• ÉVANGILE DE PHILIPPE

    Paraphrases et considérations de

    Nicole Daumard

     

    Summa scientia, nihil scire

    - savoir suprême, ne rien savoir -

     

    Serait-ce que le savoir ne laisse pas assez de vide dans la tête pour qu’elle soit illuminée sans ombres portées ?

     

    Introduction

    Pourquoi l’Evangile de Philippe, qui fait partie des très anciens manuscrits d’une bibliothèque gnostique des premiers siècles, découverte en 1945 à Nag-Hammadi en Egypte, est-il apparemment un véritable puzzle ? Fallait-il déjà aux IIe ou IIIe siècle cacher certains enseignements ? La « grande église » de Rome, ancêtre de l’Eglise catholique, avait-elle déjà commencé à traquer, pour les expurger ou les détruire, les écrits dont la doctrine ne correspondait pas exactement à la sienne ?

    Dans la tradition alchimique, il semble aussi que les auteurs aient pris l’habitude d’interchanger certaines phrases ou certains paragraphes en sorte que seuls puissent s’y reconnaître les lecteurs avertis, et afin que ceux qui n’y voyaient aucun sens ne soient pas tentés de les dénaturer ou de les faire disparaître. En réalité cette façon de faire remonterait à la plus haute antiquité où les « mystères » n’étaient divulgués qu’aux initiés. A ce propos, la Bible aussi aurait un sens voilé.

    S’agirait-il d’une mise par écrit d’un enseignement secret transmis oralement, et ne pourrait-il être celui-là même de l’homme que Philippe appelle Jésus à ses plus proches disciples ?

    L’Evangile de Philippe est un écrit « savant », comme tous les textes gnostiques, dans le sens qu’il s’y passe un jeu subtil entre le sens propre et le sens figuré de certains termes clés, entre le sens ordinaire de certains mots ou propositions, et les images évoquées ainsi que les sens symboliques possibles. L’auteur ne manque pas non plus de jouer avec les inévitables contradictions apparentes de la vie, le jour et la nuit, la vie et la mort… ce que l’on appelle « les extrêmes », c’est-à-dire les aspects opposés inhérents à la dualité de l’existence terrestre, dont on trouve d’ailleurs le symbole dès les premières pages de la Bible, sous la forme des ténèbres et de la lumière, des eaux et de la terre, de l’arbre de la connaissance du bien et du mal. La pensée gnostique se joue aisément de toutes ces contraires, ainsi que des sens différents d’un même concept, car elle connaît et voit l’unité sous-jacente du tout, d’où vient sans doute l’expression « les extrêmes se touchent » et l’image de l’ouroboros, le serpent qui se mort la queue.

    Or le malheur des hommes a justement pour cause cette dualité des extrêmes, qui est à la base de toute réflexion philosophique et religieuse sur la condition humaine, et a inspiré à Hegel, par exemple, le concept de « dialectique ». On dirait que cette dualité a été créée pour nous faire rêver d’une unité apparemment inaccessible ici-bas, rêver d’un monde où le bonheur n’aurait pas pour pendant le malheur, l’amour, la haine… Il semble que l’homme, dans son ignorance, s’acharne de toutes ses forces, mais en vain, à établir cette unité sur terre ; tandis que le gnostique « sait », parce qu’il le vit, qu’il existe un monde où elle existe. Il ne s’agit pas d’une autre planète, mais d’une autre nature. « Mon royaume n’est pas de ce monde », dit Jésus.

    Le dualisme facile à observer dans notre monde n’a donc rien à voir avec celui des gnostiques. Et le désir ancestral de résoudre le dualisme terrestre du bonheur et de la douleur, du froid et du chaud, de l’ici et de là-bas… n’est que le reflet de la profonde aspiration du gnostique de tous les temps à s’échapper de la matière où l’homme s’enlise pour atteindre la nature divine. La Gnose en donne la connaissance et la possibilité.

    Toutes ces caractéristiques portent à conclure que l’Evangile de Philippe est un texte typiquement gnostique, d’une époque où la Gnose a inspiré une profusion d’écrits et de mouvements divers dans le monde entier, parmi lesquels le christianisme des premiers temps. Philippe était un gnostique, or c’est le propre du gnostique de recevoir les révélations intérieures nécessaires à sa progression sur le chemin de l’initiation, et à la tâche qui lui est confiée sur cette terre pour la délivrance de l’humanité.

    *

    Je dédie ce travail, qui est résolument un témoignage de ma démarche intérieure vécue, à mes enfants et petits-enfants, à mes amis, à mes frères et sœurs rose-croix, et surtout à Jan van Rijckenborgh et à Catharose de Petri, fondateurs de la Rose-Croix d’Or, à qui je suis redevable de tout ce qui est dit ici, concepts qui figurent amplement développés dans tous leurs écrits, dont je n’ai pas fait de citations particulières, car il aurait fallu citer l’œuvre entière…

    L’enseignement de la Gnose est un et unique à travers tous les temps, l’Evangile de Philippe en est une preuve parmi tant d’autres. Le travail du candidat sur le chemin de la vérité éternelle est de retrouver intérieurement cet enseignement, non seulement en le comprenant intellectuellement, mais en le vivant dans son esprit, son âme et son corps. Après quoi, à son grand étonnement, il découvrira que beaucoup entreprirent ce travail, dans tous les siècles et dans le monde entier.

    *

    Le texte français établi ici l’a été d’après une traduction française où figurent entre parenthèse les termes grecs conservés dans le texte copte, la traduction parue dans la série « Textes gnostiques de Shenesêt » par A. Wautier, Ed. Ganesha, et la traduction en anglais parue dans « The Nag Hammadi Library », New York, 1977, ainsi que d’après des données ésotériques. Mais chacun, évidemment, peut et doit trouver bien d’autres interprétations suivant l’inspiration.

    Après découpage et reconstruction de l’ensemble, le sujet fondamental de cet évangile apparaît être la transformation de l’être humain en homme parfait, le tout « premier Adam », par l’attouchement de l’amour divin. Ce travail a été élaboré en tenant compte du fait que : 1 – les traducteurs actuels en général ne sont pas au courant de l’Enseignement universel gnostique et initiatique, fondement de ce texte délibérément crypté ; 2 – que les copistes de l’antiquité ont sans aucun doute fait des erreurs de copie et d’interprétation, ce qui m’est arrivé en recopiant ce texte rempli de paradoxes parfaitement susceptibles d’entraîner des erreurs de ce genre.

    Il est malheureusement probable que les considérations qui vont suivre sembleront aussi décousues que celles de cet évangile, mais l’unité fondamentale doit finir par se manifester, comme elle se manifeste d’ailleurs très clairement après plusieurs lectures approfondies, et que de l’illogisme trompeur de la suite des idées se dégage une logique intérieure rigoureuse, proprement stupéfiante par rapport au désordre apparent.

    Il est aussi probable que le lecteur courageux trouvera que ces commentaires fourmillent de redites, mais tout le monde n’est pas doté de ce génie de la Gnose qui fait que Jan van Rijckenborgh, Catharose de Petri et… Philippe peuvent donner des aspects toujours différents d’un seul et unique sujet : la résurrection de l’homme terrestre en homme divin.

    *

    Faut-il commencer par lire le texte même de l’Evangile de Philippe, dont la première lecture risque d’être assez indigeste ? Je pense qu’il vaut mieux commencer par les considérations où figurent les citations regroupées suivant leur sujet, et se lancer ensuite seulement dans l’Evangile de Philippe dont l’unité de pensée devrait alors apparaître clairement, et susciter bien d’autres interprétations.

    Ce texte contient de très nombreuses allusions au Nouveau Testament, des citations de Paul en particulier. Je ne les ai pas toutes signalées.

    1 – La Vérité

    « Aléthéia » est le mot grec employé pour la Vérité : la réalité opposée à l’apparence, le saphir que porte le grand-prête d’Egypte.

    (55a) La Vérité ne vient pas dans le monde nue, mais en signes (tupos = empreinte, marque) et en images(eikôn). On ne la recevra pas autrement.
    (118b) Les mystères de la vérité sont révélés sous forme de signes (tupos) et d’images.

    Le mot image revient constamment dans l’Evangile de Philippe. Comment, en effet, parler de choses inexprimables sur le plan terrestre autrement qu’en images, en symboles et en paraboles ? C’est pourquoi il faut considérer et entendre tous les textes " hermétiques ", toutes les écritures saintes de façon symbolique et imagée.

    La vérité‚ est indicible, c’est Sophia, la Gnose. Aucun mot dans aucune langue ne saurait la définir, la circonscrire. Elle est insaisissable dans sa nudité originelle ; il faut donc l’habiller de mots et d’images afinde la mettre à la portée de la compréhension et de l’imagination humaines, pour pouvoir la recevoir, la concevoir quelque peu, particulièrement en un temps où toute la pensée humaine est concentrée dans les mots, où l’on pense avec des mots !

    Aux temps où l’homme chercha à définir la Vérité par le langage, par des mots,

    (9b) La Vérité engendra les noms dans le monde parce qu’il est impossible de l’apprendre sans noms.

    Les choses ont commencé par être désignées par des noms, lesquels ont fini par devenir de simples mots, eux-mêmes symboles des choses en question. Mais les choses échappent à leur nom, qui est incapable de les définir exactement. Les noms désignent l’apparence des choses, et sont dans l’incapacité de décrire leur essence.

    La Vérité échappe à son propre nom, incapable de la définir ; elle se cache derrière une apparence, mais son essence échappe à toute investigation ordinaire.

    Nous, créatures de cette création terrestre, nous ne croyons que dans les choses visibles à qui nous donnons une grande puissance puisque que nous bâtissons sur elles toute notre science ; nous ignorons délibérément la Vérité invisible, et même nous la rejetons si quelqu’un nous en parle, phénomène général ordinaire d’une humanité qui fait grandir chaque jour sa sempiternelle, tristesse, vide, livide et désespérée.

    Par exemple :

    (55b) Il y a une renaissance et une image de la renaissance. Il est assurément nécessaire de renaître selon l’image. Qu’est-ce que la résurrection ? L’image doit ressusciter par l’image.

    Merveilleuse image ! L’image fait naître cette indéfinissable impression d’une chose qui doit dépasser le mot précis, chose déjà comme illuminée dans l’ombre. « Le pélican qui nourrit ses petits de son propre sang » : cruelle impression de la terrible réalité d’avoir donner tout son être à de pures illusions, mais aussi le pressentiment qu’un tel don de soi est une attitude qui ouvre à la clarté d’une résurrection, comme la mort sur la croix devient résurrection. Ecoutez vraiment une musique, c’est aussi se donner à elle, mourir en elle. Pénétrer au plus profond de soi, dans l’abîme intérieur le plus obscur, en un don absolu à l’inconnu, par désespoir du connu, c’est une chance de trouver une lumière. Le pélican qui se saigne pour ses enfants : l’amour de Christ qui se donne à ses bien-aimés. Voilà l’exemple d’une image, une empreinte, une impression d’une des plus brillantes facettes de l’éternelle Vérité.

    La Vérité est la seule réalité, l’univers perceptible est apparence, illusion.

    Les mots expriment les apparences et transforment donc tout enapparence. Mais l’inquiétude pousse à sonder les apparences, et c’est ce qui peut à la fois nous perdre et nous sauver. En cela, la science a raison. Elle a tort dans ses applications. Les applications entraînent d’autres découvertes… mais la découverte du sens de la vie exige-t-elle une technique de pointe et le niveau de vie correspondant ? Les techniques de pointe ont-elles, ou vont-elles, supprimer la guerre, la faim, la maladie, la mort ?

    L’essence de la Vérité admet-elle la guerre, la faim, la maladie, la mort ?

    Le dolmen, face au soleil, à la mer, dans le grand vent, c’est déjà la terre, le feu, l’eau, l’air ; l’alchimie du sec et de l’humide, du froid et du chaud. Les mots cachent des mystères grandioses.

    Si le mot image revient si souvent dans l’Evangile de Philippe, c’est peut-être pour nous rappeler sans cesse qu’il ne faut surtout pas le lire au premier degré, mais s’efforcer de découvrir le sens caché derrière les mots.

    Tous les textes spirituels authentiques sont à lire et à comprendre sur trois plans au moins : le plan matériel, qui est la lettre ; le plan symbolique, qui est l’esprit ; et le plan initiatique, qui est la réalisation. Le plan matériel sert à se faire une image mentale. Le plan symbolique représente la réalité abstraite de l’essence de la chose que l’image suggère. Le plan initiatique est la découverte de la force sous-jacente au symbole, force qu’il faut laisser agir à la fois sur le mental, la psyché et ses remous, et l’abîme du subconscient. Etre présent intérieurement rend peu à peu conscient du travail qu’opère cette force ; alors il faut faire tout le possible et même l’impossible pour s’y accorder. Mais découvrir cette force est découvrir que l’impossible est possible. Et le visage caché de la Vérité commence à se laisser entrevoir.

    (9c) La Vérité est unique mais en même temps elle est multiple pour pouvoir, par amour, enseigner cet Unique grâce à sa multiplicité.

    La Vérité est « Une », comme tout ce qui ressort de la nature divine. Cette Unité devient multiplicité dès qu’elle touche la nature terrestre, car le multiple est le caractère même de l’univers matériel. Dans son amour pour l’être humain qu’elle veut attirer à elle pour le sauver de l’enfer terrestre, la Vérité s’offre dans sa diversité infinie afin que l’être humain, sur le chemin de la perfection, finisse par entrevoir son Unicité derrière sa multiplicité, donc sa nature divine. La multiplicité doit retourner à l’unicité : premier concept alchimique en référence à la Table d’Emeraude d’Hermès Trismégiste.

    O nature, tu ne cesses jamais d’être attirante parce que la Vérité est inscrite en toi ; ta beauté nous parle d’une infinie beauté, ton foisonnement nous parle d’une profusion, d’une folle prodigalité, d’une puissance et d’une bonté illimitée ; tes astres sont des joyaux inaccessibles, ton soleil, une lumière immense qui nous enveloppe de la chaleur d’un amour parfait, image de l’Amour divin.

    Le soleil emplit de sa lumière le système solaire tout entier, comme la Vérité emplit de sa lumière l’espace divin tout entier. Le soleil est le coeur du système solaire, comme le noyau est le soleil de l’atome ou de la cellule, comme il y un soleil au coeur de la galaxie et un soleil plus grand au coeur d’une système de galaxies, et ainsi de suite, pour nous montrer qu’il y a un coeur rayonnant au centre de tout, comme l’homme possède aussi un cœur où peut se refléter la Vérité.

    Tous ces noyaux, ces centres, ces coeurs, sont reliés de proche en proche au coeur du Soleil suprême, le Créateur suprême. Cette liaison mystérieuse de tous ces corps les uns par rapport aux autres ressemble à une aimantation, à l’amour des amants. La vérité veut se faire connaître par amour, dit Philippe.

    La Vérité, structure de l’univers : « ce qui est en bas est comme ce qui est en haut, » axiome fondamental de l’alchimie.

    (12b) La Vérité est semée partout, elle qui existe depuis l’origine. Beaucoup la voient lorsqu’elle est semée, mais peu la voient quand elle est récoltée.

    La Vérité est inscrite partout et surtout dans le coeur humain, le vrai coeur, celui que ne gouverne ni égocentrisme ni intérêt, celui qui sait se donner sachant qu’il ne recevra rien en retour qu’avanies probables. Mais un tel cœur est le fruit d’une transmutation alchimique, en dépit de toute la bonté acquise et volontaire de l’humanitariste le plus convaincu.

    Récolte de la Vérité, le fruit de la Vérité : l’homme parfait conçu par Dieu dès l’origine. « Il y a beaucoup d’appelés, mais peu d’élus. » La Vérité est partout mais peu la réalise concrètement dans leur vie terrestre par la transmutation de l’homme animal en homme divin, condition indispensable pour être cueilli comme fruit de la Vérité. L’homme divin revenu à l’Unité première, au monde à une seule dimension qui est l’Amour divin. L’élection dont il est question ici est celle du coeur : beaucoup sont appelés, mais peu de coeurs sont prêts à choisir la voie de la Vérité.

    Aléthèia est amour, la Vérité est Dieu.

    (111) Bien des choses du monde, tant que leurs racines sont cachées demeurent debout et vivent. Si les racines se voient, elles meurent, à l’exemple de l’homme visible. Tant que ses entrailles restent cachées, il vit. Si ses entrailles sortent de lui, il meurt. Il en est de même de l’arbre. Tant que ses racines sont cachées, il croît et fructifie ; si sa racine apparaît, il se dessèche. Il en est ainsi de chaque chose dans le monde, non seulement de ce qui est manifesté‚ mais de ce qui est caché. Il en est ainsi de chaque chose née dans le monde non seulement manifestée mais aussi cachée. Car tant que la racine du mal est cachée, elle est forte mais quand on la reconnaît elle est dissoute, quand elle se manifeste elle est détruite. C’est pourquoi la Parole dit : "Déjà la hache est placée à la racine de l’arbre". Elle ne coupera pas car ce qui est coupé repousse, mais elle pénétrera si profondément qu’elle extirpera la racine. Jésus arrache la racine entièrement alors que d’autres ne l’ont fait qu’en partie.
    (112) Quant à nous que chacun creuse jusqu’à la racine du mal qui est en lui et qu’il l’extirpe de son coeur jusqu’à la racine. Il ne sera arraché que lorsque nous le reconnaîtrons. Si nous l’ignorons, il pousse ses racines en nous et porte ses fruits en nos coeurs. Il nous domine, nous sommes ses esclaves, il nous emprisonne au point de "faire ce que nous ne voulons pas et de ne pas faire ce que nous voulons." (Paul ?)Il est puissant, parce que nous ne le connaissons pas. Tant qu’il existe, il est à l’oeuvre.
    (113) L’ignorance est la mère du mal, l’ignorance entraîne la mort ; ce que produit l’ignorance n’a jamais existé, n’existe pas et n’existera pas. Tandis que ceux qui sont dans la Vérité seront parfaits quand toute la Vérité se révèlera. »
    (114) Car la Vérité est comme l’ignorance : quand elle est cachée, elle se repose en elle-même, mais si elle est révélée et reconnue elle est louée pour autant qu’elle est plus forte que l’ignorance et que l’erreur. Elle donne la liberté.
    (115) La parole dit : Si vous connaissez la vérité, la vérité vous rendra libres. (Jean 8, 32 à vérifier)
    (116) L’ignorance est esclavage. La connaissance (gnôsis) est liberté.
    (92) Celui qui a la connaissance (gnôsis) de la vérité est libre. Et l’homme
    libre ne pèche pas car "celui qui commet le péché est l’esclave du péché" (Jean, 8,34)
    La vérité est la mère, la connaissance, le père. Ceux qui ne sont pas concernés
    par le péché, le monde les appellent libres. Pensant connaître la vérité,
    ils sont orgueilleux, c’est ce que veut dire ici "libre".
    (93) Mais l’amour édifie (1 Cor. 8,1), et celui qui est devenu vraiment libre par la connaissance devient, par amour, l’esclave de ceux qui n’ont pas pu
    atteindre la liberté de la connaissance. La connaissance les rendra capables
    de devenir libres. (à mettre aussi dans véritables ?)

    Il existe plusieurs traductions du paragraphe 92. La traduction ci-dessus paraît celle qui correspondrait le mieux à la référence faite à l’Epitre de Paul : « La connaissance enfle ; l’amour édifie. »

    (99) Celui qui est esclave contre sa volonté, pourra devenir libre. Celui qui est devenu libre par la grâce de son Seigneur (Maître ?) et se rend lui-même esclave ne pourra plus être libre.

    Celui qui rencontre intérieurement la vérité devient libre même s’il est esclave en ce monde, et s’il est devenu libre, par amour de la vérité, il devient l’esclave de sa loi, la loi de l’amour divin.

    (117) Si nous reconnaissons la Vérité, nous récolterons ses fruits au-dedans de nous. Si nous nous unissons à elle, elle nous fera entrer dans le plénitude (plérôma = plénitude, accomplissement).

    Bel exemple du jeu des contraires répondant aux différents plans de compréhension sur lesquels on se place.(à mettre ailleurs ?)

    (118b) Les mystères de la Vérité sont révélés sous forme de symboles et d’images.

    La Vérité se cache derrière les symboles et la multiplicité, elle est inaccessible sur terre dans son authenticité. La Vérité est obligée de restée cachée du fait qu’elle est intraduisible.

    (118a) Présentement nous voyons les manifestations de la création et nous disons : les choses fortes sont hautement estimables et les choses faibles sont cachées et méprisables. Comparez avec les manifestations de la Vérité : elles sont faibles et méprisées tandis que, cachées, elles sont fortes et estimables.

    Oui, nous, créatures de cette création terrestre, nous ne croyons que dans les choses visibles auxquelles nous donnons une grande puissance puisque nous bâtissons sur elles toute notre science ; et nous ignorons délibérément la Vérité qui est invisible, et nous la rejetons si quelqu’un nous la révèle. C’est un phénomène général sur le plan terrestre ordinaire d’une humanité qui fait grandir chaque jour sa sempiternelle tristesse, vide, livide et désespérée.

    Mais sur le plan de la vie intérieur du coeur, c’est-à-dire sur un plan caché, la Vérité quand elle se révèle intérieurement est reconnue et glorifiée, car elle est plus puissante que l’ignorance et l’erreur. Elle chasse glorieusement l’ignorance et l’erreur, tandis que les pauvres orgueilleux de leur pitoyable civilisation rejettent délibérément son magnifique éclat, qui les forcerait à remettre en question leur science dangereuse et le désert de leur coeur.

    Le mal caché, le mal que l’on ignore en nous, fait son oeuvre en toute tranquillité. Démasqué, il perd de sa force et la Lumière prend sa place pour faire son oeuvre qui est de nous délivrer du mal.

    (124) Tant qu’il est caché, le mal est efficace et il n’est pas enlevé de la semence de l’Esprit, et il y a des esclaves du mal. Mais lorsqu’il se manifeste, alors la Lumière parfaite se répand sur chacun et tous ceux qui se trouvent en elle recevront l’onction. Alors les esclaves seront libérés et les prisonniers seront délivrés.

    Ici nous avons préféré l’ adjectif « efficace » plutôt qu’ « inefficace » qui semble pourtant bien être la leçon du texte, cela dans un certain souci de logique (qui a pu échapper au copiste sur le moment…) et surtout en prenant en compte la fin de la phrase : les esclaves du mal seront libérés, or si l’on s’en réfère à (ici référence du n°) c’est le mal caché qui est le plus efficace et qui est « esclavage » !

    *

    (125) Tout plant que mon Père qui est dans les cieux n’a pas planté sera déraciné.
    (114b) La Vérité procure la délivrance.
    (115) La Parole dit : Si vous reconnaissez la Vérité, la Vérité vous libérera.
    (116) L’ignorance est esclavage, la Gnose est liberté.
    (117) Si nous reconnaissons la Vérité , nous trouverons les fruits de la Vérité au dedans de nous. Si nous nous unissons à elle, elle nous fera entrer dans la plénitude (plérôma).

