
Celtes antiques en tant que rite d'agregation a une classe sociale fermee. Les initiations guerrieres sont souvent
decrites. L'initiation sacerdotale est plus discrete car les membres de cette fonction ont toujours cele tres
jalousement les details de leurs ceremonies. Les druides, en effet, ne livraient pas au vulgaire leur science. Ils la
gardaient au contraire presque exclusivement pour eux et leurs adeptes ; ce, dans une sereine et elitiste
discretion
. L'homme de la foule ne recevra pas la connaissance dit au VIeme siecle le barde Taliesin, qui rappelle la
necessite du silence
: Je suis barde, je ne divulgue pas les secrets aux esclaves, puis encore : Et personne ne connaîtra par moi
le frère qui salue
(2). Le Dialogue des deux Sages donne de cette position une justification suffisante : Le sage est un
reproche pour tout ignorant
. (3)
â–ª Voyons maintenant le "cabinet de reflexion" : l'ancienne litterature paienne et le folklore irlandais connaissent
un sejour souterrain dans les
tumuli (side), demeures des peuples de la deesse Dana/Ana (Toutai DÄ“uas Anas en
vieux-celtique ou
Tuatha De Danann en irlandais) aupres desquelles on recherche l'inspiration et la science. (4)
Le symbole le plus sacre de l'humanite est depuis bien longtemps celui de la matrice, source de vie, source
originelle de tout evolution creatrice. Un lieu de culte druidique existe encore dans le Pembrokeshire, le
cromlec'h de Pentre Evan, reconnu pour etre le plus beau de Grande-Bretagne. Il formait autrefois une chambre
obscure ou les inities de l'antique spiritualite des Celtes restaient cloitres pendant quelques jours avant leur rituel
de renaissance de la "Matrice de Cerridwen". Pres de Maidstone, en Grande-Bretagne (Kent), existe encore ce
qui etait une cellule de probation, denommee
Kitt's Cotti House (de Ked "Cerridwen", et cota "abri"). A
Glastonbury (Somerset) un lieu de culte matriciel pre-chretien y etait appele
Caer Wydyr. Sa fontaine sacree
deversait une eau rouge – du fait d'oxyde de fer – qui etait supposee etre le flot de sang de la matrice donnant la
vie de la deesse. La legende chretienne s'appropria le temple de Glastonbury et le designa en tant que demeure,
pour un temps, du Saint Graal. (5)
Les druidisants contemporains utilisent, eux, l'appellation de "tombeau des gestations".
â–ª Abordons aussi le cas du "depouillement des metaux" : la tradition irlandaise ne parle-t-elle pas des iles de
l'Occident, sejour des bienheureux (appelees "Terre des Jeunes", "Terre des Vivants", "Terre sous les Vagues")
ou le fer est inconnu (6) ? L'enigmatique poeme gallois intitule
Le Combat des Arbrisseaux (7) ou Cad Goddeu,
et attribue au barde Taliesin (VI
eme siecle), se termine par ces vers : (…) et je serai dans la joie, hors de l'oppression de
ceux qui travaillent le métal
. Ces legendes celtiques rappellent que l'action de l'initie est gratuite et contient en ellememe
sa recompense. L'initie est un esprit libre, que l'oppression de l'or et du fer ne saurait assujettir.
Je ne voudrais pas alourdir outre mesure la liste des ressemblances et des correspondances entre les rites de
l'antiquite celtique et ceux des societes de pensee du dix-huitieme siecle.
J'en citerai pourtant quelques autres, sans trop entrer dans le detail :
â–ª Les "navigations" et "questes" celtiques avec les "voyages" maconniques.
â–ª Les "morts" rituelles par le fer, l'eau, le feu avec les "purifications" initiatiques.
â–ª Le maillet du dieu Taranis/Sucellos "le Bon Frappeur", outil sacerdotal qui est tenu de la main droite, et l'epee,
outil royal, qui est tenu dans la main gauche ... Outils que nous retrouvons dans la maconnerie continentale.
â–ª Le tablier de peau protecteur et le tablier maconnique. Le rituel maconnique dit que le tablier est "l'embleme du
travail". Il revetirait donc un caractere "sacre" en contradiction absolue avec les conceptions de la tradition
judeo-chretienne
(Genese, chap. 3, versets 17 a 19). Jusqu'a ces dernieres decades, ce tablier etait
traditionnellement en peau de porc. En raison du caractere sacre du tablier, on ne peut songer a une tradition
"salomonienne", car, pour les peuples semites, le porc est un animal impur. Par contre, pour les Celtes, le porc
sauvage, loin d'etre considere comme impur, est le symbole du druide, l'initie celte ! Dans un texte irlandais tres
important les fils de Tuirenn partent a la conquete d'une peau de porc, qui guerit toutes les blessures lorsqu'on
s'en enveloppe le corps, et ils mourront lorsque, apres avoir ete grievement blesses, Lug refusera de leur preter
cette peau qui les sauverait (8). Ajoutons qu'il est fait mention de druides irlandais s'enveloppant dans la peau
encore fumante d'un taureau ou d'un boeuf, qui venait d'etre sacrifie, pour se livrer a la divination. De meme le
gallois Rhonabwy s'endort dans une peau de bouvillon pour obtenir une vision (9). Le druide irlandais Mog
Ruith possedait une peau de taureau brun sans cornes dont il se couvrait les cuisses. (10)
â–ª Le sautoir est commun aux macons et a certaines ecoles druidiques. En forme de V, il represente
symboliquement la vulve cosmique et mystique, le point de reception des influx celestes sur les materialites
terrestres. Partant, il est l'image de la
tuta (11). Il est le chene, il est la vallee (12), il est l'Ariteros / l'Orient ou
siege l'Odacos / le Venerable, ou siegent les Lumieres de la Clairiere / Loge.
En rituelie druidique il indique ainsi la gradation superieure, celle qui permet de recevoir au mieux
la divine Auentia pour, la transmutant, la transmettre au Cercle (13). Il est donc normal d'y
retrouver la posture de l'invocation receptive. Rien a voir, donc, avec la chaine pendue au cou,
vestige de l'antique chaine des esclaves d'autrefois, chaine qui servait a la fois a marquer la
servitude tout en indiquant l'embleme du maitre (… telle la croix de Joshua pour les chretiens). (14)
La forme du signe V rejoint, en outre, le salut du Grand Cornu, c'est-a-dire de Cernunnos, geste
secret de reconnaissance ou de protection magique des paiens medievaux : les doigts etant replies
sauf l'index et l'auriculaire tendus vers le ciel dans le premier cas, vers le danger presume dans le
second.
â–ªLa "fraternite" et la "chaine d'union" : on trouve ce rite dans les initiations guerrieres des Gaels. C'est ainsi que
Cu-Chulainn, Fer Diad et les autres disciples de Scathach –apres avoir accompli le rite de fraternite par le sang –se prennent par les mains et jurent de se considerer desormais comme freres et de donner leur vie l'un pour l'autre
(15).
â–ª"L'incineration du testament" : Diodore de Sicile rapporte que, lors des funerailles, les Gaulois livraient aux
flammes des lettres a destination des morts (V, 28). Le neophyte etant mort symboliquement a la vie profane,
toute trace de ce qu'il fut ou pensa anterieurement doit disparaitre avec le vieil homme pour lui (16).
▪Le dieu-druide Dagodēos (en Irlande il se nomme
Dagda) forme un triumvirat avec le dieu-lieur Ogmios
(Irlande :
Ogma) et le dieu-souverain Nodons (Irlande : Nuada) ; ce triumvirat se voit transpose au niveau du
cercle des druidisants, ce que Taliesin evoque par
Trydyd par ygnat ("Troisieme des juges egaux") (17). A ces
trois s'ajoutent le medecin Diuannocextis (Irlande :
Diancecht) et le forgeron Gobanniu (Irlande : Goibhniu),
cela fait cinq, et cela constitue "l'etat-major" des Toutai DÄ“uas Anas (Irlande :
Tuatha De Danann), (c'est-a-dire
les dieux, les enfants de la deesse Ana), auxquels peuvent s'ajouter deux autres techniciens : le charpentier
Luxtanios (Irlande :
Luchtaine) et le chaudronnier Crednos (Irlande : Credne). Il s'agirait la du prototype des 3 qui
gouvernent, 5 qui composent et 7 qui rendent la loge juste et parfaite.
