• La Flûte Enchantée  une initiation maçonnique


    Nous sommes le 5 Décembre.
    Nous sommes le 5 décembre 1791. Wolfgang Amadeus Mozart entre dans la nuit éternelle.
    Pressentant son prochain passage à l’Orient céleste, notre très illustre frère du 18ème siècle a voulu
    léguer au monde son testament philosophique.
    C’est dans les trois derniers mois de sa vie que Mozart a composé un triptyque musical considéré
    comme son testament philosophique, à savoir La Clémence de Titus, la Flûte Enchantée, le Requiem.
    Au centre de ce triptyque, la Flûte Enchantée constitue l’oeuvre de Mozart à la fois la plus ésotérique et
    la plus riche de symboles, à l’image de son initiation maçonnique.
    Il y a quelques mois, mon parrain m’avait suggéré de parler de mon initiation, comme planche de rôdage. Bien
    que cette épreuve ait été pour moi incontestablement un temps fort, je n’avais pas souhaité vous en faire la
    relation, sans doute parce que je sentais que je n’en maîtrisais pas complétement le sens caché. C’est
    seulement un peu plus tard, que j’ai revécu mon initiation en découvrant cette oeuvre mythique qu’est la Flûte
    Enchantée.
    Si mes modestes connaisances sur l’Art Royal me permettaient toutefois de retrouver un contexte
    connu et de comprendre certains symboles, je dois dire pour être honnête que l’oeuvre de Mozart m’a
    dérouté par de nombreux aspects qui n’ont rien de maçonniques et par d’autres, dont l’ésotérisme
    dépassait ma compréhension. Je suis donc sorti de l’opéra de Zurich avec une impression de
    confusion, mais avec la ferme intention de chercher à comprendre.
    Deux ouvrages m’ont permis de mieux connaître le contexte de l’oeuvre et de décrypter certains
    symboles : “Le testament philosophique de Mozart” de René Terrasson et “La Flûte Enchantée, Opéra
    maçonnique” de Jacques Chailley. Et comme à chaque fois après la lecture de tels ouvrages, j’ai
    ressenti une grande humilité vis à vis des auteurs qui ont consacré leur vie et leur passion à l’un des
    plus illustres musiciens de tous les temps.
    La Flûte Enchantée est une oeuvre conçue à la fois pour le profane et pour l’initié. Mozart utilise un
    mode d’expression théâtral populaire, le Singspiel, véritable comédie musicale avant la lettre, pour la
    plus grande joie du profane. Sous le couvert de drôlerie et de pitreries , il adresse aux seuls initiés son
    message philosophique, à travers les symboles et sa musique. Ce qui fit dire à Goethe, autre illustre
    maçon, “ la foule prend plaisir au spectacle, dans le même temps sa haute signification n’échappe pas
    aux initiés.”
    Il faut aussi rappeler que l’ésotérisme de l’oeuvre répondait d’abord à un souci de protéger le secret
    maçonnique, afin de ne pas encourir le discrédit du pouvoir à Vienne. En effet, Léopold, nouvel
    empereur d’Autriche, était convaincu de la responsabilité de la Franc-Maçonnerie dans la Révolution
    française et redoutait une contagion idéologique, d’où une hostilité prononcée envers toute
    manifestation maçonnique, et d’où le pied de nez de Mozart aux autorités.
    Mon propos n’est pas ici de raconter l’action de la pièce, ni de commenter la symbiose entre le livret
    écrit par Emanuel Schikaneder, également maçon, et la musique composée par ce musicien
    exceptionnel qu’a été Mozart. Je souhaite simplement mettre l’accent sur les symboles que le profane
    va découvrir à l’occasion de son initiation maçonnique.
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    Au lever du rideau apparaît le Temple, constitué de trois parties, à savoir le temple de la Sagesse, le
    temple de la Nature, le temple de la Raison. Le bâtiment, de style égyptien, est d’abord une allusion à
    la maçonnerie opérative, celle des bâtisseurs de cathédrales qui, en élevant leurs pierres, contribuent à
    l’élévation spirituelle et culturelle des hommes. Les maçons des cathédrales se confondent
    naturellement avec les maçons des caractères.
    Toute la pièce a pour cadre le Temple, chargé de mystères, semblable à la loge que le profane va
    découvrir. Pour les raisons précitées, Mozart ne pouvait invoquer ou évoquer Le Grand Architecte de
    l’Univers, aussi a-t-il choisi les divinités égyptiennes, à savoir la déesse Isis, mère universelle et
    symbole de vie, et le dieu Osiris, à la fois dieu de la mort et de la renaissance spirituelle après la mort.
    Mozart rappelle ainsi sa conviction d’un “être suprême, transcendant à l’homme et moteur de l’univers”,
    comme le dit notre frère Michel.
    C’est dans le Temple que le profane va effectuer son parcours initiatique et c’est dans le Temple qu’il
    va recevoir la lumière de la connaissance, avant d’être en mesure de la faire briller à l’extérieur du
    Temple.