    Mais ne pas confondre liberté et licence, volonté personnelle et volonté divine. L’Homme parfait, l’Homme divin fils du Père, est entièrement et volontairement soumis à la volonté du Père. Jésus a obéi jusqu’au sacrifice de la croix : il s’agit là d’une puissante image de l’obéissance due par l’Homme parfait à la volonté divine. Il s’agit aussi d’une autre image : la mort de l’homme terrestre au milieu des souffrances terrestres, marquant la résurrection de l’homme divin. C’est que : Les mystères de la Vérité sont révélés sous forme de symboles et d’images (118b)

    O monde qui court à sa perte de par la faute des hommes, qui te fera revenir vers la Vérité alors que tous la refusent. Qui nous délivrera de l’immense souffrance que nous, les humains, nous nous infligeons à nous-mêmes et aux autres ? Esclaves des puissances du mal ennemies de la Vérité, comment briser nos chaînes si nous ne prenons pas le parti de la Vérité ?

    Les aspects de la Vérité une fois révélés sont réduits par l’homme ordinaire à des apparences car il est dans l’incapacité de pénétrer l’essence de la Vérité cachée. Aussi sa liberté, son égalité, sa fraternité ne sont que purs rêves et chimères sans réalisation possible ; son amour, une masquarade et caricature infâme sans lendemain, sources de luttes et de souffrances.

    La Gnose est la connaissance parfaite de la Vérité grâce à l’onction de la Lumière divine, la réception sensible de l’Amour divin du Père qui révèle peu à peu toute la Vérité à son fils, la rosèe de la rose aurore.

    Le plant que le Père n’a pas planté est le plant qui n’a pas reçu ou qui a rejeté la Lumière divine, qui n’a pas pu croître en union avec l’Amour divin du Père, le plant qui ne reçoit pas la rosée de la rose aurore.

    Jésus, l’Amour divin du Fils, déracine totalement le mal dans le cœur de qui accepte de porter sa croix. Alors il l’inonde de son amour pour sa plus grande et merveilleuse consolation. Chaque jour il reçoit la rosée de la rose aurore, principe de base de toutes les opérations alchimiques en vue d’extirper le mal, de purifier la matière et de faire surgir l’action magique du soleil et de la lune, des planètes et des étoiles, pour en recevoir, ou non, leur muette mais souriante et resplendissante approbation, de sorte qu’il pourrait croire que ces astres sont là pour soutenir sa faible marche et l’éclairer dans la nuit du monde, pourtant lui aussi exposé à la lumière insondable de ces luminaires distants mais fidèles.

    C’est le monde de la dualité qui a engendré le mal. Là le mal s’oppose au bien. Les hommes de la dualité voient tout en double, leur esprit conçoit tout en double, le mal est dans leur esprit. Dans l’esprit de Dieu il ne saurait y avoir conception du mal. Le mal est une invention, dans le sens de création de l’esprit humain dans le monde de la dualité. Tel est un des aspect de la chute de l’homme. Dans le monde de l’Unité, tout est Un. Le Bien y règne en maître sans qu’il soit question de mal, l’Amour y règne en maître sans qu’il soit question de haine, l’Eternité y règne en maître sans qu’il soit question de temps, la Lumière n’y fait aucune ombre. Le monde de la dualité est celui de l’arbre de la connaissance du bien et du mal, de la vie et de la mort, celui où Krishna naît en tant que jumeaux dont l’un a la peau blanche et l’autre noire, le monde où Horus est quand il regarde le soleil couchant et quand il regarde le soleil levant…. Mais ni Krishna ni Horus ne sont doubles dans le monde de l’Unité et de l’Eternité. C’est pourquoi Christ Jésus et tous les fils de Dieu ne peuvent que vivre et ne faire qu’Un dans le monde divin puisque la mort n’y existe pas et que tout y est Un.

    Le monde divin est à une seule dimension qui est l’Amour, et l’Amour unifie tout.

    « Ne mange pas du fruit de l’arbre de la connaissance du bien et du mal, sinon tu mourras » (Genèse). Toi que j’ai fait naître dans le monde de l’Unité, ne cherche pas à concevoir, donc à créer la dualité, sinon tu mourras. Car ce que l’homme divin conçoit est aussitôt créé. La puissance infinie de Dieu ne saurait ni vouloir ni créer le mal, c’est pourquoi il demanda à l’homme de ne pas manger le fruit de l’arbre du bien et du mal, déliant ainsi le mal. Le mal est éternellement lié par Dieu, qui ne délie que le bien absolu, l’unité absolue et l’amour absolu. C’est l’homme qui a délié le mal par pur ambition et curiosité, et qui de ce fait a été rejeté du domaine de l’unité et de l’amour.

    L’ignorance de la Vérité ne se confie qu’à la connaissance que procure la perception sensorielle du monde de la dualité, le monde qui a créé le mal, le monde où tout meurt. Sur cette terre l’ignorance est donc nommée connaissance. Si je dis que j’ignore tout du monde absolu de la Vérité, j’ai déjà fait un pas vers elle, et elle vient à moi dans un murmure confidentiel. Tout est fondé sur le pouvoir d’entendre et de comprendre les amoureuses confidences de la Vérité. C’est la « docte ignorance » de Nicolas de Cuse. Le plus haut savoir est ne rien savoir (cit en latin afin que le mystérieux enseignement de la Vérité puisse tomber comme des semences divines sur une terre vierge.

    II – Les noms

    (8a) Les noms qui sont données aux choses du monde renferment une grande illusion, car ils détournent la pensée de ce qui est réel vers ce qui n’est pas réel, et celui qui entend le nom « Dieu » ne saisit pas ce qui est réel mais ce qui n’est pas réel. De même dans le « Père » et le « Fils » et « l’Esprit Saint » et la « Vie » et la « Lumière » et la « Résurrection » et « l’Eglise », et tous les autres on ne perçoit pas ce qui est réel, on perçoit ce qui n’est pas réel, à moins d’avoir appris ce qui est réel.

    C’est au moyen des sens que l’homme donne des noms aux choses or les sens ne voient, ne touchent, n’entendent, ne sentent que l’extérieur des choses, leur apparence.

    Donc surtout ne pas oublier en lisant l’Evangile de Philippe que :

    (9b) « La Vérité engendra les noms dans le monde parce qu’il est impossible de l’apprendre sans noms. »

    Il s’agit encore là des nombreux paradoxes de ce texte qui ne fait que révéler la dualité du monde terrestre. Oui, la Vérité indicible doit se révéler par tous les moyens possibles, et parmi eux il y a les noms donnés aux choses, les mots, par lesquels elle a une possibilité de se révéler mais seulement « en images et en symboles » ! Malheureusement l’esprit de ces images et symboles n’est plus saisi et il ne reste que leur signification prise à la lettre, leur apparence.

    (Le mot « Dieu » recouvre l’image, que se sont faite, que se font et que se feront tous les peuples du monde, de la force insaisissable qui se cache derrière l’univers et son apparition. C’est un mot facile d’emploi ne serait-ce que parce qu’il est court et laconique. Tout au long de ce texte il représente donc la force physique, spirituelle, philosophique, etc. - comme on voudra - primordiale et fondamentale, qui explique la vie de l’univers, ainsi que la hiérarchie des forcesqui en émanent, qu’on les désigne comme des ondes électromagnétiques ou par un nom scientifique plus savant, ou comme des puissances spirituelles, représentées par des anges, etc. – toujours comme on voudra. L’image de cette force fondamentale serait celle du bien absolu, par opposition au bien et au mal du monde que nous connaissons, qui n’est qu’une triste déviation du monde du bien absolu.)

    (8b) Tous les mots entendus dans le monde sont trompeurs. S’ils étaient dans l’Eon (aiôn), ils ne seraient pas prononcés dans le monde à aucun moment, et ils ne seraient pas rangés parmi les choses du monde. Dans l’Eon ils ont une fin.

    Eon : ce mot grec signifie : 1) toujours, 2) un temps très long, 3) le fils de Chronos, et dans l’Evangile de Philippe ce terme désigne le monde de l’éternité immuable. Le système sensoriel de l’homme ne pénètre pas l’essence des choses. Au sein de l’Eon, l’éternité immuable, le nom, l’essence même de chaque chose, correspond à une vibration déterminée, c’est une force vibratoire d’une fréquence précise mais qui est cachée aux hommes terrestres ordinaires parce que leurs sens ne peuvent plus la capter. Dans l’éternité immuable les noms n’ont pas d’existence et sont imprononçables, ce sont des vibrations de l’éther subtil.

    (9a) Un seul nom n’est pas prononcé dans le monde, le nom que le Père a donné au Fils. Il est supérieur à tout. C’est le nom du Père. Car le Fils ne deviendait pas le Père s’il ne revêtait pas le nom du Père. Ce nom, ceux qui le possèdent le connaissent, mais ils ne le prononcent pas. Ceux qui ne le possèdent pas ne le connaissent pas.

    Le nom « Jésus », Yehoshoua en hébreu, contient les quatre lettres du Tétragramme divin, le nom imprononçable de Dieu. Il contient un "s" en plus, serait-ce le "shin" hébreux, une lettre de feu, pouvant évoquer également le Fils, le Verbe, l’agneau, sans oublier le s grec, initial de « sôtèr », sauveur ?

    Le nom de Dieu est une irradiation de feu et de lumière, la force vibratoire fondamentale de l’éternité immuable d’où toutes les autres forces sont issues, donc d’où est sorti l’univers et d’où sont sortis tous les noms en tant que vibrations.

    Dans ces conditions, il est compréhensible que l’on ne prononce pas le nom de Dieu ; d’ailleurs il n’y a pas de mot pour le dire, et si ce mot existait, le prononcer serait trahir immanquablement sa signification intérieure profonde, ce qui est effectivement le cas de tous les mots en ce monde…

    Le nom de Dieu est une force vive dont il veut combler ses fils. Et comme Dieu est amour, cette force de feu qui est l’amour divin vient combler le Fils, de sorte que le Fils, inondé de cet amour, s’oublie complètement en Dieu son Père. Cette vibration de lumière, d’amour, de paix et de félicité totale est indicible, inexprimable, imprononçable dans le règne terrestre. Ce nom demeure donc secret bien qu’il ne le soit pas, et le fait que Dieu ait reçu et reçoive une infinité de noms sur la totalité de la planète terre, est compréhensible, bien que ce soit tous des « noms trompeurs », des noms superficiels, sujets à toutes sortes d’illusions.

    L’initié parfait, le fils de Dieu, Jésus, éprouve les vibrations issues de l’Eon, l’éternité immuable, le pur domaine de la lumière divine, et en particulier, la force d’amour des immortels fils de Dieu, eux-mêmes tous pénétrés de l’amour divin. Dans ce sens on peut dire que tout fils de Dieu reçoit le nom même de Dieu. Et chacun retourne une vibration spéciale d’amour en action de grâce pour l’amour divin reçu, et cette vibration, aussi humble soit-elle, est sa signature, son nom auprès de Dieu.

    « A celui qui vaincra je donnerai… un caillou blanc et sur ce caillou est écrit un nom nouveau que personne ne connaît si ce n’est celui qui le reçoit » (Apocalypse 2, 17).

    Le nom nouveau sur la pierre philosophale est la vibration nouvelle qu’émet celui qui la reçoit et qui l’unit à Jésus, donc à son Père. Par cette vibration, Jésus, le Fils de Dieu, reconnaît son serviteur tandis que son serviteur reconnaît l’amour qu’il en reçoit. Alors le serviteur peut dire avec les anciens Rose-Croix : « Jésus est tout pour moi » et ajouter : ma vie n’est rien sans cet amour du Père.

    « Celui qui vaincra… j’écrirai sur lui le nom de mon Dieu et le nom de la ville de mon Dieu, de la nouvelle Jérusalem qui descend du ciel d’auprès de mon Dieu et mon nom nouveau. » (Apoc. 3, 12).

    (39) Si tu dis : je suis juif, personne ne bronchera. Si tu dis : je suis un Romain, personne ne s’en affectera. Si tu dis : je suis un Grec, un barbare, un esclave, un homme libre, personne ne se troublera. Si tu dis : je suis un chrétien, tous trembleront. Puisse-t-il m’arriver de recevoir ce nom-là, que les archontes (archôn) ne supportent pas.

    « Je suis chrétien » ne veut pas dire je crois en l’homme appelé Jésus-Christ, je pratique la religion chrétienne… Ici le qualificatif de chrétien s’applique à quelqu’un qui porte le nom de Christ, qui est réceptif à sa vibration d’amour, donc qui est lié à Christ de sorte qu’il est peu à peu investi de sa force et de sa puissance ; il s’agit donc d’une personne redoutable pour les archontes qui tremblent devant elle parce qu’ils sentent inconsciemment que ce nom cache un mystère puissant qui signifie à la longue leur arrêt de mort. Car ces « archontes » sont les forces de la nature engendrées par les hommes eux-mêmes au cours de leur chute incessante, forces dont les hommes sont devenus esclaves et prisonniers, et dont ils doivent finir par se libérer.

    Dans le cas d’un véritable chrétien, ce nom cache le mystère indicible de la liaison entre un homme terrestre et la force non terrestre de Christ, donc de l’Esprit, l’Esprit de consolation que le Christ a dit lui-même envoyer aux hommes, liaison concrétisée par une vibration particulière unissant l’un à l’autre d’une façon absolument pure, dans l’insondable profondeur de la vie intérieure, vibration que personne ne saurait jamais percevoir sur le plan uniquement terrestre, à moins que le corps terrestre ait au moins dépassé quelque peu sa nature.

    Celui qui est en liaison vibratoire avec l’Esprit reçoit l’appui de l’Esprit dans sa lutte pour délivrer l’humanité de l’emprise des archontes, les « princes de ce monde », d’où la frayeur de ceux-ci. Pour essayer de se défendre, ils tentent d’imiter cette pure liaison intérieure de l’homme et de l’Esprit christique, imitation occulte qu’il faut dénoncer comme totalement impure, épuisante, malsaine, esclavage consumant et sans espoir, laissant dans l’âme une sorte de dégoût, car elle sent obscurément qu’elle sombre ainsi dans un abîme.

    (27) Père et fils sont des noms simples, l’Esprit Saint est un nom double ; or ils sont partout : en haut, en bas, dans l’invisible, dans le révélé. L’Esprit (pneuma) Saint est-il dans le révélé, il est en bas ; est-il dans l’invisible, il est en haut.

    L’Esprit Saint est la Gnose : la connaissance entière et parfaite des choses divines préparée pour être révélée aux hommes terrestres. L’Esprit Saint, la Gnose, s’adresse aux hommes « dans le révélé », c’est-à-dire dans la manifestation terrestre, pour leur annoncer l’omniprésence du Père et de ses Fils bien-aimés, qui cherchent à les toucher de leur indicible force d’amour.

    (10) Les archontes voulurent tromper l’homme quand ils virent qu’il était apparenté (suggeneia) à ce qui est vraiment bon. Ils prirent les noms de ce qui est bon et les donnèrent à ce qui n’est pas bon pour le tromper par les noms et le lier à ce qui n’est pas bon. Et après cela, s’il leur manifeste de la faveur, ils les enlèvent de ce qui n’est pas bon et les mettent à ce qui est bon. Ils connaissaient cela car ils voulaient s’emparer de l’homme libre et faire de lui leur esclave pour toujours. Ce sont ces forces qui luttent contre l’homme, ne voulant pas qu’il se délivre afin de dominer sur lui comme sur un esclave.

    En effet ce sont les archontes, les forces de la nature engendrées par l’orgueil et l’égocentrisme de l’homme lui-même dès le début de sa création, qui lui font croire à la licence sous couleur de liberté, à l’humanitarisme sous couleur du bien universel, à l’hypocrisie sous couleur de religion, à l’absence d’âme sous couleur d’art, à la lutte et à la rivalité sous couleur de sport, au meurtre sous couleur de guerre juste, à la science criminelle sous couleur de haut savoir et de grand progrès, à des doctrines mensongères sous couleur de vérité… à internet sous couleur d’universalité… à l’imbroglio des lois et règlements sous couleur de justice… Ils imitent la vérité pour lutter contre elle, et tout est retourné !

    Ces puissances sont les créatures de l’homme ; si l’homme leur échappe, il signe leur arrêt de mort. Le but des archontes est donc de conserver leur emprise sur lui en le manipulant pour le soi-disant bien comme pour le soi-disant mal… en enlevant successivement la notion de mal à certains principes et en le leur restituant, ils manipulent les foules et les dominent soit par la licence totale, soit par la culpabilité et la peur, c’est-à-dire par tous les sentiments négatifs. Ils se repaissent ainsi de toute l’énergie que déploient les hommes dans les diverses situations auxquelles ils doivent bien faire face pour vivre et pour durer.

    Cette véritable chute de la signification des mots, qui accompagne la chute incessante de l’homme, se voit, par exemple, dans le mot « orgie », qui voulait dire à l’origine « rituel religieux », et même, si l’on prend la racine arabe, « élévation vers Dieu », et maintenant a pris la connotation de « débauche » dans tous ses excès.

    A Macbeth, dans Shakespeare, les sorcières commencent par annoncer une vérité afin de l’entraîner ensuite à perpétrer une série de crimes, pour sa perdition puisqu’il s’obstine dans son erreur. Heureusement :

    (12a) Les archontes croyaient que c’était par leur puissance et leur volonté qu’ils opéraient, mais c’est l’Esprit Saint qui opérait en secret par leur entremise comme lui-même le désirait.

    Ce paragraphe est à relire en mettant les verbes au présent.

    Donc, en définitive :

    (28) Les saints sont servis par les puissances mauvaises. En effet celles-ci sont aveuglées par l’Esprit Saint, en sorte qu’elles croient servir les leurs, alors qu’elles travaillent pour les saints. C’est pourquoi un disciple posa un jour au Seigneur une question sur quelque chose du monde. Il lui répondit : Demande à ta mère, elle te donnera une réponse qui n’est pas d’elle (allotrion).

    Dans la mesure où c’est à force d’être trompé et que l’on finit par s’en rendre compte, il est alors possible de se tourner vers la vérité : les archontes travaillent donc pour ceux qui deviendront un jour de vrais fils de Dieu.

    La réponse de la mère sera-t-elle inspirée par les archontes ou par l’Esprit Saint ? Le résultat sera le même à la longue.

    (37) Les apôtres qui nous ont précédés l’appelaient ainsi : Jésus le Nazoréen, le Messie, c’est-à-dire Jésus le Nazoréen, le Christ. Le dernier nom est Christ. Le premier est Jésus. Celui du milieu est Nazaréen. Messie a deux significations : le Christ et le mesurable. Jésus en hébreu est la rédemption, Nasara est la vérité. Donc le Nazaréen est l’homme de la vérité. Christ a été rendu mesurable, et c’est le Nazaréen et Jésus qui l’ont mesuré.

    Tous ces noms de nazaréen, nazarénien, nazoréen ont sans aucun doute un rapport avec le mot hébreu naziréen ou nazaréen (traductions différentes suivant les Bibles françaises et se rappeler qu’en hébreux il n’y avait pas de voyelles. Jésus de Nazareth est aussi traduit dans certaines Bibles par Jésus le Nazaréen) qui apparaît, par exemple, dans la Bible au Livres des Nombres (6,2 et 18,21) et se réfère à des hommes consacrés à Dieu depuis l’enfance. Or d’après Marc 2, 22, « Joseph et Marie portèrent Jésus à Jérusalem pour le présenter au Seigneur suivant ce qui est écrit dans la loi du Seigneur : tout fils premier né sera consacré au Seigneur… » Il n’est pas douteux que l’adjectif naziréen revienne dès lors à Jésus. Par ailleurs Nazaréens fut le nom donné à un groupe de premiers chrétiens, Jésus ayant appartenu à la secte, ou même l’ayant créée selon certains. Si on s’en réfère à Lionel Rocheman dans « Les Manuscrits Nazaréens de la Mer Morte », nazaréen serait l’équivalent de « notsrei », nom qui désignait certains chrétiens à l’origine, et signifiant gardien, et « gardien de la nouvelle alliance » en particulier, titre que se donnaient les Esséniens. (A noter que Nazareth ne paraît pas avoir existé du temps de Jésus !)

    Christ, messie pour les hébreux, est le nom de quiconque a obtenu une liaison (alliance) avec les forces divines, qui a reçu l’onction de l’amour de Dieu, qui est donc redevenu l’homme parfait de l’origine, qui vit en Dieu et par Dieu. L’oint de Dieu se manifestant sur la terre est « mesuré », c’est–à-dire déterminé par les noms qu’il y reçoit : Jésus et Nazaréen. Jésus est un nom terrestre évoquant le chemin que montre l’homme appelé Jésus pour parvenir à la délivrance de l’assujettissement aux lois naturelles et s’élever dans le monde divin ; Nazaréen, l’homme de la vérité, est voué à Dieu avant même sa naissance parce que, dans sa dimension authentiquement spirituelle, il a achevé son périple sur cette terre après un nombre suffisant d’incarnations.

    (15) Jésus est un nom caché, Christ un nom manifesté. C’est pourquoi Jésus est semblable dans toutes les langues, on l’appelle toujours par le nom de Jésus. D’autre part, Christ est « messie » en syriaque et « christos » en grec. Il est certain que tous les autres l’ont conformément à leur propre langue. Le « nazaréen » est celui qui révèle ce qui est caché. Christ possède tout en lui-même, soit homme, soit ange, soit mystère, et le Père.

    Le Nazaréen, l’homme de la vérité, révèle la vérité cachée. Jésus est le nom de l’être qui, sur cette terre, trouve la liaison mystérieuse et secrète avec le « nom » du Père, sa vibration astral particulière ; Christ est le titre de l’homme qui a reçu l’onction de Dieu sous forme de son amour et de sa Gnose ; c’est l’homme dont l’aura de lumière possède tous les attributs de la divinité, puisqu’il ne fait plus qu’un avec le Père et qu’il est donc le Père lui-même. « Le Père et moi sommes un », dit Jésus (Jean 10,30). Jésus est le « nom qui est au-dessus de tout nom », dit Paul, car, on l’a vu, pour certain ce nom comporte toutes les lettres du nom sacré de Dieu.

    (83,84,85) En ce monde, l’union est entre l’époux et l’épouse, la force complétée par la faiblesse. Dans l’Eon, la forme de l’union est tout autre, bien qu’on lui donne le même nom. Cependant il y a d’autres noms, supérieurs à tous les noms donnés, et supérieurs aux plus forts. Car ici(-bas) il y a la force (bia) et ceux qui paraissent dominer par leur force. Mais ceux qui sont là(-haut) ne sont pas deux choses distinctes, mais une même chose. Ce qui est ici ne pourra pas s’élever au-dessus du cœur de la chair.