â–ª "L'Universel Artisan", "Le Grand Architecte"... Mais au dessus et en quelque sorte en dehors des 3, 5 ou 7
divinites dont on vient de traiter (car il participe par sa genealogie a la fois des peuples de la lumineuse Grande
Deesse et des Uoberoi (Irlande :
Fo-moire, putrides, ignobles et difformes entites souterraines), se tient Lugus
(Irlande :
Lug), le maitre en tous arts, l'artisan par excellence qui possede a lui seul chacune des techniques
personnelles des divers membres des peuples de la Deesse, techniques qui symbolisent autant de modes
d'acquisition de la Connaissance.
Lorsque Lug, fils de Cian, se presente devant Tara, la ville sainte de l'Irlande paienne, le portier le "tuile", car
nul
n'est admis a Tara s'il ne possede un art
(c'est-a-dire des qualifications). Lug se declare successivement charpentier,
forgeron, champion, harpiste, guerrier, magicien, medecin, chaudronnier (18) ; le roi Nuada, reconnaissant que
s'il possede bien un charpentier, un forgeron, etc. il ne connait personne qui cumule a lui seul toutes ces
techniques, le fait entrer et lui abandonne son trone pendant neuf jours (19). C'est pourquoi Lug est surnomme
Ildanach
"qui possede les techniques nombreuses". Il est egalement surnomme Grianainech "visage de soleil", et
on comparera le symbole qui orne la tete du compas a certains hauts grades maconniques. (20)
Notons enfin que Lug est aussi surnomme
Lam-fhada "a la longue main" et a son equivalent dans Llew llawgyffes
"a la main habile" de la tradition brittonique. Ainsi Lug apparait comme l'Universel Artisan, une sorte de
demiurge, celui qu'evoque le barde gallois Taliesin dans ses dires intitules
Depouilles de l'abime : Gloire au seul
souverain, Suprême Ordonnateur des cieux éblouissants et de la mer profonde ; gloire au Maître suprême, universel Seigneur, dont
le règne s'étend jusqu'aux confins du monde !
â–ª L'orientation celtique se prend face a l'orient.
â–ª Le "triangle", figuration geometrique du nombre trois, se retrouve avec insistance dans la tradition celtique
comme en franc-maconnerie.
â–ª Le fameux signe maconnique des 3 points n'est que l'occultation du non moins fameux
triskell des Celtes, les
trois branches spiralees disposee autour d'un axe ayant ete effacees pour ne laisser subsister que les marques de
depart des branches
.
â–ª Au tout debut du XVII
eme siecle, le fil a plomb qui tombait au centre du tapis de loge sortait encore du centre
d'un swastika, symbole de la rotation cosmique.
â–ª Les "colonnes" et les "piliers"; selon une citation irlandaise
les hommes sages et leurs initiés étaient sur les mêmes
colonnes de prière et sur les bancs de la magie
(21). N'y a-t-il la aucune relation avec les "colonnes" de la francmaconnerie
?
â–ª Dans la tradition celtique, la droite a un sens favorable et la gauche un sens defavorable. Il en est de meme en
franc-maconnerie.
â–ª "L'acclamation", les "batteries", "l'accolade fraternelle" sont pratiquees de la meme maniere dans les deux
traditions.
â–ª Les inities de Celtie se disent "fils de la foret". Lorsqu'on sait que "foret" se traduit en celtique commun par
uidūa,
et que ce uidūa a ete rendu en francais par "veuve", comme en temoignent les toponymes anciens vidua
transformes de nos jours en "veuves" dans les departements de la Marne, du Loir-et-Cher et du Loiret, on peut
s'interroger sur ce que les francs-macons veulent signifier lorsqu'ils s'attribuent l'appellation de "fils de la veuve"
et parlent du "tronc de la veuve". (22)
â–ª Il est plus qu'interessant de constater que meme les obediences maconniques les moins traditionalistes semblent
avoir une annee dont le fonctionnement est reste "cale" sur le debut de l'annee celtique, aux alentours du 1
er
novembre, au moins en ce qui concerne leurs
Elections generales.. (23)
â–ª Enfin, a la question
Qu'est-ce qui supporte votre loge ? un macon repondra : Trois grands piliers, Sagesse, Force et Beauté,
ce qui rappelle la qualite marquante de chacune des trois classes supportant la societe celtique :
Sagesse pour les
druides,
Force pour les guerriers, Beaute pour les producteurs.
Il serait loisible de passer des heures sur le sujet, mais l'enumeration serait fastidieuse. Dans ce domaine, il
convient de se reporter aux travaux de l'erudit Roger Vaillant sur la question. (24)
De cette premiere serie de comparaisons,
on ne peut que retirer la conviction que la franc-maçonnerie,
au sens moderne, – de la même façon d'ailleurs que l'Église catholique – s'est installée dans les meubles
du paganisme, et du druidisme en particulier
. D'ailleurs, au dix-huitieme siecle, le capitaine M. Smith, grand
maitre provincial du Kent, ecrivait, dans
The Use and abuse of Freemasonry, que les plus parfaits des rites,
coutumes et ceremonies des druides etaient conserves dans celles des macons ! Goronwy Owen, poete gallois de
la meme epoque, se declarait macon dans l'espoir de retrouver les mysteres des anciens druides.
AU TEMPS DES BAGAUDES
Voyons de quelle maniere les transmissions des mythes, des rites et des fidelites spirituelles prechretiennes
auraient pu se faire a travers les siecles.
Depuis la disparition des independances celtiques et jusqu'aux temps modernes, il n'est pas improbable
qu'un celtisme constant, secret, agissant, aurait pu s'adapter aux contingences historiques. Il se serait occulte
sous la pression des circonstances contraires pour reapparaitre des que la conjoncture devenait propice.
A la fin des regnes d'Antonin et de Marc-Aurele (II
eme siecle), des agitations graves troublent la Gaule
alors en cours de romanisation. En 269, avec la prise d'Autun par une ligue d'insurges gaulois, apparait un mot
nouveau. Il designe les rebelles autochtones qui defient les legions romaines :
les bagaudes. Ce terme,
vraisemblablement d'origine celtique, de
bagauda, est parent du breton bagad "bande". Plusieurs historiens ont
parfois avance que bagaudes et Bretons armoricains ne faisaient qu'un (25). Probablement parce que les
troupes des premiers devaient etre constituees essentiellement par des ruraux revoltes que la romanisation
n'avait guere atteints, qui continuaient donc d'utiliser des dialectes gaulois et conservaient leurs moeurs et
croyances (26). La tuile inscrite de Chateaubleau (Seine-et-Marne) atteste d'ailleurs bien qu'au deuxieme
siecle, la langue gauloise demeurait encore la langue du peuple des campagnes. Outre les paysans, ces rebelles
devaient compter nombre de travailleurs de la pierre, de charbonniers, de charpentiers de haute futaie et de
forgerons, lesquels travaillaient selon des rites de la terre, de la foret et du feu intimement lies a la sacralite
paienne. Les bagaudes disparaitront officiellement de l'histoire apres s'etre allies a Rome contre les Huns
d'Attila, au V
eme siecle. Mais disparaitront-ils reellement ? Sans doute pas ; il serait vraisemblable qu'ils ne
courberent pas la tete mais prirent le maquis, s'enfoncant dans les parties les moins accessibles de leurs
regions, forets profondes et montagnes, s'y installant et y constituant – aux dires des contemporains (
Querolus
vers 414,
De Gubernatione Dei V, 6) – des repaires de brigands et des nids de sorciers. Des liens de solidarite
active pouvaient-ils s'instaurer entre ces differents groupes ?
