• PHILIPPE IV le Bel
    (1268 - 1314)


    Petit fils de Saint Louis, la référence familiale, Philippe IV le Bel, fils de Philippe III et de sa première femme Isabelle d'Aragon, aura l'énorme tâche de rétablir le prestige Capétien en Occident. Prestige tombé en quenouille sous le précédent règne, grâce à la faiblesse de son père et l'incompétence notoire de son oncle. Le nouveau roi prend le pouvoir à 17 ans s'entourant d'une kyrielle de conseillers et de légistes dont l'importance bien que donnée par le souverain sera toujours endiguée et gouvernée par cet homme dur et impitoyable dans ses jugements. Digne représentant d'une monarchie absolue, à la conscience élastique quand il s'agit de se salir les mains si la raison d'état l'exige. Le roi se savait beau, impressionnant, plein de grâces, toujours vêtu de façon élégante. Il était surtout impénétrable, l'immobilité de son visage faisait penser à une statue ce qui déstabilisait ses interlocuteurs. Philippe le Bel fut une énigme pour ses contemporains et le reste encore aujourd'hui, dans l'Histoire de France de
    Lavisse éditée en 1900, il est écrit: "Personne ne saura jamais qui était Philippe le Bel, il ne sera jamais possible de départager ceux qui pensent qu'il était un grand homme de ceux qui pensent qu'il était une façade laissant agir les autres à sa place”. Cependant, tout en lui forçait le respect, la crainte et l'admiration. Le Bel ne sera pas son seul surnom, pour tous en France, et en Navarre, il est le "Roi de fer".
    Voilà le ton est donné, ce n'est pas un roitelet qui en ce jour de l'an de grâce 1285 prend le pouvoir. Exception qui confirme la règle: le seul sentiment tendre de ce roi sera pour sa femme Jeanne de Champagne qu'il épousa en 1284, toute sa vie Philippe IV aimera la reine sincèrement, aussi bien au cours de leur union de vingt et un ans, que pendant son veuvage qui durera neuf ans. Il poussera la fidélité jusqu'à étendre à toutes les femmes les vertus de la sienne (les évènements au sein de sa famille vont cruellement le décevoir).
    Entouré d'hommes intelligents et habiles tels Guillaume de Nogaret et Enguerrand de Marigny, Philippe IV réorganise la gestion de l'état sur le modèle de l'empire romain, qui place le monarque "par-dessus tout" mais nécessitent de nouveaux moyens, voir de nouvelles ressources.
    Une administration nouvelle voit le jour ancêtre de la nôtre mais sûrement plus efficace, aucune erreur n'étant admise. Sous ce règne en pleine "restructuration" on vit apparaître le Grand Conseil chargé des affaires politiques, la Chambre des Comptes pour la finance, la justice étant bien sûr réservée au Parlement déjà existant. Philippe le Bel prend l'initiative de créé des assemblées formées du clergé, de la noblesse, et des bourgeois parisiens. Ce qui n'est pas sans rappeler les futurs états généraux. Mais sentant peut-être l'importance qu'ils prendraient dans les derniers jours de la monarchie, et désirant limité leur pouvoir ces assemblées rarement convoquées étaient automatiquement dissoutes dès que l'on avait obtenu ce que l'on exigeait d'elles.
    Et maintenant au tour de la monnaie, sur le conseil avisé d'Enguerrand de Marigny, Philippe crée de nouvelles taxes, tout d'abord une taxe frontalière pour les marchandises dédiées à l'étranger. L'église se voit "soulagée" de 10% des revenus de ses terres (les décimes). Sur toutes les ventes effectuées par des sujets jusqu'alors exempts de tout impôt fut prélevé un denier par livre (maltôte). Cela ne se fit pas sans grincements de dents mais leur bruit ne parvint pas aux
    oreilles du roi. Et maintenant nous arrivons à la grande manipulation, pour ne pas dire magouille, à plusieurs reprises le roi change le poids ou la proportion de métal précieux des pièces sans en modifier la valeur, jusqu'en 1295 ou une ordonnance royale change le cours du tournoi (pièce créée sous Saint Louis) qui passe de un sou à trois sous. Il ne faut pas voir dans ces "malversations" un amour immodéré de l'argent, mais simplement une grande ambition politique pour la France, ce qui n'empêchera pas l'opinion publique, toujours médisante, d'attribuer à Philippe le Bel la réputation de faux monnayeur.