    Dans l’Eon, l’éternité immuable, les mots ordinaires représentent d’autres formes que celles évoquées par ces mêmes mots dans le monde terrestre. Dans le meilleur des cas les mots terrestres sont des images, des abstractions qui tentent de traduire la réalité du monde divin, laquelle est plus forte que tout ce qui est fort ici-bas. « Bia » veut dire force mais aussi violence. Ceux qui règnent par la force et la violence ont des noms supérieurs qui traduisent leur puissance. Mais les noms donnés dans l’Eon traduisent une supériorité bien plus grande.

    Ici, l’exemple est donné par l’image de l’union entre l’époux et l’épouse. L’union terreste reste charnelle, l’unité parfaite de deux chairs est impossible. L’union des cœurs et des âmes donne déjà une meilleure idée de ce qui est nommé union dans le monde spirituel. Ceux qui sont dans l’Eon, ou reliés à l’Eon, ne sont plus séparés, ils ne forment plus qu’un seul et même corps. Il s’agit d’une union en dehors de toute chair, qu’il est déjà possible pourtant de ressentir ici-bas dans la chair. Comprenne qui pourra.

    Il y a les mots comme accouplement, liaison, union, mariage, mais il y a aussi les mots noces alchimiques, mariage mystique, chambre nuptiale, union parfaite, corps de Christ, corps mystique, qui sont des mots cachant une réalité qui est force, vigueur et puissance divine ; où il n’est plus question de masculin et de féminin, car l’union est parfaite. L’homme de lumière, l’homme-dieu primordial est androgyne.

    (75b) Celui qui méprise le corps comme un haillon le considère comme un jouet (paignion, jeu, plaisanterie) et le quitte en riant… Il en est de même du pain, du calice et de l’huile alors qu’il y a quelque chose d’autre qui leur est supérieur.

    Les noms donnés aux choses ne sont qu’images pour rire. Le corps est un vêtement transitoire que l’on quitte en riant. Le pain et le vin du calice sont l’image de la nourriture intérieure de l’âme que procure l’amour de Christ, et l’huile est l’onction de son amour. Mais il faut que ces images deviennent des réalités intérieures vivantes.

    (69b) Les fils de la chambre nuptiale n’ont qu’un seul et même nom, ensemble ils partagent le repos…

    La nostalgie d’une pareille unité éternelle entre tous les êtres est inscrite au cœur de chacun, mais très peu en ont compris, et en comprennent la portée exacte, sur quel plan elle est réalisable, et sa pureté divine immaculée.

    (47) Si quelqu’un descend dans l’eau, en ressort sans avoir rien reçu et dit : Je suis chrétien, il emprunte ce nom à intérêt. Mais s’il reçoit l’Esprit, il possède ce nom comme un don. Or à celui qui a reçu un don, on ne le lui reprend pas, mais à celui qui l’a emprunté, on lui en demande le paiement avec les intérêts. C’est ainsi que cela se passe lorsqu’on pénètre un mystère.
    (55c) On prononce le nom du Père, du Fils et de l’Esprit, et on le prononce même sur autrui, mais si on n’acquiert pas vraiment ce nom pour soi-même, le nom nous sera aussi repris…

    La différence entre l’église extérieure et l’église intérieure est ici mise en lumière. L’idéal est l’entente entre elles deux, en sorte que les symboles de l’église extérieure finissent par être réellement vécus dans l’église intérieure, et correspondent à une expérience intime de la sensibilité, de la conscience, de la psyche, puis de l’intelligence, formant à la longue une nouvelle pensée et une nouvelle attitude devant la vie en union profonde avec la pensée divine.

    III – La chambre nuptiale

    « Comme un jeune homme s’unit à une vierge, ainsi tes fils s’uniront à Toi, Seigneur ; et comme la fiancée fait la joie de son fiancé, ainsi tu feras la joie de ton Dieu » (Esaïe, 62, 5).

    Notons ici que les mots fiancé et fiancée, époux et épouse traduisent les termes grecs « nymphios » et « nymphè » qui veulent dire « fiancés » ou « jeunes mariés ». Dans l’Apocalypse 22, 17, «�l’époux et l’épouse�» se rapportent à ces mêmes termes. Les termes de fiancé et fiancée marquent mieux l’idée d’union des âmes sans connotation d’union sexuelle. Ces deux traductions sont employées ici indifféremment.

    (61a) La chambre nuptiale n’est pas pour les animaux, ni pour les esclaves ni pour les femmes impures, mais pour des hommes libres (éleuthéros) et des vierges (parthénos).

    L’homme animal n’a pas accès à la chambre nuptiale céleste ; ni l’homme esclave du prince de ce monde : les forces de la nature ou « archontes » ; ni les impurs, c’est-à-dire ceux qui cherchent encore et toujours le vrai bonheur dans le plaisir charnel ou matériel, et n’ont pas connaissance de la transmutation de la pulsion sexuelle en un désir spirituel et une force spirituelle. Mais la vie terrestre est là pour nous en montrer la voie à travers toutes les souffrances et désillusions qu’elle nous réserve, et c’est peut-être le secret de la vieillesse qui, ayant plus ou moins reconnu les limites du désir sexuel, peut nous faire entrevoir son autre dimension, ou tout au moins nous y préparer comme dans une «solitude intérieure» acceptée.

    La chambre des amours divines est réservée aux âmes libérées de ce monde et redevenues vierges par la renaissance dans la vérité : la connaissance de l’unique réalité, de l’unique nécessaire, l’astral pur de la Fraternité où règne Christ. « Beaucoup se tiennent devant la porte, mais seuls les solitaires entreront dans la chambre des noces » (Ev. de Thomas, 75). Les «solitaires», ceux que la Gnose, la connaissance du monde de l’Esprit, a fait redevenir «libres et vierges». Ces solitaires ne sont pas des ascètes retirés au désert, mais des êtres humains vivant au sein de la vie de ce monde, qui ne refusent pas la relation sexuelle avec leurs conjoints, mais qui, au tréfonds d’eux-mêmes, ont rencontré une dimension qui n’est pas de ce monde et vivent dans cette dimension une vie qui n’est plus du tout de ce monde. Là ils sont « solitaires », c’est-à-dire sans liaison avec le monde ordinaire, ils sont « vierges » c’est-à-dire en train de se délivrer des croyances erronées et des illusions maléfiques concernant ce monde et surtout eux-mêmes, et de ce fait ils deviennent donc « libres ». Ici il n’y a pas opposition entre femme et homme comme on pourrait le croire. La féminité était associée - et elle l’est peut-être toujours dans un certain sens - à l’impossibilité de se libérer des pulsions naturelles de ce monde. Se référer encore une fois à l’Evangile de Thomas : « Simon Pierre dit ceci : Que Marie nous quitte, car les femmes ne sont pas dignes de la vie. Jésus dit ceci : Voici, moi je la guiderai afin de la rendre mâle, de sorte qu’elle puisse devenir un esprit vivant semblable à vous, hommes mâles. Car toute femme qui se fera mâle entrera au royaume des Cieux » (Trad. Wautier, Ed. Ganesha).

    Ainsi, le “solitaire”, au comble du désespoir terrestre, est bientôt au comble de la félicité la plus profonde des profondeurs de son être, car il n’a plus rien en lui que cette attirance irrésistible vers la source de sa félicité lumineuse, comme si une étoile avait soudain surgi dans sa misérable chair terrestre et illuminait l’obscurité de son cœur, coupant tous ses liens avec le monde. Etoile scintillante, la pierre philosophale, pierre précieuse et cristalline qui étincelle de tous ses feux, trésor du Graal, la coupe sacrée qui reçoit l’Eau vive.

    (128 et 129) Si quelqu’un devient un fils de la chambre nuptiale, il recevra la lumière. Si quelqu’un ne la reçoit pas tant qu’il est dans ces lieux, il ne pourra la recevoir nulle part ailleurs. Celui qui recevra cette lumière-là ne sera ni vu ni compris, et personne ne pourra l’affliger alors même qu’il séjourne dans le monde. Et quand il quittera le monde, il aura déjà reçu la vérité en images. Et le monde est devenu pour lui l’Eon (l’éternité immuable), car il est pour lui la plénitude (plèrôma). Et il l’est de cette façon� : il lui est manifesté à lui seul ; il n’est pas caché dans les ténèbres ni dans la nuit, mais il est caché dans un jour parfait et dans une lumière sainte.

    Ce paragraphe est le dernier de l’Evangile de Philippe, on pourrait donc le considérer comme la conclusion. En effet, le sujet vraiment central de cet évangile (evaggelion) est la notion de chambre nuptiale, ce qui fait penser qu’il faisait partie de l’enseignement caché de Jésus à ses disciples les plus intimes. Se rappeler à ce propos tous les passages des évangiles, aussi bien canoniques que les autres, où Jésus se retire pour parler en particulier à l’un ou l’autre de ses disciples.

    Le sujet qui vient en importance de suite après est la notion du symbole, des images. La «vérité en images», cette notion qui revient ici en finale nous rappelle l’insistance que Philippe met presque à chaque paragraphe pour nous rappeler qu’abordant des idées inexprimables sur le plan terrestre et ne disposant que des mots terrestres, il est obligé de parler par images. La vérité en images, c’est la vérité indicible, illustrée tant bien que mal par des images, qu’il ne faut en aucun cas prendre au pied de la lettre. Il faut continuellement s’efforcer de découvrir l’esprit derrière la lettre. Et ce n’est pas une opération intellectuelle ! Il ne s’agit pas de traduire les images par des concepts philosophico-intellectuels. Seule la vie peut nous apprendre l’ultime réalité.

    Cette insistance de Philippe à essayer de nous faire percevoir la seule réalité derrière les images, derrière la lettre, le rapproche étonnamment de Jésus, dont la plupart des propos nous sont parvenus sous forme de paraboles.

    La chambre nuptiale, c’est l’endroit du cœur qui reçoit l’attouchement de l’amour divin comparé à la lumière ; c’est l’endroit parfait du cœur vidé de toutes préoccupations et pensées terrestres, soit parce qu’il est définitivement désespéré de la vie, soit parce qu’il a le désir infini de l’infini. Mais le désespoir infini rejoint le désir infini, et redonne au cœur cette limpidité première où plongera la divine lumière, comme un rayon de soleil pénètre jusqu’au fond des eaux si elles sont parfaitement transparentes.

    L’impossible serait-il possible ? Question fondamentale au départ du chemin. Quand, pour un instant, le plexus solaire purifié est uni au cœur devenu translucide, un sentiment d’amour et de bonheur inexplicable touche l’être humain de sa lumière et d’immenses perspectives se dévoilent à l’esprit émerveillé et au cœur enfin comblé. C’est la naissance d’une âme nouvelle, uniquement préoccupée de la nouvelle dimension qui s’est ouverte à elle.

    Le fils de la chambre nuptiale est l’homme qui, pas à pas, suit le chemin de la perfection par son contact intime avec l’amour divin. C’est l’homme pour qui l’impossible est devenu possible. C’est Jésus, ce sont tous les grands par l’esprit. Encore sur cette terre, ils entrent dans l’Eon, le champ astral pur du monde gouverné par la main toute puissante et magique de la Gnose : Dieu en tant que savoir suprême, et juge suprême. Devenu explorateur de ce pays inconnu et caché, mais qui finit par resplendir «�dans un jour parfait et une lumière sainte�», il se met à collaborer à son puissant gouvernement, et est admis auprès du Seigneur de toute vie, qui va jusqu’à partager avec celui qui l’a reconnu et qu’il aime, et qui l’aiment, sa toute puissance elle-même, puisqu’il est devenu l’un de ses serviteurs fidèles, ses fils véritables.

    «Celui qui recevra cette lumière là ne sera ni vu ni compris.» Il s’agit de l’œuvre de la vérité cachée.

    (66) En vérité, il faut dire un mystère. Le Père du touts’est uni à la vierge (parthenos) qui était descendue, et un feu l’éclaira en ce jour. Il apparut dans la chambre nuptiale. C’est pourquoi son corps qui fut produit en ce jour vint de la chambre nuptiale comme produit par le fiancé et la fiancée (nymphios, nymphè). C’est ainsi que Jésus a établi toute chose par eux. Il est nécessaire que chacun des disciples entre dans son repos (anapausis).

    Il s’agit du Mystère des mystères.

    L’amour du Père embrasant le cœur de Marie, vierge pure, enveloppa de son feu les jeunes mariés, qui engendrèrent Jésus, étant immergés dans cette lumière divine. Le corps de Jésus fut donc formé dans l’amour même du Père. Précisons qu’on verra que Philippe affirme que Jésus est bien né de Marie et de Joseph.

    Ce passage a plusieurs significations. Le créateur cherche toujours à s’unir d’amour à sa créature. L’amour des parents pour leurs enfants en est l’image.

    « La vierge qui était descendue » est l’âme pure naufragée, qui a sombré sur cette terre. Le Père est la Source indicible de toutes choses, à laquelle Jésus, l’âme pure, le véritablement « vierge et solitaire », est lié indissolublement de par sa participation à la chambre nuptiale. C’est pourquoi Jésus peut transmettre l’amour du Père à ceux qui s’unissent à lui d’amour après être devenus d’une pureté parfaite. Un feu brûlant naît de cet amour dont la réalisation charnelle est absolument absente, un feu qui pourtant est reconnu par le corps charnel ; et de ce feu naît à son tour un corps, le corps de lumière, invisible mais bien présent, du jumeau céleste, du double divin de l’homme terrestre, l’homme parfait, l’homme immortel. C’est ainsi que Jésus, en unissant à lui par l’amour ceux de ses disciples qui en étaient capables, a formé un champ magnétique d’amour, une maison de repos, le temple de la paix divine, dont le pendant est la demeure «Sancti Spiritus» de Christian Rose-Croix. Réalisation stupéfiante qui fait dire au Rose-Croix « Jésus est tout pour moi».

    Mais, attention, il faut ici reconnaître l’arbre à ses fruits !

    La chambre nuptiale est non seulement le lieu de l’union d’amour mais aussi le lieu du repos (anapausis = fin de la souffrance, paix). L’homme terrestre en qui l’amour divin, l’époux et l’épouse divine, a fait renaître l’homme parfait dans la chambre nuptiale entre dans la paix « qui dépasse tout entendement ».

    La Gnose est l’idée juste de la vérité éternelle, si bien que la liaison de la créature terrestre avec cette idée juste la relie à la force même du Père, à l’amour duquel elle apprend peu à peu à participer dans la chambre nuptiale. Tel est le pouvoir de la Gnose.

    Mais répétons que l’amour divin - l’époux de l’Apocalypse, à la fois féminin et masculin - ne peut être l’amour direct du Père, dont un homme mortel ne pourrait supporter le feu. Il s’agit d’une vibration atténuée de cet amour adaptée à l’homme terrestre, qui lui parvient par l’entremise des âmes libérées. Il s’agit d’une transmutation, pourrait-on dire, de l’amour divin à travers toutes les hiérarchies ou plans célestes, afin de pouvoir être reconnu et supporté par l’être humain, hiérarchies dont fait partie la Rose-Croix authentique d’où provient, au XXe siècle, l’Ecole Spirituelle de la Rose-Croix d’Or.

    L’authentique Rose-Croix est membre du Corps mystique de Jésus le Christ, et par là bénéficie de l’amour du Père transmis par le Fils. Le Corps vivant de l’authentique Rose-Croix est le champ magnétique que constitue l’union des âmes de tous ses membres, morts ou vivants, ayant parcouru le chemin de la délivrance de ce monde et partageant l’amour du Père.

    Encore une image : dans Les Noces Alchimiques de Christian Rose-Croix, écrit du XVIIème siècle, l’initié privilégié qu’est Christian Rose-Croix dérobe secrètement le droit de contempler un instant Vénus dans sa plus totale nudité…

    Il est aussi possible d’entrer en contact avec cet amour par l’amour humain. C’est le chemin des « cours d’amour », de l’amour courtois. Le pur amour terrestre, un amour d’une pureté platonique, disons, qui peut unir un homme à une femme est capable de soulever le voile cachant l’amour divin. Si les vibrations de cet amour puissant et quasi éthéré atteignent celles de l’amour divin dont nous parlons, il y a phénomène de résonance, et, sans le savoir pour commencer, ceux qui s’aiment sont enveloppés de l’amour du Père. Leur chemin doit alors les mener, parfois dans de grandes souffrances et de grands sacrifices, parfois par la mort même de l’un des deux, à la reconnaissance que cette dimension d’amour particulière vient directement du Père des Lumières et non d’eux-mêmes. Il serait possible d’évoquer ici l’amour de Dante pour Béatrice, et sans doute de Pétrarque pour Laure.

    Jésus dit : « En vérité, les publicains et les prostituées vous devanceront dans le royaume de Dieu. » (Math. 21,31) Publicains et prostituées : ceux qui cherchent désespérément l’amour dans cette vie par n’importe quels moyens. Leur désir passionné et leur désillusion peuvent les mener plus sûrement à l’amour divin que les rigoristes, les tièdes, les résignés, les chastes et les ascètes par contrainte, etc.

    Du point de vue alchimique, le pôle masculin, l’aspect solaire de ceux qui sont admis dans la chambre nuptiale, perçoit ce qui fut nommé au cours des siècle le chant limpide de la flûte de Krishna, le frémissement des « cèdres du Liban », « l’harmonie des sphères », le souffle marin de la conque de Vishnou, la « brise divine » de l’Essénien (p.432, Dupont-Sommer), le « murmure doux et léger » d’Elie (Rois 19, 12), le « bruissement des ailes de Gabriel » de Sohravardî, ou bien encore le doux et tranquille clapotis de la « Fontaine du laboratoire » à la fin du cinquième Jour des Noces alchimiques de Christian Rose-Croix ; tandis que le pôle féminin, l’aspect lunaire, est comblé par le rayonnement de l’amour divin. Ces deux forces s’allient pour dissoudre peu à peu le sel, qui est la matière. Et l’axe de la colonne vertébrale, le feu du serpent, devient l’embryon du corps de lumière immortel dans un embrasement indicible.

    Le « bruissement des ailes de Gabriel » est une expression de Sohravardî, que l’on retrouve dans les manuscrits de la Mer morte : « …Les ailes des chérubins font s’élever le son de la brise divine ». A ce propos, Dupont Sommer, après avoir signalé que « les anges sont appelés Esprits de la Connaissance dans les Hymnes de Quoumrân », poursuit en disant que « la secte essénienne, ainsi que certains auteurs l’avaient antérieurement pressenti, semble même avoir été le foyer initial de ce mysticisme, de cet ésotérisme juifs qui connurent au Moyen Age, notamment avec la Cabale, d’extraordinaires développements. »

    Ce qui donne à penser :

    1/ que Shoravardî (1155-1191) a pu avoir lu d’anciens manuscrits qui lui inspirèrent l’expression « le bruissement des ailes de Gabriel », dont le sens premier donne bien l’image de la vibration céleste physiquement perceptible qui accompagne l’initié sur le chemin de la Lumière.

    Que ces deux ailes chez Shoravardî soient orientées l’une vers la lumière, l’autre vers les ténèbres de ce monde en tant que canal pour le passage de la lumière vers les ténèbres, à l’image du mouvement des bras des derviches tourneurs, ne change rien au sens premier ;

    2/ que « l’auteur » du Zohar, contrairement à ce que l’on pense aujourd’hui, a bien dû être également en possession de quelques bribes de manuscrits trouvés en Egypte ou en Palestine, car on y rencontre des images et expressions dont la ressemblance est frappante avec l’Evangile de Philippe, ce qui appuie cette hypothèse. Mais il faut aussi remarquer que, même si cette hypothèse est fausse, elle reste vraie dans la mesure où le gnostique initié a toujours la possibilité de puiser dans les trésors de la Connaissance universelle, c’est-à-dire de retrouver toute pensée, parole ou image du passé - et même de l’avenir – pour exprimer un vécu présent, en réalité éternel, ceci afin d’exécuter sa tâche dans ce monde, en l’occurrence formuler les transmutations alchimiques du plomb en or qui font de l’être humain formé du «�limon de la terre�» un « homme de lumière ».

    (48) Grand est le mystère du mariage ! Sans lui le monde ne serait pas. En effet, la persistance (sustasis = organisation, consistance, marche) du monde, c’est l’homme, et la persistance de l’homme est le mariage. Mais apprenez que la relation (koinônia) immaculée possède une grande force (dynamis). Son image en est la forme extérieure (schèma) impure.
    (49) Parmi les esprits impurs , il y en a de masculins et de féminins. Les masculins s’unissent aux âmes qui habitent une forme extérieure (schèma) féminine, et les féminins sont ceux qui s’unissent aux âmes qui ont une forme extérieure masculine, parce qu’elles ont été séparées. Et nul être humain ne peut y échapper lorsqu’ils le tiennent, à moins qu’il ne reçoive une force à la fois masculine et féminine, c’est-à-dire la force du fiancé et de la fiancée. Or on reçoit celle-ci dans la chambre nuptiale, qui est une image.

     

    Tout être humain est animé par la force naturelle de reproduction qui le pousse vers le sexe opposé puisque les sexes sont séparés sur cette terre, et ceci afin de perpétuer l’humanité. C’est ce que Philippe qualifie de « relation impure » par rapport à la « relation pure », celle que l’âme peut connaître dans la chambre nuptiale avec l’époux et l’épouse au sens de l’Apocalypse.

    La force de l’époux et de l’épouse est l’amour de Dieu, à l’aspect à la fois féminin et masculin. Le processus de l’alchimie divine fait en sorte de transformer la pulsion sexuelle naturelle en désir de l’amour divin.

    (50a) Quand les femmes libertines voient un homme seul, elles se jettent sur lui, jouent avec lui et le souillent. De même les hommes libertins s’ils voient une jolie femme seule, ils la séduisent ou lui font violence pour la souiller. Mais s’ils voient un homme et sa femme ensemble, les femmes ne peuvent venir vers l’homme, ni les hommes vers la femme. Il en est de même si l’image et l’ange (aggelos)) sont unis, personne n’osera ni ne pourra aller vers l’homme ou la femme.

    Le mariage terrestre est l’image des noces célestes pures et immaculées qui se célèbrent dans la chambre nuptiale entre les âmes et l’Esprit divin, union d’une grande puissance car l’âme non seulement s’y fond dans l’Esprit, non seulement s’y unit aux autres âmes, mais y reçoit de l’Esprit des pouvoirs suivant l’usage qu’elle doit en faire pour répandre la parole de l’Esprit et sauver les hommes selon le plan établi par l’Esprit.

    Chez Philippe, l’impur désigne ce qui est charnel par rapport à ce qui est spirituel ; ce n’est pas un adjectif péjoratif bien que pour le spirituel, le charnel devienne comme sans importance. Sans le mariage charnel, sans les « esprits impurs », c’est-à-dire la pulsion des forces de la nature, le monde terrestre n’existerait pas ou disparaîtrait, or ce n’est pas le but… Le mariage charnel perpétue l’homme terrestre, afin de lui donner la chance de devenir un homme spirituel. Le mariage spirituel perpétue l’homme spirituel en lui assurant l’immortalité par son entrée dans l’éternité de l’amour divin.