En Grande-Bretagne, ou les memes oppositions rebelles se manifestaient, on mentionne l'existence d'une
"Grande Societe", sorte de federation d'opposants au pouvoir etabli, qui au cours des temps, sur treize-cents ans,
aurait rassemble les divers heterodoxes (27). Pourrait-on imaginer qu'y participaient des tenants de l'ancienne
religion ? Et pourrait-on penser que cette "Grande Societe" ait eu des complicites clandestines avec certains
moines dans quelques monasteres ? D'ailleurs,
une sorte d’exaltation mystique s’était réveillée [au XVème siècle] chez les
plus populaires des ordres mendiants, franciscains et surtout carmes. Ces derniers prétendaient se rattacher à tous les grands
solitaires et aux associations religieuses et philosophiques les plus illustres de l’Antiquité. Ils faisaient remonter leur christianisme à
des prophètes antérieurs au Christ, avec Elie et les solitaires hébreux du mont Carmel. Les carmes prétendaient aussi compter des
druides et des pythagoriciens parmi leurs aïeux. D’après la légende, l’Eau des Carmes, remède populaire, serait de tradition
druidique...
Le carme breton, Thomas Conecte, parcourait les provinces du Nord
[de la France], suivi d’une troupe de disciples
prêchant partout avec une extrême violence «contre les vices et péchés d’un chacun et en spécial contre le clergé». Il finit, brûlé
comme hérétique, à Rome, par l’Inquisition...
(28 bis)
En Bretagne, et en attestation beaucoup plus tardive, les missionnaires catholiques Le Nobletz et Maunoir
evoquent des "paiens" bretons. Le pere Maunoir, au milieu du dix-septieme siecle, ecrivit un compte rendu de
ses activites, en latin, qui porte un titre etrange :
De l'iniquite de la Montagne. Il y decrit les activites de ce qu'il
nomme "la Secte", qui se reunissait dans les Monts d'Arree (Finistere). Il nomme ses adeptes "les sorciers", mais
avoue que les gens de la Secte le traitent aussi de "sorcier". Leurs reunions sont nocturnes, en plein air, souvent
dans un champ triangulaire ... Ils fetent un dieu incarne dans un homme qui porte des cornes et est vetu d'une
peau de bete (28). Cela ressemble beaucoup a notre bon Cernunnos.
Au demeurant, et comme le constatait, Gwenc'hlan Le Scouezec, defunt president de la Goursez des
Druides, Bardes et Ovates de Bretagne,
la permanence de l'ancienne religion jusqu'à nos jours ne fait aucun doute. Ainsi,
au XVII
ème siècle, on n'a pas poursuivi les sorciers en Bretagne car il y avait des membres du Parlement qui faisaient partie de la
secte …
En Irlande, la plupart des druides disparaitra au V
eme siecle. Cependant, en Ecosse, au VIeme siecle, leur
presence est signalee par Adamann, abbe du monastere d'Iona. Et au temps du roi supreme Domnal hHua Neill,
mort en 978, des druides sont encore attestes. Le flambeau de la Tradition celtique fut ensuite garde par les
filed
(29), poetes voyants de la societe celtique; et les recits paiens irlandais ne furent plus guere conserves que
par leur memoire jusqu'au VII
eme siecle. Ce n'est qu'a la suite de l'utilisation de l'alphabet latin par les premiers
missionnaires chretiens que furent mis par ecrit les recits sacres du paganisme, les grandes legendes
mythologiques; et cela – curieusement – par des moines dont on pourrait alors penser qu'il s'agissait de druides
superficiellement convertis au christianisme, qui organiserent la transmission d'un enseignement pourtant en
contradiction avec la croyance judeo-chretienne.
A COUVERT DANS LES MONASTÈRES
Certains druides, au moins en Irlande, devinrent des moines (30). Ils adopterent un mode de vie d'abord
eremitique, reste fort proche d'une partie de leurs anciens modes de pensee et de comportement. Ils se
nommerent
kile doue, "amis de Dieu", et se caracterisaient entre autres choses par leurs fondations monastiques,
leur ascetisme et leurs navigations lointaines. Le centre celto-chretien principal sera d'ailleurs le monastere
d'Iona, edifie a l'emplacement d'un sanctuaire druidique dedie a Brigit. En 590, l'un d'entre eux, Colomban, qui
venait du monastere de Bangor, debarqua a Saint-Malo avec onze compagnons. Il fonda, dans l'Est gaulois,
plusieurs monasteres soumis a une regle severe : Luxeuil, Annegray, Fontaines (31). Le pape alors regnant,
Gregoire le Grand, s'en inquieta car ce christianisme celtique se voulait independant de Rome; apres de
laborieuses negociations, un compromis, en 647, permit de remplacer en Gaule la regle colombanite par celle de
saint Benoit, fondateur du Mont-Cassin ; mais en Bretagne armoricaine, ce changement ne sera effectif qu'en 818
pour Landevennec et meme en 832 pour Redon. L'eglise celtique d'Irlande restera pour longtemps insoumise.
En 659, Senchan Torpeis, chef des
bardoi d'Irlande ordonnait a tous les membres de l’organisation
sacerdotale celtique d’entrer dans les monasteres afin de preserver le depot "paien" et d’aligner leurs heros sur
des ancetres bibliques. Cela fut fait, consciencieusement.
Benoit d'Aniane, qui au VIII
eme siecle fut charge de reformer l'ordre benedictin, conserva, dans les armes de
l'ordre benedictin un chene decapite qui pourrait symboliser
la tradition et l'intrusion dans cet ordre de certaines
connaissances druidiques
(32). Apres avoir reussi l'evangelisation de l'Angleterre, la papaute parvint finalement a
s'implanter en Irlande et a y mettre sous son joug les chretiens celtiques. L'antique feu rituel du monastere de
Kildare s'eteignit au XII
eme siecle. En Ecosse, l'eglise celtique se maintint, restant fidele a ses rites ; en 962, elle
obtint meme du roi une carte de franchise et continua a defier la papaute. Les derniers culdeens, de
kile doue,
avaient nom Malachie, Harding. Bernard de Fontaine fut sans doute l'un des leurs. Ce moine cistercien affirmait
de facon fort druidique
tu trouveras plus dans les forêts que dans les livres : les arbres et les roches t'enseigneront les choses
qu'aucun maître ne te dira
. L'amitie fraternelle qu'il entretint d'ailleurs avec Malachie (33), moine de Bevehor,
eveque de Down puis archeveque d'Armagh, qui renoncera a tout pour redevenir simple ermite, est
singulierement instructive. Or Bernard imposera dans l'eglise, probablement par opportunisme proselyte, le role
particulier joue par Marie, vierge, epouse et mere, fidele en cela a la Tradition celtique qui honorait la femme au
travers du culte des vierges noires (34). C'est a cette epoque que Bernard elabora egalement, a partir de la regle
cistercienne, la regle des chevaliers du Temple et qu'il precha la seconde croisade. L'Ordre du Temple sera, lors
de ses debuts, une simple succursale des religieux de Citeaux, et totalement impregne de sa volonte : Hugues de
Payns – qui en deviendra le premier Grand maitre – fut d'abord voisin de l'abbaye de Clairvaux dont Bernard
etait abbe; et Andre de Montbard, l'un des neuf premiers chevaliers, etait l'oncle du cistercien.
En 1 128, Hugues de Payns revient en France. A partir de cette date et pendant cent cinquante ans environ,
va se manifester ce que l'on a pu appeler le miracle de la floraison gothique. L'epanouissement gothique et celui
du Temple vont de pair : ils disparaitront ensemble. Et il est bien certain que le
gothique est issu de Cîteaux. Toute la
formule gothique vient des Cisterciens; et les Compagnons des Devoirs, héritiers des constructeurs de cathédrales gothiques ne font
pas de mystère de tenir leur trait, leur géométrie descriptive, indispensable pour l'élection du monument gothique, de l'ordre de
Cîteaux
(35). C'est ainsi que par le biais d'un nouvel art des constructions sacrees, des "inities" vont faire
retrouver au peuple du moyen age un peu de l'aspect et de l'ambiance des lieux de culte forestiers. Ambiance que
Francois-Rene de Chateaubriand a si justement decrite
: Les forêts des Gaules ont passé à leur tour dans les temples de nos
pères, et nos bois de chêne ont ainsi maintenu leur origine sacrée. Ces voûtes ciselées en feuillages, ces jambages qui appuient les
murs, et finissent brusquement comme des troncs brisés, la fraîcheur des voûtes, les ténèbres des sanctuaires, les ailes obscures, les
passages secrets, les portes abaissées, tout retrace les labyrinthes des bois dans l'église gothique.