    Parlons maintenant de la symbolique des participants.
    Tamino et Pamina représente le couple tourné vers l’idéal spirituel. Ils sont orientés vers les
    interrogations de l’esprit. Ce sont les profanes au seuil de l’initiation, car ils ont été reconnus aptes à
    recevoir l’enseignement philosophique et à acquérir la sagesse. Leurs voix de tenor et de soprano sont
    claires et lumineuses, à l’image de leurs pensées et de leur idéal.
    En revanche, Papageno et Papagena représentent le couple orienté vers l’idéal matériel. Ils sont
    sincères, mais pas susceptibles d’aller loin dans la voie de la connaissance. Ils se contentent de leur
    vie matérialiste et donnent ainsi une image conforme à ce qu’attend la majorité des spectateurs et des
    hommes sur terre. Papageno incarne la sincérité et le mensonge, mais il est aussi doté d’un robuste
    bon sens populaire, il s’interroge sur les questions fondamentales que se pose l’être humain. Sa voix
    de baryton est celle des chanteurs populaires qui plait aux profanes. Sa présence est nécessaire à
    Tamino, le futur initié, qu’il accompagne, mais sans vouloir le suivre sur le difficile chemin de la
    connaissance.
    Le maître du Temple est Sarastro. Il est le maître des connaissances liées au cercle solaire. Sarastro,
    qui représente bien sûr le Vénérable Maître en chaire, incarne la sagesse, la clairvoyance et la justice
    et s’adresse à tous avec sa voix profonde de basse. Sarastro le sage est accompagné de L’Orateur,
    dont Mozart n’a pas cherché à occulter ou travestir la fonction. Ils représentent tous les deux la lumière
    spirituelle et ils sont les dépositaires des secrets, secrets qu’ils décident de transmettre aux seuls élus
    qu’ils estiment dignes d’être initiés.
    Les deux hommes d’armes ( die zwei Geharnischten ) sont les surveillants du Temple. Avec leur voix
    de ténor, ils incarnent la rigueur et ils sont les garants de la loi maçonnique et les gardiens du secret
    maçonnique.
    Tous les officiers présents sont accompagnés par le collège des sages qui sont bien évidemment les
    frères réunis dans la loge. Dès lors, la loge est juste et parfaite et il y règne la liberté, l’égalité et la
    fraternité.
    Les trois jeunes garçons symbolisent les trois pilliers de la Sagesse qui invente, de la Force qui
    exécute et de la Beauté qui orne. Mais ils sont aussi les trois enquêteurs chargés de mieux connaître le
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    candidat. Leur rôle s’arrête au seuil du Temple. Avec leurs voix claires et pures, ils vont aider le
    profane Tamino sur le chemin de la vie parsemé d’obstacles et de dangers.
    Dans l’antithèse des précédents personnages apparait Monostatos qui incarne les passions humaines
    sans limites et sans contrôle. Il est de ceux qui ne peuvent évoluer et se délivrer de leurs défauts. Son
    désir de profiter et d’abuser des autres, sa perversité sont soulignés par une voix de ténor nasillard.
    Monostatos, ne peut prétendre être “un homme libre et de bonnes moeurs”. Il recherchera à entrer
    dans le camp des sages, mais son comportement aberrant ne lui permettra pas d’en faire partie. Il en
    sera exclu à tout jamais.
    Avec la Reine de la Nuit, Mozart met en scène les faiblesses humaines, telles que l’envie, l’orgueil, la
    fureur. Elle s’écrie :“la vengeance de l’enfer bout dans mes veines”. Sa voix dite de colorature est
    sublime et invite tous ceux qui l’écoutent à boire ses paroles et à croire ce qu’elle dit. Mozart souligne
    que les faiblesses humaines sont parées de toutes les séductions, comme souvent nous pouvons nous
    en rendre compte nous-mêmes,
    Toutefois, la Reine de la Nuit, qui remet la flûte magique à Tamino, incarne le dualisme du Mal et du
    Bien. Son royaume de la nuit ne s’oppose pas au soleil de Sarastro, il en est le complément
    nécessaire.
    De la même façon, les Trois Dames qui sont à son service, apparaissent futiles et limitées par l’esprit.
    Mais en fin de compte, elles agissent dans le sens de la raison.
    Les symboles
    Dès le rideau levé apparaît le serpent, symbole des peurs cachées dans notre inconscient. A sa vue, le
    profane Tamino va s’évanouir. Son évanouissement est l’image de la mort symbolique du profane, mort
    préalable à sa renaissance à la vie spirituelle. La mort du serpent signifie aussi celle des tentations
    humaines et elle permet à Tamino d’accéder aux marches du Temple pour entreprendre ses voyages
    initiatiques.
    Dans le contexte troublé de 1791, Mozart ne pouvait dévoiler les outils maçonniques rituels, tels que
    compas, équerre, truelle. En revanche, il va introduire la flûte d’or, ainsi qu’un jeu de clochettes
    magiques, le „Glockenspiel“.