    Aucune impulsion des forces de la nature n’a de pouvoir sur l’homme ou la femme dont l’âme s’est unie, dans l’astral pur, aux âmes des libérés de la matière, ces âmes qui servent de canal au courant de l’amour universel. Le mot ange est à rapprocher ici de ce même mot dans l’Apocalypse 22, 8. L’ange est une radiation de l’Eon, l’éternité immuable, le rayonnement de l’amour divin, de la Gnose, qui donne la connaissance. Pour l’homme ou la femme terrestre, une telle radiation est décrite comme l’époux, ou l’épouse, promis de toute éternité à leur âme. C’est la force de la vibration christique, de la Lumière. Dans Philippe, l’ange signifie aussi la dimension céleste de l’homme terrestre.

    A noter que les puissances naturelles créent une imitation de cette réalité dans l’astral impur en suscitant des visions d’anges, etc…

    (126) Ceux qui étaient séparés seront unis et comblés.

    Dans la chambre nuptiale toutes les âmes féminines unies à toutes les âmes masculines dans l’amour christique forment une mystérieuse construction où souffle la brise divine, le corps mystique de Jésus le Christ, grand prêtre et roi de l’Ordre de Melchisédec.

    (69b) Les fils de la chambre nuptiale n’ont qu’un seul et même nom. Ensemble ils partagent le repos (anapausis)… Ils n’ont pas besoin d’avoir une forme, ils ont l’avantage de la contemplation intérieure, la vue intérieure…

    Les fils et les filles de la chambre nuptiale n’ont qu’un seul et même nom, et c’est le nom de Jésus le Christ.

    Toujours vivants sur terre, ils perçoivent intérieurement qu’ils ne font plus qu’un, qu’ils n’ont plus qu’une seule âme et qu’ils forment ensemble un temple s’élevant vers le ciel – que les cathédrales du Moyen-Age veulent imiter - dans lequel vibre, comme un chant d’une douceur merveilleuse ou d’une force prodigieuse, le « bruissement des ailes de Gabriel », qui les enveloppe comme d’un corps nouveau, emporté à la fois dans un silence insondable et dans la mystérieuse sonorité qui est le corps tangible de la paix de l’Esprit, ainsi que dans les vagues amoureuses de l’immense océan de la lumière et de la compassion divines.

    « Et le fils de la Divinité caché dans la région terrestre a été ramené dans les hauteurs que personne n’a jamais vues ni connues, qui sont les noces et la robe nuptiale, laquelle est incorruptible. » (Paraphrase du deuxième Traité du Grand Seth, verset 17, Ed. Ganesha).

    (107) Personne ne peut savoir quand le mari et la femme s’unissent sauf eux-mêmes. Car c’est un mystère que le mariage (gamos) du monde pour ceux qui ont pris femme. Or si le mariage du monde, qui est impur, reste caché, combien plus le mariage immaculé est-il un vai (aléthinos) mystère ! Il n’est pas charnel, il est pur. Il appartient non au désir mais à la volonté. Il n’appartient pas aux ténèbres ou à la nuit, mais au jour et à la lumière.

    Ce paragraphe se suffit bien à lui-même, l’image est là pour éclairer si possible notre aveuglement. La volonté s’y oppose au désir : Il appartient non au désir terrestre, la volonté de la chair, mais au désir céleste, la volonté de l’esprit. (On pourrait penser aussi qu’il y a interversion par une faute de copie : Il appartient non à la volonté mais au désir…) De ces deux unions, l’une a lieu dans la nuit terrestre, l’autre dans la lumière céleste.

    (127) Tous ceux qui entreront dans la chambre nuptiale feront briller la lumière car ils ne sont pas comme les mariages qui se font dans la nuit, dont le feu s’allume seulement dans la nuit puis s’éteint. Mais les mystères de ce mariage s’accomplissent dans le jour et la lumière, ce jour et cette lumière qui ne s’éteignent pas.

    L’union charnelle est le résultat d’un feu passager que l’homme ou la femme voudrait bien ne pas voir s’éteindre ; l’union spirituelle du terrestre avec le céleste engendre un jour et une lumière qui ne s’éteignent momentanément que si le démérite du terrestre est trop grand, et cela jusqu’au moment de la vraie pénitence, c’est-à-dire de la reconnaissance pleine et entière du démérite. Et c’est pourquoi les fils de la chambre nuptiale sont appelés aussi les fils de la lumière. Le démérite est l’aspect de l’initié encore trop terrestre, le mental encore trop englué dans la matière et incapable de comprendre et d’appliquer les lois de la lumière.

    L’étincelle de lumière que produit le mariage charnel peut donner une idée fugitive de la lumière inaltérable engendrée par l’union divine dans la chambre nuptiale. L’union dans l’amour divin engendre une lumière et une félicité qui jamais ne passent, qui sont toujours nouvelles, toujours désirées, toujours pleines de merveilles inexplorées, toujours exaltantes et passionnées, éternellement bienheureuses.

    Tous ceux qui entrent dans la chambre nuptiale reçoivent peu à peu la connaissance et la parole pour répandre cette connaissance pourtant indicible, car le mystère reste entier entre la parole de vérité et la vérité inexprimable. Hermès joint ces deux mystères : celui du Noûs, l’Esprit secret qui descend dans la chambre nuptiale, et celui de la Parole. Il arrive un moment où le Noûs suscite la Parole, et où la Parole suscite le Noûs…

    (108) Un mariage accessible au public est de la prostitution (porneia) et la femme, non seulement si elle reçoit la semence d’un autre homme, mais même si, sortant de sa chambre, elle est vue, commet une impudicité. Elle ne doit se faire voir qu’à son père et à sa mère.
    (109) A l’ami de l’époux et aux enfants de la chambre nuptiale il est permis de pénétrer tous les jours dans la chambre nuptiale, mais les autres ne peuvent que désirer entendre leur voix, jouir de leur parfum et se nourrir des miettes de pain qui tombent de la table comme les chiens (Matth. 15, 27). Epoux et épouses appartiennent à la chambre nuptiale. Personne ne peut voir l’époux et l’épouse à moins de le devenir soi-même.

    Il est possible de faire ainsi la coupure entre 108 et 109, si l’on rapproche ce texte de celui de l’Evangile de Jean 3, 29 : « Celui à qui appartient l’épouse, c’est l’époux ; mais l’ami de l’époux qui se tient là et qui l’entend, éprouve une grande joie à cause de la voix de l’époux ; aussi cette joie qui est la mienne est parfaite. »

    Celui qui s’unit au céleste dans la chambre nuptiale est comme l’époux d’une épouse céleste, et l’ami de l’époux en conçoit de la joie ; du fait même de sa liaison avec l’époux, il a part à la vibration (la voix) de l’amour divin qu’a partagé l’époux. L’amour divin se transmet aux amis de l’époux, réalité merveilleuse qui éclaire les relations entre frères et sœurs d’un véritable groupe spirituel gnostique. Et Jean l’atteste : sa joie est parfaite. Comme il a reconnu Jésus, il participe à l’amour divin que Jésus transmet à ceux qui l’aiment, à la liaison d’amour que Jésus a avec celui qu’il appelle son Père, liaison que l’on peut comparer à celle d’un époux avec son épouse. Cette vibration d’amour s’inscrit dans le champ astral du groupe qui en bénéficie tout entier. Jésus est une image.

    Comme les sexes sont séparés sur cette terre, la femme s’unit à un époux dans la chambre nuptiale divine et l’homme à une épouse, nommée parfois Sophia.

    « Et l’Esprit et l’épouse disent : Viens. Et que celui qui entend dise : ‘(Je) viens’. Et que celui qui a soif vienne ; que celui qui veut, prenne de l’eau de la vie, gratuitement » (Apocalypse 22, 17).

    L’eau de la vie est l’image terrestre de l’amour divin. Les enfants de la terre désireux de devenir des enfants de Dieu doivent devenir des fils de la chambre nuptiale, comme les véritables disciples de Jésus étaient ses fils, engendrés dans son amour pour son Père, et participant de cet amour par Jésus lui-même. Les enfants de la terre commencent leur chemin spirituel en profitant, avec un grand désir et une immense aspiration au divin, de la présence, de la parole, de l’exemple des vrais fils de la chambre nuptiale, nous dirons aujourd’hui : des libérés, des initiés, des envoyés de la Fraternité universelle, dont font partie Jan van Rijckenborgh et Catharose de Petri, les fondateurs de l’Ecole se la Rose-Croix d’Or.

    Personne ne peut reconnaître un initié libéré devenu un vrai fils de Dieu sans l’être soi-même, comme un aveugle ne peut voir la lumière qu’en recouvrant la vue.

    (62a) Il y avait à Jérusalem trois lieux d’offrande. Le premier, vers l’ouest, était appelé « le Saint ». Le deuxième, vers le sud, était appelé « Le Saint du Saint ». Le troisième, vers l’est était appelé « le Saint des Saints », l’endroit où seul le grand-prêtre pénètre. Le baptême est le Saint, la rédemption est le Saint du Saint, la chambre nuptiale (nymphôn) est le Saint des Saints. Le baptême implique la résurrection et la rédemption. La rédemption a lieu dans la chambre nuptiale. mais la chambre nuptiale est ce qui est supérieur… à Jérusalem, le voile sépare le Saint des Saints… Mais la chambre nuptiale (pastos) est l’image de la chambre nuptiale (nymphôn) qui est au-dessus de l’impureté. Son voile s’est déchiré de haut en bas car il convenait à quelques-uns d’en bas de monter en haut.

    « Et voici, le voile du temple se déchira du haut jusqu’en bas… » (Mat. 27, 51).

    (119a) Quant à la chambre nuptiale, elle demeure cachée, elle est le Saint des Saints.

    Comme Christian Rose-Croix, il faut passer par les trois Temples.

    Il y a le Temple du baptême, le premier attouchement de la radiation christique dans le cœur, vers l’ouest, au soleil couchant des illusions terrestres.

    Le Temple de la rédemption, du rachat, du pardon, de la purification par la lumière, vers le sud, dans la plénitude de la lumière solaire, engendrant la nouvelle pensée.

    Le Temple de la chambre nuptiale, le Saint des Saints, vers l’est, à l’orient, au lever du nouveau soleil, qui engendre la nouvelle kundalini, le feu du serpent absolument pur, possibilité de la liaison d’amour direct avec l’Esprit.

    Citation du Zohar (II, 99a, in : Paracelse le Médecin maudit, René Allendy, Dervy-livres, p.29) dans laquelle la « Loi » signifie la Vérité dans la tradition juive :

    « Les mystères de la Loi sont comparables à une amante resplendissante enfermée dans la chambre d’un palais. Elle a un ami, seul à connaître les sentiments de son amour. Comme l’ami, poussé par le désir de voir son amante, passe souvent devant le palais en jetant des regards de tous côtés, l’amante se décide à pratiquer une petite ouverture dans le mur de son palais et, au moment où elle voit passer son amant, elle approche son visage pour un instant. Il est seul à le voir parce qu’il est le seul dont les regards, le cœur et l’âme soient dirigés vers la bien-aimée. D’abord la Loi fait signe à l’homme d’approcher. Elle lui parle à travers un rideau, et c’est l’interprétation syllogistique (par le raisonnement, «Derasha»). Ensuite, elle lui parle à travers un voile transparent et c’est l’interprétation symbolique («Agada») ; enfin elle se montre à lui face à face (c’est l’interprétation mystique), et l’homme devient maître de la Loi et maître de la maison car tous les mystères lui sont révélés…»
    (119b) En effet un voile commence par dissimuler comment Dieu gouverne la création. Mais quand le voile se déchire et que l’intérieur se manifeste, on abandonne la maison vide, et même on la détruit.

    La maison vide : la conscience noyée dans les idées fausses parfaitement illusoires, et aveuglée par tous les désirs passionnés d’un bonheur également faux…

    (120) Mais la divinité inférieure ne fuira pas de ce lieu vers le Saint des Saints, car elle ne sera pas capable de s’unir à la lumière sans mélange ni à la plénitude sans faille, mais se tiendra sous les ailes de la croix et sous ses bras. Cette arche (kibôtos) sera son salut lorsque le déluge des eaux la submergera.

    Les indignes que nous sommes, pleins de la volonté d’avancer vers le Saint des Saints, sont sous « les ailes et les bras de la croix » : suffisamment et à jamais marqués par la souffrance avant de pouvoir accepter cette souffrance jusqu’à la mort en nous des illusions terrestres, avant de pouvoir apercevoir au loin, à l’abri sous l’arche de la croix au milieu des catastrophes, la lueur éclatante du soleil à son lever, les premiers feux, à l’orient, de la rouge aurore. (kibotos est le mot employé par Paul pour parler de l’arche de Noé aussi bien que de l’arche d’alliance, ces deux arches représentant la même chose� : la protection par grâce divine puis la liaison avec le divin.)

    (121) Si quelques-uns sont dans l’ordre de la prêtrise, ils pourront pénétrer derrière le voile avec le grand-prêtre.

    Les fils de la chambre nuptiale appartiennent à l’ordre de la prêtrise.

    (122) C’est pourquoi le voile ne s’est pas déchiré seulement en haut, car il ne se serait ouvert qu’à ceux d’en haut, ni ne s’est déchiré seulement en bas, car il ne se serait manifesté qu’à ceux d’en bas. Mais il s’est déchiré de « haut en bas ». Le haut s’est ouvert pour nous qui sommes en bas afin que nous entrions dans le secret de la vérité. Voilà véritablement ce qui est tenu en haute estime et qui est puissant. Or nous pénétrerons là grâce à de vils symboles et à des choses faibles et basses en vérité comparés à la gloire parfaite.
    (123) Il y a une gloire qui surpasse la gloire, il y a une puissance qui surpasse la puissance. C’est pourquoi la perfection s’est ouverte à nous avec le secret de la vérité, et le Saint des Saints s’est manifesté et nous avons été conviés dans la chambre nuptiale.

    Pour le fils de Dieu, l’homme parfait, la gloire intérieure surpasse la gloire terrestre, la puissance intérieure surpasse toute puissance terrestre, puisque gloire et puissances intérieures seront la gloire et la puissance même du Père. Et cette gloire et cette puissance seront peu à peu acquises grâce à de pauvres images et de vils symboles !

    (22a) Ne méprisez pas l’agneau, car sans lui, il est impossible de voir la porte.

    La porte : la porte de la chambre nuptiale.

    L’agneau : le « vierge et solitaire » , le seul qui puisse nous montrer la porte de la chambre nuptiale…

    Pour finir une citation du « Miroir des âmes simples et anéanties » de Marguerite Porete, mystique béguine brûlée vive à Paris en 1310 : « (Cette âme) est venue de la mer et a reçu un nom, puis elle y rentre et perd ainsi son nom, et elle n’en a plus d’autre que celui en quoi elle est parfaitement transformée, c’est-à-dire celui de l’amour de l’époux de sa jeunesse, lui qui a transformé l’épouse tout entière en lui : il est, donc elle est ; cela lui suffit merveilleusement, elle en est donc émerveillée… »

    IV – Les hommes véritables, les fils de Dieu

    (81) Un cheval engendre un cheval, un homme engendre un homme, un dieu engendre un dieu. De même du fiancé et de la fiancée. Ce sont les enfants de la chambre nuptiale. Aucun juif ne descend de parents grecs depuis que la Loi existe. Et de même nous avons été juifs avant d’être chrétiens.
    (82) Il y a un autre peuple, et… il a été appelé « le peuple élu de l’Esprit Saint », et l’homme véritable et le fils de Dieu et la semence du fils de l’homme. Dans le monde cette race est appelée authentique. C’est là où demeurent les enfants de la chambre nuptiale.

     

    Autrement dit : Le fiancé et la fiancée renaissent enfants de Dieu dans la chambre nuptiale. Un grec descend de parents grecs, mais il renaît juif par la Loi (juive). Le juif, né de parent juif, renaît chrétien.

    Israël, Le peuple élu de l’Ancien Testament, est une image : il s’agit du peuple rené des véritables enfants de Dieu, les enfants de la chambre nuptiale, qui peuvent être de toutes les races et de tous les pays. Paul l’avait bien compris qui a été appelé l’apôtre des gentils (païens). Au tout début du christianisme, il semble que certains aient pensé que le message christique ne s’adressait qu’aux seuls juifs, le peuple élu selon le sens littéral de l’Ancien Testament, ce que le problème de la circoncision des « païens » évoquée dans les lettres de Paul semble bien indiquer.

    (98) L’être humain s’unit à l’être humain, le cheval aucheval, l’âne à l’âne, les espèces s’unissent à leurs semblables. Ainsi l’Esprit s’unit à l’Esprit, le Logos au Logos et la Lumière à la Lumière. Si es né humain, c’est un humain qui t’aimera. Si tu deviens un esprit, c’est l’Esprit qui s’unira à toi. Si tu deviens logos, c’est le Logos qui s’unira à toi. Si tu deviens lumière, c’est la Lumière qui s’unira à toi. Si tu deviens ce qui est d’en haut, c’est ce qui est d’en haut qui demeurera en toi. Si tu deviens cheval, âne, taureau, chien, mouton ou tout autre animal, qui se trouvent à l’extérieur et qui est inférieur, alors tu ne pourras être aimé ni d’un humain, ni de l’Esprit, ni du Logos, ni de la Lumière, ni de ce qui est d’en haut, ni de ce qui est intérieur. Ils ne pourront demeurer en toi et tu ne fais pas partie d’eux.

    Ici, remplacer devenir par renaître, renaître sur un autre plan, dans un autre domaine, dans une autre nature.

    (1) Un Hébreux peut faire un Hébreux et on appelle ce dernier un prosélyte, mais un prosélyte ne peut pas faire un autre prosélyte. (Certains) sont tels qu’ils sont et font d’autres pareils à eux parce que ceux-ci le deviennent.

    Un hébreu peut faire d’un homme qu’il devienne hébreu, ce dernier renaît prosélyte…

    (105)Il y a le fils de l’homme, et il y a le fils du fils de l’homme. Le Seigneur est le fils de l’homme, et le fils du fils de l’homme est celui qui a été fait par le fils de l’homme. Le fils de l’homme a reçu de Dieu le pouvoir de créer, et aussi la possibilité d’engendrer.
    (106) Celui qui a reçu le pouvoir de créer crée une création ; celui qui a reçu le pouvoir d’engendrer engendre un rejeton. Celui qui crée n’engendre pas ; celui qui engendre crée. Celui qui crée engendre, dit-on, mais son produit est une création. Ses produits ne sont pas ses rejetons, mais ses images. Celui qui crée travaille au grand jour et il est lui-même visible ; celui qui engendre œuvre dans le secret, il reste lui-même caché. L’engendré n’est pas une image. Celui qui crée crée visiblement, mais celui qui engendre engendre ses enfants dans le secret.

    (Texte sans aucun doute incompris des copistes, donc malmené par eux et que j’ai essayé de redresser)

    Selon A.Wautier, fils de l’homme se dit "bar Enosch", fils d’Enoch, en araméen. Or Enoch, réputé comme un des grands prophètes, est fils de Seth (que Mani appelle Sithil), un enfant d’Adam considéré comme un vrai fils de Dieu, lequel se serait manifesté en beaucoup de prophètes, et en Jésus lui-même.

    Le fils du fils de l’homme est réceptif à la force divine qu’incarne Jésus et, rené par elle, passe de la condition d’homme simplement terrestre à celle de fils de Dieu. Tout homme terrestre est un fils de Dieu en puissance sans le savoir. S’il le comprend un jour, il lui est possible de redevenir ce vrai fils de Dieu avec tous les pouvoirs que cela implique. Jésus, vrai fils de Dieu, s’est manifesté éventuellement en tant qu’homme, mais surtout en tant que force astrale divine pour réveiller en nous le souvenir que nous étions des fils de Dieu, et nous donner le moyen de le redevenir effectivement. Le fils du fils de l’homme est l’homme terrestre engendré, rené, recréé par Jésus, le fils de Seth, le véritable enfant de lumière, afin de recouvrer sa vraie nature qui est divine. Il devient une image même de Jésus, le fils de lumière, lequel est lui-même une image du Père.

    (97) C’est à celui que la femme aime que ressemblera ceux qu’elle engendrera. Quand c’est son mari, ils ressemblent au mari. Quand c’est un adultère, ils ressemblent à l’amant. Souvent quand une femme couche avec son mari par nécessité mais que son cœur est auprès de l’amant, avec lequel elle s’unit habituellement, celui qu’elle engendrera ressemblera à l’amant. Mais vous, qui êtes avec le Fils de Dieu, n’aimez pas le monde mais aimez le Seigneur afin que ceux que vous engendrerez ne ressemblent pas au monde mais ressemblent au Seigneur.

    Le fils du fils de Seth, ressemblera à Seth, le vrai fils de Dieu. Et ceux qu’il engendrera visiblement, c’est-à-dire recréera : en qui il transmettra la force et la lumière qu’il a reçues, ce qui est son devoir de fils de Dieu, deviendront sa propre image, c’est-à-dire deviendront eux-mêmes fils de Dieu.

    (23) Les fils de l’homme céleste sont plus nombreux que ceux de l’homme terrestre. Si les fils d’Adam sont nombreux bien qu’ils meurent, combien plus nombreux sont les fils de l’homme parfait, eux qui ne meurent pas mais sont perpétuellement régénérés.

    Les fils de l’homme céleste, les hommes « renés d’eau et d’esprit », sont tous frères immortels. C’est « la grande foule que personne ne peut compter, de toute nation, de toute tribu, de tout peuple et de toute langue… Ceux qui sont revêtus de robes blanches… ce sont ceux qui viennent de la grande tribulation ; ils ont lavé leurs robes et ils les ont blanchies dans le sang de l’agneau ; ils n’auront plus faim, ils n’auront plus soif, et le soleil ne les frappera point, ni aucune chaleur. Car l’agneau qui est au milieu du trône les paîtra et les conduira aux sources des eaux de la vie, et Dieu essuiera toute larme de leurs yeux » (Apocalypse 7,9-17).

    Les fils d’Adam, les hommes mortels, sont aussi tous frères, mais frères ennemis, qui s’entre-tuent en paroles et en actes.

    (24) Le Père fait un fils mais le fils ne peut faire de fils car, là, celui qui a été engendré ne peut engendrer, mais le fils acquiert non des fils mais des frères.

    Tous ces frères renés, qu’ils soient morts ou vivants, font partie de la grande Fraternité des libérés, la Fraternité des hommes immortels qui, en tout temps, soutiennent les chercheurs sur le chemin de leur retour à Dieu. Ils en font des fils de Dieu, qui à leur tour deviennent leurs frères.

    (25a) Tous ceux qui sont engendrés dans le monde sont engendrés par la nature (physis), mais les autres par l’Esprit (pneuma). Et ceux-là crient d’ici-bas vers l’homme, car ils se nourrissent de la promesse du lieu d’en haut.

    Dans le royaume immuable de l’amour divin, les hommes engendrés par l’Esprit renaissent tous frères. Si les hommes, qui implorent d’en bas, car ils entrevoient la promesse de pouvoir s’élever, parviennent à pénétrer dans le Mystère et à y progresser, ils découvriront victorieusement la merveille de leur union dans la grande sphère du corps de l’homme céleste, où ils forment ensemble le fils unique du Père, son amour enfin retrouvé.