(36)
Ce qui a ete appele les "Freres du Secret" chez les templiers et les cisterciens ne correspondrait-il pas a une
filiation ancienne, que nous pourrions appeler crypto-celtique ? Il est troublant qu'a travers les ages des objectifs
sociaux et politiques aient ete constamment privilegies. Les templiers perennisent une certaine tradition. Ils
privilegient l'agriculture et l'artisanat, ils instruisent des serfs et manants et les delivrent de l'arbitraire des
seigneurs, des eveques et du roi, ils construisent une puissance economique destinee a permettre a leur pouvoir
spirituel d'encadrer finalement les pouvoirs monarchiques comme jadis les druides l'avaient fait pour les chefs
des tribus celtes. Le Temple acquit tres vite des richesses et des domaines immenses en Palestine et dans l'Ouest
europeen : il devint le financier des papes, des empereurs et des rois. A cote des chevaliers et des freres,
membres de l'Ordre, dependait de lui une multitude d'auxiliaires et les corporations d'artisans qualifies de francs,
c'est-a-dire "affranchis, libres" : francs-macons, francs-charpentiers... Maints historiens ont effectivement
remarque et souligne qu'un
groupe existait au sein des templiers, possédant des buts secrets de puissance et soutenus par un
ésotérisme rigoureux
(37). Ce groupe a toujours inspire le comportement profond de l'Ordre (rites, orientations
politiques), son organisation et meme son symbolisme. Il est interessant de relever que ce symbolisme
apparemment judeo-chretien, est en realite base sur une reference ternaire :
·
hierarchie a sommet triangulaire : maitre, marechal et senechal;
·
sceau officiel figurant deux chevaliers sur un meme cheval, et visant a representer les trois niveaux de
l'etre humain (l'intellect conseillant l'affectif, lequel tient les renes et dirige l'instinctif);
·
trois ouvertures symboliques qui devaient etre pratiquees rituellement sur les freres inities; l'une a
hauteur des levres (le verbe), l'autre a celle de l'epine dorsale (naissance statique de l'energie creatrice),
la troisieme a celle du nombril (centre spirituel du microcosme humain);
·
baton de commandement – long d'une toise, comme celui des druides – du maitre du Temple; les
chevaliers qui rencontraient le chef de l'Ordre devaient s'arreter a trois longueurs de ce baton.
Il faudrait aussi ne pas omettre l'importance que le Temple donnait au binaire, c'est-a-dire a la double nature
de toute chose, exprimee par le biais de l'etendard "baussant" noir et blanc (comme le sera le "gwenn-ha-du"
national breton, cree par le macon et druide moderne Morvan Marchal) : nuit et jour, tenebres et lumiere,
puissance a la fois destructrice et edificatrice, etc. Quant au
baphomet, reellement venere par les "Freres du
Secret", il correspondait probablement a l'image de Cernunnos, divinite celtique que le pere Maunoir avait lui
aussi rencontre dans les ceremonies de la "Secte" en Bretagne, divinite du renouvellement saisonnier, du temps
et de la fecondite (38). De nombreux autres faits sont aisement reconnaissables par les celtisants et lecteurs des
recits mythologiques : "veilleurs du ciel", descente de l'influence spirituelle vivante du "baume et de la rosee
mystique", tete "destructrice" de la demoiselle de Maraclee, ... sans oublier naturellement le bel ideal de la "Voie
Royale". Enfin les feux de Saint Jean n'etaient-ils pas allumes a Paris par les commandeurs et grand maitre : l'un
dans le domaine du Temple, l'autre place de Greve ou le Temple avait eu son premier etablissement ? (39)
L'importance et l'independance croissante des templiers vont, a juste titre d'ailleurs, inquieter a la fois la
Monarchie francaise et la Papaute, c'est-a-dire le Pouvoir politique et le Pouvoir religieux
, attaques dans leurs
oeuvres vives. La dissolution de l'Ordre du Temple fut prononcee en 1 314; la meme annee, ses principaux chefs
disparaissent sur le bucher. Apres le supplice du Grand maitre il est dit qu'un Grand maitre provincial, Pierre
d'Aumont s'enfuit avec deux commandeurs et cinq chevaliers, a Mull, sur la presqu'ile ecossaise de Kintyre. Ils
retrouverent la le Grand commandeur Hauptoncourt, Georges Harris, ainsi que d'autres freres, et ils resolurent
d'y reformer un nouvel ordre, afin d'assurer la transmission de la Tradition, le roi d'Ecosse excommunie, Robert
the Bruce, leur assurant
favorable accueil et pleine protection (40). Il est interessant de noter les causes de
l'excommunication de ce prince ecossais : la menace d'une possible resurrection de l'ancienne eglise celtique,
potentiellement heretique, ou pire..., c'est-a-dire la reprise de la "Vieille Croyance". Des historiens britanniques,
Michael Baigent et Richard Leigh (41) confortent ces affirmations. Ils attestent notamment qu'un fort contingent
de templiers, passe en Ecosse avec l'essentiel de la flotte du Temple, de ses armes et de ses finances, se refugia
aupres de Bruce et combattit a ses cotes. Des sepultures templieres ont ainsi ete retrouvees a Kilmartin, en
Argyll. Il existe une autre filiere d'evasion beaucoup plus "catholique", celle qui amena d'autres templiers en
fuite vers la peninsule iberique. Ils entrerent dans l'Ordre de Calatrava en Espagne et dans l'Ordre du Christ au
Portugal. En Allemagne, des templiers insoumis furent encore excommunies en 1 324, en meme temps que Louis
de Baviere (42), et ce vraisemblablement du fait d'une conduite heterodoxe.
Albrecht de Scharfenberg, dans son
Titurel, rapporte quant a lui que, fuyant une Europe livree au peche (a
l'erreur ? c'est-a-dire au christianisme ?), Parzival s'embarqua a Marseille avec le Graal et des templiers pour
rejoindre dans l'Inde son frere Feirefiz. Arrives en Orient, il obtint du ciel que le palais et la chapelle de
Montsalvatge y fussent transportes miraculeusement. Cela signifierait-il, en mode crypte, que certains templiers
paganisants "exfiltrerent" vers leurs freres brahmanes les tresors symboliques et l'essentiel de l'organisation d'un
druidisme toujours plus menace ? Peut-etre ne serait-il pas impossible de reperer parmi les multiples ecoles de
l'Inde moderne celle, ou celles, qui ressortissent de cette origine (affinites doctrinales, ressemblance du costume
et du comportement) ; le monde hindouiste est suffisamment conservateur pour que cet espoir puisse un jour etre
comble.
En tout cas, il apparait ainsi que les legendes concernant les disparitions de la flotte templiere et du fameux
tresor du Temple s'averent sans fondement. Les templiers se les sont partages lors de leur dispersion, une partie
pour ceux que "la voie paganisante du nord" attirait, une partie pour ceux qui, chretiens sinceres, allaient oeuvrer
pour les puissances hispaniques ...
En 1 314 donc, les templiers reunis en Ecosse auraient reconnu Aumont Grand maitre. Ils auraient
adopte "des signes et des mots" a la maniere de leurs auxiliaires operants, les artisans du temple, et se
nommerent "macons libres et acceptes" pour indiquer qu'ils s'etaient mis en liberte et avaient accepte d'autres
usages. De la meme maniere que les druides irlandais s'etaient autrefois occultes dans les ermitages chretiens, les
templiers se seraient dissimules sous la couverture d'un corps de metier. Il y a la une constante typologique ! En
1 361, la residence du Grand maitre de l'Ordre, des lors qualifie de maconnique, fut transportee a Aberdeen.