    La flûte participe à toutes les traditions. Elle est le souffle de la vie et elle permet à Tamino de
    triompher des dangers qui sont représentés par les épreuves du feu et de l’eau.
    La flûte de Pan, suspendue au cou de Papageno, est avec sa gamme limitée à 5 notes, l’expression du
    Matériel face au Spirituel de la flûte d’or de Tamino.
    Quant au Glockenspiel, remis par les Trois Dames à Papageno, il est également la marque de ceux qui
    ne recherchent que les seuls plaisirs terrestres.
    Nous retrouvons les autres symboles habituels de la Franc Maçonnerie, symboles qui sont
    représentés par les personnages mis en scène par Mozart et par Schikaneder l’auteur du livret. Le
    Soleil est Sarastro, la Lune est la Reine de la Nuit. Le Feu est Tamino et l’Eau, Tamina. Le signe de
    l’Air est incarné par Papageno, dont le nom évoque le perroquet ( Papagei) et dont le métier est
    précisément d’attraper des oiseaux. Le personnage de la Terre est Monostatos.
    Le cabinet de réflexion, premier lieu de contact et de connaissance entre le profane et l’univers
    maçonnique, est représenté par un décor désertique et obscur face à l’entrée du temple.
    A l’instar de Tamino, je n’ai pas ressenti alors de doute ou de crainte, malgré l’étrangeté du lieu et
    l’ésotérisme des symboles représentés, ésotérisme qui a provoqué encore plus en moi le désir de
    comprendre et de découvrir ce que je ressentais très confusément.
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    Le dépouillement des métaux n’est pas montré, mais le fait que la flûte est redonnée à Tamino après
    son parcours indique que cet élément du rituel a eu lieu.
    Après avoir été dûment questionné, le profane Tamino peut entreprendre les trois voyages
    initiatiques, après avoir eu les yeux bandés. Le bandeau symbolise l’ignorance dans laquelle est
    plongée le profane.
    C’est par la musique que Mozart évoque de façon symbolique les trois voyages de Tamino et Pamina à
    travers les dangers du feu, de l’eau, de l’air et de la terre. La flûte dont Tamino joue lui permet d’écarter
    les dangers du parcours initiatique, dangers qui sont ceux qu’il va rencontrer tout au long de son
    existence.
    L’épreuve du silence imposée à Tamino correspond à la recommandation faite à celui qui est initié,
    avec l’obligation de taire tout ce qu’il peut voir et entendre en loge.
    Puis le bandeau est enlevé. Les yeux habitués au confort de l’obscurité perçoivent alors l’éclat d’une
    forte lumière, ils découvrent lentement le Temple, ce lieu encore bien étrange, découvrent les prêtres
    qui rendent hommage au nouveau frère. A la nuit de l’ignorance succède l’illumination de la
    connaissance. La symbolique est forte, bien que dificile à comprendre par le nouvel initié.
    En ce qui me concerne, le moment où le bandeau m’a été retiré a été le plus intense et le plus
    émotionnel, beaucoup plus que les trois voyages initiatiques. L’hommage que vous m’avez rendu avec
    vos épées, mes frères, restera à jamais dans mes pensées. L’émotion ressentie ce soir là, avec vous,
    a été plus forte que ma perception du sens de l’événement qui venait d’avoir lieu.
    La Flûte Enchantée m’a aidé sans nul doute à mieux comprendre le pourquoi de l’initiation
    maçonnique. J’y vois tout d’abord une acceptation volontaire de l’inconnu, mais dans un esprit de
    confiance, puis un fort désir de partage et d’échange en vue d’un enrichissement mutuel. L’initiation
    permet au profane de l’aider à mieux se découvrir lui-même et d’atteindre ainsi une autre dimension
    humaine. Tel est le sens du propos prêté à Sarastro “ Celui qui ne reçoit pas avec joie des leçons de ce
    genre, ne mérite pas d’être un homme.”
    Avec le temps qui passe, j’ai le sentiment que d’autres bandeaux tombent progressivement de mes
    yeux, signe que le processus de découverte de moi-même, de mon environnement et de ma relation à
    mon environnement, continue et que ce processus sans fin ne s’arrêtera que lorsque mon esprit ne
    sera plus en mesure d’exercer son activité.
    Pour conclure, je citerai notre illustre frère Mozart et la mission qu’il a voulu donner à son oeuvre : “ la
    Flûte Enchantée doit transformer les passions des hommes, rendre joyeux le mélancolique, amoureux
    le misogyne.” Voilà un voeu à la fois simple et immense, que nous pouvons et devons garder à l’esprit,
    tout au long du chemin ardu de notre vie.
    Considérant la musique comme la langue universelle et comme une chaîne d’union entre les hommes,
    communions maintenant ensemble dans l’écoute de l’un des plus beaux airs d’opéra de Wolfgang
    Amadeus Mozart, je nomme l’air de la Reine de la Nuit, que chante magnifiquement Edita Gruberova.
    JMB





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