    (68)Les œuvres de l’homme viennent de sa force naturelle(dynamis). Ce sont ses forces. Ses enfants sont ses œuvres ; ils proviennent d’un moment de repos (anapausis). Sa force est dans ses œuvres tandis que ce moment de repos se manifeste dans ses enfants. Vous verrez que ceci s’applique à une image. Voici l’homme d’après l’image : il fait ses œuvres grâce à sa force, mais c’est dans un moment de repos qu’il engendre ses enfants.

    Tandis que l’homme engendre ses enfants, ses œuvres, par la force de la nature dans un moment de repos, le fils de Dieu transmet son enseignement à ses disciples, c’est-à-dire à ses enfants, par la force divine qui l’habite, et c’est dans la paix, le repos, le secret et le silence intérieur que s’opère en eux la liaison avec la Gnose qui les transforme en enfants de Dieu, en fils de lumière.

    (80) L’eau vive est un corps. Il est nécessaire que nous revêtions l’homme vivant. C’est pourquoi, si quelqu’un vient et descend dans l’eau, il se dévêt afin de revêtir celui-ci.
    (22b) Personne ne pourra s’avancer vers le Roi s’il est nu.

    L’être dans son vêtement (de peau, Genèse 3, 21) de chair et de sang périssables est nu et périssable. L’eau vive confère peu à peu la robe des noces, le vêtement de lumière qui permet d’apparaître devant le Roi. Si quelqu’un descend dans l’eau vive du cratère d’Hermès, il se débarrasse peu à peu de son corps de chair et de sang et revêt le corps de lumière. Morte sur la croix plantèe dans la terre, la chair renaît spirituelle et divine, et l’homme vêtu de lumière peut s’avancer vers le Roi.

    (19b) En ce monde, ceux qui portent des vêtements sont supérieurs aux vêtements. Dans le Royaume des cieux, les vêtements sont supérieurs à ceux qui les portent.

    En ce monde, le corps de chair et de sang est plus précieux que les vêtements qui le recouvrent. Mais chez le Roi, la chair et le sang transmutés par immersion dans l’eau vive, deviennent feu, lumière, amour, souffle de l’Esprit, transmutation qui est le Mystère de l’union dans la chambre nuptiale. Pénétré du feu sacré, immergé dans l’eau vive, inondé de lumière et porté par le souffle de l’Esprit, tel est celui qui est redevenu enfant de Dieu. Son nouveau vêtement lui est bien supérieur.

    (63) Ceux qui sont revêtus de la lumière parfaite, les forces naturelles (dynamis) ne les voient pas et ne peuvent s’en emparer. On revêtira cette Lumière dans le mystère, dans l’union.

    Ni les forces naturelles, ni les puissances occultes ne les voient, car le Roi protège ses enfants de lumière en les rendant invisibles à ces puissances, intouchables et inviolables par elles, car ce vêtement de l’amour les a purifiés de tout mal.

    On pourrait dire aussi que si l’on ne voit que ce que l’on est, les puissances maléfiques sont dans l’incapacité de voir ceux qui sont revêtus de lumière parfaite, comme il est expliqué dans le paragraphe suivant :

    (35) Il est impossible de voir les choses qui existent véritablement sans être comme elles. Il n’en est pas ainsi de l’homme dans ce monde qui voit le soleil bien qu’il ne soit pas le soleil, qui voit le ciel et la terre et toutes choses en n’étant rien de celles-ci. Mais si tu vois quelque chose de ce lieu-là c’est que tu es devenu cela. Tu as vu l’Esprit, tu es devenu esprit. Tu as vu le Christ, tu es devenu Christ, tu as vu le Père, tu es devenu le Père. C’est pourquoi ici tu vois toute chose sans te voir toi-même, mais en ce lieu-là tu te vois car ce que tu vois, tu l’es devenu.

    C’est ici une image de ce qui oppose les connaissances académiques à la « connaissance », la Gnose, qui est révélation intérieure, perception intérieure d’un état vibratoire particulier émanant des Fraternités qui nous guident sur le chemin du retour. Si tu perçois intérieurement l’amour des frères de la Fraternité christique, c’est que tu bois à la coupe du Graal et reçois sa lumière intérieure : tu es devenu toi-même frère du Graal. C’est que tu t’immerges dans le cratère d’Hermès.

    Savoir que la mer existe, la voir ou s’y plonger constituent plusieurs visions très différentes. La Gnose est savoir par immersion puis transformation.

    Le sentiment amoureux qui fait que l’on désire devenir cet autre que l’on aime en se mêlant à sa chair, en désirant ne faire plus « qu’une seule chair », en voulant pénétrer ses pensées au point de n’avoir plus qu’une seule pensée, est une réalisation impossible ici-bas, car si l’on voit bien l’autre, on ne peut pas devenir cet autre. Cependant ce désir est l’image selon laquelle « voir » voudrait dire « devenir » : réalisation authentique sur le plan de la Gnose.

    (87 et 88) Non seulement ils ne pourront pas saisirent l’homme parfait (teleios) mais ils ne pourront même pas le voir. Car s’ils le voyaient, ils le saisiraient. Il n’y a pas d’autre moyen d’acquérir pour soi cette grâce (charis) que de revêtir la lumière parfaite et de devenir soi-même lumière parfaite. Quiconque la revêtira entrera dans le royaume. Telle est la lumière parfaite et il convient que nous devenions des hommes spirituels parfaits avant de quitter le monde. Celui qui a tout reçu mais ne s’est pas rendu maître de ces lieux-ci ne sera pas capable d’être maître de cet endroit-là, mais il ira dans le milieu, étant imparfait. Seul Jésus en connaît la fin.

    Teleios = achevé, accompli, et aussi tout puissant. Nul ne peut voir l’homme parfait engendré par l’Esprit s’il n’est lui-même illuminé sur le chemin de la lumière parfaite. Et quiconque veut accéder à la lumière doit s’engager sur ce chemin dans sa vie terrestre bien avant sa mort. Celui qui a obtenu une liaison avec la lumière ici-bas continuera d’œuvrer avec la lumière dans les lieux d’en haut ; autrement il va dans le milieu, là où l’homme terrestre meurt tout entier, mais là aussi où l’étincelle de lumière spirituelle qui l’habitait se réincarne dans un autre corps de chair, jusqu’à la victoire finale : l’humble reconnaissance de la lumière par l’homme de chair et de sang, et, grâce à sa réceptivité à la lumière, sa transmutation en lumière.

    Le milieu, c’est la mort (51b) !
    (38) La perle, si elle est jetée dans la boue, n’a pas moins de valeur, et si on l’oint d’une substance odoriférante (opoboron), elle n’en acquerra pas davantage, mais elle a toujours la même valeur pour son propriétaire. Ainsi en est-il des fils de Dieu ; où qu’ils soient, ils gardent toujours leur valeur auprès de leur Père.

    Terrassé, meurtri et même souillé, l’enfant de Dieu invisible contemple la perle cachée qui resplendit d’un merveilleux orient dans la lumière de son cœur, sceau de son appartenance à son Père.

    (21) Jésus leur a tout dérobé. car il ne s’est pas révélé tel qu’il était, mais comme ils étaient capables de le voir. Il leur est apparu à tous : grand aux grands, petit aux petits, ange aux anges (aggélos) et homme aux hommes. C’est pourquoi sa parole était cachée à tous. Quelques-uns le voyaient croyant se voir eux-mêmes. Mais quand il apparut à ses disciples dans la gloire sur la montagne, il n’était pas petit, il était devenu grand, et il grandit ses disciples pour qu’ils fussent capables de le voir dans sa grandeur. Et il dit ce jour-là dans sa reconnaissance (eucharistia) : Toi qui unis la lumière parfaite à l’Esprit Saint, unis aussi les anges aux images que nous sommes.

    Allusion à la magie de la Gnose. Le mot magie est en général suspect, mais ici il s’agit de la magie de la vérité révélée. C’est la magie véritable que l’on rencontre un jour sur le chemin de l’initiation gnostique. Les disciples sont, pour un instant, rendus " grands " pour avoir le pouvoir de percevoir la gloire de Jésus, l’homme devenu parfait.

    Sans cette intervention réellement magique, il n’aurait jamais pu le voir. Ainsi Jésus leur a-t-il montré aussi où il voulait les mener : à leur propre gloire et transfiguration.

    Il s’agit de la vision de lumière et d’amour que donne la Gnose à tous les candidats qui font le premier pas dans sa direction. Ensuite, il leur faut partir à la recherche de cette lumière et de cet amour dans le tohu-bohu obscur de la vie intérieure ordinaire. Mais ils peuvent la trouver puisqu’ils en ont eu une certaine vision. Quand on cherche un objet, il faut en avoir une vision abstraite pour pouvoir le trouver. Dès l’entrée dans le château des noces alchimiques, toutes les merveilles qu’il contient sont montrées à Christian Rose-Croix avant qu’il prenne le chemin clair-obscur des diverses épreuves de la montée vers l’Esprit.

    Contrairement à une ligne évolutive à laquelle on serait tenté de croire, les magies dites primitives sont les tristes et grossières déformations que les hommes font chaque fois subir à la magie de la vérité au cours des millénaires. Cette dégénérescence du vrai et de l’authentique a lieu inéluctablement, et rien jusqu’à présent ne semble avoir pu l’empêcher nulle part. C’est pourquoi la révélation de la vérité est périodiquement nécessaire. Seul qui avance sur le chemin de l’initiation à la vérité peut donner une explication plausible et le sens originel des pratiques de magie primitives. Toutes sont d’ailleurs reliées aux grands thèmes éternels que l’on retrouve dans tous les mythes et mystères antiques, dans toutes les religions établies et dans toutes les révélations authentiques. Surtout elles témoignent du souvenir confus mais ineffaçable de l’existence d’une puissance cachée, souvenir que le matérialisme intransigeant et un rationalisme têtu n’ont pas encore réussi à faire complètement disparaître.

    Quelques-uns voyaient Jésus croyant se voir eux-mêmes, c’est-à-dire le voyaient en tant qu’homme semblable à eux.

    On peut voir dans les anges, les messagers (aggélos = messagers) de la vérité, des radiations du soleil divin, dont la mission est de guider les hommes : Toi qui unis à l’Esprit, fais en sorte que ces pauvres images et ternes reflets de l’homme parfait que nous sommes parviennent à recevoir les radiations de Ta lumière, à s’unir aux messagers de la vérité afin qu’ils nous mènent vers Ta paix, Ta splendeur et Ton amour. Fais des hommes terrestres que nous sommes des messagers de la vérité, illuminés par la vérité et immergés dans Ton cœur, qui est l’éternité.

    Le mot reconnaissance, action de grâce, est eucharistia. Il y a donc possibilité de comprendre aussi que, par l’eucharistie dans le sens que lui a donné l’église de Rome, c’est-à-dire l’image d’une union intime avec Jésus, l’homme terrestre pourrait devenir homme parfait.

    On est tenté de penser que la Gnose a inspiré toutes ces images que sont les sacrements de l’église catholique, mais insistons sur le fait que ce ne sont que des images, images puissantes, certes, du fait de leur force d’évocation de la vérité sublime mais cachée. Le dévoilement naïf de cette vérité dans cette église entraîne immédiatement la suspicion sinon l’exclusion. A sa décharge il faut bien dire que les manifestations dans ce domaine sont loin d’être pures et que l’homme est le jouet des forces subtiles et occultes s’il n’y prend bien garde.

    L’évangile de Philippe dit toujours plusieurs choses à la fois, comme tous les textes vraiment inspirés. Chacun y voit ce qu’il peut, donc ce qu’il est.

    (70b) Ceux qui disent qu’ils vont d’abord mourir et ensuite ressusciter se trompent. S’ils n’obtiennent pas d’abord la résurrection pendant la vie, ils n’obtiendront rien une fois morts. Ils parlent du baptême de la même façon disant : le baptême est une grande chose, ceux qui le reçoivent vivront.

    Ils se trompent. L’impulsion gnostique du début du christianisme qui toucha de nombreux groupes de chercheurs engendra diverses doctrines, d’où la division de ceux qui se disaient chrétiens. Ici apparaît déjà l’émergence de la doctrine répandue par la « grande église de Rome », selon laquelle le salut est garanti par le baptême et aura lieu après la mort suite à une vie relativement « bonne », doctrine perpétuée par l’église catholique jusqu’à nos jours. Il est clair que la grande église de Rome, s’adressant à la masse, dut simplifier l’enseignement universel et devint une église extérieure. Du coup elle oublia et renia peu à peu sa dimension d’église intérieure et l’enseignement gnostique de la transfiguration. La transfiguration est un processus qui doit commencer dans la vie terrestre, dans le corps de chair et de sang, au cours duquel l’on reçoit la clef de la chambre nuptiale, où, dans le secret, s’opère la conception et la naissance du fils de Dieu, dont le corps échappera à la prison de la chair et du sang. La résurrection, le retour à la vie d’un corps terrestre mort, est l’image du retour du corps de chair et de sang à la vraie vie, où la chair et le sang deviennent lumière par l’amour divin. La résurrection est donc l’image de la naissance du fils de Dieu, et de l’union du fils avec son Père : la transfiguration. Ce processus doit commencer avant la mort, l’âme doit se trouver sur le chemin du retour à Dieu son Père si elle veut le poursuivre après la mort. Si l’on meurt avant d’avoir trouvé ce chemin, il est impossible de le trouver après la mort, car alors l’âme naturelle se perd dans le « milieu », c’est-à-dire la sphère astrale terrestre où ne règnent que les puissances naturelles ennemies de la vérité, le domaine du prince de ce monde.

    (16) Le Christ possède tout en lui-même, qu’il soit homme, ou ange, ou mystère, ou le Père. Ceux qui disent que le Seigneur est mort d’abord puis ressuscité se trompent, car il est ressuscité avant de mourir. Si quelqu’un ne ressuscite pas d’abord, aussi vrai que Dieu est vivant, il ne mourra pas, il est déjà mort.

    C’est l’explication de la parole de Jésus : « Laisse les morts ensevelir leurs morts » (Matt. 8, 22).

    Paradoxe et jeu d’images. Dans les évangiles, Jésus est pourtant bien mort avant de ressusciter ! C’est une image. Pour que l’âme divine, la vraie fille de Dieu, Christ, ressuscite, il faut que l’homme terrestre soit mort à ce monde. Tous ceux qui, en ce monde, ne vivent pas de l’âme divine, sont considérés comme déjà morts et sans possibilité de résurrection. Une réincarnation ou une suite de réincarnations du principe spirituel aura lieu.

    L’âme divine est l’âme renée dans la chambre nuptiale, lieu qu’évoquent la nuit obscure de Jean de la Croix… et, en alchimie, la formule du « vitriol » : visita interiora terrae rectificando invenies occultum lapidem, visite l’intérieur de la terre en te rectifiant, tu trouveras la pierre cachée ; descends dans les profondeurs les plus obscures de toi-même avec le désir d’en connaître et expurger tout ce que tu crois être mal, tu trouveras la pierre philosophale, la lumière de Christ, la Gnose.

    (55b) Il y a une renaissance et une image de la renaissance. Il est assurément nécessaire de naître à nouveau selon cette image. Laquelle ? la résurrection. L’image doit ressusciter par l’image. La chambre nuptiale (nymphôn) et l’image doivent pénétrer dans la vérité par l’image, telle est la régénération (apokatastasis). Il convient d’obtenir non seulement le nom du Père et du Fils et de l’Esprit Saint, mais de l’obtenir aussi pour soi-même. (55c) Si quelqu’un ne l’obtient pas pour lui-même, ce nom lui sera aussi enlevé. Or on le reçoit par l’onction de la plénitude du pouvoir de la croix, pouvoir que les apôtres ont appelé la droite et la gauche. Car cet homme n’est plus alors un chrétien mais un Christ. Le Seigneur a fait du tout un mystère : baptême et onction et eucharistie et rédemption et chambre nuptiale.

    L’homme terrestre, image grossière de l’homme parfait, doit ressusciter en l’image lumineuse de l’homme parfait qu’évoque le nom Christ. Il convient de recevoir la vibration magnétique du nom du Père, qui contient le Fils et l’Esprit, et de devenir soi-même cette vibration dans la fusion totale avec le Père.

    (43a) L’eucharistie est Jésus. Jésus est appelé en syriaque pharizata, celui qui est étendu. En effet, Jésus est venu pour crucifier le monde.

    Il vient, les bras étendus, déployant ses ailes, embrassant « la gauche et la droite », la dualité du monde, tous les peuples et toutes les tribulations du monde qu’il subit lui-même, en exemple, pour les partager avec le monde, ce monde qu’il crucifie, afin que le monde finisse par comprendre que le vrai monde n’est pas ce monde.

    La croix : la verticale descend dans l’horizontale. L’horizontale c’est la gauche et la droite, la dualité, le monde des phénomènes contraires qui s’annulent sans cesse mutuellement, la mort qui absorbe la vie, le mal qui détruit le bien, la nuit qui engloutit le jour. C’est le « kénome », mot grec signifiant chose vide, chose insignifiante puisque tout y est voué à la mort. La verticale c’est le monde à une seule dimension, le monde dont le principe fondamental est l’amour, le monde de l’unité parfaite, de la plénitude absolue, le plérome. Or il est dit que Jésus, la force astrale christique, s’est « étendu » (pharizatha) en passant du plérome au kénome, c’est-à-dire que de la verticale, il passe à l’horizontale. Par contre l’homme spirituel doit passer du kénome au plérome ; que du plan horizontal il passe au plan vertical, que de la croix il s’élève dans la lumière, qu’il se redresse. Jésus dit : « et comme Moïse éleva le serpent dans le désert, il faut de même que le fils de l’homme soit élevé… » (Jean 3, 14). Le serpent de la force spinale doit se redresser, se tenir debout, afin de recevoir la lumière de la force verticale. Ce sont toutes des images. Et la nature elle-même est une image puisque tout, malgré la pesanteur terrestre, s’y dresse, s’y tend vers le soleil, image de la lumière divine.

    La terre est la croix : la douleur et la mort. Le signe de la planète terre contient une croix.

    Il y a un seul mystère, que résument tous ces mots qui font images : baptême, onction, eucharistie, crucifixion, rédemption, résurrection, chambre nuptiale, transfiguration, ascension ; images auxquelles on peut en substituer d’autres : eau vive, feu divin, grâce et action de grâce (eucharistia), nourriture sainte, croix : annulation de la chute par la douleur, retour à la vie véritable et à l’amour divin, nouvelle alliance, c’est-à-dire liaison avec la lumière, et élévation dans la lumière, un seul mystère qui se dévoile peu à peu mais dont la réalisation vivante est inexprimable, et particulière à chacun.

    La croix, c’est aussi le martyre de la Lumière de voir ses enfants de lumière sombrer, errer et souffrir dans les ténèbres pour l’avoir abandonnée afin de faire l’expérience de leur liberté. Car ce n’est qu’au bout de leur chemin de croix qu’ils ont la possibilité, s’ils le veulent bien, de se retourner pour suivre le chemin de la remontée et du retour. L’initiation est le chemin que l’on suit quand, poussé jusqu’à la limite du chemin de croix de ses illusions, appétits et soifs terrestres, on finit par buter contre le mur du fond de l’impasse, et que l’on se retourne consciemment pour faire le chemin inverse, plutôt que de se laisser mourir là, sans plus d’espoir. C’est alors que la Lumière vient à notre rencontre sur la voie du mystère. Encore faut-il la reconnaître ! (Ni Marie, ni les disciples d’Emmaüs ne reconnaissent à première vue leur bien-aimé, Jésus ressuscité ! Ni Thomas apparemment).

    Telle est la croix de lumière de Jean, la croix de lumière des Rose-Croix, « eucharistia », l’action de grâce éperdue.

    (6) Le Christ est venu en racheter quelques-uns, délivrer les uns, sauver les autres. Ceux qui étaient étrangers, il les a rachetés et il les a faits siens. Et il a séparé les siens, ceux qu’il donna comme garantie de ses intentions. Ce n’est pas seulement lorsqu’il se manifesta qu’il livra son âme (psychè) volontairement, mais depuis que le monde existe, il l’a livrée. Lorsqu’il le voulut, il vint alors pour la délivrer puisqu’elle était gardée en otage. Elle se trouvait au milieu des brigands (lèstès) et elle avait été emmenée prisonnière et il la sauva. Et il racheta les bons et les méchants qui sont dans le monde.

    A propos de ce passage, A. Wautier renvoie à ce verset de « La Sophia de Jésus » (écrit découvert également à Nag-Hammadi) : « Or je vous ai instruits au sujet de l’homme immortel, que j’ai délivré des chaînes des brigands. J’ai brisé devant eux les grilles de ceux qui étaient sans pitié. J’ai ridiculisé leurs mauvaises intentions. Ils ont eu honte et ils se sont réveillés de leur ignorance. Voilà pourquoi je suis venu ici-bas afin qu’ils puissent enfin être touchés par l’Esprit et le Souffle, et qu’ils puissent, de deux, devenir un, comme au début, en sorte que vous puissiez produire beaucoup de fruits et vous élever jusqu’à celui qui est, depuis l’origine, en la joie, la gloire ineffable, l’honneur et la grâce du Père de l’univers. »

    Depuis le commencement du monde, l’homme parfait au cours de sa chute a toujours conservé sa lumière originelle, qui s’est peu à peu divisée pour finir par habiter le cœur de tous les humains, les brigands. Chaque être humain est donc une parcelle de l’âme de l’homme parfait, Christ. Mais le sait-il et qu’en fait-il ? C’est Christ en croix. Pourtant toutes ces parcelles, ces étincelles, particules et antiparticules, doivent être délivrées, c’est-à-dire extraites des brigands (lèstès veut dire aussi voleur et même usurpateur) : l’athée matérialiste soi-disant savant jusqu’à l’homme religieux ordinaire, tous deux aveugles ; et doivent être rassemblées pour fusionner afin de reformer l’âme pure de l’homme parfait, Christ. La force christique, Jésus : l’âme de tous ceux qui sont revenus vers l’Esprit, vers le Père, vient reprendre, en les attirant à lui par son amour, toutes ces parcelles de lumière sacrifiées. Et tous ceux, bons ou méchants, qui sont sensibles à cet amour, sont irrésistiblement captés et rentrent en Christ par Jésus. Ceux qui ne savent pas d’où vient cette force captatrice vont de souffrances en souffrances jusqu’au jour où ils rencontrent la vraie Rose-Croix, ils comprennent et se rendent définitivement. Alors Christ, l’homme parfait, le fils de Dieu, en leur montrant peu à peu toutes les facettes de cet amour, qui l’unit à ses bien-aimés et les unit entre eux, en fait des hommes parfaits, des Christ. (C’est le mythe manichéen que semble avoir peu compris le grand Augustin, alors récupéré pour construire l’église de Rome, mais qui, manifestement, a dû pouvoir encore quelque peu s’y abreuver, au début tout au moins, à la rivière devenue souterraine de l’eau vive…).