L'heritage templier peut ainsi etre suivi jusqu'en 1 689. Desormais la maconnerie va progressivement s'implanter
dans toute la Grande-Bretagne, s'agglomerant peu a peu tous les opposants, dont parfois athees et anti-papistes.
Ce faisant, elle recevra en son sein une majorite d'Anglo-Saxons conformistes, anglicans et protestants. Ceux-ci
fort peu interesses par les traditions celtiques et paganisantes de l'Ordre vont faire apparaitre, pour se
"dedouaner", des justifications salomono-bibliques de pacotille dans symboles et rituels. Aux "bosquets"
s'ajoutent desormais des "loges" (43). Peu a peu, les differences s'affirment et une scission survient en 1 717 :
creation a Londres de la Grande Loge maconnique d'Angleterre le 24 juin et creation de la Fraternite universelle
des Druides le 22 septembre.
Dorénavant, les francs-maçons développeront leurs tendances
anthropocentrées, humanistes et universalistes, tendances encore accentuées à partir de 1 784 par
l'influence des Illuminés de Bavière d'Adam Weishaupt. Les "druidisants" quant à eux engendreront des
collèges qui maintiendront et accentueront leurs efforts pour promouvoir et soutenir les espoirs
identitaires, parfois même nationalistes, des ethnies celtiques, en même temps qu'un grand respect pour la
nature.
Mais persistait la nostalgie fraternelle de la commune origine et periodiquement des tentatives de
rapprochement ont ete tentees. Ainsi l'Ordre de la
Branche Rouge d’Erie (c’est-a-dire "d’Irlande", du gaelique
ancien
Erin), une institution "reveillee" en Irlande a la fin du XIXeme siecle par John Yarker, dans l’intention de
recouvrer la tradition celtique de la Maconnerie (44); mais aussi le souchage neo-druidico-maconnique realise
par le Lorientais Jacques de Cambry (1 749-1 807) et le pamphletaire rennais Mangourit (1 752-1 829) lesquels,
sous les auspices du Grand Orient et de la loge La Parfaite Union de Rennes, dispenserent a leurs freres bretons
une initiation celtique; comme le fit egalement le Macon Marius Lepage a la loge Volney de Laval dans les
annees cinquante du XX
eme siecle, puis Gerard Toublanc et Serj Pineau qui tenterent la meme experience, sur
toute la Bretagne, dans les annees soixante (Grande Loge de Bretagne et des Pays Celtiques). Et n'omettons pas,
non plus, de signaler la fraternite qui liait Uissurix et Lugumarcos (Raffig Tullou) a Jules Boucher, auteur des
ouvrages incomparables que sont
La Symbolique maconnique et le Manuel de Magie pratique.
OBÉDIENCES ET DÉVIANCES
Il y eut au fil des siecles plusieurs tentatives de re-positionnement de ce que nous appellerons par
commodite "le druidisme". Au XII
eme siecle, nous connaissons des rebelles paiens et egalitaires bases en foret de
Paimpont (45). Menes par Eon de l'Etoile, ils s'en prendront aux pretres et aux ermites, pilleront les biens de
l'eglise. A deux siecles de distance, Sir Thomas Mallory eut, en Grande-Bretagne, la meme attitude qu'Eon de
l'Etoile. Fait prisonnier a vie, il redigea, en vingt ans, ses vingt-et-un livres du fameux ouvrage de mythologie
brittonique
La Morte d'Arthur ...
Nous trouvons, lors de la scission entre maconnerie et druidisme, John Toland. Cet Irlandais originaire de
Derry va, en 1 717, elaborer puis exposer a la societe une pensee pantheiste, laquelle sous l'influence de son
maitre Aubrey et de son ami Stukeley (tous deux membres de bosquets) evoluera lentement, au fur et a mesure
qu'il prendra conscience que le druidisme ne se veut que le reflet des Verites de l'Univers. John Toland deviendra
le premier chef du Druid Order tout en contribuant pourtant la meme annee a la creation de la Grande Loge
d'Angleterre.
Un charpentier de Bristol, Henry Hurle, cree en 1 781 a Londres une autre societe druidique dissidente,
l'Ancient Order of Druids. Enfin en 1 792, le Gallois Edward Williams, dit Iolo Morganwg, organise, a Londres
toujours, le premier Gorsedd des Bardes de l'Ile de Bretagne.
L'obedience de Toland etait philosophique et aimablement "utopique". Il la voulait "naturelle" et
"rationnelle". Elle visait
à l'instauration d'un ordre de paix et de bonheur sur terre, un retour aux sources naturelles de la
civilisation celtique par réaction contre le puritanisme froid et la religion chrétienne imposée (...) Le grand conseil suprême fut
chargé de guider l'ordre druidique conformément aux enseignements de la tradition druidique, enseignement conservé secrètement
de générations en générations (46). John Toland précise au sujet de cette tradition : La connaissance de l'ancien irlandais acquise dès
mon enfance, et celle d'autres dialectes celtiques dont j'ai des livres ou des manuscrits est absolument nécessaire, ceux-ci ayant
préservé d'innombrables monuments concernant les druides, qui ne sont jamais parvenus jusqu'à présent aux mains des savants
(47). William Stukeley succede a John Toland a la tete du Druid Order. Passionne d'archeologie, il s'interesse
surtout a Stonehenge, y voyant une construction druidique, alors que ce monument est de plusieurs siecles
anterieur a l'arrivee des Celtes dans cette region. Ses enseignements moralisateurs, conformistes et un brin
abscons ont ete traduits et retranscrits au siecle suivant par Boucher de Cluny.
L'obedience d'Henry Hurle, tres proche au depart de celle de Toland, accentua un aspect d'entraide
mutualiste et humanitaire, negligeant rapidement le celtisme en optant pour une coloration maconnique.
Le troisieme restaurateur de l'antique spiritualite celte, Edward Williams, plus connu sous son appellation
druidique de Morganwg, s'il donnait aussi mais plus moderement dans le megalithisme, apporta par contre a son
action un caractere nettement litteraire et identitaire gallois. Ses ecrits principaux furent
Poems, Lyric ans
Pastoral, The Myvyrian Archaiology of Wales
; le Cyfrinach Beirdd Ynys Prydain, "Secret des bardes de l'Ile de
Bretagne", ou l'on trouve un peu tout, meme le reglement du bardisme "primitif", fut publie en 1 862, apres sa
mort, par le recteur anglican John Williams, sous le titre de
Barddas. D'autres de ses manuscrits furent edites par
son fils. A partir d'un important travail de recherche et d'erudition, Morganwg a redige une enorme compilation
avec l'ambition de ressusciter les archives du druidisme gallois. Se basant sur le contenu d'anciens manuscrits, il
a manifestement laisse cours a son imagination, qui etait fertile (il ecrit ainsi des poemes qu'il attribue a
d'antiques bardes). Ce faisant Morganwg fait provenir la transmission des connaissances qu'il retranscrit a la
lignee des vingt bardes de la Chaire de Glamorgan dont il s'affirme le dernier heritier, remontant ainsi au barde
Trahearn Brydydd Mawr, au douzieme siecle, et jusqu'au fondateur de la Chaire, Geraint le barde bleu, au X
eme
siecle (48). A la base de chacune des "forgeries" de Morganwg, il y a tres certainement un noyau de verite,
resultat de ses recherches, mais a partir duquel il a ete irresistiblement entraine par son imagination a edifier de
magnifiques constructions auxquelles il finissait par croire lui-meme et qui continuaient a evoluer dans son esprit
(49).