    L'administration est sur des rails, le trésor bien nourri, Philippe IV tourne les yeux vers l'église, toujours dans l'idée de grandeur de la France et d'infaillibilité du roi le conflit qui va opposer la papauté au royaume de France est une première dans l'histoire des capétiens. Déjà en 1296, le souverain pontife en prenant la défense du clergé français qui s'estimait trop taxé avait pris l'initiative d'une polémique qui en 1297 avait tournée à l'avantage du souverain. Le pape Boniface VIII de vieille famille de barons, avait ce que l'on pourrait appeler du tempérament, passionné, d'une irritabilité accrue par de violentes douleurs dues à son état de santé fragile. Convaincu de la supériorité de la papauté sur les souverains chrétiens, le pape avait eu cette diatribe terrible et significative: "Il y a deux glaives le spirituel et le temporel, le glaive spirituel est dans la main du pape, le temporel dans la main des rois, mais les rois ne peuvent l'utiliser qu'au service de l'église et selon la volonté du pape et si le glaive temporel dévie de sa route, c'est au glaive spirituel de le juger". On peut aisément imaginer l'impact de cette profession de foi sur un souverain de la trempe de Philippe le Bel, le pape ne se prenait-il pas pour le roi des rois, autrement dit pour Dieu ? Il était grand temps de faire comprendre à ce souverain pontife démagogue et à travers lui à toute la chrétienté qui était le seul maître à bord du vaisseau "royaume de France".
    Les hostilités débutent en 1301, avec l'arrestation par le roi de l'évêque de Pamiers. Boniface VIII monte sur ses grands chevaux, invectivant Philippe le Bel dans un réquisitoire impitoyable et convoquant les évêques à Rome pour selon sa propre formule "préparer la réformation du royaume et la punition du roi de France". La réaction du souverain français sera violente et décisive pour l'avenir de la papauté.
    Les trois assemblées vont être convoquées pour la première fois, il leur est tout simplement demandé d'approuver la politique royale, ce fut chose faite. Boniface publie alors sa fameuse bulle "Unam Sanctam" qui expose la théorie des deux glaives mais surtout menace le roi de France d'excommunication. Ce que voyant Philippe IV accuse le pape d'usurpation de sa fonction et de pratique de la simonie (trafic de biens et charges ecclésiastiques) et réclame sa déposition par un concile. Le pape délie alors les français du serment de fidélité fait au roi. Maintenant la querelle ne peut trouver aboutissement que par la victoire d'une des deux parties, aucune réconciliation ne semble possible, c'est le point de non-retour l'enjeu est trop important.
    Décision est donc prise de faire arrêter le pape. Guillaume de Nogaret chargé des hautes et basses oeuvres du royaume se rend donc en Italie, rejoint par les Colonna grande famille italienne ennemie de Boniface VIII. Nogaret se rend avec son armée à Agnani résidence d'été du Pape qui abandonné lâchement par ses fidèles est arrêté et injurié par les assaillants. La légende raconte même que Boniface fut giflé par Guillaume de Nogaret qui ce jour là ne put obéir au roi son maître, la population d'Agnani se soulevant en faveur du souverain pontife, les envahisseurs n'eurent que le temps de s'enfuir à toutes jambes. Toutefois Boniface VIII, âgé de prés de 70 ans, ne put jamais se remettre de cette humiliation. Il mourut le 11 septembre 1302, soit quatre jours après l'attaque des français, ayant perdu la tête.
    Les successeurs de Boniface VIII sans doute refroidis par la détermination du roi renoncèrent prudemment à continuer la lutte. Benoît XI aux abords plus politiques que religieux leva sans problèmes les poursuites menées par son prédécesseur contre le souverain, mais demanda tout de même la flétrissure, morale bien sûr, de Nogaret. Quant à Clément V, ancien archevêque de Bordeaux qui devait sa nomination en grande partie à Philippe le Bel, il annula purement et simplement toutes les décisions des deux précédents, y compris celle concernant Guillaume de Nogaret au cours d'une absolution en 1311. Dès 1309, le nouveau pape craignant pour sa sécurité délaissa l'Italie pour Avignon. Le palais des papes français devint désormais la résidence du saint père et ce, jusqu'en 1377.
    Philippe IV avait gagné, l'indépendance absolue des princes chrétiens vis-à-vis de la papauté était instaurée, cette situation aboutit à la complète liberté des royaumes.