    « De deux faire un » : de l’homme terrestre et de son double divin, ne faire qu’un ; de l’image et de l’ange, ne faire qu’un.

    La vraie Rose-Croix est ce miroir où l’on aperçoit enfin le visage de l’ange, le messager de Dieu, qui nous attend, comme au portail de Notre-Dame de Paris ; ou bien l’image de la licorne des Mystères, comme dans la tapisserie de la Dame à la licorne ; ou encore l’ange de l’Apocalypse, 22, qui dit à Jean : « Ne m’adore pas, je suis ton compagnon de service, adore Dieu… qui a envoyé son ange pour montrer à ses serviteurs les choses qui doivent arriver bientôt… Moi, Jésus j’ai envoyé mon ange pour vous attester ces choses… »

    Ici, Jean rencontre encore une fois Jésus… Cette reconnaissance de Jésus par Jean, par Paul, et finalement par toutes sortes de sectes gnostiques du Ier et IIe siècles, malgré leurs grandes divergences, n’est pas particulière à la grande église de Rome à ses tout débuts. Elle s’est faite progressivement bien avant l’émergence de celle-ci et dans toutes sortes de groupes de chercheurs spirituels. C’est le mystère même du nom de Jésus, un nom porteur de l’amour du créateur pour ses créatures perdues, qu’il veut ramener à lui. La puissance attirante et quasi magique (et il s’agit ici de la vraie magie, de la magie gnostique, de la magie divine) de ce nom a finalement été reconnue comme une force intérieure, à l’époque, par les vrais chercheurs de vérité. A l’origine de toutes les religions, de tous les mouvements spirituels authentiques, cette force fut présente et reçut un nom particulier. Ce qui explique la tentative éminente de Mani d’unification des religions de son époque. (C’est que le « nom » représente une certaine force vibratoire, comme dit au chapitre II).

    (101a) Et bienheureux le serviteur qui n’a pas désespéré une âme. Celui-ci est Jésus le Christ. Il s’est présenté (apantân) partout et n’a accablé (barein) personne. Bienheureux donc celui qui est comme lui parce qu’il est un homme parfait (teleios). Il est effectivement la parole (Logos).
    (102) Parlez-nous de lui, car c’est difficile d’y réussir. Comment réussir une si grande chose ? Comment donner le repos à chacun ? Avant tout il convient de n’affliger aucune personne, soit grande, soit petite, soit croyante (pistos) soit incroyante ; ensuite de donner le repos (anapausis) à ceux qui font le bien.

    Le plus bel exemple d’un tel comportement est celui de Jésus face à la femme adultère, que les juifs veulent lapider selon leur loi. « Il leur dit : Que celui de vous qui est sans péché lui jette la première pierre… Quand ils entendirent cela ils se retirèrent un à un… Et Jésus resta seul avec la femme qui était là au milieu… Jésus lui dit : Femme, où sont ceux qui t’accusaient ? Personne ne t’a-t-il condamnée ? Elle répondit : Non, Seigneur. Et Jésus lui dit : Je ne te condamne pas non plus ; va, et ne pèche plus » (Jean, 8).

    On pourrait y voir aussi l’œuvre de la vraie magie, la magie qui accompagne tout véritable initié, la magie même du Père, la magie qui fait que le prêtre-roi initié n’a qu’à penser, et la chose s’exécute.

    (103) Certains trouveraient bien de donner le repos à celui qui a une belle situation (kalôs). Mais celui qui fait le bien ne peut pas le donner à de telles personnes car elles vont à l’encontre de sa volonté. Mais comme il lui est impossible d’affliger quelqu’un, il ne les afflige pas. Il est certain que ceux qui ont une belle situation affligent des gens, non délibérément mais par leurs défauts (kakia). Celui qui possède la nature (du bien) donne la joie à ceux qui sont bons, ce qui affligent certains vilainement.

    Un écho de la parole biblique (2Chroniques 19, 7) : « Car il n’y a chez Dieu… pas d’égards pour l’apparence des personnes… » parole reprise par Paul plusieurs fois, par exemple dans Rom. 2, 11.

    (32) Il y a des bêtes soumises à l’homme comme le bœuf, l’âne et autres. D’autres ne sont pas soumises et vivent seules au désert. L’homme laboure le champ à l’aide des bêtes soumises, et grâce à cela il se nourrit ainsi que les bêtes soumises ou non soumises. De même l’homme parfait : il laboure avec les forces naturelles (dynamis) qui lui sont soumises, préparant chacun à venir à l’être. C’est ainsi que tout est redressé, soit les bons, soit les méchants, et ceux de droite et ceux de gauche. L’esprit les mène tous paître et gouverne toutes les forces, les soumises et les non soumises ainsi que les uniques. Il les rassemble et les enclôt afin que ceux qui le voudraient ne puissent s’enfuir.

    Et voici encore une image pour expliquer l’image : Les bêtes se rendent-elles compte que ce n’est pas elles qui gouvernent le monde ? Les hommes se rendent-ils compte que ce ne sont pas eux qui gouvernent le monde ?

    Dans la grande Alchimie de l’univers, c’est l’Alchimiste suprême, appelé l’Esprit Saint, l’aspect mental divin, la Gnose, qui dirige toutes les transformations nécessaires de la matière des mondes, et en particulier de la matière humaine, l’enfermant dans le grand alambic universel, afin que toute matière finisse par retourner à son Créateur et qu’aucune parcelle ne s’échappe. C’est le principe même de l’alchimie : dégager l’essence de la matière, et l’essence de l’essence, qui est divine, donc dotée de pouvoirs divins. Les bons comme les méchants, ceux de droite comme ceux de gauche subissent ces transformations. Le feu les mène tous, les uns aux confins du bien humain, les autres aux confins du mal humain, afin que tous deviennent conscients de la vanité de leur poursuite, sombrent dans le désespoir du vide, tombent enfin de leur piédestal « bon » ou « mauvais », s’écrasent au sol ou se noient dans l’océan, appelant au secours ou refusant encore un hypothétique secours dans leur immense orgueil, ce qui les fait retourner immédiatement dans l’alambic où le feu continuera à les travailler. C’est la distillation qui commence, la grande purification. L’initié est celui qui reconnaît consciemment ce processus, l’accepte, se voit dépouillé de son bien comme de son mal, découvre un jour le visage de l’Alchimiste qui lui apparaît dans le feu, se soumet délibérément à sa puissance et, ce faisant, reçoit son amour, qui, transformant sa chair et son sang, la vile matière, en fera la robe d’or des noces dans laquelle, enfin, il pourra paraître devant le Roi dans la chambre nuptiale.

    (100b) La grâce (charis) agit comme un paysan, et les fruits de la semence de ce paysan sont les hommes qui montent vers les hauteurs du ciel.
    (25b) Si la parole (logos) sortait de la bouche, elle nourrirait par la bouche et ferait devenir parfait. En effet c’est par un baiser que les parfaits fécondent et enfantent. Pour cette raison nous nous embrassons aussi les uns les autres, et nous sommes fécondés par la grâce (charis) des uns et des autres.

    « Ce n’est pas ce qui entre dans la bouche qui souille l’homme, mais ce qui sort de la bouche » (Matthieu, 15, 11). Si c’est le Logos, la parole de vérité qui sort de la bouche d’un homme, non seulement il travaille au perfectionnement d’autrui mais il avance lui-même sur le chemin de la perfection. Le mot baiser est ici l’image de l’amour spirituel, une grâce qui a le pouvoir de faire renaître spirituellement. Les parfaits par leur amour fécondent les hommes terrestres en leur communiquant un rayon de la lumière christique afin qu’ils deviennent eux-mêmes des hommes parfaits. C’est pourquoi aimons-nous les uns les autres car ainsi nous travaillons à notre renaissance mutuelle et par cette liaison des uns aux autres nous nous transmettons la grâce qui est en chacun de ceux qui sont unis à l’Esprit.

    (26) Il y en avait trois qui marchaient toujours avec le Seigneur : Marie sa mère et sa sœur et Madeleine appelée sa compagne. Sa sœur, sa mère et sa compagne étaient Marie.

    Marie est l’image de l’âme. Sa sœur, sa mère et sa compagne étaient des âmes rendues spirituelles par leur compréhension non seulement des paroles de Jésus mais de son amour ; toutes trois ne faisaient qu’une seule âme avec Jésus, telle est la puissance de l’amour dans la Gnose. Pour Jésus, l’âme aimée est sa mère, sa sœur et son amante ; inversement, pour l’âme spirituelle, Jésus, la force d’amour gnostique, est père et mère, frère et sœur, amant et amante.

    Ceux qui cherchent à tout prix l’amour, comprendrons bien qu’il s’agit là de l’amour après lequel ils courent désespérément sur le plan strictement terrestre ; ce qu’il faut sans doute faire pour finir par trouver sa dimension supérieure sur le chemin de la résurrection.

    (44b, 45) Et la compagne du fils est Marie Madeleine. Le Seigneur l’aimait plus que tous les disciples et il l’embrassait souvent sur la bouche. Les disciples le voyaient et ils lui dirent : Pourquoi l’aimes-tu plus que nous tous ? Le sauveur répondit et leur dit : Comment se fait-il que je ne vous aime pas autant qu’elle ? Un aveugle et quelqu’un qui voit, quand ils sont tous deux dans l’obscurité, ils ne se distinguent pas l’un de l’autre. Si la lumière vient, alors celui qui voit verra la lumière, alors que celui qui est aveugle demeurera dans l’obscurité.

    Non seulement Marie Madeleine, inspirée et illuminée intérieurement par l’amour de Jésus, prononce des paroles de vérité (Cf. Pistis Sophia, l’Evangile de Marie, etc.) mais elle a reconnu et vu la lumière qui est en Jésus, contrairement aux disciples encore aveugles, c’est pourquoi Jésus l’aime plus qu’eux tous et embrasse cette bouche d’où sortent des paroles de vérité. Voilà encore une image qui, en réalité, n’en est pas une : c’est bien une réalité vécue sur la voie qui mène à l’homme parfait.

    (13) Plusieurs disent que Marie a conçu de l’Esprit (pneuma). Ils se trompent, ils ne savent pas ce qu’ils disent. Quand une femme a-t-elle jamais conçu d’une femme ? Marie est la vierge qu’aucune force naturelle (dynamis) n’a souillée. Elle est un grand anathème pour les Hébreux, qui sont les apôtres et les apostoliques. Cette vierge qu’aucune force n’a souillée est immaculée, et les forces naturelles se souillent. Et le Seigneur n’aurait pas dit : Mon Père qui est dans les cieux, s’il n’avait pas eu un autre père, il aurait dit simplement : Mon père.

    Ici il faut voir encore un jeu entre le sens propre et le sens figuré de Marie. Marie, mère terrestre de l’homme Jésus, n’a pas conçu par l’Esprit (mot féminin en grec et en copte) mais de façon naturelle, et Joseph est bien le père terrestre de Jésus comme Philippe le laisse entendre.

    Par contre aucune force terrestre (dynamis) ne peut souiller, violer l’âme pure, vierge. Cette âme pure et vierge conçoit et fait naître en elle Jésus, l’âme véritable, l’âme céleste, l’âme christique ; cette nouvelle âme est une présence qui commence par naître dans le cœur puis dans le plexus solaire avant d’immerger la tête puis le corps entier dans une vibration harmonieuse et de l’embraser tout entier d’une paix et d’un amour infinis. La cellule de lumière que possède le pèlerin en chemin vers la porte des Mystères est fécondée par la Gnose, l’Esprit, et le développement final en sera l’homme parfait, le fils de Dieu.

    Cette image gnostique, représentation d’une réalisation spirituelle parfaitement concrète, était « anathème » pour les tenants officiels de la religion juive, et fut par la suite également condamnée comme hérétique par le catholicisme romain.

    C’est probablement ce qui a entraîné la confusion que fait l’église de Rome en parlant d’une femme terrestre, vierge, conçue sans péché, immaculée, ayant engendré par l’Esprit Saint un homme terrestre, le fils de Dieu, Jésus… En tant qu’église extérieure, l’église de Rome a dû, évidemment, simplifier son enseignement, ce qui a conduit à des aberrations théologiques, lesquelles ont provoqué des discussions et des disputes sans fin, sans parler de l’ironie suscitée chez les scientifiques athées. Dire que Marie a conçu Jésus naturellement par Joseph est donc aussi « anathème » pour cette église que pour les juifs qui ne reconnaissent même pas Jésus comme un prophète, et à plus forte raison comme le messie, qu’ils attendent toujours.

    Le dessin de Léonard de Vinci (Londres, National Gallery), ne représente pas du tout Marie sur les genoux d’Anne, sa mère, selon l’explication officielle, mais l’âme renée dans les bras de l’Esprit, qui lui montre du doigt le chemin. Elle doit mettre au monde deux enfants : Jean, c’est-à-dire l’âme qui se purifie et prépare la venue de Jésus, lequel est l’âme véritable, l’oint de Dieu, l’homme parfait. Tel est le chemin de l’initiation ésotérique.

    Il faut que l’oiseau qui sort de l’œuf d’or ait la tête coupée pour qu’apparaisse l’âme-esprit christique dans les Noces alchimiques de C.R.C.

    Marie, l’âme pure, est un grand « anathème » pour les Hébreux, qui sont les apôtres et apostoliques. Je mets anathème entre guillemets parce qu’en grec ce mot a deux significations. On pourrait traduire par condamnation, interdit, ou par offrande, ornement. Sur le chemin de la transmutation de l’homme terrestre en homme céleste, il y a transmutation totale de l’être humain, transmutation de tous ses pouvoirs naturels, donc du pouvoir sexuel.

    Celui-ci devient l’organe de liaison avec la Gnose, l’Esprit, donc à un moment donné, sur le chemin, ce pouvoir acquiert une fonction spirituelle. On pourrait parler d’une « offrande » aussi bien que d’un « interdit », mais sans aucune contrainte ni obligation, signifiant plutôt le développement glorieux d’un pouvoir dont on sent très bien les limites ici-bas. Pour certains apôtres, qui étaient juifs, ce développement ne cadrait pas avec la loi mosaïque, comme d’ailleurs tout l’enseignement de Jésus compris de façon spirituelle intérieure. Ce développement est aussi une sorte de scandale pour ces athées modernes décidés à cultiver l’amoralité totale et la jouissance sensuelle à tout prix. La gloire finale et absolue, sur tous les plans, de l’homme parfait leur sera interdite s’ils ne finissent pas par reconnaître un jour qu’il y a une possibilité de transmutation des pouvoirs naturels sur un plan supérieur.

    Ces considérations expliquent également ce qu’on appelle dans l’église de Rome le « vœu de chasteté », résultat d’une incompréhension et d’une ignorance totales du véritable développement spirituel intérieur.

    (36) La foi reçoit, l’amour donne. Personne ne peut recevoir sans la foi. Personne ne peut donner sans l’amour. C’est pourquoi nous avons la foi afin de recevoir, et nous devons aimer afin de donner vraiment, car celui qui donne sans amour n’en a aucun profit. Celui qui n’a pas reçu le Seigneur est encore un Hébreu.
    (77) Les choses ne sont pas incorruptibles mais les fils le sont. Personne ne recevra l’incorruptibilité à moins de devenir d’abord un fils.

    …un fils de la chambre nuptiale, un fils de Dieu…

    (78) Mais Celui qui n’a pas le pouvoir de recevoir, combien davantage sera-t-il incapable de donner.

    Sur le chemin des Mystères, celui qui a reçu reçoit le pouvoir de donner. Car :

    (94) L’amour ne prend rien. Comment prendrait-il quelque chose, tout lui appartient. Il ne dit jamais : ceci est à moi, ni cela est à moi, mais tout est à vous.
    (93) Mais l’amour édifie (1Cor. 8,1), et celui qui est devenu vraiment libre par la connaissance devient, par amour, l’esclave de ceux qui n’ont pas pu atteindre la liberté de la connaissance. La connaissance les rendra capables de devenir libres.
    (69a) En ce monde, les esclaves travaillent (upèretein) pour les hommes libres ; dans le Royaume des cieux les hommes libres servent (diakonein) les esclaves ; les fils de la chambre nuptiale servent les fils du mariage (terrestre, gamos).
    (99) Celui qui est esclave contre sa volonté, pourra devenir libre. Celui qui est devenu libre par la grâce de son Seigneur et se rend lui-même esclave ne pourra plus être libre.

    Bel exemple du jeu des contraires répondant aux différents plans de compréhension sur lesquels on se place.

    Les libérés sur cette terre se mettent immédiatement au service de la foule des hommes, ici qualifiés d’esclaves, esclaves de la nature où tout est inéluctablement voué à la mort, pour tenter de leur transmettre la vérité, que les hommes repoussent en général car elle remet toute leur vie et leurs idées en question. La vérité démasque, donc elle gêne. Les hommes terrestres ne reconnaissent donc pas sur terre les fils de la chambre nuptiale, qui dérangent la tranquille certitude de leurs prétendue s civilisation, progrès, science, savoir, technique… et ils les poursuivent de leur haine parce que la vérité signifie l’anéantissement de tout ce qu’ils croient fermement, ainsi que de leur conviction d’être les maîtres sur terre, les maîtres de la terre et peut-être même de l’univers. Donc ils les persécutent et les tuent. Les fils de la chambre nuptiale le savent, l’acceptent et continuent, par amour, à être leurs esclaves afin de tenter de leur transmettre l’amour qu’eux-mêmes reçoivent dans la chambre nuptiale. Ils savent que c’est possible, ils savent que c’est leur mission divine, ils savent que c’est la loi divine à laquelle ils sont assujettis, ils savent que l’union de tous les hommes dans l’amour divin est la destinée finale de l’humanité, et ils y travaillent.

    (104) Un maître de maison avait acquis beaucoup : fils, serviteurs, bétail, chiens, parcs, blé, orge, paille, fourrage, os, viande et glands. Comme il était avisé, il connaissait la nourriture de chacun. Il donnait aux enfants du pain, de l’huile d’olive et de la viande, aux esclaves l’huile de ricin et du blé, au bétail de l’orge, de la paille et du fourrage, aux chiens des os, aux cochons des glands et des croûtes de pain. Il en est ainsi du disciple de Dieu. Si c’est un homme sage, il comprend sa qualité de disciple. Les formes corporelles ne le tromperont pas, il considérera l’état de l’âme (psychè) de chacun et parlera à chacun en conséquence. Il y a beaucoup d’animaux à forme humaine dans le monde. Quand il les identifie à des porcs, il leur jette des glands, à des bestiaux, il leur jette de l’orge et de la paille et de l’herbe ; à des chiens, il leur jette des os ; à des esclaves, il leur l’enseignement élémentaire ; à des enfants, l’enseignement parfait (teleios).

    Sans commentaires.

    (Mais Philippe insiste pour comparer les hommes à des animaux…)

     

    V – Amour = nourriture

    (95) "L’amour spirituel (agapè pneumatikos) est un vin et un baume. Tous ceux qui ensont oints en ont un grand plaisir. Lorsque ceux qui sont oints sont présents, ceux qui sont près d’eux en profitent. Mais si ceux qui sont oints de cette onction se retirent et s’en vont, alors ceux qui ne sont pas oints et se tenaient simplement près d’eux restent dans leur mauvaise odeur."
    (96) "Le samaritain ne donna rien d’autre à l’homme blesséque du vin et de l’huile ; ce n’était rien d’autre que l’onction et il a guéri les blessures car "l’amour couvre une multitude de fautes".

    Le vin embaumé des poètes mystiques de l’orient, l’amour divin, est l’onction divine qui donne le bonheur suprême. Il s’agit d’une force intérieure communicative, répandant l’harmonie dans le co*eur des hommes réceptifs, mais excitant la colère de ceux qui nient cette réalité des réalités, les "fils de la colère".

    "Qui répand les coupes sacrées produisant en nous la joie de la vérité, sinon l’échanson de Dieu, son Logos ?" demande Philon d’Alexandrie, qui a connu des Esséniens et a très certainement influencé le cabalisme à ses début, et peut-être même cet écrit fondamental du cabalisme, le Zohar. Tout l’Enseignement universel est dans Philon, un contemporain de Jésus. Le rayonnement de la Gnose, qui est une émanation de Dieu, a touché les cœurs de tous les véritables chercheurs de cette époque, dont beaucoup furent suivis par de nombreux disciples et créèrent ainsi leur propre groupe. Pour Philon, le Logos (parole en grec) est la première émanation de la volonté créatrice du Dieu inconnaissable, sa Parole, sa Raison (son Idée, cette dernière signification apparaît dans Platon, or Philon est un platonicien). Et cette émanation de Dieu est donc son Fil, c’est-à-dire, le premier homme, l’Homme parfait, l’Homme-dieu.

    Et sa joie d’après lui vient "de la présence de Dieu qu’il sent dans son âme", joie comparable pour lui à celle que produit le vin à un repas de noces, joie des élus sous l’aspect d’un fruit de la souffrance, dit un commentateur de Philon.(paragraphe à reporter avant celui qui précède)

    Il faut remarquer ici que le Graal, la coupe sacrée, est une image bien antérieure au christianismpe, une image millénaire et qui parle toujours au cœur assoiffé de vérité. Est-ce son ancienneté quasi « païenne » qui fait rejeter cette notion par l’Eglise catholique orthodoxe ? Et pourtant chaque jour sur la planète entière elle verse dans le calice le vin qui va bientôt représenter le sang de Jésus-Christ !

    Le terme de Logos fut appliqué à Jésus par la suite. Le Logos, la Parole issue de la volonté de Dieu, peut être considérée en effet comme son fils, car la volonté est créatrice et ses créations sont ses enfants.

    Les rapprochements sont nombreux entre l’Evangile de Jean et les écrits de Philon. Pour ce dernier, comme pour l’auteur de l’Evangile de Philippe, tout est analogie. Dans la Genèse, par exemple, pour Philon, tout est symbole, mais il ne faut pas pour autant rejeter le sens littéral.

    "L’amour couvre une multitude de fautes", parole des Proverbes de Salomon (10,12), reprise par Jésus dans Luc (7,47) et par Pierre dans sa 1ère Epître, 4, 8. Il est possible de retrouver la majorité des paroles de Jésus dans l’Ancien Testament, tant il est clair que l’Ancien et le Nouveau Testament sont étroitement liés et que le deuxième est vraiment le développement du premier (dans la mesure où il a été écrit par des juifs christianisés pour qu’en tous ses détails il corresponde aux prophéties messianiques de l’Ancien Testament, ce qui paraît être tout à fait le cas, car il s’agissait, au début tout au moins, de convertir les juifs. Pour mieux dire, on peut considérer le Nouveau Testament comme le renouvellement de l’Ancien, dégénéré en une religion officielle reposant sur des règles et des rites devenus tout extérieurs, donc devenus superficiels, hypocrites. C’est vraiment Dieu vu par les hommes… Il ne faut pas oublier non plus que, parmi les divers groupes de gnostiques chrétiens, certains rejetaient entièrement l’Ancien Testament alors que, par exemple, la Grande Eglise de Rome, c’est à dire le groupe de chrétiens le plus important, parmi lesquels des nazaréens, voulait le conserver. C’est ce groupe qui devint ce qu’on appelle l’Eglise catholique après s’être efforcé, avec des moyens que l’on peut critiquer, de faire l’unification de tous ceux qui se qualifiaient de chrétiens. Cette église dégénéra rapidement en une religion officielle reposant sur des dogmes, dégénérescence comparable à celle de la religion juive de l’Ancien Testament, dégénérescence malheureusement, de toutes les religions et mouvements religieux.