L'un des textes les plus fameux de Morganwg, les
Triades "theologiques", pris malencontreusement tel quel
comme base doctrinale par un pan important du neo-bardisme, montre l'influence du christianisme, ainsi un
monde infernal oppose a un ciel, cela etant replace dans la vision cosmographique de l'epoque : un vide spatial
au-dela du firmament etoile. Par ailleurs, s'impose dans les
Triades une doctrine de transmigration se
rapprochant de la loi du karma brahmanique et bouddhique, selon ce qu'on en connaissait dans l'Europe d'alors
(50). Il parait cependant envisageable d'extraire des textes "retranscrits" par Edward Williams ce qui pourrait
avoir appartenu, reellement, a une antique spiritualite celtique. Outre la presentation, triple, bien celtique, de ses
Triades
, on peut cependant en supprimer partout le mot "dieu" qui y est tres frequent (et qui n'apparait nulle part
dans la litterature celtique antique, et surtout pas sous l'acception monotheiste que lui donne Morganwg), ou le
remplacer par "nature" ou "universel", "loi du bon ordre de l'univers" ou "energie primordiale", cela selon le
contexte.
Le fameux "Tribann", dont il est question dans le
Barddas, serait la stylisation de trois rayons de lumiere
qui divergent depuis un foyer. Jusqu'a ces derniers temps, il n'en existait pas de temoignage archeologique et
certains pensaient pouvoir supposer un emprunt hebraique ou chretien. Mais en 1 996, sur le site de Glauberg
(Hesse), etait decouverte une statue en gres. Et le personnage represente porte un collier decore d'un tribann !
Soulignons pour en finir, que les obediences druidisantes ou bardiques des pays celtiques relevent
generalement de la filiation d'Edward Williams alors que dans les pays anglo-saxons et germaniques, ce sont
respectivement celles de Toland et de Hurle qui predominent aujourd'hui.
CONCLUSION
Les druides avaient proscrit naguere l'ecriture pour la transmission de la Tradition. Ils estimaient qu'elle
engourdissait la memoire et favorisait la paresse mentale. Seuls ceux qui acceptaient l'intense travail de
memorisation precise et intangible des milliers de stances des textes sacres avaient acces au sacerdoce, ce qui
evitait l'intrusion des dilettantes, des mediocres et des reformateurs. De nos jours, meme si la facilite de l'ecriture
s'est imposee, c'est la reappropriation du savoir ancestral qui exige labeur et precision. Et il faut bien avouer que
les dieux ne regardent ni les indolents, ni les approximatifs, ni surtout les ignorants. D'ailleurs, les trois druides
primordiaux du druidisme ne sont-ils pas nommes
Uocomarcos, Uissus et Sulaxus ("Recherche, Savoir et
Sapience") ?
NOTES
1)
Les vrais jugements sur la societe des Francs-Macons, a Bruxelles, ches Pierre de Hoult, 1 717,
p.62.
2) "Et personne ne connaitra par moi le frere qui salue" :
A gogyfarchwy brawt wrthyf ny gwybyd
nebawt
.(Angar Kyfyndawt ["Conjuration hostile"], Llyfr Taliesin VII)
3)
Immacallam in da thuaraid, "Dialogue des deux sages", alinea l2.
1)
Roger Vaillant signale que le vieil irlandais Sid qui designe un tumulus se rattache a un vieuxceltique
sidos
qui signifie aussi "paix".
2)
Encyclopedia of the Celts – article Womb.
3)
Roger Vaillant, La terre des jeunes, Ogam, n°9, juillet 1 950.
4)
Ogam n° 30, decembre 1 953.
8) Ce role protecteur a d'ailleurs ete note par F. Menard et J. Boucher,
Le symbolisme maconnique, pp.
292-293.
9)
Mabinogion, tome 1, pp 352, traduction Joseph Loth.
10)
Revue celtique, tome XLIII, 1926, pp. 63.
11) a la
tuta (vulve, principe femelle) repond la butta (penis, principe male), que nos freres hindouiste
nomment respectivement
yoni et lingam, lesquels sont le yin et le yang des Extremes-Orientaux.
12) la
cumba.
13) il s'agit du cercle des Hommes sacres (rouelle a 6 pointes symbolisant les 6 extremites de l'homme
: tete, membres et sexe). Le sacerdotat y est souligne par le cabochon central blanc.
14) le dos de la chasuble des pretres catholiques, quand il n'est pas frappe d'une croix latine, est par
ailleurs – probablement par reminiscence (?) – souvent decore de cet embleme de vie, de protection
qu'est le V / U du symbole celtique (v / U des
coelbrenni), dont le graphisme et la signification
correspondent a la rune
eolh/elhaz de nos cousins germaniques. L. Hebert, pretre de Saint-Sulpice,
n'hesite pas a parler, quant a lui
, de la forme d'une fourche a deux ou trois branches, d'un arbre de vie ou d'une croix
veritable
(Lecons de liturgie a l'usage des seminaires, 29eme edition, revue et mise a jour par A.
Fayard, professeur au Seminaire du Puy-en-Velay, Paris 1 952)
15)
Revue celtique, tome XLIII, 1 926, pp. 63.
16) -d°-
17)
Angar Kyfyndawt ["Conjuration hostile"], Llyfr Taliesin VII
18)
La bataille de Mag Tured, § 57 a 67.
19)
La bataille de Mag Tured, § 71 a 74.
20) Rene Guenon,
Le regne de la quantite et le signe des temps, pp. 35, note 1.
21) Manuscrit du
Trinity College, in Revue archeologique, 1 934, tome II, pp. 49 a 63.
22) * le mot "veuve", vient du latin
vidua et signifie proprement "vide, prive de". Le mot "vide" a le
sens d'espace et non pas de "neant" (
cf. Jules Boucher, La symbolique maconnique, pp. 282,
Dervy,1 953).
*A propos des "Enfants de la Veuve", signalons qu'il existe un mot gaulois
uidua qui a egalement
donne "veuve" en ancien francais, qui signifie "foret", la foret n'est-elle pas ce qui est vide, hors
agglomeration ? mot que l'on trouve dans la toponymie de la Marne, du Loir
-et-Cher, et du Loiret
(Roger Vaillant, addenda aux
Notes sur quelques rites et legendes celtiques, Le Symbolisme, n°
2/320, pp. 87-102; reedition
Ialon n° 5,1 993).
* Vidua :
Veuve(la) affluent de la Marne qui prend sa source au village de La Veuve, Vidua en
865, La Veve en 1189, et qui coule non loin de la Vesle - le village La Veuve du canton de Chalons
sur Marne, etait Vidua en 865 (catalogue du chantre Guerin) et Domus Canonicorum Vidue en 1
132 (dioc. anc. de Chalons-sur-Marne, t. 1, pp. 395) - aussi Veuve (la) affluent du Loir qui coule
non loin de la foret de Bervay, (Sarthe) ; etait Vidua en 573, La Voeve en 1 285, [La Veuffe en 1
466 - Viduia : aujourd'hui Vouge (La) (Cote d'Or) et Vidubian, dans la table de Peutinger -
Veuves : canton d'Herbault (Loir-et-Cher), Vidua-vica a l'epoque merovingienne, Viduae en 1 272,
Voves en 1 293.
Cf. d'Arbois de Jubainville, Les noms gaulois, pp. 217.
* Veuve se traduit
vidhava en sanscrit, widuwo en gothique, widow en anglais (voir aussi l'anglais
wide, large), witwe
en allemand.
23)
Chaque annee, pour le 31 octobre au plus tard, il est procede obligatoirement aux elections generales des officiers de la Loge
(…).
(Art. 52 du Reglement General du Grand Orient de France)
24) Roger Vaillant (1 917-1 991), de ses noms druidiques
Catarnos et Toncatos est l'auteur d'un grand
nombre d'etudes concernant la transmission du symbolisme celtique, par le biais de la maconnerie
notamment, dans les revues
Ogam, Le Symbolisme, Arevidia, Mediolanon, etc.
25) Michel Moune,
Dictionnaire encyclopedique d'histoire, editions Bordas, 1 978 - Robert Latouche,
Gaulois et Francs,
editions Arthaud 1 965 - Alain Matuen, Les bagaudes ou le gout de la liberte,
Ialon
n° 5, pp. 16.
26) M. Fauchet,
Antiquites gauloises, 1, 21.