    Le roi se lança alors dans une politique d'agrandissement de son royaume et d'assujettissement de ce qui restait de la grande féodalité. Le comté de Champagne étant domaine royal depuis son mariage, Philippe acheta le comté de Chartres, la puissante et remuante maison de Blois-Champagne disparue de ce fait. La Marche et l'Angoumois rejoignirent bientôt les possessions du roi de France. A l'est ayant reçu l'hommage du Comte de Bar ancien vassal de l'empereur, la plus grande partie des terres devint française. Les bourgeois de Lyon suivirent bientôt impressionnés par la personnalité et le pouvoir du roi, Lyon fut donc partiellement annexée. Il n'en fut pas de même de la Guyenne qui malgré l'invasion des troupes royales en 1294 resta fief du nouveau roi d'Angleterre Edouard 1er. Le roi et ses troupes, dont l'appétit était féroce, s'attaqua à la Flandre. C'était sans compter avec le peuple flamand, les cavaliers du roi subirent la grande humiliation d'être lamentablement vaincus par les fantassins de Flandre à Courtrai en 1302. Deux ans plus tard grâce à la victoire de Mons-en-Pévèle et au traité d'Athis sur Orge signé avec le comte de Flandre en 1305, l'humiliation fut partiellement lavée, le roi de France enlevant les villes de langue française à savoir: Lille, Douai, Béthune et leurs arrondissements. Le souverain français peut maintenant se reposer sur ses lauriers, que nenni comme diraient ses contemporains, il existe au royaume de France une puissance insupportable pour ce monarque adepte du pouvoir absolu, un état dans l'état, un ordre respecté autant que le roi lui-même et bien trop riche pour ne pas braver l'autorité de Philippe IV. Et surtout les dettes du royaume contractées auprès de cet ordre empêchaient de dormir le roi, qui n'avait pas du tout l'intention de rembourser et craignait son emprise.
    Cet ordre fondé au XIIème siècle après la première croisade est celui des Templiers bien sûr. Son anéantissement sera décidé par le roi au sein de son conseil et le procès qui s'ensuivra sera rondement mené par l'âme damnée de Philippe le Bel, le toujours très dévoué Guillaume de Nogaret. Pendant 7 ans à force de tortures abominables, de fausses dénonciations, de preuves fabriquées de toutes pièces, et surtout avec la complicité du pape, l'ordre des Templiers sera détruit et ses biens confisqués au profit de la couronne. Ce procès le plus
    important qui soit dans l'histoire de la dynastie, s'il enrichit le trésor n'ajoutera rien à la gloire de Philippe IV et de ses dévoués sous-fifres.
    Au matin du Vendredi 13 octobre 1307 coup de tonnerre au royaume de France: tout ce qui compte de Templiers sur le territoire français est arrêté, à commencer par le grand maître Jacques de Molay. Dans un manifeste d'une infinie violence Guillaume de Nogaret les accuse d'hérésie, ce qui n'était pas bien vu par le bon peuple, l'église, elle, savait à quoi s'en tenir sur cette accusation, mais l'autorité menaçante de Philippe le Bel fera qu'elle fermera lâchement les yeux. Outre l'hérésie, des crimes monstrueux pour l'époque leur seront reprochés, parmi ceux-ci des pratiques sexuelles contre nature et bien évidemment la sodomie. J'ai employé le mot procès, ce fut une farce dramatique et immonde, mais il est bien connu que les meilleures "magouilles" et crimes politiques se font toujours avec l'assentiment innocent du peuple à qui l'on jette un os à ronger. En accusant les Templiers des pires crimes abhorrés à l'époque et en remettant ces mêmes Templiers à l'inquisition (l'évêque de Sens fera brûler 54 de ces malheureux), Philippe en vrai protecteur de la foi s'innocente de tout acte de jugement. Pourtant un petit grain de sable va, un temps, bloqué les rouages bien huilés de cette machination. Le Grand Maître Jacques de Molay et le commandeur de Normandie Geoffroy de Charnay se rétractent invoquant la nullité de leurs aveux sous la torture. Il faut prendre une décision, ce sera fait, l'inquisition ne peut statuer sur ces deux condamnés à perpétuité qui ont l'insolence de se rebeller contre l'injustice qui leur est faite. Elle les remet à l'autorité royale, fou de colère et déçut de ces évènements, Philippe devenant d'un seul coup partie prenante dans ce procès, les condamne au bûcher. Ils seront brûlés vifs le 18 mars 1314 dans l'île aux juifs (Ile de la Cité).