    Aujourd’hui, si les religions veulent de nouveau jouer leur vrai rôle, elles doivent subir un renouvellement comparable à celui du passage de la religion juive à la religion du christianisme gnostique primitif. Il s’agit encore une fois du renouvellement de l’ancienne alliance, donc d’une nouvelle alliance, que Dieu est toujours prêt à conclure, une nouvelle alliance permettant de se relier à lui intérieurement de façon directe, possibilité, stupéfiante pour l’homme actuel, que cache le mot Gnose. Il faut que les religions redeviennent gnostiques. Alors les grands problèmes se résoudront d’eux-mêmes… Mais qui, sinon les gnostiques, pouvaient comprendre, et peuvent encore comprendre, cette image scandaleuse pour les tenants de la religion officielle de l’époque : "Qui mange ma chair et boit mon sang aura la vie éternelle (Jean, 6,54)" et "Celui qui mange ma chair et qui boit mon sang demeure en moi, et je demeure en lui."(Jean 6,56), paroles rapportées par les autres évangélistes(à vérifier), mais non prononcées au même moment. "C’est le pain qui est descendu du ciel" (Jean, 6,58), image de la liaison intérieur directe et possible de l’homme avec une force divine appelée Jésus, cette force qui a envahi soudain le coeur de Paul sur la route de Damas, cette force reçue par Philon sous le nom de Logos, pour ne citer que ces deux exemples. Pour les gnostiques, le nom Jésus est celui d’une force divine, Christ, qui fait de l’homme qui la reçoit le fils oint du feu de l’amour du Père. Cette image du pain et du vin symboles de la chair et du sang implique l’idée d’une nourriture spirituelle reçue sous forme d’amour et de connaissance, et capable de constituer et de nourrir un corps spirituel. L’image du pain et du vin se trouve déjà dans les première pages de l’Ancien Testament (Genèse 14,18) : « Melchisédec, Roi de Salem (salem = paix) fit apporter du pain et du vin : il était prêtre du Très Haut. Il bénit abrahma et dit : Bénis sois-tu par le Dieu très haut, maître du ciel et de la terre ! »

    Il faut extraire toutes les images de l’Ancien et du Nouveau Testament. Jacob dit à son fils Isaac : « Que Dieu te donne de la rosée du ciel ; et de la graisse de la terre, du blé et du vin en abondance ! » (Genèse 27,28). « Réveillez-vous et tressaillez de joie, habitants de la poussière, car la rosée de Dieu est une rosée vivifiante, et la terre redonnera le jour aux ombres. » (Esaïe, 26, 19).

    Francesci Giorgi dans l’"Harmonie du monde", un écrit du XVIe siècle, rapporte que le mot hébreux pour rosée est le symbole des quatre lettres du nom de Dieu d’après certaines autorités hébraïques. L’une des premières images du Mutus Liber montre le couple des alchimistes récoltant la rosée du ciel et la déversant dans l’alambic, image du corps de l’homme sur le chemin de la grande transmutation en homme-dieu. La rosée de la rose aurore, le rayonnement de l’Amour divin qui descend au lever du soleil, matière et fondement du travail de la véritable initiation gnostique. Comme si l’âme, à l’aurore, en réintégrant le corps, y laissait une empreinte des délices de la maison du Père. citer ici le mot orient tel qu’employé par Soravardi ! « Que Dieu te donne la rosée du ciel » est la devise qui apparaît sur la page de titre de la Monade Hiéroglyphique de John Dee, cette monade qui est à la fois le Soleil, la Lune, la Terre, Mercure, les quatre éléments de l’alchimie tant terrestre que spirituelle, la Croix, le point au milieu du signe du soleil : le coeur du soleil qui attire autour de lui ses planètes, image du coeur de Dieu qui attire à lui ses fils bien-aimés, le sceau même de l’Amour divin opérant en l’homme pour le ramener à lui. Et « après que le monde se sera éveillé de son sommeil d’ivresse bue à la coupe empoisonnée, l’homme ira à la rencontre du Soleil levant, tôt le matin, le coeur ouvert, la tête découverte et les pieds nus, jubilant et rempli d’allégresse » (Confessio Fraternitatis Rosae Crucis) (cf. ici ? derniers paragraphes de Thomas le Champion ?)

    "Le fruit de la science (gnose) est la vie contemplative produisant une joie sincère comme le vin," dit Philon. Par vie contemplative il faut comprendre le sentiment de la présence intérieure qui incite à ce qu’on appelle la contemplation car elle submerge toute pensée étrangère, et ne laisse la place qu’au silence, un silence de joie infinie et de reconnaissance éperdue ( tel est d’ailleurs le sens véritable d’eucharistia). "Contempler", pour Philon , signifie "demeurer ensemble". L’âme humaine purifiée par la Gnose est capable de demeurer avec l’âme du Logos, mystère grandiose. C’est la réalisation physique et vivante du symbole de la communion des catholiques. Puissent ceux-ci la vivre véritablement ! Car au lieu de discuter pour savoir s’il y a transsubstantiation ou consubstantiation, il vaut mieux carrément parler de symbole et vivre vraiment, dans une action de grâce émerveillée (eucharistie = action de grâce) cette mystérieuse réalité de l’amour et du sacrifice (hostia = sacrifice) de celui qu’on nomme Jésus le Christ, c’est-à-dire Jésus,l’Oint de Dieu.

    (79) « La coupe de la bénédiction contient du vin et de l’eau,symboles du sang, à laquelle on rend grâce (eucharistein) et elle est remplie de l’Esprit Saint. Elle est celle de l’Homme parfait tout entier. Si nous en buvons, nous recevrons en nous l’Homme parfait (téléios). »

    Le calice où l’on verse le vin et l’eau est une image, et rien d’autre. Il faut en retrouver l’essence, la signification la plus intérieure, la plus vivante et la plus sacrée, au tréfonds de soi. Telle est l’image mystérieuse du Graal qu’il est inutile de chercher en tant qu’objet matériel. Telle est la Gnose.

    Le Graal, la coupe sacrée du vin de l’onction, est une image bien antérieure au christianisme, une image millénaire, et qui parle toujours au coeur assoiffé de la vérité. « Melchisédec, Roi de Salem (Salem=paix) fit apporter du pain et du vin : il était prêtre du Très haut. Il bénit Abraham et dit : " Bénis sois-tu par le Dieu très haut, maître du ciel et de la terre ! » (Genèse 14, 18)

    La coupe de l’amour divin, le Saint Graal, le « sang réal », le sang royal, le sang de la nouvelle alliance. Boire à la coupe de l’Esprit Saint c’est transformer son sang terrestre en « sang royal ». Celui qui ne boit pas à cette coupe, qui ne possède pas cette coupe,
    comment pourrait-il la tendre à autrui ?

    (89) L’homme saint est tout à fait saint, même dans son corps. Car s’il a reçu le pain, il le consacrera, de même la coupe ou quoi que ce soit d’autre, et comment ne consacrerait-il pas aussi le corps ?
    (72) Le monde est un mangeur de cadavres, tout ce qui y est mangémeurt aussi. La vérité se nourrit de vie, aussi personne de ceux qui se nourrissent de la vérité ne mourra. De là Jésus est venu apporter de la nourriture, et à tous ceux qui le veulent il donne la vie afin qu’ils ne meurent pas.

    Dans le monde, tout est dans un état de mort en sursis, tout ce qui naît est déjà mort, et le monde se renouvelle sans cesse grâce à la mort de tout. Kronos, le temps, mange ses propres enfants. Kronos marque l’entrée de l’homme dans l’espace et le temps au cours de sa longue chute. « Laisse les morts enterrer les morts, dit Jésus et suis-moi. » (Matt.10, 22) Ces morts sont les vivants en sursis, ceux qui refusent de boire à la coupe du Graal, soit par ignorance, soit par provocation.

    (40) Dieu est un mangeur d’hommes. C’est pourquoi l’homme lui estsacrifié. Avant que l’homme ne lui soit sacrifié, on lui sacrifiait des animaux, mais ce n’étaient pas des dieux ceux à qui on les sacrifiait.

    Dieu veut faire rentrer en lui tous les hommes, réintégrer dans sa sphère divine toutes les étincelles de lumière dont les hommes sont porteurs, afin de reconstituer dans toute sa gloire sa première créature, de relever de sa chute l’homme de l’origine qui, enfin dégoûté de boire à la coupe amère de la fausse liberté, se décide du fond de sa repentance à se donner tout entier à son Dieu en amour parfait : tel est le plaisir infini de Dieu dans sa bonté infinie.

    (Pensez à l’expression : on en mangerait ! quand on voit quelque chose qui plaît infiniment à nos sens. A nos sens ! Il est difficile de penser Dieu comme ayant des sens, mais il est facile de le penser comme ayant un amour infini pour l’homme…Ces deux notions ne sont-elles pas conciliables ?)

    Les sacrifices d’animaux s’adressaient à l’image que les hommes se faisaient de Dieu en un certain lieu et à une certaine époque. (La fin de cette citation se réfère au fait que certains gnostiques, dont Philippe sans doute, reniaient entièrement l’Ancien Testament dans l’interprétation de Moïse, et considéraient que Jehova n’était pas le Dieu suprême, mais une force créatrice maléfique. Sans dénaturer le sens de la Genèse donnée par Moïse, cette interprétation est compréhensible dans la mesure où l’on pense que c’est l’homme lui-même qui a créé ce monde dans sa chute. A ce propos voir le chapitre intitulé Adam).

    (11) Avant la venue du Christ, il n’y avait pas de pain dans le monde. Ainsi dans le paradis oùétait Adam, il y avait beaucoup d’arbres pour la nourriture des animaux ; il n’y avait pas de blé comme nourriture pour l’homme. L’homme se nourrissait comme les animaux, mais lorsque le Christ, l’Homme parfait (téléios) vint, il apporta du pain du ciel afin que l’homme se nourrît d’une nourriture d’homme.

    L’Adam de la Genèse est déjà sur la pente descendante de la chute (Voir chap. Adam) son corps est déjà celui d’un animal, il se nourrit comme un animal. Christ, l’Adam régénéré, l’homme parfait ressuscité, vient avec la Gnose, « le pain du ciel », la force magnétique qui régénère l’âme et en même temps le corps.

     

    VI – Adam

    Il faut le répéter : le mot « Dieu » recouvre l’image, que se sont faite, que se font et que se feront tous les peuples du monde, de la force insaisissable qui se cache derrière l’univers et son apparition. C’est un mot facile d’emploi ne serait-ce que parce qu’il est court et laconique. Tout au long de ce texte il représente donc la force physique, spirituelle, philosophique, etc. - comme on voudra - primordiale et fondamentale, qui explique la vie de l’univers ; ainsi que la hiérarchie des forces qui en émanent, qu’on les désigne comme des ondes électromagnétiques, ou par un terme scientifique plus savant, ou comme des puissances spirituelles représentées par des anges, etc. – toujours comme on voudra. L’image de cette force fondamentale serait celle du bien absolu, par opposition au bien et au mal du monde que nous connaissons, lequel n’est qu’une ombre lugubre du monde du bien absolu.

    Toutes les considérations précédentes et suivantes sont totalement anthropomorphiques. La science cache son anthropomorphisme sous des noms savants. Comment pouvons-nous penser autrement, nous, les hommes ? Si cela nous devient possible, d’une façon ou d’une autre, nous sommes alors dans l’incapacité de nous exprimer !

    « L’homme est Mon secret et Je suis son secret… Je suis tel que Mon serviteur Me connaît… » (Le Coran)

    *

    Dieu est bien suprême, donc amour suprême.

    Dieu a limité sa liberté au bien et amour suprêmes.

    Dieu ne s’est donc pas donné une liberté totale.

    Dieu, tout amour et bien, veut partager cet amour et ce bien. Il crée un être semblable à lui, sa créature, son fils, l’homme parfait originel, le premier Adam : Dieu. Car Dieu ne peut aimer que Dieu et se sentir vraiment aimé que par un être qui soit Dieu lui-même. Il ne veut pas d’un amour servile, esclave, et il donne à son fils divin une liberté pleine et entière. Sa créature, son fils, doit s’éprendre d’amour pour lui en toute liberté, d’un désir irrésistible, sans aucune contrainte, d’un élan irrépressible, de tout son être, dans une joie absolue, continue et éternellement nouvelle.

    En donnant à sa créature une liberté entière, il lui donne aussi, pourrait-on dire, un pouvoir supérieur au sien : le pouvoir d’exercer telle action qu’il voudra en dehors du bien et de l’amour suprême… malgré que les conséquences de cette création pleine de risques soient connues de lui de toute éternité, et qu’il souffre donc de toute éternité de la souffrance de ce qui doit devenir des hommes de chair et de sang, hommes séparés de lui, ignorant son amour et dont certains iront même jusqu’à nier son existence.

    Tel est le prix de la liberté de l’amour qu’il attend de son fils, l’Homme-dieu. En effet, qui, même ici-bas, veut d’un amour contraint ?

    Comme l’enfant prodigue qui dilapide ses richesses et s’éloigne de son père, la longue chute que l’exercice de sa liberté fait subir au fils de Dieu, au premier Adam, apparaît de façon plus ou moins imagée dans toutes les cosmogonies.

    On pourrait dire que toute cosmogonie est la vision que l’homme se fait de Dieu à un moment donné ; elle est donc un reflet de la chute du premier homme à partir du moment où celui-ci crut devoir créer lui-même. Cette vision a donc commencé à se dégrader à partir du moment où ce premier homme a user de sa liberté dans un sens différent du bien et de l’amour suprêmes. En même temps cet acte crée un monde correspondant en raison du pouvoir divin qui fait qu’à toute pensée correspond une création. C’est le pouvoir du Logos : toute pensée, c’est-à-dire toute parole (mot pris dans son sens imagé d’émission de la volonté) est un acte créateur. A chaque étape de sa chute, l’homme a donc été le créateur de son environnement, créé avec l’assentiment de Dieu qui ne veut pas voir mourir sa créature en dépit de tout. On peut donc dire que c’est l’homme qui est cause de la création de l’univers matériel qui est le nôtre aujourd’hui, univers concédé par Dieu pour que sa créature, son amour, ne disparaisse pas totalement et ait toujours la chance de retourner à lui dans sa première condition d’homme divin. Car l’homme est l’amour de Dieu. A ce propos, disons que l’intelligence qui permet les créations matérielles de l’homme actuel est un reflet de son pouvoir de création primordial.

    Toutes les cosmogonies sont donc fausses dans la mesure où elles ne sont qu’un reflet de l’idée que l’homme se fait de Dieu et de la création à un moment donné. Le Dieu de la Bible est un dieu à l’image de l’homme de ces temps anciens. Il est possible d’interpréter la Bible dans tous les sens possibles, par exemple comme un récit de l’affrontement entre un créateur et sa créature.

    Le Dieu de l’Ancien Testament apparaît tour à tour comme le Démiurge, le Très Haut, le Dieu caché des prophètes, celui que Jésus appelle son Père… etc.

    C’est ainsi qu’on en arrive aux mythes antiques. L’image de Dieu donnée dans l’Ancien Testament est typique d’une certaine conscience primitive collective d’hommes incarnés dans la matière. (Les sacrifices d’animaux, par exemple, étaient une façon de prier un Dieu à l’image de l’homme très dégénéré de cette époque dans une certaine région du globe. La fumée et l’odeur qui montent vers le haut représentent un élan individuel et collectif vers le haut, un désir d’élévation, et l’odeur de la viande rôtie devait être, à coup sûr, « agréable à Dieu » puisqu’elle l’était pour ces hommes ! Ces sacrifices impliquaient aussi l’idée du don, de l’offrande d’un bien de valeur, pour se concilier la faveur de Dieu tel qu’ils l’imaginaient, et aussi pour se faire pardonner leurs manquements. Tous sentiments d’ailleurs toujours actuels et actifs dans l’attitude religieuse en général).

    A côté de cela, il y eut toujours des civilisations dont la vision de Dieu était plus élevée, des civilisations très avancées. Mais il n’en reste pas moins vrai que toutes les cosmogonies sont fausses dans la mesure où ce ne sont que les images que les hommes se font de Dieu à une certaine époque, dans une certaine région, et à un point plus ou moins bas de leur dégénérescence.

    Le Dieu que Jésus appelle son « Père » provient de l’esprit d’un homme qui, ayant pris conscience de sa chute, a déjà tenté de s’en relever. Or cette tentative implique un désir, un désir qui fait oublier tous les désirs terrestres, et engendre déjà une première liaison avec ce qu’on appelle la Gnose, la vraie connaissance de Dieu. Cette liaison n’est pas un fait intellectuel abstrait. C’est une réalité intérieure qui fait germer certaines images dans l’intellect, en raison de l’impuissance où se trouve l’homme terrestre de définir cette puissante réalité intérieure, dans l’impuissance où il est de voir Dieu, de même qu’il ne peut regarder le soleil en face sous peine d’être ébloui et même de perdre la vue… La lune qui reflète la lumière du soleil est l’image de l’âme humaine recevant un reflet de la lumière de l’Esprit grâce à la Gnose. Pour Jésus, la Gnose lui apparaît comme « son Père », pour d’autres ce sera leur « double céleste », leur « jumeau divin », leur « compagnon ou maître intérieur », pour le Bouddha ce sera « l’illumination », etc. Krishna est l’image de cette véritable incarnation de Dieu dans l’homme terrestre. Or cette présence divine est amour et nouvelle intelligence.

    La vision de Jésus n’exige donc plus ni sacrifices d’animaux, ni respect des mille règles d’une loi contraignante, mais l’offrande tout entière de l’homme terrestre qui, dans la claire vision de sa chute, tente de reprendre un chemin d’élévation vers une condition supérieure, condition dont il doit reconnaître, admettre et pratiquer lui-même les lois. Déjà Dieu tel que le concevait Esaïe (1, 11) : disait : « Qu’ai-je à faire de la multitude de vos sacrifices ? Je suis rassasié des holocaustes de béliers et de la graisse des veaux ; je ne prends point plaisir au sang des taureaux, des brebis et des boucs… Qui vous demande de souiller mes parvis ? Cessez d’apporter de vaines offrandes : j’ai en horreur l’encens… Quand vous multipliez les prières je n’écoute pas… Lavez-vous, purifiez-vous… Cessez de faire le mal… » (à lire tout entier les versets 11 et la suite).

    Or chaque fois qu’un homme a une vision de Dieu plus élevée, l’humanité tout entière pourrait s’élever avec lui ; mais n’étant pas capable, dans l’ensemble, d’une telle remontée, elle détruit ou tout au moins dégrade considérablement cette vision. Il est caractéristique que le Bouddha ne parle jamais de Dieu, comme si, pour lui, il n’existait pas ! Mais c’est qu’il avait conscience que l’homme, en dégradant cette notion sublime, se dégradait lui-même chaque fois, et le monde avec lui. (La vision de Jésus est l’héritage du platonisme, comme celle de Philon d’Alexandrie, son contemporain, également juif. Sous ce rapport, la vision transmise par les évangiles gnostiques, et les évangiles canoniques dans un certain sens, est un amalgame des traditions les plus élevées des idées philosophiques, religieuses et mystiques de l’antiquité sur toute la surface du globe.)

    Il faut remarquer en passant que tous les symboles et images des divers Mystères antiques ont été conservés dans le Nouveau Testament, et de là dans le christianisme. Des allégories comme la descente d’un lieu céleste et la possibilité d’y remonter, la naissance d’un enfant divin, la purification par l’eau, la traversée du désert ou de la nuit, la tentation par les puissances de ce monde, l’abandon de ses biens, la mort, la descente dans l’Hadès (le séjour des morts et non l’enfer) et la résurrection, l’ingestion de la chair et du sang d’une victime offerte à un dieu regardée comme la participation et l’union à ce dieu, le bouc émissaire, le sacrifice expiatoire, etc. s’y retrouvent. Le mariage sacré et l’accession à la royauté intérieure n’y apparaissent que très voilés mais on les découvre dans les évangiles gnostiques des débuts du christianisme.

    Et ce qui est très remarquable, c’est que les enseignements de ces Mystères antiques non dégénérés reflètent ceux de la Gnose éternelle, la science unique et véritable.

    L’Homme-dieu de l’origine dans son corps de lumière, c’est-à-dire où intelligence, cœur et volonté ne faisaient qu’un avec l’intelligence, le cœur et la volonté de Dieu, s’est donc peu à peu dégradé pour finir par être obligé de s’incarner dans un corps de chair et de sang, obscur, grossier, animal, quoique sa structure admirable soit bien le reflet d’une création divine. Dans sa descente l’homme s’est divisé, fragmenté (la création d’Eve est une première fragmentation) en myriades d’entités possédant chacune, dans une structure qui est un reflet de la structure primordiale, une parcelle, une étincelle de la lumière divine originelle que le Créateur, par amour, leur conserve dans le cœur, promesse d’un retour possible dans l’état premier (c’est l’image manichéenne des parcelles de lumière). Le miracle est que, si l’univers qui l’environne change à mesure que l’homme choit et déchoit, cet univers change également s’il avance sur le chemin de sa remontée vers son Père, si bien que le pèlerin émerveillé s’aperçoit de la vérité de la parole de Paul : « La création attend avec un ardent désir la manifestation des fils de Dieu » (Rom. 8, 19).

    Comme il en est question à la première page de la Bible, l’homme ayant choisi la connaissance du bien et du mal est donc réduit à l’état de prisonnier du cycle sans fin du bien qui passe au mal est du mal qui passe au bien, de la nuit qui passe au jour, et du jour qui devient nuit… condition d’une vie misérable qui se termine inéluctablement par la mort.

    La longue chute de l’homme originel, du premier Adam, apparaît dans toutes les cosmogonies. Tous les acteurs de ces péripéties et ces péripéties elles-mêmes y sont personnifiées ce qui fait oublier qu’il s’agit toujours de l’Homme-dieu qui a démérité, du premier Adam, donc de l’homme, donc de nous les hommes. La chute y est aussi représentée comme un événement du passé, ce qui nous faire croire : 1) qu’elle est terminée ; 2) qu’elle n’est pas de notre faute ; 3) qu’elle ne nous concerne pas, alors qu’elle continue bel et bien aujourd’hui sous nos propres yeux !