27)
The Peasants' Rising and The Lollards, Londres, 1 899, pp. 31.
28
) Regis Blanchet, Paroles de Gwenc'hlan Le Scouezec, Entretiens avec un druide nomme
Gwenc'hlan,
editions du Prieure, 1 993.
28 bis) Yves & Yvonne David-Marescot,
Predictions et Propheties, Editions Magellan, 1 994.
29)
filed, singulier file.
30) Minahane John,
The Christian Druides, on the filied or philosopher-poets of Ireland, Sanas Press,
1 993, Dublin.
31) Luxeuil est un ancien
Lugo-ialos,, "clairiere de Lugus"; d'apres la forme du deuxieme siecle
Luxovium (attestee) et la forme actuelle, ce nom reclame une racine
Lucso (gaulois de basse
epoque
Luxo) : nom du marais a proximite duquel fut etablie la ville de Luxeuil.
32) Marcel Moreau,
La tradition celtique sur l'art roman, Atlantis.
33) Malachie (dont le nom veritable etait Maolmadhog, du Clan O'Morgair) est l'auteur de la celebre
Prophetie des papes
qui, gratifie en l'an 1 110 d'une vision generale de la succession des
Souverains Pontifes, predit que le dernier d'entre eux (ce qui equivaudrait a la fin de l'eglise
catholique) regnerait de 2 012 a 2 031.
34) Deesses-meres de la civilisation celtique.
35) Louis Charpentier,
Les Mysteres de la cathedrale de Chartres, Editions Laffont, pp. 94.
36) Francois-Rene de Chateaubriand,
Genie du christianisme.
37) Jean Marques-Riviere,
La trahison spirituelle de la Franc-Maconnerie.
38) Il faut voir le "baphomet" cornu du tympan du fronton de l'eglise de Saint-Merri a Paris ou celui de
l'ossuaire de Commana (Finistere).
39)
Le Symbolisme, n° 359, 1 963.
40) Robert The Bruce regna de 1 306 a 1 329.
41) Michael Baigent et Richard Leigh,
Des templiers aux francs-macons, Editions du Rocher, 1 991.
42) Jean Reyor,
Le Symbolisme, n° 397, 1 971.
43) Le "bosquet" est le regroupement de base des adeptes (c'est l'equivalent de la "loge" des francsmacons);
les druidisants modernes utilisent plutot le terme de "clairiere"
, ialon en vieux-celtique,
yal
en breton.
44) L’
Ordre d’Erie revendique une antique origine, meme si de maniere legendaire il est suppose avoir
ete fonde par le roi d’Irlande en 1 697 avant notre ere, avec des caracteristiques chevaleresques.
Dans la realite, l’
Ordre d’Erie semble etre parvenu entre les mains de Yarker par l’intermediaire du
Venerable Maitre d’une Loge anglaise de Gibraltar, du nom d’Irwin, qui en ce qui le concerne
detenait cette tradition du capitaine d’un navire de commerce americain, qui lui-meme l’avait recue
d’ancetres irlandais dans les annees 1 700 et quelques. La tradition exige que les charges
principales de l’
Ordre d’Erie soient : l’Ollamh (Maitre et Hospitalier), le Brehon (Juge), le
Cruimthear
(Sacerdote) et le Barde (Chantre).
Sur le plan du rituel l’element bardique joue un role essentiel, puisque la teneur des trois grades
l’
Ordre d’Erie est pour l’essentiel exprime en vers, et decrit divers evenements tires des epopees et
des coutumes irlandaises. La subdivision en degres suit une structure chevaleresque evidente : 1)
Homme d’arme, 2) Ecuyer 3) Chevalier. Au premier grade le candidat est arme symboliquement,
alors que le Chapitre (
Faslairt) repercute les enseignements du barde medieval Mac Leag. Le
second degre insiste sur l’humilite et le service envers des anciens rois d’Irlande, symboles d’unite
et de justice. Le troisieme habilite le nouveau chevalier de l’
Ordre d’Erie a la lutte spirituelle et a la
recompense exaltante qui en resultera, l’inserant dans la memoire historique de la nation irlandaise
par le biais de la commemoration des antiques exploits de ses habitants.
Les symboles fondamentaux de l’
Ordre d’Erie sont la croix – ou plutot la rouelle – celtique, et la
feuille de trefle, symbole de l’Irlande (qui est d’ailleurs appelee "l’Ile du Trefle",
the Shamrock
Isle
). La rouelle celtique peut etre classee dans les symboles "mandalas", puisque la croix divise le
cercle en quatre parties, et les figures reproduisent ainsi le monde et les quatre directions
universelles. Il est egalement interessant de noter que les angles droits formes par l’intersection des
axes verticaux et horizontaux sont emoussee en leur coins circulaires ; comme pour multiplier le
centre ideal (c'est le cercle interieur de la rouelle) en une figure cruciforme plus approfondie. La
tete de l’
Ordre d’Erie est un Tres Eclaire Grand Maitre, assiste par des Chevaliers de la Sublime
Croix
(grade honorifique attribue aux chevaliers de foi et d’experience eprouvees), et par ceux
appeles
Ard (terme irlandais signifiant "haut") Officiers. A la tete du seul Chapitre, operant sous le
titre de
Brian Boru, se tient un Tres Eclaire Grand Chevalier.
Les rituels et les lois de l’
Ordre d’Erie sont respectivement contenus dans les Psautiers majeur et
mineur. Dans les limites de la phenomenologie maconnique, l’
Ordre d’Erie se presente lui-meme
comme une entite bardique et chevaleresque, se reclamant d’antique et mythiques origines prechretiennes
et affirmant ses connections avec le passe irlandais. De la meme maniere que l’Ecosse,
et l’Irlande se situent a la confluence de deux mers, il pretend se situer a la convergence de la
tradition celtique et de la tradition chretienne. L’
Ordre d’Erie, comme le Royal Order of Scotland
("Ordre Royal d’Ecosse"), reflete esoteriquement cette rencontre. Aux elements bardiques et
chevaleresques, l’
Ordre d’Erie ajoute significativement l’element vegetal symbolique, sous la
forme du
Shamrock, lequel parallelement a la preservation de l’irlandicite, represente l’immortalite
des
Chevaliers Spirituels. Repetons-le, il ne s’agit evidemment pas la de la seule tentative de ce
genre, et les interferences celtiques emergent dans d’autres fondations maconniques.
45) Alain Le Goff,
Eon de l'etoile heresiarque de Broceliande, Ordos n° 22, 1 999.
46) Michel Raoult,
Les druides, les societes initiatiques celtiques contemporaines, Editions du Rocher,
1 983.
47)
Le Druidisme n° 31, mai 1 994, p 35-36.
48) Gwenc'hlan Le Scouezec,
Les filiations traditionnelles de la renaissance des rites forestiers, Le
jardin des Dragons
n° 10, 1 994.
49) Georges Pinault/Goulven Pennaod,
Vers une philosophie bretonne ? La Bretagne reelle n° 267 bis,
1 968.
50) Joseph Monard,
Connaissances du druidisme, G.D.G. Message 1 996.
Les jalons
& les aléas de la persistance du druidisme
Repères à travers les siècles des rebelles, indociles, insoumis, indomptables, rétifs, dissidents,
réfractaires et maquisards
Quelques dates :
·
Vème siècle : Patrick entreprend l'evangelisation de l'Irlande.
·
VIème siècle : l'Ecosse possede encore des druides, selon l'abbe du monastere d'Iona, Adamnan.
·
VIIIème siècle à fin du moyen âge : transcription des traditions legendaires en Irlande, mais aussi en
Galles.
·
Règne du roi suprême d'Irlande Domnall hUa Néill (mort en 978) : les druides existaient toujours et
employaient encore tous les procedes de divination (Le Roux-Guyonvarc'h,
Les Druides, p. 69).