    C'est là, sur le lieu de son supplice que le Grand Maître des Templiers Jacques de Molay lance sa fameuse malédiction contre ses trois bourreaux: le pape Clément, le chevalier Guillaume de Nogaret et enfin le roi Philippe les citant à comparaître au tribunal de Dieu avant un an et les maudissant eux et leur descendance jusqu'à la treizième génération. D'après un historien dont j'ai oublié le nom la malédiction commencée avec les derniers capétiens directs devait finir avec Louis XVI ....Voilà, de cet ordre majestueux, il ne reste plus que des ossements mélangés au bûches calcinées, une fumée tirant les larmes et une odeur horrible sur les vêtements. Cette odeur ne quittera plus jamais les narines des trois personnages maudits par leur victime.
    Nous sommes au printemps 1314, les flammes du bûcher sont à peine éteintes, la cour de France va être témoin d'un drame conjugale qui aura de désastreuses conséquences sur l'avenir de la dynastie. La fille de Philippe le Bel, Isabelle d'Angleterre, reine et épouse délaissée par un mari pratiquant le vice italien, va dénoncer ses belles-soeurs les accusant de trouver dans l'adultère des plaisirs qu'elle-même voudrait bien connaître. La reine d'Angleterre aura du mal à convaincre le roi son père, Philippe pensait toutes les femmes parées des vertu de la sienne tendrement aimée. Quand le souverain aura les preuves en main, la foudre retentira sur la cour de France.
    Mais qui sont-elles ces princesses légères qui vont changer le cours de l'Histoire. Au premier rang nous avons Marguerite de Bourgogne fille du Duc Robert II, reine de Navarre et surtout future reine de France par son mariage avec Louis héritier du trône. Viennent ensuite Jeanne et Blanche de Bourgogne, filles de la Comtesse Mahaut d'Artois, et cousines de la première, mariées respectivement à Philippe et Charles également fils de Philippe le Bel. Deux de ces princesses seront déclarées adultères Marguerite et Blanche, pour Jeanne le doute subsistera, mais accusée de complicité et de complaisance coupable elle sera également châtiée. Les trois princesses tondues suivant le sort réservé aux femmes fautives, Marguerite et Blanche seront condamnées à croupir à vie dans la forteresse de Château-Gaillard (merci Richard), Jeanne sera enfermée au château de Dourdan pour une durée indéterminée, elle finira par rentrer en grâce et sera Reine de France au côté du futur Philippe V. Les princesses doivent tout d'abord et avant de partir pour leurs charmantes résidences, assister au supplice de leurs jeunes amants les frères Philippe et Gaultier d'Aunay écuyers de Philippe de Poitiers et de Charles de Valois, fils et frère du roi. La journée sera rude et particulièrement intéressante pour le peuple de Paris qui avant la télévision considérait les exécutions publiques comme des spectacles de choix. Les jeunes coupables de crime de lèse majesté seront torturés, châtrés (punis par là ou ils avaient péchés), écorchés vifs et enfin décapités et pendus par les pieds à un gibet.
    La cruauté de la punition appliquée aux coupables choqua l'opinion publique de l'époque et peut paraître disproportionnée, mais il ne faut pas perdre de vue que le respect de la personne souveraine dépend souvent de la conduite de ses proches. En devenant princesses de sang royal les trois jeunes femmes se devaient de montrer l'exemple et savaient pertinemment que leurs unions
    n'avaient rien de mariages d'amour. En acceptant les avantages d'une telle position, elles en acceptaient les contraintes nécessaires pour la sauvegarde de la dynastie. A une époque où un enfant sur quatre mourrait en naissant et où une femme sur trois décédait en couches, où la malnutrition et la maladie décimaient le peuple entre deux guerres, le moins que l'on pouvait exigée de ces nanties, choyées et admirées de tous, était le respect de la parole donnée et de la majesté royale. De plus, la conduite de la future reine va pesée très lourd sur sa descendance, nous verrons dans les prochains chapitres qu'elle interdira à jamais à toute femme de régner sur le royaume de France. Quant aux frères d'Aunay ils savaient ce qu'ils risquaient en trompant leurs princes, leur jeunesse qui est une excuse de nos jours, ne fut pas un argument pour l'époque.
    Fatigué, las d'un pouvoir qu'il avait voulu absolu, Philippe IV le Bel mourut le 29 Novembre 1314. Depuis moins d'un an, il avait été précédé dans l'au-delà par le pape Clément et Guillaume de Nogaret ..... Le peuple impressionné songea que la malédiction commençait. Une anecdote traversant les siècles veut que les yeux du roi ne puissent être fermés et qu'il faille un bandeau pour voiler son regard. Philippe IV le Bel entrait les yeux grands ouverts dans l'éternité.

     





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