    Mesurons la chute présente au fait que l’homme d’aujourd’hui non seulement nie farouchement l’existence d’un pouvoir supérieur non visible par les sens ordinaires, mais se prend lui-même pour Dieu, au risque de détruire sa propre planète…

    Ce qu’il appelle, puérilement, le « big bang », n’est qu’un épisode de la chute, un nouvel éloignement de Dieu : l’homme, après la déchéance de son corps mental, astral et éthérique a dû acquérir un corps de matière. Depuis, cet homme de matière et la nature qu’il a créée pour pouvoir s’incarner dans ce corps de chair et de sang, n’ont cessé de déchoir ainsi que les trois autres corps subtils qui l’accompagnent, au point que le scientifique d’aujourd’hui, c’est-à-dire l’homme qui gouverne la terre et en donne une certaine vision à la triste humanité, n’a aucune idée de posséder un corps virtuel que l’on pourrait qualifier de spirituel, et encore moins que c’est par lui seul qu’il aurait la possibilité de retrouver sa gloire originelle.

    (76) Le monde est apparu à la suite d’une faute (paraptôma). En effet celui qui le créa voulait le faire incorruptible et immortel (athanatos). Mais il échoua et ne réalisa pas son désir (elpis). Car le monde ne fut jamais impérissable ni, pour la même raison, celui qui fit le monde.

    Tous ces Adams (ceux des premiers chapitres de la Genèse), Jaldabaoth, Lucifer, Démiurge, Sophia prise en faute, Ouranos, Kronos, Jupiter, Hercule, etc., sont l’homme, nous, les hommes. Tous ces personnages si divers, sans parler de ce que l’on appelle des anges, nous trompent par leur nom même, comme l’évangile de Philippe nous l’enseigne : ils sont nous tous, les hommes, soit embarqués dans une descente fatale, soit déambulant tant bien que mal sur le chemin de la remontée, soit restés ou revenus à une condition divine.

    (64b)L’âme (psyche) d’Adam naquit d’un souffle. Le compagnon de son âme est l’esprit (pneuma). Ce souffle qui lui fut donné est sa mère. Son âme fut remplacée par un esprit. Lorsqu’il lui fut uni, il prononça des paroles qui dépassaient les forces naturelles (dynamis). Celles-ci le jalousèrent, privées qu’elles étaient du compagnon spirituel secret, exempt de tout mal, ce qui les privait de la possibilité de la chambre nuptiale…

    Il s’agit ici de l’Adam du chapitre 2 de la Genèse, l’homme primordial à une certaine étape de sa chute où eut lieu la formation du corps matériel. Cet Adam créé par l’Esprit était esprit. L’esprit était « sa mère, sa sœur et sa compagne ». Etant habité par le souffle de l’Esprit, il surpassait de loin les forces de la nature, bien que ce fût une nature encore très pure et subtile par rapport à la nôtre. Mais cet homme encore pur et relié à l’Esprit était sur la pente descendante d’une chute irrémédiable depuis des temps immémoriaux du fait de son orientation déviée par rapport à l’idée primordiale divine. Néanmoins, il a encore la possibilité, participant à l’Esprit, à la Gnose, de retrouver l’amour de son Dieu dans la chambre nuptiale. Autrement dit, il a encore la possibilité d’une remontée. Tout Adam, c’est à dire tout homme, à quelque phase de la chute où il se trouve, a la possibilité de se relier à Dieu, la force primordiale, dans la chambre nuptiale.

    Le compagnon spirituel secret, c’est l’étincelle de lumière cachée en tout être humain qui, lorsqu’il la perçoit consciemment, devient son « jumeau divin », son « double céleste », celui-là seul qui peut entrer dans la chambre nuptiale…

    (67a) Adam est venu à l’existence grâce à deux vierges, l’Esprit et la terre vierge. C’est pourquoi le Christ naquit d’une vierge pour rectifier la chute qui s’est produite à l’origine.

    L’Esprit est un mot féminin en hébreux, la terre vierge est l’émanation divine première ; de ces deux qui n’en font qu’un fut créé L’Homme-dieu de l’origine, désigné ici par Adam. Christ, l’homme qui a retrouvé l’état originel, qui est rené de la vierge originelle, c’est-à-dire de l’Esprit divin, la substance même de Dieu, est venu montrer à tous les hommes le chemin de retour dans leur état premier, afin qu’ils finissent par reconstituer l’Homme-dieu de l’origine, l’amour de Dieu.

    (33) Celui qui a été modelé (plassein) était de race noble, et tu devrais trouver que ses fils sont d’un noble (eugenès) modelage (plasma). S’il n’avait pas été modelé mais engendré, on trouverait que sa semence (sperma) est noble (eugenès). Or voici qu’il a été modelé et qu’il a engendré. Quelle noblesse y a-t-il eu en cela ? Il y eut d’abord adultère et ensuite meurtre. Il fut conçu dans l’adultère, car il était fils du serpent ; c’est pourquoi il devint meurtrier comme son père et tua son frère. Or toute union entre personnes dissemblables est un adultère.

    Philippe fait ici allusion à la thèse contraire à l’interprétation traditionnelle de l’Ancien Testament par certains groupes gnostiques de l’époque, selon laquelle Caïn et Abel seraient nés à la suite de l’adultère perpétré entre Eve et le serpent. L’idée que les images cosmogoniques données à chaque époque n’est que le reflet des conceptions de l’homme lui-même est ici confirmée.

    L’Adam du premier chapitre de la Genèse est un esprit androgyne, « homme femme » dans un environnement de matière subtile tout spirituel. Son corps d’essence encore très subtile va peu à peu se densifier au cours de sa chute jusqu’à sa transformation en un corps de chair et de sang, en passant par les étapes des corps mental, astral et éthérique, dont le corps de matière va hériter, mais dans une forme très dégénérée devenue prisonnière de la matière.

    Au chapitre 2 de la Genèse, « l’Eternel Dieu forma l’homme de la poussière de la terre, il souffla dans ses narines un souffle de vie et l’homme devint un être vivant ». Le début de la chute est ainsi résumé, imagé, et en quelque sorte expliqué par une remarque frappante que l’on trouve dans Eugnoste : à un moment donné l’être primordial s’est donné lui-même un nom ! Son nom ne faisait qu’un avec celui de son créateur, autrement dit son amour ne faisait qu’un avec son créateur, mais un jour il s’est donné un nom différent, c’est-à-dire il a commencé à se séparer de Dieu, son créateur et son amour.

    L’Adam du paradis est fait d’une matière peut-être encore très subtile mais qui a déjà commencé à se densifier. Or cette matière devenue plus grossière a perdu assez de sa liaison avec l’Esprit divin, avec le compagnon céleste de son âme naturelle, pour ressentir une certaine solitude, d’où la création d’Eve : la séparation des aspects masculin et féminin de l’androgyne primordial, de l’Homme dieu conçu par Dieu à son image. Signe de dégénérescence certaine.

    A ce propos, affirmons que l’homme à son apparition dans une chair animale était encore un homme très supérieur à nous, et non un singe ou un sous-homme. Singe et sous-homme représentent des générations complètement dégénérées de ce premier homme de chair. Il n’y a qu’à constater les pouvoirs subtils que certains hommes dit « primitifs » possédaient encore, avant que nous les ayons tous fait disparaître dans notre ignorance barbare. Cette idée appuie les découvertes de civilisations très anciennes et très avancées…

    (73) Dieu avait planté un jardin. L’homme y avait été placé. Il y avait de nombreux arbres… C’est le lieu où on me dira : mange de ceci, ou ne mange pas de cela, comme tu voudras. Dans le lieu où je mangerai de tout se trouve l’arbre de la connaissance (gnôsis). C’est lui qui tua Adam mais c’est lui qui vivifie l’homme. Cet arbre était la loi. Il avait le pouvoir de donner la connaissance du bien et du mal. Il n’écarta pas du mal ni n’établit dans le bien, mais il prépara une mort à ceux qui en mangèrent. Car lorsqu’il fut dit : mange de ceci, ne mange pas de cela, ce fut l’origine de la mort.

    Si l’on pense que l’homme était déjà bien engagé dans le processus de la chute, il ne pouvait manger que du fruit de l’arbre du bien et du mal : premièrement, pour pouvoir se rendre compte de sa chute par sa mort inéluctable, et deuxièmement pour pouvoir se libérer du bien et du mal par la connaissance de ce bien et de ce mal ! C’est l’image même de la condition humaine, toujours actuelle, où l’on ne peut ni « s’écarter du mal » ni « s’établir dans le bien » ! L’arbre de la connaissance du bien et du mal est la chute certaine mais aussi la possibilité de la remontée. Les interprétations divergentes de ce passage de la Genèse sont donc parfaitement conciliables. Ceux qui assimilent le serpent à la Gnose tentent une explication non traditionnelle par une tendance, au tout début du christianisme, à s’opposer au judaïsme. Mais que le serpent soit une image de la Gnose ou de la contre-Gnose, peut importe en définitive, quoi qu’il en soit, la chute de l’homme est une réalité cruellement et journellement ressentie, non seulement par l’homme terrestre en qui parle la Gnose, mais aussi par toute l’humanité, de façon plus obscure mais bien réelle ! Il faut se mentir journellement à soi-même pour repousser une telle réflexion.

    La Gnose, en effet, ne peut que pousser l’homme toujours plus avant dans sa chute pour qu’il finisse par se rendre compte de son état misérable et par chercher à retourner dans sa patrie d’origine.

    Pourquoi ne pas imaginer, alors, que Dieu pourrait multiplier à l’infini les dimensions de l’univers à mesure que l’homme tente d’en sonder les profondeurs, pour tracasser les scientifiques matérialistes et finir par tuer leur conviction qu’ils sont les maîtres sur terre et dans le ciel ?

    (67b) Il y a deux arbres au milieu du jardin. L’un engendre des animaux, l’autre engendre des hommes. Adam mangea de l’arbre qui engendre des animaux. Il devint animal et engendra des animaux. C’est pourquoi les enfants d’Adam adorent des animaux. L’arbre dont Adam a mangé le fruit est l’arbre des animaux, c’est pourquoi les péchés furent nombreux. S’il avait mangé… du fruit de l’arbre qui porte des hommes, alors les dieux adoreraient l’homme. Car Dieu à l’origine avait créé l’homme, mais maintenant les hommes créent des dieux, et c’est ainsi qu’il en va dans le monde : les hommes se créent des dieux et adorent leurs créatures. Mais ce sont ces dieux qui devraient adorer les hommes ! Telle est la vérité.

    Alors Eve engendre l’homme animal « qui tue son frère ». C’est encore une image : l’homme animal c’est-à-dire purement terrestre tue en lui l’homme spirituel, l’homme issu de l’arbre de vie. Ceci se passe journellement en nous-même. Il y a d’ailleurs beaucoup d’interprétations possibles de cette image, laissons à chacun la liberté de s’en faire une idée personnelle, la Bible n’en est pas à ça près…

    L’aspect féminin serait lié aux forces naturelles. Mais pourquoi les forces naturelles sont-elles opposées aux forces divines ? Parce qu’elles ont été engendrées depuis des temps immémoriaux par Adam au cours de son irrésistible chute : elles sont l’image de son opposition à son créateur.

    Philippe ne manque décidément pas d’humour. L’idée que l’homme se crée des dieux est claire : la soi-disant intelligence humaine, la prétendue civilisation industrielle, la science, l’argent, internet, etc., toutes ces entités abstraites, idoles pleines d’imposture, devraient adorer les hommes… nous sommes en plein paradoxe : elles les adorent, en effet, et s’en nourrissent en les asservissant chaque jour davantage tout en les vouant à la mort.

    (71)… Mais l’arbre de vie est au milieu du jardin et c’est l’olivier, d’où vient l’huile, et de l’huile, la résurrection.

    L’arbre de vie est « l’arbre qui porte des hommes », ces hommes qui ont la possibilité de recevoir l’huile de l’onction, chrisma, pour devenir eux-mêmes Christ.

    (10b) Ce sont les forces naturelles (dynamis) qui luttent contre l’homme, ne voulant pas qu’il soit délivré afin de dominer sur lui comme sur un esclave. Car si l’homme était délivré, les sacrifices d’animaux ne se produiraient plus, ils ne seraient plus offerts à ces forces. En vérité celles-ci sont des animaux. On le leur offrait vivants, mais après qu’ils étaient offerts, ils mouraient. Quant à l’homme il fut offert à Dieu, mort, et il vécut.

    Les forces naturelles (les archontes), comparées à des animaux, asservissent leurs créateurs, les hommes (également comparés à des animaux !) lesquels, par la mort, leur offrent leur vie… Ceux qui meurent à la matière et se délivrent des forces naturelles trouvent la vie.

    Encore un exemple des images paradoxales et très parlantes auxquelles se plaît Philippe. Par une tel raisonnement on peut voir les sacrifices d’animaux comme l’image du sacrifice de la mort des hommes animaux…

    (46) La supériorité de l’homme n’est pas apparente mais cachée. C’est pourquoi il est le maîtredes animaux, de ceux qui sont plus forts que lui, qui sont grands selon ce qui est apparent et ce qui est caché, mais c’est lui qui leur donne leur subsistance. Si l’homme se sépare d’eux, ils se mordent les uns les autres et s’entre-tuent. Ils s’entre-dévorent parce qu’ils ne trouvent pas d’autre nourriture. Mais maintenant ils ont de la nourriture parce que l’homme travaille la terre.

    Ceux qui se délivrent des forces naturelles signent l’arrêt de mort de ces forces dominatrices, tel est le début du retour à la condition première de l’Homme-dieu.

    Peut-on dégager ici l’image de l’homme animal apparent, serviteur des forces de la mort ; et de l’homme spirituel caché, serviteur des forces de la vie, qui assure secrètement la subsistance de l’homme animal, au sens de sa survie, dans l’espoir de le transformer en homme spirituel ?

    (59) Quand Eve était en Adam, la mort n’existait pas. Après qu’elle fut séparée de lui, la mort survint. S’il la reprend en lui, et retrouve sa forme première, il n’y aura plus de mort.
    (64a) Si la femme n’avait pas été séparée de l’homme, elle ne serait pas morte avec l’homme. Sa séparation a été à l’origine de la mort. C’est pourquoi Christ est venu remédier à cette séparation, qui existe depuis le commencement, réunir les deux, redonner la vie à ceux qui étaient morts dans la séparation et les unir. Or la femme s’unit à l’homme dans la chambre nuptiale. En vérité ceux qui se sont unis dans la chambre nuptiale ne seront plus jamais séparés. Ainsi Eve s’est séparée d’Adam parce qu’elle ne s’était pas unie à lui dans la chambre nuptiale.

    Ceux qui ont accès à la « chambre nuptiale » y retrouve leur amour perdu dans le mystère de l’amour divin, le mystère du monde divin où il n’y a nulle séparation, où tous sont unis à tous et ne font qu’un avec leur Seigneur. « Les fiancés de la chambre nuptiale » représentent une image de cette union, qui reconstitue la gloire de l’Homme-dieu primordial androgyne faisant à nouveau « les délices du Père » qui a retrouvé son enfant prodigue, et en est aimé comme il le désirait. Sans oublier que le retour de l’enfant prodigue est marqué par une grande fête…

    (72) Le monde est un mangeur de cadavres, tout ce qui y est mangé meurt aussi. La vérité se nourrit de vie, aussi personne de ceux qui se nourrissent de la vérité ne mourra. De là Jésus est venu apporter de la nourriture, et à tous ceux qui le veulent il donne la vie afin qu’ils ne meurent pas.

    Dans le monde, tout est dans un état de mort en sursis, tout ce qui naît est déjà mort, et le monde se renouvelle sans cesse grâce à la mort de tout. Kronos, le temps, mange ses propres enfants. Kronos marque l’entrée de l’homme dans l’espace et le temps au cours de sa longue chute.

    « Laisse les morts enterrer les morts, dit Jésus, et suis-moi. » (Matt.10, 22) Ces morts sont les vivants en sursis, ceux qui refusent de boire à la coupe du Graal, soit par ignorance, soit par provocation.

    (11) Avant la venue du Christ, il n’y avait pas de pain dans le monde. Ainsi dans le paradis où était Adam, il y avait beaucoup d’arbres pour la nourriture des animaux ; il n’y avait pas de blé comme nourriture pour l’homme. L’homme se nourrissait comme les animaux, mais lorsque le Christ, l’Homme parfait (téléios) vint, il apporta du pain du ciel afin que l’homme se nourrît d’une nourriture d’homme.

    Adam est déjà sur la pente descendante de la chute. Son corps va bientôt devenir celui d’un animal, il se nourrit comme l’animal (ce qui est d’ailleurs toujours notre cas). Christ, l’Adam régénéré, l’homme parfait ressuscité, vient avec le blé, la Gnose, « le pain du ciel », la force magnétique qui régénère l’âme, la connaissance de la vérité qui régénère le mental, l’amour qui régénère le corps.

    (3b) Depuis le jour où le Christ est venu, le monde a été créé, les villes, ordonnées (kosmei), ce qui est mort, rejeté.

    A mettre au futur : quand la force astrale christique sera reçue par tous les cœurs, le monde sera complètement recréé, les villes merveilleusement apaisées, dirigées et ornées grâce au respect et à l’amour du prochain. Ce qui est mort sera définitivement rejeté, car tout vivra de nouveau dans la maison du Père qui rassemble tout en elle.

    (14) Le Seigneur dit aux disciples : Eloignez-vous de toute maison. Entrez dans la maison du Père, ne prenez ni n’emporter rien de la maison du Père.

    Entrez dans la maison du Père, mais ne vous servez pas des révélations du Père sur le plan terrestre et intellectuel pour en faire des principes, des dogmes, des philosophies, des religions… tous ces système voués à la mort entraînent des bains de sang. Mais si tous les hommes rentraient dans la maison intérieure de leur cœur, la maison du Père, et se mettaient à vivre d’eux-mêmes tous les grands idéaux par amour du Père et respect de ses lois, au lieu de ne faire qu’en rêver et en discourir, alors tout serait possible…

    (40) Dieu est un mangeur d’hommes. C’est pourquoi l’homme lui est sacrifié. Avant que l’homme ne lui soit sacrifié, on lui sacrifiait des animaux, mais ce n’étaient pas des dieux ceux à qui ils étaient sacrifiés.

    Dieu veut faire rentrer en lui tous les hommes, réintégrer dans sa sphère divine toutes les étincelles de lumière dont les hommes sont porteurs, afin de reconstituer dans toute sa gloire sa première créature, de relever de sa chute l’homme de l’origine qui, enfin dégoûté de boire à la coupe amère de la fausse liberté, fausse égalité, fausse fraternité, se décide du fond de son repentir à se donner tout entier à son Dieu en amour parfait : tel est le plaisir infini de Dieu dans sa bonté infinie.

    La fin de cette citation se réfère au fait que Philippe, comme d’autres gnostiques, considéraient Yahweh comme une force créatrice maléfique. Sans dénaturer le sens de la Genèse donné par Moïse, cette interprétation est compréhensible dans la mesure où l’on pense que c’est l’homme lui-même qui « crée » le monde au fur et à mesure de sa chute et se fait une certaine image de Dieu. Mais le verbe créer n’a pas ici la signification ordinaire, car l’homme est dans l’impossibilité de « créer » comme son Créateur, il ne peut que créer une imitation, une « image » du monde supérieur, de même qu’il ne peut se faire qu’une certaine « image » de son Créateur.

    (100) Dans ce monde les plantations nécessitent quatre éléments. On moissonne ce qui provient à la fois de l’eau, de la terre, du vent et de la lumière. De même les plantations de Dieu résultent de quatre éléments : la foi, l’espérance, l’amour et la gnose. Notre terre est la foi en qui nous prenons racine, l’eau est l’espérance dont nous nous nourrissons ; le vent est l’amour qui nous fait grandir et la lumière est la gnose qui nous fait mûrir.

    Le monde terrestre, reflet du monde spirituel, est son ombre, une image obscure. Philippe est un disciple de Paul et c’est ici un raccourci frappant de l’Epître aux Hébreux, chapitre 10 jusqu’à la fin.

    VII – Vie et mort

    (31b)« Une chose est Achamoth et autre chose Echmoth. Achamoth est simplement la
    Sagesse. Mais Echmoth est la sagesse de la mort, celle qui connaît le mort. C’est la ‘petite sagesse’. »

    Achamoth est la sagesse divine, une, universelle, éternelle ; Echmoth est la sagesse humaine, multiple, mortelle.

    « Dans ce monde il y a du bien et du mal. Ce qui est bien n’est pas bien, et ce qui est mal n’est pas mal. Mais il y a quelque chose de mauvais qui est vraiment mauvais, c’est le lieu du milieu : c’est la mort. » (non vérif)

    Dans ce monde ce qui est bien peut devenir mal et ce qui est mal devenir bien, il n’y a rien
    d’absolu. Le bien et le mal peuvent conduire au bien ou au mal, d’où l’immense chaos qui
    s’installe sur la terre. Le lieu du milieu c’est se contenter de ce bien et de ce mal sans réaction passionnée pour chercher la vérité. C’est la tiédeur citée dans l’Apocalypse :
    « 
    Ne crains pas la chair, mais ne l’aime pas non plus. Si tu la crains, elle te dominera. Si tu
    l’aimes, elle te dévorera et l’étranglera. Ou bien on est dans ce monde, ou bien dans la
    résurrection, ou bien dans les lieux du milieu. Que je ne sois pas trouvé dans ce dernier. » (non vérif)

    « …Il convient que nous devenions des hommes spirituels avant de quitter le monde. Celui qui a tout reçu mais ne s’est pas rendu maître de ces lieux-ci (le monde) ne sera pas capable d’être maître dans ces lieux -là (le royaume de la lumière), mais il ira dans le milieu, étant imparfait… » (cité dans véritable)

    « La lumière et les ténèbres, la vie et la mort, ceux qui sont à droite et ceux qui sont à gauche sont frères les uns des autres. Il n’est pas possible qu’ils se séparent. C’est pourquoi ni les bons sont bons, ni les méchants méchants, ni la vie est vie, ni la mort, mort. C’est pourquoi chacun sera dissous dans sa nature originelle. mais ceux qui sont supérieurs au monde sont indissolubles, éternels. » (non vérif)

    Chacun sera décomposé dans ses éléments premiers : les éléments matériels pour le corps matériel, les éléments éthériques pour le corps éthérique ou énergétique, les éléments de l’astral pour le corps astral ou corps des désirs et passions, les éléments du mental pour le corps mental. Ces éléments reformeront une autre individualité susceptible de trouver la voie qui la rendra « supérieure au monde ».

    « Celui qui sort du monde n’est plus prisonnier comme il l’était dans le monde. il est au-dessus du désir, de la mort et de la crainte. il est maître de la nature, il est supérieur à l’envie. Ces passions tiennent et étouffent chacun mais comment fuir ces désirs et ces craintes ? Comment se cacher d’elles ? Souvent certains viennent dire : « Nous sommes croyants » afin d’échapper aux esprits impurs et aux démons. Mais (car?) s’ils possédaient l’Esprit Saint aucun esprit impur ne s’attacherait à eux. » (non vérif)





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