·
1 066 : avant la fondation de l'Universite d'Oxford fleurissait a cet endroit un groupe druidique verse
dans tout ce qui regardait les arts du feu (alchimistes et forgerons) : les
Pheryllts (du celtique ancien
Uirueletes
, "hommes voyants"). Leur centre etait Cor Emrys, dans le Penmaen de Snowdon (Eryr) ;
l'ancien
Cor Emrys, appele aussi Ambrosial Cor, est la cite de Dinas Affaron avec ses douze dragons de
Beli. Vint la persecution, et beaucoup perirent, soit par pendaison, soit par exposition au froid.
·
1 145 – 1148 : activites d'Eon de l'Etoile en Bretagne centrale.
·
1 176 : premiere grande assemblee de bardes gallois (au chateau de Cardigan).
·
1 179 : initiation forestiere royale de Philippe Auguste. (1)
·
Alentours de 1 200 : Robin Hood ("Robin des Bois") en foret de Sherwood (Grande-Bretagne). (2)
·
1 204 : mystique francais Amalric de Beyne, condamne pour pantheisme par le pape Innocent III.
·
1 238 : Haymo de Faversham, moine gallois franciscain, ministre d'Angleterre, fait revivre les formes
druidiques.
·
1 245 : Philip Bryddod (ou Bryddyd), barde de Silurie, a la mort de Haymo, fonde a Oxford la
Clairiere de Mont Haemus
(du nom de son predecesseur ?), dite aussi Celli-y-Henafiet : des druides s'y
rassemblent, venus de differents endroits du pays, et adherent a un programme commun :
Proclamer,
attester la dignité des druides, et disqualifier beaucoup d'erreurs populaires
. Philip Bryddod meurt en
1.250.
·
1 381 : revolte anglaise des paysans.
·
5 août 1 392 : episode historique de "l'ermite" de la foret du Mans et de la folie du roi Charles VI.
·
1 400 : Sion Cent & Einion le pretre "monotheisent" les Triades et les "archives" bardiques.
·
1 408 – 1 471 : vie de Sir Thomas Malory, gentilhomme du Warwickshire (Grande-Bretagne), membre
du Parlement britannique (1 445), qui "prend le maquis" et devient – tels auparavant Eon de l'Etoile et
Robin Hood – bandit de grands chemins et pilleur d'abbaye. Enferme 20 ans a la prison de Newgate, il y
ecrit les 21 livres de
La Mort d'Arthur (publie en 1 485).
·
1 434 : execution du carme breton Thomas Conecte, ne a Rennes, qui parcourait les provinces du Nord de
la France, suivi d’une troupe de disciples, prechant partout avec une extreme violence ; il
eut un prodigieux
succes comme predicateur, puis il alla en Italie ou il se signala par ses attaques contre la cour de Rome ;
convaincu d'heresie il fut brule comme heretique.
·
1 450 : premiere eisteddfod ("assemblee poetique galloise").
·
1 494 – 1 553 : vie de Rabelais.
·
Fin du XVIème siècle : Yann Marhec, seigneur de Guic-Quelleau en Penmarc'h, paien avoue, entre en
lutte contre le seigneur de Penmarc'h, partisan de l'unification de la Bretagne et allie de Hamon Barbier,
abbe de Pen-ar-Bec, venu christianiser le pays pagan.
·
XVIème/XVIIème siècle : Huw Llwyd, soldat de la region de Ceunan Cynfal (Sud-Gwynedd, Pays de
Galles) etait aussi barde, sportif, proprietaire et guerisseur traditionnel; il prononcait ses incantations
depuis un rocher, denomme depuis la "Chaire de Huw Llwyd", dans la gorge d'Afon Cynval.
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1 599 – 1 658 : dans les iles britanniques, Cromwell ordonne la destruction systematique de tout
document se rapportant aux anciennes traditions et rites.
·
XVème siècle : - le barde Rhys Bryddyd, maitre du suivant.
- le barde Lewis Morganwg, disciple du precedent, sera le maitre de Llywelyn Sion.
·
XVIème siècle : Llywelyn Sion met par ecrit la connaissance traditionnelle, il enseigne entre 1 580 et
1 616, le barde Edward Dafidd (de Hargam), lequel eut lui-meme pour eleve le barde Lewis Hopcyn (de
Peterson-super-Montem); ce dernier eut pour disciple Iolo Morganwg. Edward Dafidd eut aussi pour
eleve John Bradford (de Betwa-Tir-Iarl) qui fut egalement un des maitres d'Iolo Morganwg.
·
XVIIème siècle : Michel le Nobletz trouve trois druidesses dans l'ile de Sein, invoquant Doue-Tad
(Teutates ?) (3)
·
1 764 : publication par le Reverend Evan Evans de Specimen of the poetry of the ancient Welsh Bards.
·
1 722 – 1 770 : vie de Goronwy Qwen, poete gallois natif de Llanfair dans l'ile sacree de Mona
(Anglesey), qui
– bien que pasteur anglican – devient franc-macon dans l'intention de retrouver le
mystere des anciens druides. Goronwy Owen etait disciple du Pen bardd ("Chef des Bardes") Llewellyn
Du o Fon (de son nom profane Lewis Morris, 1 700 – 1 765). (4)
·
1 788 : Nicolas de Bonneville, parlant d'un ouvrage du capitaine Smith, inspecteur a l'Ecole royale
militaire de Woolwich et grand maitre provincial du Kent
: De l'aveu de M. Smith, les restes les plus
parfaits des rites et des cérémonies des druides sont conservés dans les coutumes et cérémonies des maçons.
(5)
·
1 792 : plus ou moins disparition des bardes gallois durant les mauvais jours de 1 792.
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1 811 – 1 812/1 816 : au Pays de Galles, revolte du "capitaine" Ned Ludd contre les machines (un
milliers de celles-ci, travaillant la soie, le coton et la laine sont alors detruites par un mysterieux
groupe ; ces actions virent a l'emeute et les insurges sont pendus ou condamnes a l'exil). (6) Il faut
remarquer que les noms de Ned et de Ludd sont curieusement semblables a celui du dieu Nudd ou
Lludd (
Nodons en celtique ancien).
·
1 829 : Edwards Williams (c'est-a-dire Iolo Morganwg)), ne en 1 747 (mort en 1 829 [ou 1 826 ?]),
publie de la litterature theologique bardique; il est notamment l'auteur des
Triades bardiques (1 794). Il
tient des celebrations paiennes saisonnieres et est l'auteur des
Arcanes des bardes de l'Ile de Bretagne
(1 829). Son fils est l'auteur du
Catechisme de Sion Cent (publication en 1 848 et 1 862).Durant cette
periode : tenue d'Eisteddfod ("reunions plenieres bardiques") suivies.
·
XIXème siècle : Myfyr Morganwg (de son nom profane Evans Davis; mort en 1 888) et le Dr Th. Price
procedent a un reconstitution integrale du druidisme et construisent autour du roc de Logan, a
Pontypridd, un sanctuaire druidique.
·
11 octobre 1 838 : Kervarker (de la Villemarque) recoit l'investiture bardique sous le nom de Barz
Nizon.
·
Février 1 838 : ceremonie druidico-gorseddique dans la foret de Carnoet.
·
Vers 1 835 : fondation par Henry Lizeray de l'Eglise Druidique et Nationale.
(1) voir Pierre Vial,
Un batisseur de la Maison de France : Philippe Auguste, in Le Choc du Mois n° 65 (juin
1 993), p. 27.
(2) concernant Robin Hood, lire
The Vision of Piers the Plowman (1 378) et The Lystel Geste of Robin Hood
(Winkin de Worde, 1 495).
(3) Paul-Yves Sebillot,
Le folklore de la Bretagne, tome II, p. 26, G.P. Maisonneuve & Larose ed..
(4) Y.-L. Becot,
Le poete Goronwy Owen, Memoires de la Societe d'Emulation des Cotes-du-Nord, Les Presses
Bretonnes, Saint-Brieuc, 1 949.
(5) Nicolas de Bonneville,
in La Maconnerie ecossaise, tome I, p. 20, citant M. Smith (The use and abuse of
Freemasonry
).
(6) Nicolas Chevassus-au-Louis,
Les Briseurs de machines, Ed. du Seuil, 2 006.